L'objectif de cette proposition de loi est de prévoir, pour l'avenir, une couverture assurantielle pour les entreprises qui subissent une baisse d'activité, en raison d'une menace ou d'une crise sanitaire grave.
Comme vous le savez, cette proposition de loi est au coeur d'une actualité brûlante et qui fait la « une » de nos journaux depuis le début de la crise sanitaire. Dès les premières mesures de confinement et de fermeture des lieux publics, la question de la mobilisation des assureurs pour soutenir nos entreprises a déchaîné les passions. Notre commission a d'ailleurs interrogé la présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA) à ce sujet, Mme Florence Lustman, il y a maintenant un mois.
En dépit des engagements pris par le secteur assurantiel, le constat réalisé au début de cette crise a été sans appel : les assureurs ne sont pas au rendez-vous. Certes, cette absence s'explique par le caractère systémique et difficilement prévisible de l'épidémie, qui en fait un risque inassurable. Toutefois, par le passé, le législateur est déjà intervenu pour remédier aux lacunes des garanties offertes par les assurances. Ainsi, en 1982, après les terribles inondations de 1981, la loi a défini un régime d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles.
Aujourd'hui, alors que la crise sanitaire se retire doucement pour faire place à une crise économique profonde et durable, l'examen de cette proposition de loi nous permet de poser les jalons d'une future couverture assurantielle. Le ministre de l'économie, M. Bruno Le Maire, a instauré un groupe de travail associant la FFA, l'État, les entreprises, des parlementaires - dont notre collègue Jean-François Husson - pour mener une réflexion sur ce sujet. L'objectif du Gouvernement est de pouvoir nous présenter un projet de loi d'ici à la fin de l'année. En attendant, il nous revient de répondre aux attentes de nos entreprises qui se tournent vers l'État, mais aussi vers les assureurs, pour traverser ces moments difficiles.
Je tiens à saluer le travail effectué par notre collègue Jean-François Husson qui, en quelques semaines seulement, est parvenu à élaborer un dispositif complet et qui nous permet d'avoir un débat riche aujourd'hui. Cette proposition de loi a d'ailleurs été cosignée par plus de 150 de nos collègues.
La tâche était particulièrement ardue, et les auditions que j'ai menées ont illustré à quel point la conciliation des intérêts de chacun constituait un véritable château de cartes. Je dois dire à ce sujet que le MEDEF a refusé d'y participer, estimant que leur position n'était pas encore arrêtée. Nous avons entendu le Trésor, la FFA et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). L'enjeu pour les entreprises est de garantir une couverture juste, tout en contenant le montant de la prime ; pour les assureurs, il s'agit de délimiter le dispositif de façon qu'ils puissent absorber le montant des indemnisations à verser ; enfin, pour l'État, l'objectif est de protéger le tissu économique, de préserver la stabilité du secteur assurantiel et de limiter le coût pour les finances publiques.
L'appréciation budgétaire du mécanisme, et en particulier de son coût pour les entreprises, est d'autant plus difficile que les premières analyses financières ont été présentées seulement hier au groupe de travail du ministère. Cette absence de données et le manque de recul sur le sujet nous encouragent aujourd'hui à une certaine prudence dans la construction de notre jugement.
En tant que rapporteur, j'ai souhaité examiner ces dispositions avec un triple objectif : préparer l'avenir pour éviter les divergences auxquelles nous avons pu assister entre les assureurs ; sécuriser nos entreprises en leur permettant de passer un cap de trésorerie difficile ; garantir un partage équilibré des responsabilités et des coûts entre les assurés, les assureurs et la solidarité nationale.
L'article 1er prévoit l'indemnisation des pertes d'exploitation consécutives à l'application de mesures administratives en cas de crise sanitaire. Cette assurance prend la forme d'une garantie obligatoire des contrats d'assurance contre les dommages d'incendie souscrits par les entreprises, ce qui permet une large couverture des assurés. En effet, le taux de souscription de la garantie incendie est proche de 100 %, contre 50 % pour la garantie facultative des pertes d'exploitation. De plus, de façon analogue à la garantie catastrophes naturelles dite « CatNat », elle est financée par une cotisation additionnelle.
Le dispositif proposé est très protecteur à double titre. D'une part, toutes les entreprises sont concernées, sans distinction de statut juridique, de taille ou de chiffre d'affaires. D'autre part, les entreprises bénéficiaires sont à la fois celles dont les pertes d'exploitation résultent directement des mesures administratives en vigueur et celles dont les pertes sont indirectes. Toutefois, les travaux que j'ai menés ont mis en lumière plusieurs pistes d'amélioration qui font l'objet des amendements que je vais vous présenter.
La principale d'entre elles porte sur la notion même de perte d'exploitation. En effet, il m'a semblé que la philosophie du dispositif était davantage de sauvegarder temporairement une entreprise, en la soulageant de ses charges fixes, que d'indemniser une perte de bénéfices qui auraient pu être réalisés en l'absence de mesures extraordinaires. De plus, une telle indemnisation atteindrait des montants colossaux en cas de crise systémique comme celle de la Covid-19, de nature à renchérir considérablement le coût de la prime pour les entreprises ou à faire porter un poids trop lourd sur les assureurs. Je vous proposerai donc un amendement pour indemniser les charges fixes plutôt que les pertes d'exploitation, dès lors qu'une entreprise subit une baisse de chiffre d'affaires d'au moins 50 %.
