Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 4 mai 2020 à 14h30
Stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19 — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots, comme ceux de beaucoup de mes collègues, iront, bien sûr, à nos concitoyens, soignants, travailleurs, qui, depuis plusieurs semaines, tiennent, risquant leur santé, perdant leur vie pour certains – je veux leur rendre hommage –, ainsi qu’aux millions de Français qui sont chez eux, confinés. Le pays tout entier est mobilisé pour faire face, et chacun doit assumer sa responsabilité.

La vôtre, monsieur le Premier ministre, est de veiller à ce que les Français soient protégés face à un virus mortel, une « vacherie », disait le professeur Delfraissy ; à ce qu’ils soient protégés des conséquences d’une maladie qui mine nos habitudes, nos manières de vivre et de travailler, mais qui ne doit pas provoquer un effondrement économique. La grande faucheuse sanitaire ne doit pas se muer en une grande faucheuse sociale.

Certes, les incertitudes sont encore nombreuses. Bien qu’elle ait envahi nos vies, cette maladie est encore très mal connue : pas de vaccin, ni de traitement, ni non plus, peut-être, d’immunité. Les horizons sont bien tristes ; ils sont en tout cas, concernant le vaccin, très lointains. Cela nous incite à l’humilité et à la remise en question.

La seule certitude que nous avons aujourd’hui est que nous allons devoir vivre de longs mois avec ce virus. Ce constat étant fait, le défi du déconfinement est une étape cruciale. Nous savons qu’un déconfinement raté serait le prélude à un reconfinement assuré. Une deuxième vague réduirait à néant les efforts fournis jusqu’à présent et viendrait heurter de plein fouet un système de santé déjà très affaibli par la première vague.

Le déconfinement est un pari à haut risque, monsieur le Premier ministre. La date du 11 mai a été fixée, mais cette annonce avait-elle été vraiment préparée par un travail de fond de votre gouvernement, dans une logique de rétroplanning ? Permettez-moi, sur ce point, de m’interroger. Il faut évidemment déconfiner dès que possible ; mais « dès que possible » veut dire : dès que nous avons les garanties nécessaires. On ne doit pas faire de pari sur la santé ou les libertés des Français. Pour ne pas faire du 11 mai une chimère, il faut de la clarté et des moyens.

Répondre au besoin de clarté de la population doit être la première préoccupation de votre gouvernement : il faut en finir avec les injonctions contradictoires que nous connaissons depuis plusieurs mois. J’ai en mémoire vos propos rassurants, le 27 février, quand vous aviez réuni à Matignon les présidents de groupes et les patrons de partis. Nous étions sortis de cette réunion, sinon rassurés, en tout cas rassérénés.

Les injonctions contradictoires, les ordres et les contre-ordres ajoutent de l’anxiété à une période qui n’en manque pas. Mais, par-dessus tout, cela fait courir un risque sanitaire. Il faut que les règles édictées soient comprises et partagées, afin d’éviter une deuxième vague.

J’en donne une illustration, cela a déjà été dit : le manque de garanties concernant l’accessibilité des masques aux Français, et l’absence de prise de position du Gouvernement sur la gratuité. Avec le temps qui passe, les Français se sont rendu compte que, contrairement à ce qui était avancé, les masques ne sont pas inutiles s’ils deviennent une protection collective et massive. Nous avons donc du mal à comprendre pourquoi les masques seraient obligatoires à l’école et dans les transports alors qu’il n’existe aucune obligation de les porter au travail ou dans les lieux publics. Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur ce point.

Si la limite à cette mesure est le manque de masques disponibles, il est incompréhensible de voir les grands distributeurs faire les annonces qu’ils font aujourd’hui, à coups d’arrivages par millions. Le commerce, dans le contexte actuel, n’a pas de sens. L’État doit prendre ses responsabilités et ne pas craindre de poursuivre ses réquisitions pour permettre à l’ensemble des Français d’être correctement protégés dès qu’ils entrent dans l’espace public.

Quant aux tests, nous demandons des points d’étape réguliers sur leur nombre et les garanties entourant leur disponibilité. Je ne vous rappellerai pas, monsieur le Premier ministre, qu’il y a encore à peine un mois nous étions à 5 000 tests par jour ! Vous nous annoncez 100 000 tests par jour le 11 mai ? Tant mieux ! Mais nous serons là pour vérifier que cet engagement sera bien respecté.

La prise en charge de l’isolement des personnes malades doit également être assumée par l’État lorsque celles-ci ne disposent pas d’un lieu où s’isoler.

La question de la restriction des libertés publiques proportionnée à l’urgence doit elle aussi être traitée avec le plus de clairvoyance possible. S’il faut donner les moyens aux brigades sanitaires de faire leur travail, il convient de repousser les dispositifs inefficaces et dangereux pour la liberté des Français, comme l’application StopCovid. La ligne de crête est étroite, mais la République doit veiller à ne pas céder à la panique et continuer à garantir les libertés fondamentales. Vous sembliez douter, à l’Assemblée nationale, de la pertinence de ce dispositif. Mais, à en croire les propos tenus il y a quarante-huit heures par votre porte-parole, il semblerait que ce chantier, loin d’être abandonné, puisse être opérationnel dès le début du mois de juin. Monsieur le Premier ministre, cette idée de traçage anonyme est un dangereux oxymore.

S’il n’est pas possible, le 11 mai, de déconfiner tout en respectant la sécurité des Français, il faut remettre en question cette date. Vous répétez que vous y êtes prêt – nous l’avons entendu –, mais nous espérons que cette échéance ne sera pas un totem au motif qu’elle aurait été annoncée par le Président de la République. En toute hypothèse, nous ne vous donnerons pas – cette chambre, en tout cas, ne vous la donnera pas, manifestement – d’habilitation à prendre une nouvelle ordonnance sur un sujet, celui des libertés individuelles, qui relève expressément de l’autorité du Parlement.

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