Intervention de Pascale Gruny

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 février 2020 à 13h30
Questions sociales et santé — Proposition de résolution européenne n° 275 de m. andré reichardt visant à lutter contre la fraude sociale transfrontalière et améliorer la coopération européenne en matière de lutte contre la fraude aux prestations sociales - examen du rapport de mmes laurence harribey et pascale gruny

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Chers collègues, cette complexité dans la détermination de la législation applicable rend urgente l'aboutissement des négociations sur la révision des règlements. Elle rend aussi nécessaire une meilleure coordination des systèmes de protection sociale.

Deux avancées récentes doivent être mentionnées sur ce point : en amont, concernant la standardisation et l'automatisation du formulaire A1, et en aval, quand il s'agit de déqualifier un formulaire A1 frauduleux.

Les formulaires A1 sont centraux dans les échanges entre organismes européens de sécurité sociale. Ils attestent de la législation applicable à leur détenteur. Ils confèrent une présomption de régularité du détachement pour les salariés et donnent de fait droit à l'exonération de cotisations dans l'État d'emploi.

La Commission européenne a lancé en juillet 2017 le système d'échange électronique d'informations sur la Sécurité sociale (EESSI). Cette possibilité était prévue dans le règlement d'application de 2009. L'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) dispose que les États membres sont libres d'organiser leur système de protection sociale, mais la construction progressive d'une Europe sociale exige la coordination des systèmes de sécurité sociale à l'échelle européenne et donc certains ajustements nationaux.

Les États membres avaient ainsi deux ans pour mettre en oeuvre l'EESSI au niveau national et pour connecter leurs organismes de sécurité sociale aux échanges électroniques transfrontières. Le système est de fait opérationnel depuis juillet 2019.

Ce système permet des échanges de données plus précis entre les autorités nationales grâce à des documents électroniques standardisés traduits dans chaque langue. Le formulaire A1 est aujourd'hui entièrement dématérialisé.

Dans son paquet « équité sociale » présenté en mars 2018, la Commission a par ailleurs proposé de créer une nouvelle Autorité, destinée à renforcer la coopération et l'échange structuré entre les autorités nationales compétentes.

L'Autorité européenne du travail a ainsi ouvert en octobre 2019. L'Autorité informe les citoyens et les entreprises de leurs droits et devoirs dans des situations transfrontières et améliore l'échange d'informations entre les États membres en mettant en contact des agents de liaison, comme le fait Europol. Elle facilite la coopération entre les États-membres, notamment en permettant des inspections conjointes transfrontalières en cas de fraude, d'abus et de travail au noir. Cette disposition, très opérationnelle, était très attendue des services de contrôle de la fraude.

Elle peut également offrir une médiation en cas de différends entre deux États membres. Le fonctionnement de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale n'a pas été modifié, mais cette nouvelle agence européenne devrait lever une part importante des difficultés rencontrées auparavant. Un accord de coopération doit désormais régler les questions d'articulation entre la nouvelle autorité et la commission de coordination. Il est important que cet accord intervienne au plus vite.

Ces deux avancées, mise en place du système d'échange électronique d'informations sur la Sécurité sociale (EESSI) et création de l'Autorité européenne du travail, rendent ainsi nécessaires l'adaptation de nos propositions antérieures.

Un autre point reste à prendre en compte : la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne en ce qui concerne la validité du certificat A1.

Aujourd'hui, le certificat de détachement doit être déqualifié par la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, dès lors qu'il existe des doutes sérieux quant à la réalité de l'affiliation du salarié détaché au régime de sécurité sociale du pays d'établissement. En l'absence d'accord sur l'appréciation des faits litigieux, les institutions de l'État membre peuvent la saisir au plus tôt un mois après la date à laquelle l'institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission s'efforce de réaliser une conciliation dans un délai de 6 mois. Même si la jurisprudence Altun a introduit une plus grande souplesse dans la possibilité pour le juge national d'écarter un formulaire A1 manifestement frauduleux, le processus reste lourd et peu efficace dans la lutte contre la fraude.

