Mme Cohen a évoqué l'idée qu'en créant une cinquième branche autonomie, on pourrait défaire la sécurité sociale. Je comprends l'attachement qu'on peut avoir à ce système tel que l'ont construit Ambroise Croizat et Pierre Laroque au lendemain de la guerre. Ambroise Croizat, ministre communiste dont le père avait été victime d'un accident du travail redoutable, avait vécu dans sa chair et sa famille une crise découplée par les circonstances de la guerre. C'est alors que, dans une forme de concorde nationale, tous ceux qui avaient participé à la Résistance ont créé ce programme incroyable qui porte ce nom magnifique : « Les jours heureux ». À ce moment-là, ils ont fait le choix d'interroger les risques qui fragilisaient les Français d'alors.
Aujourd'hui, parmi les sources de fragilité des Français figure la perte de leur autonomie du fait de l'avancée en âge ou du handicap, question qui existait autrefois pour le handicap mais qui ne se posait pas pour l'âge. Après-guerre, on mourrait en effet très jeune dès lors qu'on avait cessé son activité, et la question de la perte d'autonomie liée au phénomène même du vieillissement ne se posait pas.
Lorsqu'on est très malade, très âgé ou très fortement handicapé, on a le sentiment de voir sa citoyenneté subir une décote. Il n'est qu'à essayer de solliciter son banquier ou tenter de manger ce que l'on veut quand on en a envie pour en être convaincu.
Renforcer l'autonomie pour affirmer la citoyenneté quel que soit l'âge ou l'endroit où l'on vit constitue un grand dessein. Encore faut-il être au rendez-vous, je vous l'accorde ! Considérer que cela ne relève que de l'assurance maladie est quelque peu étroit.
Aujourd'hui, l'assurance maladie finance 22 milliards d'euros au titre de ce risque. C'est beaucoup, mais il ne s'agit pas de défaire l'assurance maladie. Il faut faire en sorte que les dépenses qui soutiennent la santé de la personne âgée lui permettant de bénéficier des meilleures préventions soient bien mises en oeuvre, en lien avec la philosophie d'une vie autonome. Quand on vit très âgé, il faut éviter d'aller à l'hôpital par tous les moyens, car on sait que cela se termine très mal. Au bout de huit jours, les personnes âgées commencent à déprimer. Elles ne mangent plus au bout de quinze jours et, au bout de trois semaines, ont perdu l'autonomie résiduelle qui était la leur à leur arrivée.
Cela montre pourquoi il faut mettre en oeuvre ce nouveau risque et cette nouvelle branche. Je milite pour cela.
Bien sûr, il faut revoir le taux d'encadrement dans les Ehpad, mais l'amélioration passe selon moi par la redéfinition du modèle. Le conseil de la CNSA est en discussion permanente avec les directeurs d'établissement et les associations de personnes âgées. Je crains que ce modèle n'ait un peu de « plomb dans l'aile » après le coronavirus.
Des personnes âgées, en Corrèze ou ailleurs, vivent dans de bonnes conditions, dans des Ehpad bienveillants, proches de chez eux, avec des personnels formidables, et il faut bien sûr soutenir le taux d'encadrement mais, pour autant, le modèle des Ehpad est néanmoins un modèle de la relégation. Relisons l'avis du Comité consultatif national d'éthique sur ce sujet : il est privatif de liberté !
Il faut qu'il se transforme en un modèle domiciliaire, tout à la fois pour modifier ses usages, ses modes de fonctionnement, mais aussi pour venir en soutien au domicile et aux acteurs qui interviennent chez les gens. Il ne s'agit pas d'envoyer l'Ehpad à la maison, mais d'en faire de véritables plateformes-ressources. C'est dans ce cadre qu'il faut penser les besoins en personnel, leurs qualifications, leurs rémunérations et leurs taux d'encadrement. Il faut maintenir le modèle existant parce qu'on le lui doit, mais ne prorogeons pas hors de propos un modèle dont les Français ne veulent pas. Il suffit de les interroger.
À la sortie de cette crise, il y aura moins de clients en Ehpad qu'avant. C'est d'ailleurs l'un des sujets que doit traiter la CNSA pour compenser le manque à gagner des établissements qui, du fait des décès d'une part et de l'absence de désir d'y entrer d'autre part, se trouvent dans une impasse en termes de financement.
