Intervention de Philippe Bas

Réunion du 9 mai 2020 à 15h30
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, la commission mixte paritaire (CMP) qui s’est réunie ce matin à l’Assemblée nationale est parvenue à un accord. Nous pensions, les uns et les autres, qu’il était indispensable, parce que nous entrons, après-demain, dans une étape nouvelle de la lutte contre ce fléau qu’est l’épidémie de Covid-19, à savoir le déconfinement progressif.

Le confinement était une mesure fortement restrictive pour l’exercice des libertés individuelles et publiques. Il a particulièrement porté, c’est une évidence de le dire, sur la liberté d’aller et de venir. Il a entraîné des conséquences redoutables pour l’économie et les équilibres sociaux, mais il a permis de réduire considérablement la pression sur le système hospitalier et de ralentir la propagation du virus, ce qui était son principal objectif. Toutefois, une telle période ne peut pas durer très longtemps, et nous pouvons naturellement espérer que les deux mois de confinement subis par les Français ont permis aux pouvoirs publics de se préparer pour organiser la protection des Français contre le Covid-19 par d’autres moyens qui n’étaient pas disponibles le 15 mars dernier quand le confinement a été décidé.

Quels sont ces autres moyens ? Il s’agit bien entendu de la diffusion des gestes barrières, lesquels sont, je crois, bien assimilés par les Français, de la diffusion des masques, qui manquaient le 15 mars dernier, de la diffusion des tests de dépistage, dont le Premier ministre a souligné que le nombre pourrait atteindre 700 000 chaque semaine, ce qui suppose une organisation gigantesque.

À côté de ces mesures de protection, il faut organiser le traçage des contaminations pour que les filières de contamination puissent être combattues. Pour cela, le Gouvernement a estimé avoir besoin d’un système d’information permettant, pour chaque personne dépistée et reconnue porteuse du virus, de mettre à l’abri toutes les personnes approchées de trop près pendant une durée trop longue. Ce système ne peut pas se faire de manière artisanale. Imaginez que chaque personne porteuse du virus a rencontré 25 personnes qu’elle a exposées à un risque, multipliez par le nombre de contaminations, évaluées à plusieurs milliers par jour, et vous avez absolument besoin d’un traitement de masse ; vous avez également besoin que ce traitement soit rapide. Si vous laissez dans la nature quelqu’un qui est porteur du virus sans le savoir, il va contaminer beaucoup de personnes. Si vous réussissez à le toucher dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures, vous pourrez le mettre à l’abri et protéger toute autre personne qu’il pourrait être amené à rencontrer.

C’est la raison pour laquelle il fallait un système d’information. C’est aussi la raison pour laquelle les médecins ne suffisaient pas à la tâche et qu’il fallait que ce système d’information reposât sur la mobilisation des services de l’assurance maladie. Leurs plateformes permettront aux agents de téléphoner à nos concitoyens dont le nom aura été signalé comme un « cas contact », selon la terminologie épidémiologique, afin qu’ils puissent se protéger. Tout cela repose naturellement sur la confiance accordée à chacun de nos concitoyens pour épargner son entourage et les personnes qu’il peut approcher dans la vie de tous les jours.

Il était donc très important que nous puissions aboutir à un accord. Quelle que soit votre opinion sur les conditions dans lesquelles cette crise sanitaire a été traitée par les pouvoirs publics, mes chers collègues, une chose est certaine, nous n’en sortirons pas sans nous donner les moyens de le faire. Le Sénat, pour la loi du 23 mars dernier comme pour celle-ci, a toujours été au rendez-vous pour répondre aux exigences de l’heure et permettre que les pouvoirs publics apportent des réponses à cette crise.

Néanmoins, s’il était indispensable d’apporter des réponses à cette crise, nous n’avons pas voulu le faire sans garanties. Je vais vous citer trois séries de garanties qui me paraissent toutes extrêmement importantes.

La première porte sur les quarantaines. Nous avons voulu que la personne mise en quarantaine dispose du libre choix de son lieu d’exécution, sans doute son domicile, ce qui n’empêche pas l’administration préfectorale de proposer d’autres solutions. Nous avons voulu que tous nos compatriotes se voient appliquer les mêmes principes quand ils arrivent de l’étranger ou de l’une de nos collectivités d’outre-mer, avec cette possibilité de libre choix.