Je vous présenterai également deux autres amendements visant à rendre le dispositif efficace pour les entreprises, en raccourcissant le délai de versement de l'indemnisation, et en encadrant par voie réglementaire le montant de la prime ainsi qu'un amendement de précision sur le champ des mesures administratives permettant de déclencher cette garantie.
L'article 2 crée un fonds, alimenté par un prélèvement obligatoire acquitté par les assureurs et assis sur les primes des contrats d'assurance de biens professionnels qui contribue à l'indemnisation des pertes d'exploitation, sans qu'il soit précisé si ce prélèvement constitue la principale source de financement de l'indemnisation ou une source complémentaire. Les ressources de ce fonds sont réparties entre les assureurs, au prorata des indemnisations pour pertes d'exploitation qu'ils doivent verser. La proposition de loi ne prévoit qu'un abondement du fonds par les assureurs. Toutefois, l'intention de l'auteur de ce texte est que ce fonds puisse, si besoin, être alimenté par l'État.
Ainsi, l'assureur collecte les primes versées par l'entreprise, d'une part, et il s'acquitte d'une taxe versée au fonds, d'autre part. L'intention des auteurs de la proposition de loi était que le montant de la taxe payée par l'assureur corresponde peu ou prou aux primes collectées. Dans ce cas, le dispositif s'apparenterait à celui de la « taxe attentats », une taxe forfaitaire prélevée sur les contrats d'assurance dommages et qui alimente le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). L'assureur agirait comme le collecteur d'une taxe sur les contrats d'assurance des entreprises.
Cette configuration soulève toutefois plusieurs difficultés. Premièrement, les ressources de ce fonds seront rapidement asséchées dès lors que le moindre sinistre, même d'une ampleur réduite, conduirait à les mobiliser. Deuxièmement, si la taxe acquittée par les assureurs s'avérait inférieure au montant des primes collectées, il se produirait alors un effet d'aubaine important donnant lieu à un profit illégitime. Troisièmement, ce schéma ne permet pas de garantir une contribution financière des assureurs. Quelle part de risque ces derniers assument-ils s'ils collectent uniquement des primes pour les reverser à un fonds ? L'exemple de la crise sanitaire actuelle nous enseigne qu'ils peuvent être mobilisés en dehors de leurs engagements contractuels pour soutenir nos entreprises. Ainsi, le secteur assurantiel a déjà versé volontairement 400 millions d'euros au fonds de solidarité mis en place pour les TPE et les PME. Cette solidarité doit être pérennisée.
En somme, il s'agit d'imposer une double exigence aux assureurs, en leur demandant d'assurer un risque financé par des cotisations additionnelles et de participer à un fonds servant de réserve de précaution pour les crises sanitaires majeures. Si le montant de la taxe s'avérait inadapté, il pourrait être modifié d'ici à la séance publique.
Par conséquent, je vous proposerai un amendement précisant que les ressources du fonds ne seront décaissées qu'en cas de crise sanitaire grave. Pour les menaces ou risques sanitaires d'une ampleur contenue, les assureurs pourront mutualiser les primes reçues et indemniser les entreprises sans faire appel au fonds. Une alternative aurait été de ne pas prévoir de taxe sur les assureurs, mais plutôt de taxer la cotisation payée par les entreprises et d'affecter les recettes directement au fonds, sans passer par l'assureur, à l'instar du dispositif prévu pour le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles et le fonds Barnier. Toutefois, un amendement affectant une taxe à un fonds serait contraire à l'article 40 de la Constitution.
Ce dispositif à plusieurs vitesses est renforcé par le mécanisme de réassurance publique prévu à l'article 3. Ainsi, si les assureurs ne peuvent faire face au montant des indemnisations à verser, la Caisse centrale de réassurance peut jouer son rôle. Elle bénéficie de la garantie de l'État, permettant à ce dernier d'intervenir en dernier ressort si besoin.
En dehors d'amendements rédactionnels, les articles 3, 4 et 5 n'appellent pas de remarques particulières.
Mes chers collègues, je ne peux que souscrire aux objectifs de cette proposition de loi, qui nous donne l'occasion de nous prononcer en faveur d'une architecture assurantielle et de déterminer les responsabilités de chacun dans la mise en oeuvre de ce paratonnerre économique. Nous devons néanmoins garder à l'esprit que ce mécanisme a vocation à évoluer au cours de la navette. Il devrait également pouvoir être enrichi à mesure que les services de l'État, mais aussi les entreprises du secteur assurantiel, parviendront à modéliser plusieurs scénarios et à évaluer le coût de cette nouvelle garantie pour les entreprises.
Enfin, conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, en vue du dépôt des amendements de séance, je vous propose de considérer qu'entrent dans le périmètre de la proposition de loi des dispositions relatives à l'élaboration, pour l'avenir, d'une assurance visant à indemniser les entreprises qui subissent une baisse d'activité à la suite de l'application de mesures administratives prises en cas de menace ou de crise sanitaire.