Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les sujets abordés par la proposition de loi que nous examinons sont tous d’actualité. Notre collègue Josiane Costes participe ainsi à une large réflexion menée sur la politique publique en matière de protection de l’enfance, dont chacun s’accorde à dire qu’elle doit être améliorée.
De nombreux travaux ont été publiés au cours des derniers mois. Je citerai le rapport sur l’adoption de notre collègue Corinne Imbert et de la députée Monique Limon, remis en octobre 2019, ou encore l’avis du Comité consultatif national d’éthique publié le 7 mai dernier.
De son côté, le Gouvernement – au travers de votre action, monsieur le secrétaire d’État – a lancé une stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance pour les années 2019-2022, principalement fondée sur une contractualisation pluriannuelle entre l’État et les départements. Elle comprend aussi un volet qui devrait être mis en œuvre par voie législative, en particulier sur l’adoption.
Monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous faire un point sur son calendrier ?
Par ailleurs, la crise du Covid-19 et le confinement qui s’est ensuivi ont mis en lumière avec acuité la difficile situation des enfants victimes de violences intrafamiliales et de ceux qui vivent dans des foyers de l’aide sociale à l’enfance ou dans des familles d’accueil.
La proposition de loi se fonde sur un certain nombre de constats et d’objectifs partagés par les auteurs des travaux précédemment évoqués et comprend de nombreuses mesures. Toutefois, il nous a semblé que le texte initial n’apportait pas de réponse suffisamment efficace et globale aux problèmes actuels. C’est la raison pour laquelle la commission des lois n’a pas adopté de texte.
Les articles 5, 6 et 9 ont été délégués au fond à la commission des affaires sociales.
Les articles 1er et 2 visent à accélérer la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental dans le but d’offrir, le plus tôt possible, une prise en charge pérenne des enfants, via l’adoption.
L’article 1er permettrait de constater le délaissement, au bout de six mois seulement, et non plus un an, pour les enfants âgés de moins de 3 ans. L’article 2 supprimerait l’obligation préalable de proposer des mesures de soutien appropriées aux parents. Il imposerait également aux tribunaux judiciaires de statuer dans un délai de deux mois, réduit à un mois si l’enfant a moins de 3 ans, à compter du dépôt de la requête.
La commission des lois a jugé trop hâtif le postulat selon lequel accélérer la procédure de délaissement parental améliorerait automatiquement l’adoptabilité des enfants. Tous les enfants délaissés ne deviennent pas pupilles de l’État et tous les pupilles de l’État ne sont pas nécessairement adoptables.
Par ailleurs, le délai d’un an pour constater le délaissement semble raisonnable au regard des difficultés que traversent les familles concernées. Devoir proposer aux parents des mesures de soutien appropriées pendant cette période est respectueux de l’article 18 de la Convention internationale des droits de l’enfant et permet de mieux caractériser ensuite l’absence d’implication des parents.
Enfin, contraindre les juges à statuer dans un délai de deux mois ou d’un mois ne semble ni réaliste ni souhaitable, en raison de la complexité des enjeux de ces dossiers et de la nécessité de procéder à des investigations.
Notre collègue Josiane Costes propose une nouvelle rédaction de l’article 3 relatif au procès-verbal de remise d’un enfant par ses parents au service de l’ASE qui nous semble pouvoir être adoptée. Nous l’examinerons tout à l’heure.
L’article 4 tend à rendre plus difficile la reprise d’un enfant placé sur l’initiative de l’un ou de ses deux parents auprès des services de l’ASE pendant la période de réflexion de deux mois qui leur est accordée. Deux formalités seraient imposées : un entretien avec le tuteur et la convocation du conseil de famille, dont il n’est pas précisé s’il aurait la possibilité de s’opposer à la restitution de l’enfant.
Ce dispositif nous a paru susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits des parents de mener une vie familiale normale. La durée de réflexion est déjà suffisamment brève sans qu’il soit besoin d’y ajouter des obstacles.
L’article 7 vise à étendre à tous les départements la validité de l’agrément délivré pour l’adoption des pupilles de l’État par un président de conseil départemental. Il est à craindre que la multiplication des candidatures enregistrées auprès des conseils départementaux n’aboutisse à une surcharge administrative pour leurs services.
Mieux vaudrait faciliter les échanges au niveau national entre conseils départementaux, en particulier lorsqu’il s’agit d’enfants dits « à besoins spécifiques », c’est-à-dire porteurs de pathologies ou de handicaps, plus âgés ou encore membres de fratries, qui représentent près de la moitié des pupilles de l’État, mais qui correspondent rarement aux attentes des parents candidats à l’adoption. Notre collègue Josiane Costes propose d’ailleurs un amendement visant à asseoir juridiquement un fichier national des agréments qui semble intéressant.
