Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 19 mars 2020 à 14h00
Mesures d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 — Discussion générale commune

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je remercie le Gouvernement d’avoir accepté la demande de réserve du titre Ier. Cela nous permettra de discuter d’abord de l’urgence sanitaire, sociale et économique. Ce n’est point que, dans cette assemblée, nous nous désintéressions des élections municipales, mais il me semble que le message envoyé à nos concitoyens sera ainsi plus adapté à la situation que nous connaissons.

En entendant les Français applaudir à leurs fenêtres nos soignants, au front dans cette guerre contre l’épidémie, on sent que la démocratie repose non seulement sur une fraternité, mais aussi sur un sens civique, une vertu, une pratique morale. Les Français acceptent les sacrifices ; ils se mobilisent et serrent les rangs. Rarement avons-nous autant éprouvé combien nous dépendons les uns des autres, combien le dévouement, la compétence, les sacrifices et l’abnégation du corps médical sont nécessaires à notre vie.

Monsieur le Premier ministre, que l’engagement de ce corps médical et de tous ceux qui l’accompagnent puisse vous inciter, ainsi que l’exécutif tout entier, à être encore plus à l’écoute de leurs justes revendications ! Celles-ci ne sont pas l’expression d’un corporatisme, car leur seul but est de servir nos concitoyens. C’est le sens profond de la notion de service public, qui fait partie de notre ADN républicain et n’est pas incompatible avec le développement du monde économique privé.

Dans cette épreuve, la démocratie doit demeurer exigeante. Elle n’est pas plus faible qu’un régime autoritaire quand il faut affronter les périls sanitaires. Nous en ferons la preuve, en ne confondant jamais vitesse et précipitation.

Surmontons la tension entre l’autorité du Gouvernement et la continuité démocratique exprimée dans le contrôle parlementaire, sans rien céder sur l’unité nationale, sans la laisser mettre en péril.

On ne saurait pour autant, au nom de cette unité nationale, affaiblir les garanties fondamentales. Trouvons un équilibre entre le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de nos droits et libertés. La voie est étroite ; elle ne saurait en tout cas être celle d’une application rampante de l’article 16 de la Constitution.

L’instauration d’un nouveau régime d’état d’urgence sanitaire sera pour nous une épreuve.

L’état d’urgence sanitaire, tel qu’il est envisagé par le Gouvernement, diverge du régime d’état d’urgence issu de la loi du 3 avril 1955, que nous connaissons trop bien, hélas !

Disons-le d’emblée : l’équilibre reste encore à construire. Nous pouvons le faire ici. Certains aspects de ce texte apparaissent en effet inquiétants pour le fonctionnement de nos institutions et le rôle du Parlement en période de crise, d’abord. Si le régime créé par la loi de 1955 prévoit un contrôle continu par le Parlement, le projet de loi que nous examinons prévoit, quant à lui, la possibilité de donner au Premier ministre, au ministre de la santé et, par délégation, aux préfets le pouvoir de limiter la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, sans qu’ils n’aient de comptes à rendre à la représentation nationale.

Les modalités d’entrée en vigueur de ce nouvel état d’urgence ne permettront pas au Parlement de le valider, ni même d’en débattre ou d’avoir simplement connaissance des mesures prises après son déclenchement. Le Gouvernement usera de ses pouvoirs exorbitants sans contrôle du Parlement, lequel sera simplement invité à dire « oui » ou « non » au déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, sans rien savoir de son contenu ni rien pouvoir en dire. Cela ne saurait nous convenir ; j’imagine que nous corrigerons le texte ce soir au travers de différents amendements de notre groupe et de la commission des lois.

Aucun contrôle parlementaire n’est prévu, à rebours du travail parlementaire accompli en 2015 à la suite des attentats. Pourtant, si l’on peut réunir quatre commissions cette semaine, il devrait être possible de mettre en place une commission spéciale de suivi capable de voter, au fil de l’eau, les mesures législatives nécessaires. C’est notre capacité de réaction qui est ici en cause : quelles que soient les mesures de confinement, nous montrons aujourd’hui que nous sommes capables de servir notre pays en conscience.

Il nous appartient de résister à la tentation d’instituer des exceptions aux régimes d’exception. Dans ce cadre, monsieur le Premier ministre, aucun comité, même scientifique, ne saurait devenir, de fait, l’alpha et l’oméga de la décision politique. D’ailleurs, le comité scientifique ne le demande pas ! Nous entendons régulièrement son président affirmer qu’il se borne à formuler des recommandations et que c’est au pouvoir politique de décider au nom de la Nation. Il faut le rappeler en permanence. Un jour ou l’autre, il faudra peut-être que ce comité soit auditionné par le Parlement, non pour vérifier la pertinence de ses propositions, mais pour assurer que nous soyons dans la boucle de l’élaboration des décisions prises sur le fondement de ses préconisations.

Ce texte est également inquiétant du fait de son champ d’application indéfini. Aucune définition n’est donnée de la notion de « catastrophe sanitaire ». Cette qualification juridique ne figure d’ailleurs pas davantage dans le code de la santé publique. Le sens de la formule « en cas d’épidémie » est très ouvert. La notion même de « catastrophe sanitaire » a une signification très large et pourrait recouvrir les épidémies de grippe, qui font plusieurs milliers de victimes par an, voire celles de gastro-entérite. Une définition trop générale du champ d’application de la loi encourage à la prise d’innombrables mesures, favorise des pratiques variables et des marges d’appréciation illimitées. Il faudra encadrer celles-ci ; ce sera aussi notre travail.

Le dispositif proposé par le Gouvernement, dans les conditions de délibération extrêmement contraintes que nous connaissons, laisse à l’exécutif un champ d’action large, sans contrôle parlementaire. Il conviendrait de prévoir, a minima, sa caducité automatique, dans un an au plus tard. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des amendements.

Ce texte est inquiétant, enfin, au regard de la protection sociale des Français. Son titre III, qui détaille les mesures économiques et sociales envisagées, prévoit notamment de lourdes dérogations au code du travail ; nous ne pouvons les accepter. Je ne suis pas le premier à le dire : les salariés ne sauraient être la variable d’ajustement d’une situation sanitaire dont ils sont les premières victimes.

Voilà les principales raisons qui nous ont conduits à déposer des amendements visant, d’une part, à préciser dans le texte les mesures précises qui relèvent de l’état d’urgence sanitaire, et, d’autre part, à assurer au Parlement le même niveau de contrôle de l’action gouvernementale que ce qui est prévu par la loi de 1955.

Monsieur le Premier ministre, ce sont là les exigences minimales de la démocratie représentative dans le cadre d’un régime exceptionnel. Nous assumons la situation exceptionnelle que vit notre pays, sans esprit de polémique, mais avec exigence et vigilance. Après le drame que nous vivons aujourd’hui, la France se redressera : c’est pour cela, mes chers collègues, que nous sommes fiers de la servir.

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