Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 4 mai 2020 à 22h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Article 1er

Nicole Belloubet :

J’ai eu l’occasion de souligner à quel point le Gouvernement est tout à fait sensible aux inquiétudes des acteurs publics, des élus locaux et des acteurs privés sur le risque pénal encouru durant le déconfinement. M. le Premier ministre et moi-même avons également indiqué que nous ne voulions pas atténuer la responsabilité des décideurs publics, mais prendre en compte la spécificité du moment que nous vivons. Je suis certaine que vous partagez tous cette préoccupation.

Notre droit prévoit déjà des règles permettant de limiter la responsabilité pénale des acteurs publics et privés en cas d’infraction non intentionnelle. Vous connaissez bien ce dispositif, puisqu’il s’agit de la loi Fauchon : lorsque le lien de causalité avec le dommage est indirect, la responsabilité pénale ne peut être engagée que si le décideur public a délibérément violé une obligation prévue par la loi ou commis une faute caractérisée en l’absence de normes. Ce dispositif, adopté voilà vingt ans, fonctionne bien, et je crois qu’il est protecteur.

Je relève bien évidemment la volonté de la commission des lois et de son président de clarifier le cadre juridique de cette responsabilité dans le contexte de crise du Covid-19, mais l’amendement adopté en commission me semble soulever trois questions.

En premier lieu, la lecture des dispositions de cet amendement laisse penser qu’il tend à supprimer la faute caractérisée de l’article 121-3 du code pénal. Il faut bien évidemment permettre aux acteurs publics ou privés d’agir sans blocage en cette période particulière, mais il ne faut pas non plus donner l’impression que les décideurs publics seraient irresponsables.

En deuxième lieu, la commission entend modifier le régime de la responsabilité pénale pour les seuls faits liés à l’état d’urgence sanitaire. J’ai peur que cette mesure ne crée un risque constitutionnel au regard du principe d’égalité devant la loi pénale, une différence de traitement pouvant en résulter entre des faits commis avant ou après l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, alors qu’ils sont tous liés aux effets du Covid-19. Par exemple, un directeur d’hôpital pourrait se voir condamné pour faute caractérisée du fait d’une décision prise avant le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, alors qu’un de ses collègues, ayant pris une décision similaire mais après ce déclenchement, ne le serait pas.

En troisième lieu, je ne suis pas certaine qu’on puisse opérer une distinction entre les responsables de la police administrative – pour l’essentiel, les préfets – et les autres acteurs publics agissant dans le cadre de cette police. D’ailleurs, le Premier ministre a mis l’accent devant vous sur l’importance du couple maire-préfet dans la sortie du confinement. Or le dispositif de la commission, tel qu’il est formulé, donne l’impression que le premier pourra être poursuivi pour imprudence ou négligence, alors que le second ne pourra l’être qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative.

Telles sont, brièvement exposées, les raisons pour lesquelles je considère que la rédaction du dispositif adopté par la commission n’est pas appropriée.

Le Gouvernement, je le répète, est disposé à ce que la loi soit précisée ; mais il me semble qu’il faut encore travailler la réponse à apporter. Le temps de la navette doit nous permettre de trouver le dispositif le plus adéquat.

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