Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par m’associer à l’hommage qui vient d’être rendu aux soignants et par remercier ceux de nos collègues qui se sont rendus disponibles à l’hôpital pendant la crise, en particulier Véronique Guillotin et Bernard Jomier.
Ces derniers mois nous ont rappelé avec force une évidence simple : la santé est au cœur des priorités de nos concitoyens.
Au moment où s’engage le Ségur de la santé, et alors que les attentes s’expriment de manière pressante, la proposition de loi du député Cyrille Isaac-Sibille dont nous allons débattre n’a pas l’ambition de refonder notre système de soins. Elle apporte une réponse ponctuelle, mais néanmoins concrète et pragmatique, à des réalités que nous sommes nombreux à constater.
Ces réalités, ce sont les angoisses de nombre de nos concitoyens dans les territoires où la démographie médicale est fragile et où l’accès aux soins est difficile.
Ces réalités, ce sont aussi les difficultés, en partie corrélées, résultant de l’engorgement des services d’urgence, dont la fréquentation a plus que doublé en vingt ans, ce qui a eu des conséquences en chaîne sur l’hôpital. Nos collègues Laurence Cohen et René-Paul Savary, présents aujourd’hui, avaient d’ailleurs parfaitement mis en évidence ces conséquences dans un rapport en 2017.
En effet, les services d’urgence assurent une prise en charge complète, en un seul lieu et sans avance de frais. Ils offrent une réponse à une urgence médicale ressentie, que les patients ne trouvent pas toujours, dans les mêmes conditions, auprès des professionnels de ville. Or, selon la Cour des comptes, une consultation « classique » serait, dans 10 % à 20 % des cas, plus appropriée au regard du besoin médical réel, qui plus est à un coût moindre pour l’assurance maladie.
Les points d’accueil pour soins immédiats (PASI), instaurés par la proposition de loi visent à assurer, pour des soins qui ne relèvent pas stricto sensu de l’urgence médicale, comme la petite traumatologie, une prise en charge intermédiaire entre le cabinet médical et le service d’urgence. Cette offre de soins graduée serait dimensionnée aux besoins médicaux des patients, avec un accès direct, ou organisé, à des plateaux techniques, notamment d’imagerie ou de biologie médicale, afin de constituer une réelle alternative aux urgences hospitalières. Elle présenterait les mêmes garanties d’accès financier aux soins, notamment par l’application du tiers payant. Toutes les auditions l’ont démontré, c’est là une exigence de chacun. Elle serait enfin aisément identifiable par une signalétique spécifique : par exemple une croix orange, comme le propose l’auteur du texte, en référence à la croix rouge des urgences et à la croix verte des pharmacies.
L’instauration du label « PASI » permettra de rendre visibles et lisibles des structures qui existent pour certaines d’ores et déjà, au sein d’une maison, d’un centre de santé ou adossées à un hôpital de proximité. Les PASI s’inspirent en effet d’expériences de terrain diverses, résultant parfois de la transformation de services d’urgence surdimensionnés, parfois de l’initiative de professionnels libéraux.
Pour l’auteur du texte, ces points d’accueil ont vocation à former une « réponse ambulatoire » à la prise en charge des soins non programmés, en complémentarité de Ma santé 2022 ou du pacte de refondation des urgences et des mesures progressivement mises en place pour accompagner la structuration des acteurs de la médecine de ville et le déploiement de l’exercice coordonné. En ce sens, les évolutions apportées au texte par l’Assemblée nationale ont permis d’articuler les PASI avec les projets de territoire en cours de formalisation, notamment ceux qui sont portés par les professionnels de santé dans les CPTS, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État.
Si l’initiative est bienvenue, j’entends également certaines réserves que ce texte peut susciter ; nos débats en commission s’en sont fait l’écho. Ces réserves sont autant de points de vigilance auxquels il nous faudra être attentifs afin d’emporter l’adhésion des professionnels de santé.
Un premier écueil serait de promouvoir une approche consumériste du soin. Nous aurons, lors de l’examen des amendements, un débat sur la notion de « soins immédiats », qui peut, à certains égards, induire cette perception.
Au-delà des questions de vocabulaire, l’enjeu de la régulation sera déterminant pour assurer la pertinence des prises en charge et éviter tout appel d’air. Cette régulation médicale devra être cohérente avec les initiatives des professionnels dans les territoires ou avec le projet de numéro unique – le service d’accès aux soins envisagé par le Gouvernement. En outre, l’information des patients sur l’offre de soins disponible, laquelle est à ce jour largement insuffisante, sera un corollaire indispensable afin d’éviter tout risque de confusion en cas d’introduction dans le paysage sanitaire d’une croix orange.
Un second écueil serait de déstabiliser l’organisation mise en place dans les territoires en ajoutant un étage au millefeuille – cela a été rappelé en commission –, une structure en plus, déconnectée des autres acteurs, comme le craignent des syndicats de médecins.
Les médecins généralistes sont les premiers acteurs des soins non programmés, et il n’est nullement question de leur dérober ce rôle. Bien au contraire, les PASI ont vocation à venir en appui de ces professionnels dans leur mission. Pour cela, l’inscription des PASI dans un projet territorial est évidemment un élément fondamental.
Les ajustements que nous avons introduits dans le texte de la commission, sur ma proposition, ont eu précisément pour objectif de souligner la nécessaire complémentarité des PASI avec l’offre présente à l’échelon d’un territoire. Tout effet de concurrence serait délétère, sachant combien la ressource médicale est rare.
Nous avons également tenu à mettre en avant la nécessaire articulation avec le parcours de soins coordonné, de même que l’initiative première des acteurs de santé dans la démarche de labellisation. Ce type de projet ne saurait résulter d’une approche dogmatique des agences régionales de santé.
En outre, nous avons tenu à sortir d’un cadre médico-centré et à souligner le rôle essentiel qui pourra être dévolu aux autres professions dans ces structures, en premier lieu les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes, voire les pharmaciens.
Au final, ce texte ne résoudra pas d’un coup de baguette magique les difficultés d’accès aux soins. Il ne se substitue pas non plus aux réformes attendues de notre système de santé pour mieux répondre aux besoins. Je pense, par exemple, aux réflexions qui doivent encore progresser sur la coopération entre les professions de santé ou sur la revalorisation des visites à domicile. Cette proposition de loi offre néanmoins un outil pragmatique et complémentaire dont les professionnels de santé pourront se saisir dans les projets de territoire en cours de formalisation.
Le cadre général posé par ce texte offre, selon moi, la plasticité nécessaire pour adapter les PASI aux réalités locales, tant dans les zones urbaines que dans les zones rurales. C’est une condition qui me semble essentielle : le cahier des charges national devra rester simple et souple pour s’adapter à cette diversité et éviter tout carcan inutile.
Je sais que ce texte, même ainsi modifié par la commission, soulève encore certaines réserves sur plusieurs de nos travées et que son opportunité suscite des interrogations, à l’heure où s’ouvre le Ségur de la santé. Il nous semble cependant qu’il est conforme à des principes que nous avons à cœur de défendre dans cet hémicycle lorsque nous débattons de l’organisation de la santé : le volontariat des acteurs de terrain, la souplesse d’adaptation aux réalités des territoires, la prise en compte des besoins des patients.
Pour ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi.