Intervention de Claude Nougein

Réunion du 2 juin 2020 à 14h30
Soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Claude NougeinClaude Nougein :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, la présente proposition de loi est au cœur d’une actualité brûlante qui fait la une de nos journaux depuis le début de la crise sanitaire. Dès les premières mesures de confinement et de fermeture des lieux publics, la question de la mobilisation des assureurs pour soutenir nos entreprises a déchaîné les passions.

En dépit des engagements pris par le secteur assurantiel, le constat réalisé au début de la crise a été sans appel : les assureurs ne sont pas au rendez-vous. Certes, cette absence s’explique par le caractère difficilement prévisible et « systémique » de l’épidémie, qui en fait un risque inassurable.

Néanmoins, par le passé, le législateur est déjà intervenu pour remédier aux lacunes des garanties offertes par les assurances. Ainsi, en 1982, après les terribles inondations de 1981, la loi a défini un régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. C’est pourquoi il nous revient aujourd’hui d’être force de proposition pour répondre aux attentes de nos entreprises, qui se tournent vers l’État mais aussi vers les assureurs, afin de traverser ces moments difficiles.

Aujourd’hui, alors que la crise sanitaire laisse la place à une crise économique profonde et durable, l’examen de cette proposition de loi nous permet de poser les jalons d’une future couverture assurantielle. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a instauré un groupe de travail associant l’État, la Fédération française de l’assurance (FFA), les entreprises, des parlementaires, dont notre collègue Jean-François Husson, pour mener une réflexion sur le sujet.

Avant d’aborder le contenu de la proposition de loi, je tiens tout d’abord à saluer le travail effectué par Jean-François Husson et les coauteurs, qui, en quelques semaines seulement, sont parvenus à élaborer un dispositif complet, nous permettant d’avoir un débat riche aujourd’hui.

La tâche était particulièrement ardue ; les auditions que j’ai menées ont souligné à quel point la conciliation des intérêts de chacun constituait un véritable « château de cartes ». Pour les entreprises, l’enjeu est évidemment de garantir une couverture juste, tout en contenant le montant de la prime. Pour les assureurs, il s’agit de délimiter le dispositif, afin de pouvoir absorber le montant des indemnisations à verser. Pour l’État, l’objectif est de protéger le tissu économique, de préserver la stabilité du secteur assurantiel et de limiter le coût pour les finances publiques.

Pour parvenir à une solution équilibrée, les paramètres à définir sont très nombreux : le fait déclencheur, le champ de l’indemnisation, le périmètre des entreprises bénéficiaires, le montant des primes, le mode de déclaration et de versement de l’indemnisation, la présence d’une franchise, les conditions de mobilisation du fonds et son abondement, ainsi que les conditions de réassurance publique. Chacun de ces facteurs modifie l’équilibre financier du dispositif. Ce n’est pas très simple…

L’appréciation budgétaire de ce mécanisme, en particulier de son coût pour les entreprises, est d’autant plus difficile que le groupe de travail constitué par le ministère commencerait tout juste à réaliser de premières projections financières. Cette absence de recul nous encourage aujourd’hui à une certaine prudence dans la construction de notre jugement.

En tant que rapporteur, j’ai souhaité examiner ces dispositions avec un triple objectif : préparer l’avenir pour éviter les divergences auxquelles nous avons pu assister entre les assureurs ; sécuriser nos entreprises en leur permettant de passer un cap de trésorerie difficile ; garantir un partage équilibré des responsabilités et des coûts entre les assurés, les assureurs et la solidarité nationale.

J’en viens désormais à l’examen des cinq articles de la proposition de loi.

Le premier article prévoyait initialement l’indemnisation des pertes d’exploitation consécutives à l’application de mesures administratives en cas de crise sanitaire. Cette assurance prend la forme d’une garantie obligatoire des contrats d’assurance contre les dommages d’incendie souscrits par les entreprises, ce qui permet une large couverture des assurés et une simplification. Cette garantie est couverte par une cotisation additionnelle.

Le dispositif proposé est très protecteur, à double titre. D’une part, l’ensemble des entreprises sont concernées, sans distinction de statut juridique, de taille ou de chiffres d’affaires. D’autre part, les entreprises bénéficiaires sont à la fois celles dont les pertes d’exploitation résultent directement des mesures administratives en vigueur, comme les restaurants, avec la fermeture des lieux de confinement, et celles dont les pertes sont indirectes. Les fermetures administratives ont concerné les restaurants, pas les hôtels : mais celles des premiers ont entraîné inévitablement, surtout à Paris, celles des seconds.

