Intervention de Marie-Anne Montchamp

Commission des affaires sociales — Réunion du 17 juin 2020 à 9h30
Projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l'autonomie — Audition de Mme Marie-Anne Montchamp présidente de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie par visioconférence

Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie :

Pour être franche, au moment du rapport Libault, les questions de branches me paraissaient superfétatoires. Il me semblait fondamental de définir le risque. Du fait de la pandémie de la covid-19 et de la persistance des conséquences délétères sur nos concitoyens âgés ou en situation de handicap, je me suis convaincue que ne traiter que la question du risque était un peu court, et qu'une organisation spécifique de notre système de protection sociale consacrant ce risque spécifique par la création d'une branche pouvait être vertueuse à maints égards.

Par ailleurs, l'affectation de 0,15 point de CSG en 2024 à la CNSA est forcément une bonne nouvelle s'agissant d'un financement de 2,3 milliards d'euros d'apports pérennes, même si 2024 « c'est beau mais c'est loin », comme disait quelqu'un que j'ai bien connu ! La question de savoir comment s'y prendre d'ici là est évidemment dans tous les esprits.

Cette ressource fiscale est constituée sur la base d'une assiette particulièrement large dont le produit est extrêmement favorable et pourra, de manière assez légitime et naturelle, sans créer de choc de prélèvement obligatoire pour nos compatriotes, bénéficier au risque autonomie.

Pourquoi 2024 ? Cette ressource est une ressource de la CADES et on ne peut imaginer la réaffecter prématurément. C'est le principe même de la loi organique de 1996 de garantir les ressources de la caisse de défaisance de la dette sociale. Cela ne peut être autrement. Je me souviens de débats au cours desquels certains avaient déjà pu supputer que les ressources de la CADES pourraient être fléchées ailleurs. Ce sont là des réflexions inopérantes. Il ne peut donc y avoir d'effet d'anticipation.

À quoi cela pourra-t-il servir en 2024 ? Que faisons-nous en attendant ? Si la branche est constituée, je suppose que l'ossature budgétaire de la CNSA sera transformée. La lisibilité du budget de la CNSA n'est pas excellente, d'autant que la construction même en sections budgétaires est en contradiction avec l'esprit de ce que doit être une branche consacrée à l'autonomie. Elle doit en effet solvabiliser des réponses fondées sur l'approche domiciliaire, des prestations de compensation, le financement de la recherche et de l'innovation.

Il sera fondamental que les membres du conseil de la CNSA travaillent sur la construction budgétaire et sur les priorités d'affectation en fonction des politiques publiques qui nous seront fixées. Il est évident qu'un certain nombre de sujets sont déjà posés, comme la revalorisation des personnels d'Ehpad et à domicile, l'évolution du taux d'encadrement, la qualité de la réponse en soins et de la prévention, la mise en oeuvre effective de la perte d'autonomie, l'amélioration de la prestation de compensation - l'annexe 2-5 du code de l'action sociale et des familles doit à ce propos être refondue parce qu'elle exclut de son bénéfice toute une partie de nos concitoyens lourdement handicapés.

On ne peut selon moi se prononcer sur le sujet que dès lors qu'on se sera vraiment interrogé sur la structure de la branche, mais aussi sur la tuyauterie budgétaire. J'ai compris que ces 2,3 milliards d'euros constituaient une ressource propre et une capacité pour la CNSA d'avoir demain une certaine marge de manoeuvre. Nous sommes dans une situation qui appelle beaucoup de créativité et nécessite une véritable réflexion de fond pour savoir quel doit être le périmètre de la branche.

Un certain nombre de considérations me semblent fondamentales : aujourd'hui, le budget de la CNSA représente environ 27 milliards d'euros. Il est vrai que nous allons avoir, je pense, quelques mauvaises surprises en matière de recettes propres. La crise économique frappant tout le monde, nous anticipons une baisse d'environ 8 % de nos recettes provenant de la contribution solidarité autonomie (CSA). C'est moins net pour la CSG et la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA), liées aux pensions des retraités.

Mais 27 milliards d'euros ne font pas la branche. C'est pourquoi je me réfère à une annexe qui existe déjà dans le PLFSS, l'annexe 1, qui contient le programme de qualité et d'efficience relatif aux aides à l'autonomie : invalidité, interventions de la CNSA, et autres dispositifs destinés aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Cette annexe retient un périmètre de 66 milliards d'euros. Cela signifie que la Nation consacre aujourd'hui 66 milliards d'euros au soutien de l'autonomie de nos concitoyens - et je ne suis pas sûre qu'ils s'en rendent compte.

La vraie question est celle-ci : la branche doit-elle piloter l'affectation ou contrôler l'affectation de ces sommes pour qu'elles le soient de façon vertueuse, plus efficiente, plus transparente, avec des effets de leviers plus forts ? À ces 66 milliards d'euros, il me semble indispensable d'ajouter l'effort que les politiques publiques, hors champ de la protection sociale, doivent consentir aux politiques de l'autonomie. Par exemple, quand Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, annonce un milliard d'euros pour refaire les salles de bains, je me dis que si l'on veut être efficace, il faudrait que quelqu'un pilote cet effort pour que les travaux soient réalisés efficacement. Il est important de faire en sorte que les personnes qui n'ont d'autre choix que de rester chez elles puissent bénéficier d'une adaptation pertinente de leur logement.

Je me tourne également vers Bruno Le Maire, qui a décidé d'apporter un soutien à des secteurs économiques comme le tourisme, l'automobile, l'aéronautique. Le secteur médico-social n'est-il pas un secteur économique ? Bien sûr que si ! Il compte des millions d'emplois et des travailleurs pauvres. Rappelons qu'une aide à domicile touche un salaire moyen d'environ 900 euros.

Le plan de relance doit également concerner une partie de la politique de l'autonomie, notamment pour renforcer les capacités d'investissement sectoriel. Beaucoup d'Ehpad sont à refaire entièrement, et pas simplement à repeindre. La CNSA branche devrait percevoir les fonds et, à tout le moins, copiloter leur affectation.

Il en va de même pour la cohésion des territoires. L'État a décidé d'aider les collectivités locales temporairement du fait de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) afin qu'elles passent le cap. Tout cela participe de la solvabilisation des politiques pour l'autonomie conduites par les départements.

Il faut que nous apprenions à raisonner autrement, moins en caisse et plus en termes de logiques d'agence et de pilotage. L'agrégat pertinent, de mon point de vue, peut assez vite se monter à quelque 70 milliards d'euros : les 66 milliards existants plus la part des politiques publiques déjà affectées à l'autonomie ou qui pourraient l'être davantage.

Nous aurions ainsi très vite la possibilité d'apporter des réponses à nos concitoyens, en leur garantissant que ces sommes vont bien vers le risque autonomie.

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