Les derniers arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne ont ensuite très strictement limité cette jurisprudence Altun : il faut que soient réunies deux conditions cumulatives, à savoir une suspicion de fraude étayée par des éléments concrets et l'inertie de l'institution émettrice.

Dans l'arrêt Alpenrind rendu en septembre 2018, la CJUE a par ailleurs estimé que la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale avait pour seul objectif de concilier les points de vue et que ses conclusions avaient dès lors seulement valeur d'un avis. Tant que l'État d'émission d'un certificat A1 ne l'a ni retiré ni déclaré invalide, celui-ci s'impose à l'ensemble des institutions de l'État membre dans lequel l'activité est exercée.

Nous sommes aujourd'hui dans l'attente d'un nouvel arrêt de la CJUE qui pourrait lever ces difficultés. Dans les conclusions rendues le 11 juillet 2019 sur l'affaire Vueling, l'avocat général a invité la CJUE à décider qu'autorité judiciaire et autorités administratives se complètent sans être concurrentes et qu'en conséquence le juge national peut écarter un formulaire A1, sans être paralysé ni lié par le dialogue initié entre institutions de Sécurité Sociale.

Pour lever dès à présent les derniers doutes sur la possibilité par le juge national d'écarter un certificat A1, nous vous proposons de demander d'inscrire cette possibilité directement dans les règlements afin que cesse la dépendance actuelle de l'État d'accueil au bon vouloir d'une institution de sécurité sociale établie à l'étranger. Cette dernière n'a en effet aucun intérêt à retirer un certificat A1 puisqu'elle perd dès lors des cotisations sociales ou même doit les rembourser.

Dans le paquet « équité sociale », la Commission présentait aussi une communication sur le suivi de la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux. Dans celle-ci, elle indiquait travailler à la mise en place d'un numéro de sécurité sociale européen devant servir d'identificateur numérique rendant interopérables les systèmes existants. Aujourd'hui, cette initiative semble bloquée : présentée sous forme d'amendement lors de l'examen du texte, la proposition n'a pas été retenue dans l'accord provisoire. Nous vous proposons d'en demander une évaluation des coûts et avantages pour relancer la réflexion sur ce numéro unique qui viendrait en complément du numéro national, et non en substitution.

Enfin, nous n'avons pu que constater l'absence d'évaluation de la fraude sociale transfrontalière au niveau européen. La Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale discute une fois par an des questions de coopération dans le domaine des fraudes et des erreurs, et un rapport est publié annuellement par la Commission européenne à ce sujet.

La discussion est fondée sur des rapports fournis à titre volontaire par les États membres concernant leur expérience et leurs progrès en la matière. Le dernier rapport publié présentait ainsi un retour d'expérience parcellaire : 25 États membres sur 28 avaient renvoyé le questionnaire ainsi que la Suisse et les 3 autres États membres de l'Espace économique Européen, l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège. La France n'y a, de son côté, pas répondu. Tous les États ne répondent par ailleurs pas à l'ensemble des questions. Le rapport met aussi en évidence les difficultés de comparabilité de l'information entre les États qui la fournissent mais aussi d'une année sur l'autre.

Avant 2015, les chiffres sur la fraude sociale transfrontalière n'étaient recueillis que concernant les soins de santé nécessaires non planifiés et l'exportation des prestations de chômage. Si depuis cette date, le recueil d'informations sur la fraude sociale transfrontalière a progressé, il n'en demeure pas moins perfectible. Il serait important de quantifier plus précisément le phénomène de la fraude sociale transfrontalière afin de dimensionner les moyens nécessaires à sa lutte, tant au niveau national qu'européen.

Nous vous proposons en conséquence d'amender la proposition de notre collègue André Reichardt en tenant compte de ces différents éléments.

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