Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le secteur médical et hospitalier vient de traverser une crise sanitaire majeure qui a mis pleinement en lumière ses dysfonctionnements et la nécessité d’une réforme d’ampleur – d’une énième réforme, oserais-je dire. Dans ce contexte, je ne cacherai pas que l’examen de cette proposition de loi me laisse perplexe. Je m’interroge sur son opportunité.
Certes, l’idée est généreuse. Durant la crise sanitaire, nombreux ont été les Français qui ont témoigné leur soutien aux personnels soignants exposés au risque de contamination, épuisés par le manque de moyens et la croissance rapide de l’épidémie. Il y a eu les applaudissements de vingt heures, des dons, des mises à disposition de logements, etc. Parmi ces initiatives, l’idée de donner des jours de RTT pour permettre aux soignants de se reposer a germé.
Ce projet trouve aujourd’hui une traduction législative avec un dispositif permettant finalement de convertir des jours de repos en chèques-vacances. Or il ne s’agit pas d’une demande des personnels soignants et sa mise en œuvre soulève de sérieux doutes.
Ce n’est pas une demande des soignants, car ceux-ci ont d’autres attentes.
Tout d’abord, ils souhaitent la revalorisation de leurs salaires et, surtout, de meilleures conditions de travail, dans un contexte de dégradation de l’hôpital public et du système de santé dont nous avons pu constater l’étendue pendant la crise sanitaire et qui date de loin. Le don de chèques-vacances n’apparaît pas comme une priorité. Il pourrait même être perçu par un esprit soupçonneux comme une simple opération de communication.
Ensuite, le dispositif rend nécessaire une intervention législative pour le moins approximative. Nous ne sommes pas dans le cas de figure des lois que nous avons votées en 2014 et 2018. Il était alors question de dons de jours de repos entre salariés d’une même entreprise, destinés à soulager un proche aidant s’occupant d’un enfant malade ou d’une personne en perte d’autonomie. Le transfert d’un jour de congé d’un salarié à un autre est simple, et l’opération est neutre pour l’employeur.
Dans le cas présent, le dispositif qui nous a été présenté s’apparente plutôt à celui de la journée de solidarité, avec une monétisation des journées de travail permettant une sortie de trésorerie en direction de l’Agence nationale pour les chèques-vacances.
Comme l’a souligné notre rapporteur, ce qui est concevable au plan macroéconomique l’est moins à l’échelle individuelle, et le moment semble peu propice pour peser sur l’organisation de l’activité des entreprises, leur comptabilité ainsi que sur leurs charges de secteur public. Je reviendrai sur ce point, en évoquant les modifications apportées au texte par notre rapporteur.
Enfin, l’ANCV obtiendra-t-elle suffisamment de dons pour que l’opération ait un sens ?
Je pense qu’il faut resituer cette proposition de loi dans son contexte émotionnel.
En pleine crise sanitaire, la présence exemplaire des personnels soignants a donné l’envie de les aider en retour. Les risques s’éloignent, et il n’est pas certain que le mouvement sincère de générosité de nos concitoyens se poursuive hors du contexte de crise, chacun retournant à sa vie de tous les jours et à d’autres préoccupations. Sera-t-il alors possible de rassembler un montant réellement utile ? La somme réunie ne sera-t-elle pas disséminée entre les nombreux bénéficiaires potentiels, pour se réduire finalement à quelques euros ? L’absence d’étude d’impact ne permet pas de le savoir.
D’ailleurs, n’existe-t-il pas de façon plus simple de faire un don ? Finalement, l’idée de départ, séduisante, se traduit par une construction juridique complexe qui ne se justifie guère. La proposition de loi que nous sommes chargés d’examiner suscite en définitive de tels doutes quant à son opportunité, sa praticité et son efficacité que nous nous sommes demandé, lors de son examen en commission, quelle position nous devions adopter en tant que législateur.
Après ce que je viens de dire, le rejet de la proposition de loi paraîtrait légitime. Cependant, malgré ces réserves, il me semble difficile de se prononcer contre un texte solidaire. Le Sénat a toujours défendu les intérêts des corps hospitaliers et des personnels soignants. Le rejet d’un texte qui leur est favorable ne serait pas cohérent avec cette démarche et pourrait être mal interprété.
Nous ne pouvions cependant adopter la proposition de loi en l’état, car elle laissait de nombreuses questions dans le flou concernant sa mise en œuvre par les employeurs, ses bénéficiaires, la répartition des sommes données. Nous avons donc, sur proposition de la rapporteure, adopté en commission une série de modifications.
Je tiens à cet égard à féliciter Frédérique Puissat, qui s’est efforcée avec pragmatisme de donner un minimum de portée opérationnelle au texte. La proposition de loi a été intégralement réécrite. Elle repose maintenant sur un don de rémunération, plutôt que sur un don de jours de repos. Ainsi, la solidarité est bien attachée au salarié plutôt qu’à l’employeur et pourra s’appliquer même si le salarié ne dispose pas de jours de repos.
Une limite a été fixée dans le temps, permettant d’évaluer la somme perçue au 31 août et ciblant les personnels ayant travaillé durant la crise sanitaire. La liste fixée par arrêté déterminera les établissements des secteurs sanitaire et médico-social bénéficiaires, et ce sont eux qui seront chargés de répartir les sommes collectées entre leurs personnels.
Si ce texte nous paraît – je regrette encore de le souligner – peu utile, il témoigne cependant d’une intention généreuse et doit être compris ainsi. Il appartient désormais au Gouvernement de s’attaquer aux vrais enjeux de notre politique de santé publique. Le milieu hospitalier et le secteur médico-social attendent des changements radicaux, les choix forts et rapides annoncés par le Premier ministre lors de l’inauguration du Ségur de la santé.
Vous l’aurez compris, il s’agit non pas simplement d’une question de rémunération ou de primes, mais d’engager des réformes structurelles que nous réclamons dans cette enceinte depuis plusieurs années et qui permettraient aux soignants de se consacrer pleinement et sereinement aux métiers qu’ils exercent comme un sacerdoce.