Intervention de Olivier Véran

Réunion du 5 mai 2020 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Articles additionnels après l'article 5

Olivier Véran :

Monsieur Retailleau, je vais tâcher de répondre à ces trois questions factuelles et précises.

Au sein des Ehpad, 50 000 tests ont été réalisés en l’espace d’une seule semaine.

D’après les agences régionales de santé, ce dépistage massif, dès le premier cas, a bien fonctionné ; son extension à l’ensemble des Ehpad m’a été demandée ponctuellement, notamment par la présidence de l’un des deux départements alsaciens, étant donné la prévalence des établissements concernés par au moins un cas. J’ai répondu oui, évidemment, et certains départements sont allés bien plus loin que les tests réalisés après un cas avéré, afin de disposer d’un bilan sûr, pour un jour donné. La situation évolue bien.

D’ailleurs, un certain nombre d’établissements de santé ont engagé une campagne de tests systématiques pour les patients rentrant après quelques jours passés à l’hôpital. Il ne s’agit pas encore d’une doctrine ; mais cette méthode est intéressante et nous sommes en train d’y réfléchir. Si les capacités de test le permettent, nous allons voir s’il convient de la généraliser.

Pour ce qui concerne les laboratoires vétérinaires départementaux, la certification est du ressort des préfets ; elle a été accordée à un grand nombre d’établissements – quelques-uns, cependant, ne l’ont pas obtenue. Nous travaillons également avec ces laboratoires sur les techniques de « poolage », permettant d’effectuer simultanément quinze ou vingt prélèvements au lieu de les faire un par un ; ce faisant, on sait si un tel échantillon contient un prélèvement positif ou s’il n’en contient aucun. C’est ainsi que procèdent les Allemands.

Pour l’instant, le Centre national de référence, le CNR, a validé une sérologie, eu égard à son très haut degré de précision. D’autres sont presque validées.

Néanmoins, selon la Haute Autorité de santé, l’usage que l’on peut faire de la sérologie, en pratique, n’est pas encore complètement clair. Nous n’en sommes pas encore à nous demander qui va faire les sérologies, sachant que, contrairement aux tests PCR, celles-ci ne font pas appel à des plateformes techniques particulières.

Le but est que, demain, un patient puisse connaître son statut sérologique grâce à une prise de sang. Nous disposons de 3 800 laboratoires de biologie médicale humaine répartis sur l’ensemble du territoire, et l’apport des laboratoires vétérinaires n’est pas indispensable en la matière ; toutefois, rien n’empêchera de faire appel à eux si nécessaire. Nous verrons.

Enfin, vous m’interrogez sur l’indicateur d’évolution de l’incidence – ou de la prévalence – virale dans la population, permettant de connaître, chaque jour, le nombre de nouveaux malades.

J’ai, bien malgré moi, fait frissonner une partie des Français dimanche dernier : les lecteurs d’un grand quotidien ont découvert en une que la date du 11 mai n’était pas certaine. Cela étant – vous l’avez rappelé vous-même –, je ne faisais que reprendre les propos du Premier ministre, qui, mardi dernier, devant l’Assemblée nationale, a souligné que les conditions du déconfinement devaient être réunies.

Nous devons être capables de tester tout le monde, de tracer tout le monde, d’isoler tout le monde et de casser les chaînes de contamination ; ainsi, nous serons sûrs que l’épidémie est redescendue à un niveau suffisamment bas pour être maîtrisée.

Dès lors, nous pourrons lever un certain nombre de contraintes – le facteur de reproduction, ou facteur R0, augmentera nécessairement –, sans risque de voir exploser le nombre de nouveaux cas : il s’agit d’éviter une seconde vague, que nous ne voulons pas et que personne ne souhaite.

J’ai déjà indiqué les chiffres d’aujourd’hui ; environ 1 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués par PCR et quelque 1 000 patients ont été hospitalisés.

Comme moi, vous êtes curieux. Selon certaines estimations, pour un malade hospitalisé, il y en a quarante dans la nature. En conséquence, le nombre de malades aurait augmenté de 40 000 aujourd’hui. Vous vous interrogez, car ce chiffre n’est pas bon du tout, et vous examinez un autre chiffre, celui des réanimations ; pour un malade en réanimation, il y en aurait cent cinquante dans la nature. En multipliant par 150 le nombre des nouvelles personnes en réanimation, soit 111, on obtient environ 17 000 malades ; c’est déjà mieux – en tout cas, c’est très loin du premier chiffre.

