Intervention de Marie Mercier

Réunion du 9 juin 2020 à 14h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, encore, me direz-vous, une loi sur les violences conjugales ! Et toujours tant de violences : 36 femmes ont été tuées par leur conjoint depuis le début de l’année.

Aussi, quelques mois seulement après la promulgation de la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, portée par le député Aurélien Pradié, le Sénat est saisi d’une proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, présentée par deux députés de la majorité, Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha.

Ce nouveau texte a pour ambition d’inscrire dans la loi certaines préconisations du Grenelle contre les violences conjugales, dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 novembre dernier. Il comporte aussi des mesures visant à protéger les mineurs ou à prévenir les violences en général.

Sur le plan de la méthode, la commission regrette que deux textes se soient ainsi succédé à quelques mois d’intervalle. L’examen d’un texte unique, déposé après le Grenelle, nous aurait permis d’avoir un débat plus cohérent, avec une vision globale de la politique de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales.

Le calendrier qui nous a été imposé n’a pas non plus facilité notre travail : nous avons été informés il y a tout juste deux semaines que ce texte serait examiné aujourd’hui en séance publique, ce qui nous a laissé peu de temps pour achever notre cycle d’auditions, suspendu pendant la période du confinement. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir pu procéder à une véritable évaluation de l’impact de ce confinement sur les violences intrafamiliales, même si vous nous avez fait part, mesdames les ministres, d’une multiplication par cinq du nombre de signalements.

Nous n’avons pas pu non plus apprécier l’efficacité des dispositifs mis en place pour combattre ces violences. Je sais que la délégation sénatoriale aux droits des femmes, dont je salue la présidente, a cependant mené un travail de veille sur le sujet au cours des trois derniers mois, ce qui nous permettra de disposer bientôt de premiers éléments d’information très pertinents.

Sur le fond, la commission accueille favorablement la plupart des mesures qui figurent dans cette proposition de loi. Il nous semble toutefois que l’on approche un peu les limites de ce qu’il est possible de faire en matière législative, l’arsenal juridique étant déjà très étoffé. Beaucoup de dispositions du texte consistent en des ajustements, des clarifications, des précisions, que nous n’avons pas de raison de rejeter mais qui ne nous semblent pas non plus de nature à renforcer de manière significative la lutte contre les violences conjugales.

Le texte propose, tout d’abord, d’interdire le recours à la médiation pénale et à la médiation familiale en cas de violences au sein du couple. Il parachève ainsi une évolution, entamée il y a plusieurs années, qui a déjà beaucoup restreint le recours à la médiation : elle ne peut à l’évidence constituer une procédure adaptée en cas de violences au sein du couple en raison de l’inégalité entre l’agresseur et sa victime.

Plusieurs articles visent ensuite à alourdir les peines encourues ou à créer de nouvelles infractions. Des circonstances aggravantes sont introduites pour certains délits, quand les faits sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire de PACS. Le délit de harcèlement du conjoint serait puni plus sévèrement lorsque le harcèlement a conduit au suicide de la victime, ce qui n’est pas rare. Il est également prévu de compléter le code pénal pour sanctionner, au titre des atteintes à la vie privée, le fait de géolocaliser un individu sans son consentement.

Ces sanctions pénales seraient complétées par ce qui s’apparente à de nouvelles formes de sanctions civiles.

Une disposition porte ainsi sur la décharge de l’obligation alimentaire. Elle répond à une demande forte des associations, qui veulent éviter que les enfants dont, par exemple, le père a tué la mère, soient contraints de subvenir aux besoins de leur père meurtrier. La commission en a cependant revu la rédaction, craignant qu’une décharge automatique ne pose un problème sur le plan constitutionnel, et elle a proposé que ce soit le juge pénal qui statue sur cette question dès l’étape de la condamnation.

Le texte prévoit également que le juge pourra déclarer indigne de succéder celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences ou un viol sur son conjoint. Sur ce point, la commission a élargi la liste des infractions permettant de prononcer l’indignité successorale.

