Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous expliquer pourquoi, à une très large majorité, la commission des affaires économiques a décidé d’apporter son soutien aux deux mesures principales de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement : la suppression du mois de carence et la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers.
Nous sommes – à une large majorité dans cet hémicycle – en désaccord avec une politique conduite au détriment des plus modestes qui affaiblit le mouvement HLM. En effet, en 2017, le Gouvernement a décidé, de manière délibérée et brutale, de réaliser des économies sur les aides au logement pour réduire le déficit budgétaire et permettre à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif.
Monsieur le ministre, votre collègue Gérald Darmanin l’a écrit noir sur blanc dans sa réponse aux observations que la Cour des comptes formule dans son rapport public annuel pour 2020.
Entre 2017 et 2020, compte tenu de la non-application de la contemporanéisation des APL pour le moment, près de 6 milliards d’euros seront économisés. Dit autrement, entre le budget de 2017 et le budget de 2020, l’État dépense 3 milliards d’euros de moins pour les APL.
Or, dans ce même rapport public, la Cour des comptes souligne combien cette politique de baisse uniforme des APL, quelle que soit la situation du foyer, suscite des interrogations en termes d’équité. Elle relève aussi qu’elle a mis à mal la confiance entre le Gouvernement et le mouvement HLM et nui à la capacité des acteurs de se projeter dans l’avenir.
Rappelons quelques données. Les APL représentent près de 40 % des moyens financiers de la politique du logement, soit environ 17 milliards d’euros en 2018 et en 2019. De fait, 20 % des ménages français – les plus fragiles – touchent les APL, soit 6, 6 millions.
Les APL sont l’une des principales mesures de redistribution en leur faveur. Elles représentent un tiers de l’effort de la Nation pour les ménages du premier décile de niveau de vie, qui constituent 75 % des bénéficiaires.
Baisser les APL ou ne pas les revaloriser correctement, comme l’a fait le Gouvernement, c’est frapper le portefeuille et le pouvoir d’achat des moins favorisés. C’est aussi accroître les inégalités en réduisant la redistribution.
Cette politique de réduction des aides au logement est également – nous le constatons – une politique d’affaiblissement du logement social. La réduction de loyer de solidarité (RLS) qui a été imposée représente une ponction de 1, 3 milliard d’euros en 2020.
L’ensemble des opérateurs ont été durablement déstabilisés. La capacité des bailleurs à investir, c’est-à-dire à construire de nouveaux logements, a été amputée. D’ailleurs, dans la crise que nous traversons, c’est moins de trésorerie que de fonds propres que vont manquer les bailleurs sociaux.
Monsieur le ministre, notre pays va devoir affronter une crise du logement très importante puisque ce sont sans doute près de 100 000 constructions qui ne seront pas réalisées cette année en raison de l’arrêt des chantiers pendant le confinement. Ne serait-il pas temps de se rendre compte que les économies effectuées ces dernières années sont aujourd’hui un handicap pour organiser la relance et soutenir les locataires en difficulté ?
En 2008 et en 2009, les bailleurs sociaux avaient pu acheter un grand nombre de programmes en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Sont-ils encore en capacité de le faire ?
Concernant l’aide aux locataires face aux impayés, vous vous souviendrez, monsieur le ministre, que la présidente Sophie Primas, ma collègue Annie Guillemot et moi-même vous avons écrit pour soutenir la proposition de la Fondation Abbé-Pierre de créer un fonds d’aide à la quittance doté de 200 millions d’euros. C’est moitié moins que l’économie réalisée chaque année par la réduction de 5 euros des APL, moins que leur gel en 2018, moins que leur non-revalorisation en 2019 et en 2020.
Pour ma part, comme je l’ai dit à plusieurs reprises à cette tribune, je suis convaincue qu’il faut redonner de l’air aux bailleurs sociaux. La question d’un moratoire de la RLS ou d’une mesure équivalente doit être envisagée. Je crois également à la nécessité du rétablissement de l’APL accession, qui est une mesure peu coûteuse et efficace pour soutenir l’accession sociale à la propriété. Peut-être nous indiquerez-vous, monsieur le ministre, les intentions du Gouvernement dans le cadre du futur plan de relance.
