J'ai proposé de longue date d'étendre le périmètre des LFSS aux régimes complémentaires de retraite et à l'assurance chômage. La Cour des comptes a repris cette idée. Cela se justifie totalement ; je le rappelle dans un article à paraître dans le numéro de la revue Droit social de juillet prochain. Il est normal que ces régimes entrent dans le périmètre des LFSS. En outre, il n'y aurait pas à modifier la loi organique, car celle-ci ne définit pas la notion de sécurité sociale.
On devrait inclure les retraites complémentaires et l'Unedic dans ces lois, pour des raisons non seulement politiques, mais surtout juridiques.
Les prélèvements qui financent l'Unedic sont une part de la CSG, en vertu de la réforme funeste que j'ai dénoncée précédemment, et des contributions patronales à l'assurance chômage. Or ces contributions ont été qualifiées par le Conseil constitutionnel de prélèvements ayant la même nature que les cotisations de sécurité sociale. Par conséquent, l'Unedic est financée par des prélèvements obligatoires, qui sont de même nature que les cotisations de sécurité sociale, lesquelles entrent dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale. Il paraîtrait donc tout à fait normal d'introduire les comptes de l'Unedic dans le périmètre de ces lois.
Pour ce qui concerne les régimes complémentaires, ceux-ci ont été créés sur l'initiative des partenaires sociaux - en 1947 pour l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et en 1961 pour l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco) - parce que le législateur avait plafonné l'assiette du financement de la sécurité sociale en 1945, dans le seul but de créer une part de marché pour les assureurs privés. C'est ce que mon maître, M. le professeur Jean-Jacques Dupeyroux, appelait le « Yalta de la sécurité sociale » : le « monde socialiste » sous le plafond et le « monde libéral » de l'assurance privée au-dessus du plafond.
Les partenaires sociaux ont donc occupé le terrain, en créant les régimes complémentaires, mais ceux-ci ont été rendus obligatoires par une loi de 1972 ; en outre, ces régimes et le régime de base sont interdépendants, car les systèmes complémentaires sont obligés de suivre l'évolution des régimes de base ; en effet, on voit mal des salariés partir avec leur retraite de base et attendre leur partie complémentaire. Les deux systèmes sont donc liés et il est absolument certain que ces régimes devraient figurer dans les lois de financement. En outre, ces régimes sont considérés par le droit européen comme des régimes de sécurité sociale bénéficiant de l'autorisation de monopole et dérogeant au droit des assureurs privés.
Pour ces deux raisons, on devrait étendre le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale, afin que celles-ci deviennent des lois de financement de la protection sociale. Cela dit, si le changement de terme nécessite une révision constitutionnelle, le changement de champ n'implique aucune réforme, parce que la loi organique ne définit pas la notion de sécurité sociale. Le législateur serait donc parfaitement fondé à juger, de lui-même, qu'il peut élargir le champ de ces lois aux régimes complémentaires et à l'Unedic.
J'en viens au FRR : juste avant sa création, une dette des régimes vieillesse avait été transférée de l'Acoss vers la Cades. Celle-ci, qui est financée par la CRDS, un impôt de solidarité, devait donc financer, à son tour, un excès de dépenses provenant de l'assurance du revenu professionnel. Il s'agissait, selon moi, d'une erreur économique et sociale.
Et tandis que la Cades empruntait pour rembourser cette dette, le FRR devait, quant à lui, accumuler des réserves et les placer sur les marchés financiers afin de couvrir d'éventuels déficits du même régime ! Or, lorsque les courbes de taux sont normales, les placements rapportent moins que ce que coûtent les emprunts... Il est arrivé que le Fonds bénéficie d'un taux de rendement supérieur au coût de refinancement de la Cades, mais la situation fut exceptionnelle.
