Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ils sont urgentistes, médecins généralistes, internes, infirmiers, aides à domicile. Ils travaillent dans des hôpitaux, des cliniques, des Ehpad, publics ou privés, au domicile des Français, et ont été en première ligne face à un ennemi invisible, sournois et si redoutable. Ils n’ont compté ni leurs heures ni leur nuit et n’avaient parfois pas assez de masques, de blouses ou de gel hydroalcoolique. Mais ils étaient tout de même présents. Au milieu de l’urgence, dans un environnement de stress et de doute, ils ont tenu leur poste avec dignité et sans la moindre hésitation, car ils étaient motivés par cette ferme ambition d’en finir avec un virus qui semblait infatigable.
Les visages de ces héros resteront gravés dans le marbre de notre République. Des héros auxquels des millions de concitoyens ont adressé leurs remerciements d’une seule et même voix.
Sur les vitrines de nos boulangeries ou de nos pharmacies, par le bruit des gyrophares de police devant nos hôpitaux, cet élan de solidarité s’est manifesté par tant de façons, mais surtout avec émotion. Devant leur mobilisation exceptionnelle, c’est tout notre pays qui a tenu à les encourager, à les soutenir et à les remercier. Alors, avec vous, mes chers collègues, je veux de nouveau leur témoigner notre profonde reconnaissance et leur dire combien leur détermination a été vitale.
Cependant, ces moments de joie n’effaceront jamais le courage de nos professionnels de santé qui ont payé de leur vie pour soigner la population. Dans ce contexte sanitaire incertain, ils ont incarné, mieux que personne, ce que pouvait être le dévouement au service d’une grande cause. Leur héroïsme nous oblige à ne pas oublier : à ne pas oublier que la vie, si belle soit-elle, demeure tellement fragile. Nos pensées émues entourent leurs familles.
Avant d’entrer un peu plus dans le détail des dispositions de cette proposition de loi, permettez-moi de souligner un élément important qui a certainement inspiré ses auteurs. Je veux parler de cet esprit d’unité qui s’est exprimé ces derniers mois.
Cela ne me surprend pas, car notre peuple est un peuple uni face à l’adversité. C’est notre histoire, c’est cette France de l’engagement, c’est cette France de la persévérance, c’est cette France de la Résistance face à toute épreuve, qui nous a été enseignée. Aussi, je suis persuadée, madame la ministre, que la République ne pourrait tenir debout sans cette cohésion nationale, indispensable pour affronter de telles tempêtes.
Désormais, il nous appartient de permettre à cette solidarité de s’exprimer sous une autre forme, notamment pour tous ceux qui ont été en première ligne contre le Covid-19. C’est l’objet du texte qui est soumis à l’examen de notre assemblée. Je tiens tout d’abord à remercier ses auteurs, en particulier le député Christophe Blanchet. À présent, il incombe à la Haute Chambre de l’examiner.
Je veux saluer la pertinence du rapport de notre collègue Frédérique Puissat. Les modifications substantielles qu’elle a proposées à notre commission étaient nécessaires, car la rédaction initiale du texte rendait son application difficile.
Ainsi, le choix a été fait de réécrire en profondeur l’article 1er. Initialement, il tendait à permettre un don de jours de repos par tout salarié afin de les monétiser sous forme de chèques-vacances au profit des personnels mobilisés en première ligne pendant l’épidémie. Désormais, le dispositif ne consiste plus pour les salariés à donner des jours de repos, mais à leur permettre, jusqu’au 31 août 2020, de renoncer à leur rémunération nette au titre d’une ou de plusieurs journées de travail. Un accord d’entreprise pourrait également prévoir un abondement complémentaire de l’employeur.
En somme, nous comprenons cette modification, car un don de jours de RTT ou de repos conventionnel, comme c’était prévu au tout début, présente des inconvénients. Toutes les personnes qui travaillent ne bénéficient pas de RTT. C’est une problématique que j’avais déjà soulevée en janvier 2018, dans mon rapport sur une proposition de loi visant également à créer un dispositif de don de jours de repos.
De plus, l’article 1er tendait à mettre en œuvre non pas un simple don de jours de repos, mais leur monétisation, ce qui est différent et pas simple à envisager surtout quand ces jours étaient déjà rémunérés.
Désormais, avec ce nouvel article, une partie du problème est résolue, et cette possibilité de donner est offerte à tous les salariés et agents publics.