L’article 8 vise à créer un mécanisme de coordination en matière de parrainage d’enfants étrangers. Mais la commission des lois a relevé diverses difficultés, dont une absence de définition légale du « parrainage » international.
L’article 10 vise à instaurer une présomption de désintérêt à l’égard des parents de mineurs étrangers arrivés sur le territoire national et qui s’y trouveraient isolés pour faciliter la délégation de leur autorité parentale.
Outre que les textes en vigueur permettent déjà au juge de prononcer une délégation d’autorité parentale pour un mineur isolé étranger quand c’est nécessaire, ce dispositif nous est apparu attentatoire aux droits des parents de ces enfants, qui souvent suivent de près le parcours migratoire de leur enfant et ne sont pas tous délaissants.
L’article 11 tend à permettre l’attribution automatique de la nationalité française au mineur adopté en forme simple, donc dans les mêmes conditions que celles actuellement prévues pour l’adoption plénière. Cette nouvelle modalité d’octroi de la nationalité ne semble pas nécessaire pour faciliter l’intégration de ces mineurs, qui disposent d’une voie spéciale d’accès à la nationalité. De plus une telle mesure opèrerait un renversement très important de notre droit et modifierait la nature même de l’adoption simple.
L’article 12 vise à transférer au juge des enfants la compétence pour statuer sur une mesure de délégation d’autorité parentale à un tiers concernant les mineurs isolés étrangers.
Toutefois, le juge aux affaires familiales est le juge naturel de l’autorité parentale. La commission des lois n’a pas trouvé opportun de prévoir une dérogation qui serait limitée à un seul groupe d’enfant – les « mineurs isolés » – et dans le cadre d’une seule procédure, celle qui est relative à l’autorité parentale.
L’article 13 concerne le « droit au compte en banque » de tout mineur étranger dont les parents ne résident pas sur le sol français. L’auteure de la proposition de loi propose une nouvelle rédaction à laquelle la commission est favorable ; nous le verrons tout à l’heure.
L’article 14 vise à prévoir la délivrance obligatoire d’un « certificat d’authentification de titre d’identité » par les services de douanes lors d’un premier contrôle, pour simplifier les démarches administratives des mineurs isolés étrangers. Ce dispositif est très innovant, mais il ne semble ni opérationnellement possible, ni juridiquement souhaitable.
En tout état de cause, le droit existant prévoit déjà, en cas de doute sur l’état civil d’un mineur non accompagné confié à l’aide sociale à l’enfance, qu’il appartient au préfet de renverser par tous moyens la présomption de validité qui bénéficie aux actes d’état civil étrangers.
L’article 15 tend à faciliter l’admission exceptionnelle au séjour des mineurs isolés qui ont été recueillis par l’ASE après leurs 16 ans et intégrés dans des cursus professionnalisants. Il ne nous semble pourtant pas opportun de supprimer le caractère exceptionnel de la délivrance de ce type de titres, ni de dispenser ces mineurs de la condition de suivre une formation d’au moins six mois.
L’admission exceptionnelle au séjour doit rester une compétence discrétionnaire du préfet, limitée et appréciée au cas par cas en fonction des perspectives concrètes d’intégration des enfants étrangers concernés.
La commission des lois vous invite donc à adopter les articles 3 et 13, au bénéfice des amendements proposés par notre collègue Josiane Costes, qui en a utilement retravaillé la rédaction ; nous pourrons également adopter deux articles additionnels. En revanche, la commission des lois vous proposera de supprimer ou ne pas adopter les autres articles de cette proposition de loi.
À titre personnel, je souhaiterais souligner qu’un point me semble particulièrement bloquant pour réformer le droit existant : notre manque de recul sur les différents dispositifs en place et leurs effets à long terme, comme l’a rappelé Mme Costes à l’instant.
Il n’y a pas assez de connaissances chiffrées et de travaux de recherche menés dans la durée sur des cohortes d’enfants – ce qu’on appelle des études longitudinales. Il est très difficile de connaître de manière statistique et qualitative les parcours en protection de l’enfance des enfants, pour comprendre les conséquences de telle ou telle décision les concernant, notamment en termes de délinquance ou de scolarité. Nous ne connaissons malheureusement que les cas qui se sont très mal passés.
Pour conclure, je rappellerai les propos de la présidente du groupement d’intérêt public, le GIP, Enfance en danger, propos qui me semblent très vrais : « L’indignation et les émotions suscitées par toutes les situations difficiles vécues par les enfants de la protection de l’enfance constituent des moteurs puissants de l’action, mais il est malgré tout nécessaire de leur adjoindre connaissances et méthodes ».