Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, les statistiques glaçantes sur les violences conjugales viennent nous rappeler l’importance de ce fléau dans notre pays. Chaque année, en France, 220 000 femmes subissent des violences au sein de leur couple. En 2019, ce sont 150 d’entre elles qui ont perdu la vie ; elles étaient 121 en 2018 et 109 l’année d’avant.
Dans une étude datant de 2017, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) rapporte que les violences intrafamiliales sont plus fréquentes et plus graves en outre-mer qu’en métropole. L’insularité et la faible superficie de certains territoires peuvent en effet entraver la libération de la parole, et rendre inopérant l’éloignement du conjoint violent ou le choix d’un lieu anonyme pour être accueillie et écoutée sans crainte. Bien sûr, je n’oublie pas que ce phénomène touche aussi les hommes, dans une moindre mesure.
Fort heureusement, nous avons assisté ces derniers mois à une prise de conscience collective de l’urgence à agir contre ces faits, qui ont trop souvent été relativisés. En septembre 2019, le Gouvernement a lancé un Grenelle des violences conjugales dont la restitution des travaux, deux mois plus tard, a donné lieu à des annonces fortes.
Pour tenir compte de la situation spécifique dans les outre-mer, un budget de 800 000 euros leur a été attribué.
Le 28 décembre 2019, certains dispositifs annoncés, tels que la généralisation du bracelet anti-rapprochement, l’amélioration du traitement des requêtes en vue de la délivrance d’une ordonnance de protection, ou encore la suppression de l’autorité parentale, trouvaient une traduction législative lors du vote à l’unanimité de la loi Pradié.
La présente proposition de loi, poursuivant ce travail, était également adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 29 janvier dernier. Au Sénat, la crise sanitaire nous a malheureusement contraints de reporter son examen, prévu initialement début avril.
Pourtant, face aux circonstances inédites liées au confinement, les violences familiales ont été exacerbées et les signalements de violences conjugales ont également augmenté d’au moins 30 %, jusqu’à 36 % durant cette période.
La situation étant exceptionnelle, des mesures exceptionnelles ont été mises en place par le Gouvernement pour porter secours aux victimes, mais également pour prévenir les violences : numéro d’écoute, plateforme, point d’accompagnement dans les centres commerciaux, signalement à la pharmacie, éviction du domicile du conjoint violent, etc.
Il nous revient aujourd’hui de poursuivre le travail législatif engagé par nos collègues députés. Il me semble important de souligner, à titre liminaire, que ce texte s’emploie à mieux définir dans notre droit ce que recouvre le terme de « violences », en inscrivant dans la loi la notion d’emprise psychologique, cette stratégie de contrôle qui détermine le passage à l’acte. On la retrouve à plusieurs reprises dans le texte.
Ainsi, le recours à la procédure de médiation en matière civile et pénale en cas d’emprise d’un conjoint sur l’autre, ou en cas d’allégation de violences, sera écarté. De même, tout médecin ou professionnel de santé qui le souhaite pourra directement alerter le procureur de la République, sans l’accord de la victime, s’il a l’intime conviction que celle-ci est en danger immédiat et qu’elle se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences. Cette dérogation aux règles régissant le secret médical a pu inquiéter, mais elle a été élaborée en accord avec le Conseil national de l’ordre des médecins et n’est possible que dans des conditions très restrictives.
Le cybercontrôle, qui représente un moyen d’asseoir son emprise sur l’autre, est également pris en compte dans ce texte : le fait de géolocaliser une personne sans son consentement sera dorénavant sanctionné.
La proposition de loi permet en outre de trouver des solutions à certaines situations pouvant s’apparenter à des « violences juridiques », si j’ose dire ; je pense à l’obligation alimentaire, qui peut aujourd’hui contraindre l’ascendant ou le descendant d’une victime de crimes ou de délits commis par le créancier d’aliments. La commission des lois a considéré que l’automaticité retenue par les auteurs de ce texte présentait un risque d’inconstitutionnalité et a réécrit le dispositif.
De même, il semblait important de permettre aux juges de déclarer indignes de succéder les personnes condamnées à une peine criminelle pour avoir commis des violences ou un viol envers le défunt. La commission a ajouté, à la liste des cas d’indignité successorale, les actes de torture et de barbarie, ainsi que les agressions sexuelles ; elle a en outre prévu que cette indignité sera prononcée quelle que soit la nature de la condamnation prononcée. Sur ces deux exceptions d’indignité en matière d’obligation alimentaire et de succession en cas de condamnation pénale, nous vous proposerons, mes chers collègues, des amendements, qui obtiendront, nous l’espérons, l’approbation de la Haute Assemblée.
Ce texte contient également des dispositions relatives à la protection des mineurs. Je pense à la possibilité accordée au juge de suspendre le droit de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant mineur dans le cadre d’un contrôle judiciaire, en cas de violences conjugales, ou à la lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie, qui véhicule, on le sait, une image dégradée de la femme.
Enfin, la proposition de loi renforce la répression de ces violences en alourdissant les peines encourues dans les cas de harcèlement sur conjoint ayant conduit au suicide, de viol du secret des correspondances téléphoniques ou encore d’usurpation d’identité du conjoint. La commission des lois a créé une circonstance aggravante du délit d’envoi réitéré de messages malveillants au conjoint ; nous vous présenterons un amendement visant à aligner les peines encourues sur les peines graduelles qui répriment le délit de harcèlement moral du conjoint.
Cette proposition de loi contient des dispositions importantes, attendues par les victimes et par la société dans son ensemble. Vous l’aurez compris, le groupe La République En Marche soutient fortement son adoption. L’engagement de la procédure accélérée démontre une volonté politique de faire reculer ces violences. Les sujets évoqués ne s’écartent pas des annonces rendues publiques par le Gouvernement, à l’issue du Grenelle, et l’urgence de la situation de ces femmes commande que nous légiférions rapidement.
Évidemment, l’ensemble de ce nouvel arsenal juridique, dorénavant très complet, ne sera pleinement efficace que s’il s’accompagne d’une véritable évolution des mentalités. Nous partageons tous le même constat et nous avons les mêmes objectifs ; je ne doute pas que nous saurons trouver un point d’équilibre lors de la commission mixte paritaire relative à ce texte.