Pour ce qui concerne les questions qui touchent au financement du cinquième risque, Mme Apourceau-Poly objecte qu'il va déjà y avoir une prorogation de la CRDS. Ce n'est pas une augmentation, mais une date d'extinction de la CADES au 31 décembre 2033 pour cause d'augmentation de la dette à apurer. Il n'existe que deux solutions : soit on allonge l'horizon d'extinction, soit on augmente les recettes de la CADES, qui sont d'origine fiscale. On peut faire les deux, mais il n'existe fondamentalement que deux voies. Le Gouvernement a choisi celle de l'allongement.
Pour être honnête, je ne vois pas comment on aurait pu soutenir l'idée qu'il fallait augmenter les prélèvements obligatoires à la sortie de la pandémie de la Covid-19, avec des citoyens en grande précarité, ayant perdu leur emploi ou n'ayant toujours pas retrouvé une vie normale.
Je veux rappeler ici la largeur de l'assiette de la CSG, qui permet d'obtenir 2,3 milliards d'euros en 2024. C'est une CSG qui porte sur énormément de revenus, dont les revenus du capital, les oeuvres d'art, les chevaux, etc. Elle a, à mes yeux, le mérite d'être juste au sens où tout le monde y contribue. Je pense donc que cette disposition est plutôt raisonnable et liée à l'obligation d'apurer la dette sociale. L'idée d'une contribution sur les revenus financiers est un débat légitime, mais on trouve déjà dans les recettes de la CRDS et de la CSG une contribution de ces revenus à la CADES.
Je voudrais revenir sur la question de la tutelle. La branche ayant des tutelles multiples - solidarité, santé, comptes publics, cohésion des territoires, intérieur, justice -, elle sera capable de contribuer à un pilotage équilibré des compétences des départements, auxquelles je suis particulièrement attachée, qui sont totalement incontournables concernant les politiques de l'autonomie.
Les tutelles peuvent également enjoindre aux ARS d'entrer enfin dans des fonctionnements agentiels dans lesquels elles auraient dû investir bien plus qu'elles ne l'ont fait. Chaque fois que les ARS se considèrent comme des organes déconcentrés de la DGCS, cela fonctionne moins bien que lorsque des directions générales éclairées - il y en a - se voient comme les gestionnaires d'une agence ouverte sur les territoires et capable de dialoguer avec les présidents de conseils départementaux, chefs de file de ces politiques de l'autonomie.
Enfin, s'agissant de l'assurance, que je n'ai pas évoquée dans mon intervention liminaire, et à propos de laquelle je n'ai pas répondu à Bernard Bonne, on ne peut selon moi, dès lors qu'on est dans une logique de branche, considérer la question comme un élément constitutif. Soit on crée une branche de sécurité sociale et on raisonne dès lors dans l'épure de la protection sociale, soit on entre dans une autre dynamique et c'est un autre projet.
Ce qui nous est proposé d'étudier ici, c'est effectivement une logique de protection sociale. Cela ne signifie pas que la dimension assurantielle doit être absente de la réflexion. Vous m'avez peut-être déjà entendu le dire : pour moi, la question de l'assurance doit être réorientée vers une partie du risque qui a besoin de cette approche, notamment lorsque la question du choix de la personne est déterminante.
Si je veux avoir le choix entre transmettre ma maison ou l'utiliser pour payer mon hébergement en cas de perte d'autonomie, je dois être solvable. Pour organiser cette solvabilité, en particulier en matière d'hébergement, je peux faire le choix de m'assurer. On peut même imaginer - et j'aimerais beaucoup avoir ce débat avec les assureurs - pouvoir bénéficier d'une dimension assurantielle grâce à une forme de fonds garantie, sans que ce soit lourd pour les Français.
Les Français attendent de la solidarité nationale qu'elle soit au rendez-vous en matière de santé et d'autonomie. En revanche, ils peuvent rester libres s'agissant de leur choix de vie privée, concernant la manière dont ils se logent ou dont ils décident de conduire leur vie. On peut toutefois les y aider en veillant à ce que les assurances des groupes de protection sociale ou des mutuelles, avec rente d'appui, etc., ne soient pas réservées aux seuls citoyens qui en ont les moyens.
Le débat, me semble-t-il, doit être recentré sur cette idée de choix, de droit d'option, et sur les aspects de la politique de l'autonomie.