Nous avons aussi tenu compte du fait qu’il peut arriver outre-mer que les logements n’aient pas la salubrité nécessaire ou exposent des tiers à une promiscuité trop grande avec la personne faisant l’objet de la mesure de quarantaine. Si le logement n’offre pas toutes les garanties, le préfet pourra s’opposer à l’exercice de ce libre choix. C’est une soupape de sûreté qui me paraît nécessaire pour la santé publique, tout en préservant le principe du libre choix.

Voilà une illustration de notre souci de préserver la liberté de chacun de nos concitoyens dans un cadre contraint.

La deuxième série de garanties porte sur le système d’information mis en place, qui déroge au principe du secret médical et prévoit que des données de santé sensibles sont utilisées par le service public de l’assurance maladie et traitées par des non-médecins, comme je l’ai expliqué précédemment. Ce sont de graves décisions, que nous n’avons voulu prendre que moyennant six garanties, qui toutes ont été respectées par l’accord conclu en commission mixte paritaire.

Celui-ci a même permis un progrès par rapport au texte que nous avions discuté, puisqu’il est prévu que la durée de conservation des données, lesquelles se limitent strictement au point de savoir si vous avez un test négatif ou positif, ne pourra pas excéder trois mois.

Cela s’ajoute au fait qu’un droit d’opposition doit être organisé et que l’on ne saurait mentionner dans la base de données d’autres maladies dont vous pourriez être atteints. Certaines affections peuvent constituer des risques accrus de développer des formes graves de Covid-19. Leur connaissance est peut-être nécessaire pour soigner, mais elle ne l’est pas pour rechercher les personnes ayant été en contact avec une personne infectée. Il n’y a donc pas de raison de les maintenir dans le dispositif. Ainsi, nos six garanties ont été parfaitement respectées.

Enfin, il y a le principe de la responsabilité. Au fond, les choses sont simples. Tout s’est emballé, on a parlé d’amnistie, voire d’autoamnistie : c’est ridicule, hors de propos. Aucun juriste de France, fût-il garde des sceaux, ne peut parler d’amnistie autrement que dans un cas très précis, quand des coupables se verraient protégés face à une condamnation par une disposition figurant dans la loi. Je vous défie de trouver, dans le premier texte du Sénat, dans celui de l’Assemblée nationale et, bien sûr, dans celui de la commission mixte paritaire, quoi que ce soit qui puisse ressembler à cela !

Il s’agit simplement, dans le texte adopté en commission mixte paritaire, de préciser que le juge devra, au moment d’apprécier la responsabilité, tenir compte des compétences, des fonctions de la personne, des moyens dont elle disposait et des circonstances particulières de cette épidémie redoutable qui a entraîné l’adoption d’un texte modifiant la répartition des responsabilités. C’est simple !

Pendant la période de lutte contre l’épidémie de Covid-19, le maire a moins de pouvoirs qu’en temps ordinaire. Le maire de Sceaux, qui a pris un arrêté pour obliger au port du masque dans les rues de sa ville, a vu son arrêté annulé. Il lui a été répondu qu’il n’avait pas le droit d’utiliser ses pouvoirs de police générale, car le Parlement a donné au Gouvernement, au Premier ministre, aux ministres et aux préfets un pouvoir spécial pendant cette période. Or ce pouvoir spécial augmente les pouvoirs ordinaires du Gouvernement et diminue ceux du maire.

Plus vous avez de pouvoirs, plus vous avez de responsabilités ; moins vous avez de pouvoirs, moins vous avez de responsabilités. Il était nécessaire que cela fût dit de la manière la plus claire, et c’est ce que nous avons fait en mentionnant les maires et les employeurs, pour que l’on ne puisse pas s’y tromper. Comme il va y avoir des dizaines de milliers de décisions à prendre chaque jour pour permettre la mise en œuvre du déconfinement et que celui-ci fait l’objet de décrets, il était normal que chacun connaisse l’étendue exacte de ses responsabilités, y compris sur le plan pénal, et soit assuré que le juge ferait une appréciation de ses responsabilités tenant compte du droit spécial en vigueur depuis le 23 mars 2020 et qui va continuer à s’appliquer dès lors que nous acceptons la prorogation de l’état d’urgence.

Monsieur le président, je vous prie de m’excuser d’avoir dépassé mon temps de parole, mais j’avais à cœur de bien expliquer le résultat de nos travaux.

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