Même si nous partageons la philosophie du texte et les apports de notre collègue, d’autres problématiques se posent, notamment sur le plan des bénéficiaires, qui nous placent dans une position délicate. Certes, le périmètre des bénéficiaires fixé à l’Assemblée nationale a été retenu en commission. Il est donc prévu que les chèques-vacances soient répartis entre les établissements et services sanitaires, médico-sociaux et d’aide et d’accompagnement à domicile, au prorata de leur masse salariale. Cette répartition concernerait, sous conditions de ressources, les personnels, y compris vacataires et stagiaires, qui ont travaillé entre le 12 mars et le 10 mai 2020, c’est-à-dire pendant la période de confinement.
Sur ce point, je me réjouis que les aides à domicile n’aient pas été oubliées, car elles ont été mobilisées, parfois sans avoir de masques et sans pouvoir bénéficier en priorité de tests de dépistage. Cette reconnaissance qui leur est exprimée est donc une juste mesure. Il en est de même pour les internes en médecine, par exemple. Plusieurs ont été appelés en renfort, du jour au lendemain, dans un univers qui était tout sauf habituel.
Néanmoins, notre satisfaction n’est pas entière.
Il est regrettable que les aidants familiaux n’aient pas été intégrés dans ce texte, alors qu’ils ont joué un rôle essentiel auprès de leur proche. Ils ont aussi été confrontés au Covid-19, parfois sans disposer de matériels de protection. Combien risquaient de contaminer d’autres membres de leur famille parce qu’ils n’avaient pas de masques ? Certains de nos concitoyens ont dû endosser à la fois leur casquette de parent, de soignant, d’auxiliaire de vie et de salarié.
En outre, en raison du confinement, de nombreuses personnes aidées n’ont pas pu retourner dans leur structure d’accueil. Cette situation a parfois provoqué un épuisement physique et moral.
Sans l’action précieuse des proches aidants, sur qui la puissance publique aurait-elle pu s’appuyer ? Il me semble donc normal et juste qu’ils puissent être éligibles à ce dispositif. C’est l’objet de l’amendement que j’ai déposé et dont nous débattrons tout à l’heure.
Par ailleurs, pourquoi le financement de cette solidarité ne pourrait-il pas concerner d’autres professions qui ont permis à la société de continuer de fonctionner ? Je pense aux hôtes de caisse, aux agents chargés de la collecte des déchets, etc. La même question se pose peut-être pour tous ceux qui vont perdre leur emploi et pour d’autres catégories professionnelles.
Oui, nous soutenons la philosophie du texte ! Mais, dans l’idéal, il eût été souhaitable qu’un public plus large puisse en bénéficier. Malheureusement, cela nécessiterait d’avoir des ressources considérables, en ayant suffisamment de dons. Même s’il me semble judicieux que ce fonds puisse également être alimenté par des dons volontaires de toute personne physique ou morale, je ne suis pas certaine que cela soit suffisant pour autant.
Enfin, et on l’a vu pour la remise d’une « médaille de l’engagement face aux épidémies », nous ne sommes pas convaincus que ce texte suscite une adhésion unanime de la part du personnel soignant. Je veux d’ailleurs partager avec vous cette phrase d’une infirmière : « On ne fait pas la manche ! »
Oui, cette proposition de loi est la concrétisation matérielle et volontaire d’un soutien exprimé ; un soutien qui pourrait permettre aux personnes mobilisées pendant le Covid-19 de retrouver du temps et de se consacrer à leur famille, autour de moments de loisirs, de voyages, de restauration. Cependant, il faut être vigilant à ce que cette mesure, qui est tout à fait louable sur le fond, ne crée pas non plus de la frustration chez des personnes qui aimeraient faire un don, mais qui ne le pourraient pas en raison de leurs faibles revenus.
Bien sûr, cette proposition de loi n’est qu’une première étape, avant d’autres, qui devront être actées à l’occasion du Ségur de la santé. Je pense, en particulier, à la rémunération du personnel soignant, qu’il me soit permis d’en remercier le Gouvernement. L’engagement de la procédure accélérée laisse d’ailleurs espérer une mise en œuvre rapide de ce texte.
En somme, il ne serait pas envisageable un seul instant de voter contre une mesure de solidarité. Si le groupe Union Centriste soutient l’esprit du texte, des interrogations et des doutes demeurent. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.