On annonce désormais le remboursement de la dette de la Cades par une partie des réserves du FRR, une opération logique. Mais il y a un problème pour Bercy : contrairement à la CSG, impôt qui n'a pas d'affectation particulière, la CRDS a été créée spécifiquement pour rembourser la dette sociale. En vertu du principe de nécessité de l'impôt, le Conseil constitutionnel pourrait donc juger que la réaffectation de cette contribution sur un autre poste viole une obligation constitutionnelle.
Le ministère des finances tient à ce que la CRDS perdure : si la dette sociale venait à s'éteindre, il faudrait en effet créer une nouvelle contribution, décision difficile à assumer politiquement.
S'agissant des relations de l'assurance maladie et des ARS, la situation est absurde. L'assurance maladie, qui finance à plus de 90 % la dépense hospitalière, n'a pas son mot à dire sur la gestion des hôpitaux, même si elle a des représentants au sein des ARS. Mais ces agences ne sont que des « préfets sanitaires » : elles représentent le ministre au niveau régional. Il ne s'agit en aucun cas de décentralisation administrative, mais de déconcentration politique. Les arbitrages sont faits par des représentants de l'État, qui prennent des décisions touchant l'activité des établissements non pas dans l'intérêt des finances de l'assurance maladie et des assurés sociaux, mais selon des critères sociaux de politique salariale.
Les ARS ne peuvent donc pas procéder aux arbitrages qui seraient financièrement rationnels. Une réforme logique serait qu'elles passent sous la tutelle de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam). Voici le schéma que je propose : le Parlement vote un Ondam par secteur - hôpitaux, médecine de ville, etc. -, puis assigne cette enveloppe à l'Uncam. Celle-ci deviendrait ainsi une véritable agence, au sens non pas français, qui est dévoyé, mais anglo-saxon du terme : elle aurait un véritable mandat de gestion pour une durée donnée, par exemple cinq ans, à charge pour elle d'arbitrer entre les différentes catégories d'offreurs de soins. Enfin, les ARS rendraient compte devant l'Uncam.
La loi Bachelot, qui a changé les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) en ARS, a étendu leurs compétences, lesquelles vont désormais des hôpitaux à la médecine de ville. C'est absurde : alors que la loi Douste-Blazy avait précédemment renforcé les pouvoirs du directeur de l'Uncam vis-à-vis des directeurs de caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), notamment pour négocier avec les syndicats des professionnels de santé, dans le même temps, ces caisses sont sous la tutelle des ARS...
Les CPAM sont donc placées sous une double tutelle, qui peut s'avérer contradictoire. Or il faudrait une unité de gestion. Pour résoudre le problème, certains énarques proposent que l'État reprenne totalement la main sur l'assurance maladie, le pilotage étant assuré par le ministère. Je considère qu'une telle réforme serait catastrophique. Je préconise qu'un mandat de gestion soit confié à l'Uncam, les ARS passant sous le giron de celle-ci. Le directeur de l'Uncam répondrait devant un conseil d'administration composé de représentants des partenaires sociaux. Il s'agirait d'une véritable démocratie sociale.
M. Cardoux évoquait le projet de 1945, qui ne correspond ni au modèle anglais ni au modèle allemand. Le père de cette sécurité sociale française était le conseiller d'État Pierre Laroque, qui a rédigé les deux principales ordonnances, signées par le ministre Alexandre Parodi. Selon le parti communiste, le ministre Ambroise Croizat serait le fondateur de la sécurité sociale ; c'est historiquement faux. Mais je ne fais pas ici de politique, car j'ai beaucoup de respect pour tous les partis.
Selon Pierre Laroque, la conception britannique du modèle social tendait à donner à tous un minimum uniforme et vital. Lui défendait une autre conception, visant à proportionner les cotisations et les prestations au revenu perdu. Ce principe doit perdurer pour ce qui concerne l'assurance vieillesse : aucune réforme ne doit conduire à réduire au plus bas niveau ces prestations et à saborder le système par répartition pour faire place à des régimes de capitalisation.