Mes chers collègues, après avoir rappelé les motivations de fond de la commission en faveur d’une politique ambitieuse du logement pour tous les Français – nous y reviendrons grâce à la cellule de suivi constituée avec Annie Guillemot –, je voudrais expliciter la position de la commission sur les différentes dispositions de la proposition de loi.
La commission vous propose, tout d’abord, de supprimer le mois de carence de versement des APL lors de leur première demande. Il convient de rappeler que ce mois de carence est plus une mesure budgétaire qu’une mesure de gestion. Il a été instauré par la loi de finances pour 1995, sachant qu’il s’applique aux prestations familiales depuis 1983. Mais, en réalité, il existe déjà de nombreuses exceptions.
Il ne s’applique qu’aux premières demandes, pour le premier mois d’ouverture des droits, et non si les droits sont acquis depuis plus longtemps, mais n’ont pas fait l’objet d’une requête.
Par ailleurs, il ne s’applique pas aux personnes hébergées qui accèdent à un logement, à celles qui quittent un logement frappé d’insalubrité, à celles qui sont logées en foyer – jeunes travailleurs et travailleurs migrants – et aux bénéficiaires des minima sociaux.
Vos services, monsieur le ministre, nous ont indiqué que le coût de cette mesure serait de l’ordre de 250 millions d’euros en année pleine, 1, 2 million de nouvelles demandes étant enregistrées chaque année.
J’estime cependant que, compte tenu des exceptions déjà existantes, cette mesure apportera plus de lisibilité – d’ailleurs, la Mutualité sociale agricole (MSA) demande depuis 2002 la suppression de ce mois de carence ; que son coût doit être rapporté aux économies réalisées ces dernières années au détriment des populations les plus fragiles qui bénéficient des APL ; enfin, que, dans le contexte actuel où il est malheureusement à craindre que de nombreux Français ne deviennent éligibles à cette aide, il serait alors incompréhensible de réaliser une économie à leur détriment.
La commission vous propose d’approuver une seconde disposition, prévue à l’article 4 de la proposition de loi : le retour à l’indexation des APL sur l’IRL.
Comme je l’ai rappelé, après avoir réduit les APL de 5 euros à l’été 2017, le Gouvernement a pris des mesures plus discrètes conduisant à leur érosion par rapport à l’inflation ou à l’évolution des loyers : leur gel ou leur sous-revalorisation.
C’est ce qui a été décidé en loi de finances pour l’année 2020 – mesure que nous avons dénoncée – en limitant la revalorisation à 0, 3 % plutôt que d’appliquer ce qui est prévu par le code de la construction et de l’habitation, c’est-à-dire de se baser sur l’IRL, qui aurait conduit à une hausse de l’ordre de 1, 5 %, mesure dont le coût aurait été de 171 millions d’euros selon les chiffres qui m’ont été communiqués.
Il s’agit là d’une demande forte des associations de locataires et de l’ensemble du monde HLM. Nous la soutenons, estimant qu’il s’agit d’une mesure de justice.
En revanche, la commission, dans sa majorité, n’approuve pas la suppression du seuil de non-versement, qui est actuellement fixé à 10 euros par mois. L’argument selon lequel le vrai seuil devrait être celui de l’éligibilité et non un montant minimal de versement est naturellement compréhensible, mais il s’agit en l’espèce d’une mesure de bonne gestion.
Ce seuil touche actuellement 17 000 ménages pour un montant total de 1 million d’euros et des APL moyennes de 60 euros par an, alors que le coût de gestion et d’instruction d’une demande serait de l’ordre de 80 à 90 euros selon la Cour des comptes.
Par ailleurs, il faut le rappeler, en 2017 et en 2018, pour atténuer les effets indésirables de la baisse de 5 euros des APL, ce seuil avait été abaissé de 15 à 10 euros, voire complètement supprimé lorsque la RLS pouvait avoir un effet aggravant.
Enfin, on pourrait craindre que le versement d’une aide très faible, même si son versement était annualisé, ne paraisse finalement indécent à certaines familles.
Ce sont les raisons qui nous ont conduits à présenter un amendement de suppression de l’article 2.
En résumé, la commission souhaite promouvoir une politique du logement juste et ambitieuse, tenant compte des difficultés des locataires, tant dans le parc social que dans le parc privé, et des bailleurs dans le cadre de la crise sanitaire et économique que traverse actuellement notre pays. C’est pourquoi elle vous propose de supprimer le mois de carence et de revenir à une meilleure revalorisation des APL.