D’autres dispositions du texte s’inscrivent davantage dans une démarche de prévention.

Je citerai la possibilité donnée au juge pénal, dans le cadre d’un placement sous contrôle judiciaire, de suspendre le droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur, ou encore l’inscription d’un plus grand nombre de personnes dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais), l’objectif étant d’éviter que ces personnes ne soient embauchées pour des postes où elles seraient placées au contact de mineurs.

Certaines mesures longuement débattues au cours du Grenelle se révèlent d’une portée plus limitée. Il en est ainsi de l’article 9, sur la saisie des armes que peut posséder le conjoint violent : la saisie est déjà autorisée et pratiquée au cours des enquêtes et la proposition de loi vient seulement rendre plus lisible le cadre juridique applicable. Ce n’est pas inintéressant, mais ce n’est pas non plus révolutionnaire.

Même remarque concernant la possibilité de déroger au secret médical pour signaler des faits de violences conjugales, même en l’absence d’accord de la victime : un examen attentif montre que cette dérogation vise des hypothèses très restrictives – il faut, à la fois, un danger immédiat pour la victime et une emprise –, pour lesquelles il est déjà admis que le professionnel de santé puisse déroger au secret médical au nom de l’obligation de porter secours à une personne en péril. L’ajout qui nous est proposé a donc surtout un but pédagogique à destination des professionnels de santé : il cherche à attirer leur attention sur la situation des femmes victimes de violences conjugales, au risque cependant de rendre plus complexes des exceptions au secret professionnel qui ne sont déjà pas toujours lisibles.

J’en arrive à l’article 11 sur l’accès des mineurs aux sites pornographiques, qui a pour objet de codifier une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation et qui ne modifie donc pas l’état du droit en vigueur.

Le contrôle effectif de l’accès des mineurs à ces sites constitue pourtant un problème majeur : il n’est pas rare aujourd’hui que les mineurs aient accès à ces contenus pornographiques dès le collège, lorsque les parents leur confient leur premier smartphone. Cela me fait penser à cette phrase de Flaubert, écrivant à Louise Colet le 8 octobre 1852 : « À mesure que l’humanité se perfectionne, l’homme se dégrade. » Il avait raison !

On ne peut que s’inquiéter des conséquences que l’exposition précoce à ces images peut entraîner sur le développement psychologique et affectif de ces jeunes, et sur les relations entre garçons et filles. J’étais donc peu satisfaite du manque d’ambition de la proposition de loi sur le sujet, mais le court délai dont nous avons disposé pour l’étudier ne m’avait pas permis d’approfondir cette question avant son examen en commission. Suivant une démarche un peu inhabituelle, dont je prie mes collègues de la commission des lois de bien vouloir m’excuser, j’ai donc procédé à quelques auditions complémentaires au cours de la semaine écoulée afin de pouvoir proposer au Sénat un dispositif réellement à la hauteur des enjeux.

M’inspirant d’une mesure en vigueur depuis dix ans et relative aux jeux en ligne, je vous propose de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel un rôle de régulation, en lui donnant le pouvoir de saisir la justice pour qu’elle ordonne le blocage de l’accès aux sites qui ne prendraient aucune mesure effective pour contrôler l’âge de ceux qui consultent leurs contenus. Je crois que seul le recours à des mesures réellement dissuasives est susceptible d’inciter les éditeurs de ces sites à agir.

En proposant cet amendement, je m’inscris dans la perspective tracée par le Président de la République dans son discours devant l’Unesco du 20 novembre dernier : il avait alors donné six mois aux acteurs concernés pour trouver des solutions sur une base volontaire, sans quoi il avait estimé qu’il serait nécessaire de légiférer. Six mois plus tard, le dossier n’a pas vraiment avancé et le Gouvernement n’a pas dévoilé ses intentions. Il est donc nécessaire que la représentation nationale s’en saisisse, et c’est ce que nous allons faire.

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