Il faut le savoir, un débat existe entre les épidémiologistes, qui suivent les situations en temps réel, et les modélisateurs, qui font un travail d’anticipation.

Comment les modélisateurs travaillent-ils ? Ils prennent les données publiées tel jour – nombre de nouvelles hospitalisations, de nouveaux patients en réanimation, de diagnostics PCR, de sorties et de guérisons, indicateurs des médecins généralistes et des réseaux sentinelles – et ils les traduisent sous forme de courbe. Puis, selon l’évolution de la courbe, ils calculent le R0. Si le nombre de malades est multiplié par trois en l’espace d’une semaine, le R0 s’établit à 3 ; s’il est divisé par trois, il est de 0, 33.

Ce modèle est construit de manière rétrospective, avec deux ou trois semaines de recul. Sur cette base, le modélisateur commence à faire de la prospection pour estimer les chiffres des dix ou quinze prochains jours. S’il tombe juste – si le nombre de nouveaux malades correspond à ses projections –, il tient sa courbe et peut la prolonger, pour déterminer combien de nouveaux malades seront dénombrés au 11 mai.

Aujourd’hui, selon les modélisateurs, nous sommes encore dans les clous. Jeudi prochain, nous présenterons les dernières modélisations arrêtées, nettes, franches et définitives ; nous sommes dans les clous, je le répète, mais il n’a pas beaucoup de marge. C’est la raison pour laquelle je demande aux Français de faire très attention.

Nous sommes à 10 000 lieues du débat précédent, mais je tiens à insister sur ce point, car il a toute son importance. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, et moi-même ne cessons de le répéter : il faut faire preuve de la plus grande prudence. Si, d’ici à dimanche, le relâchement est trop fort, on risque de sortir des clous.

Aujourd’hui, la perspective est d’environ 3 000 malades par jour. Cette modélisation, c’est de la belle science, mais ce n’est pas de la science pure : nous n’avons pas de certitude au malade près. Le Premier ministre l’a dit : il faut être en mesure de tester et de tracer quinze à vingt-cinq personnes appartenant à l’entourage de chacun de ces 3 000 malades.

Partons du chiffre de vingt-cinq personnes : on aboutit à 725 000 tests par semaine. Si l’on veut monter à ce niveau, c’est parce que, pour identifier un malade, il faut faire un certain nombre de tests.

Monsieur Retailleau, je prends les devants : peut-être que, à la fin de la semaine prochaine, nous n’aurons pas fait 700 000 tests, non pas faute d’avoir pu les effectuer, mais parce que, finalement, le nombre de nouveaux malades est inférieur au niveau prévu. Ce serait une bonne nouvelle !

Imaginons que, au lieu des 3 000 malades attendus par les modélisateurs, il n’y en ait en fait que 500, et qu’ils ne soient entrés en contact qu’avec dix ou quinze personnes. On aboutirait ainsi à 5 000 personnes symptomatiques et cas contacts à tester chaque jour, donc très loin des 700 000 tests par semaine.

Ensuite, nous pourrons bien sûr faire plus ; mais notre but, c’est d’être en mesure de monter en charge, le cas échéant jusqu’à 700 000 tests par semaine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez excuser cette digression : ces propos n’ont guère de rapport avec le présent texte. Mais notre débat m’offre l’occasion de vous apporter ces explications, qui ont toute leur importance. Les Français doivent rester chez eux jusqu’à dimanche prochain pour que le nombre quotidien des nouveaux malades ne bondisse pas à 8 000 ou 9 000. Face à de tels chiffres, aucun pays ne serait en mesure de réussir la sortie du confinement.

Nous scrutons ces chiffres avec la plus grande attention. Je remercie les modélisateurs, les épidémiologiques et l’ensemble des scientifiques qui nous permettent de piloter avec un certain nombre de données et d’informations, en composant avec l’incertitude inhérente à toute épidémie.

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