Intervention de Maryse Carrère

Réunion du 4 mai 2020 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas besoin de rappeler les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui, ni de mentionner le nombre de victimes du Covid-19 en France et dans le monde. Mes toutes premières pensées s’adressent à elles et à leurs familles. Elles vont ensuite à toutes les personnes qui, au sein du corps médical et au-delà, dans ce qu’on appelle désormais les services essentiels, ou encore par un mouvement de solidarité spontanée, ont fait et font tenir notre pays aujourd’hui. J’y reviendrai.

L’épidémie de Covid-19 est toujours active. Pourtant, nous sommes réunis aujourd’hui, selon des modalités adaptées, pour remplir notre mission constitutionnelle, à savoir légiférer. À cet égard, je tiens à saluer la mobilisation qui s’est manifestée sur toutes les travées, pour faire vivre le débat parlementaire malgré les délais particulièrement courts qui nous sont imposés et, en amont, permettre le suivi des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Le président de notre groupe, Jean-Claude Requier, l’a déjà indiqué, les membres du RDSE soutiennent la volonté du Gouvernement d’engager la phase de déconfinement. Cependant, nous aurions souhaité que la prorogation de l’état d’urgence comporte des prémices législatives d’adaptation structurelle de notre pays à ces risques pandémiques, dont les chercheurs disent qu’ils vont probablement se multiplier dans les années à venir. Ces engagements sont essentiels pour que nos concitoyens acceptent la prolongation des restrictions de libertés qui leur est demandée, laquelle affecte leur vie familiale, sociale et professionnelle. Je pense bien sûr à l’adaptation de notre système de santé.

De façon plus prospective, se posera également la question de l’indépendance alimentaire, que nous avions d’ailleurs soulevée avec la proposition de résolution de Françoise Laborde, de l’indépendance pharmaceutique, au moins au niveau européen, ou encore de l’adaptation de l’aménagement du territoire : cette crise a montré à la fois les limites d’une économie dominée par des métropoles extrêmement denses et les vertus de la proximité.

Il me semble que nous sommes tous d’accord pour considérer qu’à long terme la paralysie saisonnière du pays ne peut plus être une option.

Beaucoup d’entre nous considèrent que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire aurait mérité des échanges plus longs, éclairés par les travaux de nos différentes commissions, d’autant que la première phase de l’état d’urgence court jusqu’au 23 mai – il s’agissait déjà d’un délai dérogatoire par rapport au régime de droit commun. Où était l’urgence ? Comment évaluer l’impact des mesures proposées sur les personnes chargées de les appliquer sans disposer du temps nécessaire pour les auditionner ?

À l’instar de M. le rapporteur, la majorité des membres du groupe du RDSE n’est pas favorable au fait d’étendre le délai de prorogation au-delà de deux mois, compte tenu des mesures liberticides prévues par ce régime exceptionnel destiné à affronter l’urgence. Mon collègue Joël Labbé a déposé un amendement tendant à ce que ce délai soit réduit à deux mois à compter du vote du présent texte. Il courrait ainsi jusqu’au 8 juillet prochain. Cela étant, sur ce sujet, nous nous rallierons à la proposition de la commission.

Ce matin encore, après une analyse de quelques jours, ou plutôt de quelques heures, ce texte faisait naître plus de questions qu’il n’apportait de réponses, même si nos échanges en commission des lois ont permis de lever quelques incompréhensions.

En premier lieu, ce projet de loi ne prévoit pas de mesures contraignantes, qu’il s’agisse des gestes barrières ou du matériel de protection. Il ne contient donc que de simples recommandations, de nature à semer la zizanie après le 11 mai. On l’a constaté, notamment dans le département dont je suis l’élue : lorsque des maires prennent l’initiative de rendre ces règles obligatoires, ils se heurtent à l’opposition de l’État, à la demande du ministère de l’intérieur.

En deuxième lieu, comme l’a indiqué notre collègue Véronique Guillotin, la question des brigades médicales est au centre de nos préoccupations. Or, sur ce sujet, le texte reste flou : quelles seront les personnes habilitées à recueillir les données médicales dont il s’agit ? à quelle fin ? au moyen de quel support électronique ? au moyen d’un énième système d’information, comme le prévoit l’article 6 ? N’oublions pas que ces personnes manipuleront, principalement, des données personnelles et médicales.

En troisième et dernier lieu, les dispositions des articles 2 et 3 soulèvent également de grandes inquiétudes. Leur mise en œuvre pourrait conduire à des placements en quarantaine ou à l’isolement par simple présomption, par exemple pour les personnes arrivant de l’étranger. Nous craignons que nos ressortissants des outre-mer passant par des zones de transit y soient soumis ; en résulterait une rupture de la continuité territoriale. Dans certains cas, ces zones de transit sont un passage obligé – je ne citerai que l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon, que nous a rappelé notre collègue Stéphane Artano.

Pour le moment, le virus n’a pas disparu, mais nous apprenons à vivre avec lui. Cela implique de retisser le lien de confiance entre nos concitoyens, que les distanciations sociales fragilisent immanquablement. À cette fin, nous disposons de deux ressorts efficaces.

Le premier, c’est l’exemple des gestes de solidarité que nous avons observés dans les moments les plus durs du confinement : une grande solidarité s’est manifestée en faveur des travailleurs essentiels, par des actions individuelles ou collectives, notamment associatives, par des actions symboliques ou concrètes.

Le second, c’est l’espoir de développer des solutions médicales pour lutter contre le Covid-19 à tous les stades de la maladie : les tests, les vaccins ou encore les traitements destinés à limiter les symptômes.

Appuyons-nous sur ces deux forces pour sortir de l’état d’urgence sanitaire.

Telles sont, en quelques mots, les réserves que les élus du RDSE souhaiteraient voir lever au cours de l’examen de ce texte. C’est en ce sens que nous défendrons nos amendements.

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