Intervention de Philippe Bas

Réunion du 17 juin 2020 à 15h00
Report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un débat très intéressant qui s’ouvre cet après-midi, puisque nous allons parler de la démocratie.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le jour même où le Gouvernement décidait de convoquer les électeurs pour le second tour des élections municipales le 28 juin prochain, il adoptait en conseil des ministres deux projets de loi : le premier prévoyait la prolongation du mandat des conseillers municipaux dans les communes où le renouvellement n’avait pas été complet le 15 mars dernier ; le second visait, par voie de conséquence, à différer les élections sénatoriales pour la série renouvelable en septembre 2020.

Monsieur le ministre, je m’étais étonné de cette méthode. Vous soulignez que votre seule intention était d’anticiper les conséquences d’une éventuelle annulation des élections. Ce que je contestais, c’est non pas cette anticipation, mais l’inscription de ces textes à l’ordre du jour prioritaire du Parlement avant même que la situation ne se soit éclaircie. À mes yeux, c’est, viscéralement, une question de dignité, pour la représentation nationale, que de ne pas délibérer de textes virtuels, hypothétiques, de ne pas légiférer à blanc quand il existe une autre manière de procéder qui serait tout aussi opérationnelle.

Je le dis pour défendre l’ensemble de la représentation nationale, et l’Assemblée nationale plus encore que le Sénat, ce dernier n’ayant pas été amené à trancher des questions qui ne se posaient pas. L’Assemblée nationale, sans doute mue par le respect qu’elle a pour le Gouvernement, a tout de même passé du temps, à la charge du contribuable français, à délibérer de sujets purement hypothétiques. Je trouve que, pour nos institutions, ce n’est pas une bonne manière de procéder.

Tel est le champ de nos divergences, et je vais m’en tenir là. Je n’aurais pas abordé cette question si vous n’aviez pas vous-même, monsieur le ministre, souhaité faire une mise au point à l’occasion de votre propos introductif.

Le texte que nous examinons aujourd’hui prévoyait initialement le report de l’élection des 178 sénateurs de la deuxième série, qui devait avoir lieu le 20 septembre. Le Gouvernement a renoncé à ce report, mais il s’est aperçu qu’il avait à traiter une autre question, les conseillers consulaires n’ayant pu être élus à la date prévue. Nous avons accepté que leur élection soit reportée au mois de mai 2021. Par conséquent, pour reprendre une expression dont je ne suis pas l’auteur, mais dont les commentaires autorisés du Conseil constitutionnel ont validé l’utilisation, le corps électoral des six sénateurs représentant les Français établis hors de France renouvelables en septembre 2020 n’a pas été « rafraîchi ».

Cette situation pose question du point de vue de la démocratie, car, si nous voulons attendre que ce corps électoral soit « rafraîchi », il nous faut procéder à un acte qui, par lui-même, soulève des critiques d’un point de vue constitutionnel s’il n’est pas circonscrit au traitement du cas de force majeure auquel nous sommes confrontés.

En effet, la question de la prolongation de mandats d’élus, monsieur le ministre, ne saurait être traitée à la légère. Le principe, c’est que la durée des mandats est établie par la loi. On ne peut pas décider de faire une exception à ce principe en prolongeant cette durée sans avoir vérifié au préalable qu’il n’existait pas d’autre solution.

Deux principes s’imposent donc à nous : on ne doit pas prolonger des mandats d’élus, d’une part ; le corps électoral doit avoir été « rafraîchi » avant les élections, d’autre part. Comment arbitrer entre ces deux principes ? J’avoue avoir eu de profondes hésitations. J’étais impatient que le Gouvernement se prononce, ce qu’il a fait dans la nuit de mardi à mercredi dernier, la commission des lois du Sénat se réunissant le mercredi matin… Après réflexion, nous en sommes arrivés à la conclusion que ce serait prendre un risque considérable que de maintenir l’élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France en septembre 2020 et qu’il convenait donc de prolonger le mandat des actuels représentants des Français de l’étranger.

Qu’arriverait-il en effet si l’élection en septembre 2020 de six sénateurs représentant les Français établis hors de France était annulée au bout de quelques mois de mandat ? Pendant un certain temps, les Français de l’étranger ne seraient plus représentés au Sénat que par six sénateurs, au lieu de douze. Le Parlement devrait alors de nouveau être saisi pour aménager les délais d’organisation de nouvelles élections sénatoriales partielles. Nous nous trouverions dans une assez grande confusion, qui porterait préjudice à la représentation des Français établis hors de France.

À l’inverse, décider, comme nous le demande le Gouvernement, de prolonger d’un an le mandat des sénateurs en place engendrerait à mon sens moins de désordre. Une prolongation d’un an représente le strict minimum : dans la mesure où les conseillers consulaires seront renouvelés en mai 2021, on voit mal à quelle date plus précoce que septembre 2021 pourrait être organisée l’élection des six sénateurs représentant les Français de l’étranger.

Par ailleurs, la loi organique de 1983 validée par le Conseil constitutionnel comporte une disposition qui était, elle aussi, très claire : les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont élus « à chaque renouvellement partiel du Sénat ». Autrement dit, ils se raccrochent à l’une des deux séries de sénateurs. La loi organique ne dit pas, toutefois, qu’ils en sont partie intégrante.

Par conséquent, en tirant les conséquences de l’article 32 de la Constitution, il est permis de considérer que le report d’un an de l’élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France est sans incidence aucune sur le périmètre du renouvellement partiel du Sénat et les conséquences que la Constitution y attache.

Il est important de le dire, car ce serait un grand désordre pour nos institutions que de devoir renouveler la présidence et les instances du Sénat au bout d’un an. En réalité, il en ira de même qu’en cas d’élections partielles, comme il y en a toujours entre deux renouvellements partiels du Sénat. La notion de renouvellement partiel du Sénat implique simplement que les instances du Sénat sont renouvelées tous les trois ans, tout comme la moitié des sénateurs.

Nous aurons l’occasion de débattre des autres aspects de ce texte lors de l’examen des amendements.

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