Toutefois, les travaux que j’ai menés ont souligné plusieurs pistes d’amélioration, qui ont fait l’objet d’amendements adoptés par la commission des finances.

La principale porte sur la notion même de pertes d’exploitation. En effet, il m’a semblé que la philosophie du dispositif était davantage de sauvegarder temporairement une entreprise pour lui permettre de passer ce cap difficile, en la soulageant de ses charges fixes, plutôt que de tout indemniser, y compris les bénéfices qui auraient pu être réalisés en l’absence de mesures extraordinaires. Cela réduit évidemment les indemnités, mais également le coût de la prime.

L’indemnisation des pertes d’exploitation serait colossale en cas de crise systémique comme celle de la Covid-19, ce qui serait de nature à renchérir le coût de la prime pour les entreprises. C’est pourquoi la commission a adopté un amendement visant à indemniser les charges fixes de l’entreprise, plutôt que ses pertes d’exploitation, dès lors qu’elle subit une baisse de chiffre d’affaires, ou d’activité, d’au moins 50 %.

La commission a également adopté deux autres amendements visant à rendre le dispositif efficace pour les entreprises, en permettant un versement rapide à l’entreprise et en encadrant par voie réglementaire le montant de la prime. Elle a aussi précisé le champ des mesures administratives permettant de déclencher cette garantie.

L’article 2 crée un fonds alimenté par un prélèvement obligatoire acquitté par les assureurs et assis sur les primes des contrats d’assurance de biens professionnels. Ce fonds contribue à l’indemnisation des charges fixes.

La commission a adopté un amendement tendant à préciser la vocation de ce fonds. Ainsi, ses ressources ne sont décaissées que dans le cas de crise sanitaire grave. Pour les menaces ou risques sanitaires d’une ampleur contenue, il peut être considéré que les assureurs mutualisent les primes reçues et indemnisent les entreprises sans faire appel au fonds. En d’autres termes, ils font leur métier.

Il s’agit de poser une double exigence envers les assureurs, en leur demandant d’assurer un risque financé par des cotisations additionnelles et, en plus, de participer à un fonds servant de « réserve de précaution » pour les crises sanitaires majeures.

Cette configuration présente un double intérêt. D’une part, elle permet de pérenniser les ressources du fonds, car, s’il avait été sollicité pour l’indemnisation du moindre sinistre, ses ressources disponibles n’auraient pas permis de faire face à une crise d’ampleur nationale, en particulier si son financement ne repose que sur les assureurs. D’autre part, ce schéma permet de garantir une forme de « ticket assureurs », c’est-à-dire qu’il leur revient d’assumer une part du risque. En effet, si les assureurs avaient seulement perçu des primes pour les verser au fonds, leur rôle aurait été réduit à celui d’un « collecteur ».

Ce dispositif à plusieurs vitesses est renforcé par le mécanisme de réassurance publique prévu à l’article 3. Si les assureurs ne peuvent faire face au montant des indemnisations à verser, la Caisse centrale de réassurance peut jouer son rôle de réassureur. Elle bénéficie de la garantie de l’État, permettant à ce dernier d’intervenir en tout dernier ressort si besoin.

Mes chers collègues, comme je l’ai indiqué lors de l’examen en commission, je ne puis que souscrire aux objectifs de cette proposition de loi ; je l’avais d’ailleurs moi-même cosignée. Elle nous donne aujourd’hui l’occasion de nous prononcer en faveur d’une première « architecture assurantielle » et de déterminer les responsabilités de chacun dans la mise en œuvre de ce « paratonnerre économique », pour reprendre la formule des auteurs du texte. Nous avons souhaité jeter les bases d’un schéma de partage des risques entre les entreprises, l’État et le secteur assurantiel.

Nous devons néanmoins garder à l’esprit que le mécanisme a vocation à évoluer au cours de la navette. Il devrait également pouvoir être enrichi à mesure que les services de l’État mais aussi les entreprises du secteur assurantiel parviennent à modéliser plusieurs scénarios et à évaluer le coût de cette nouvelle garantie pour les entreprises.

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