Contrairement à M. Trump, je ne crois pas que les faits varient en fonction des opinions politiques. Les ordonnances de 1945 ont bien été rédigées par Pierre Laroque et publiées sous la signature de M. Alexandre Parodi : ce sont des faits vérifiables, et non des opinions. M. Croizat a succédé à M. Parodi après la publication de ces ordonnances. Pour autant, je n'ai pas dit que le parti communiste n'avait pas lutté pour que soit créée la sécurité sociale. Il a beaucoup pesé dans les débats, et il faut lui en rendre hommage.
M. Croizat, qui a été ministre jusqu'en 1947, a, quant à lui, validé une loi entérinant la diversité des régimes, alors que le projet originel était la création d'un régime général et universel qui aurait couvert l'ensemble de la population. Je suis universitaire, mon rôle consiste à lire les textes et je pourrai vous adresser les preuves de ce que j'avance.
Madame Apourceau-Poly, la prise en charge des dettes par la BCE existe d'ores et déjà. Cette banque rachète sur le marché secondaire les titres émis par les États et revendus par les banques. Je me félicite qu'elle ait adopté une telle politique, mais, d'un point de vue juridique, il s'agit d'une monétisation de la dette publique. Il n'y a en effet aucune différence entre l'achat direct effectué par la Réserve fédérale des États-Unis ou la Banque centrale du Royaume-Uni, et le rachat sur le marché secondaire. C'est aussi l'analyse du tribunal constitutionnel allemand, qui y voit une atteinte aux traités européens.
Une reprise directe de la dette par la BCE serait contraire à la lettre des traités. Pour le moment, elle mène une politique ambiguë, mais qui aboutit au résultat que vous souhaitez : elle permet aux États de se financer sur les marchés autant qu'ils le souhaitent, et à des taux négatifs. Deux raisons à cela : les banques et les sociétés d'assurance ont des obligations prudentielles les contraignant à détenir des titres publics ; la BCE se porte garante du rachat de ces titres. Si la BCE n'agissait pas ainsi, les États devraient contracter des emprunts à des taux très élevés.
Monsieur Daudigny, vous regrettez que l'on ne se donne pas les moyens de réformer le financement de la santé en empruntant via le budget de l'État. Mon point de vue est légèrement différent : il n'y a pas en France de problème de financement des dépenses de santé. Notre taux de dépenses sociales est le premier au monde et nous dépensons 11 % du PIB pour la santé, comme l'Allemagne ; or ce pays ne connaît pas de déficit de l'assurance maladie, finance ses hôpitaux sans problème et a mieux géré que la France la crise du coronavirus.
Le blocage français a pour origine non pas le manque de moyens des hôpitaux, mais le statut des établissements. En Allemagne, les hôpitaux sont dotés d'un statut de droit privé et leurs agents sont des salariés. C'est le cas, aussi, des caisses d'assurance maladie françaises : depuis 1945, elles sont des organismes de droit privé en charge d'un service public administratif, et leurs personnels sont salariés. Les fondateurs de la sécurité sociale, y compris le partir communiste et les syndicats, ne souhaitaient pas qu'elles soient gérées par des représentants de l'État !
Si les hôpitaux avaient un tel statut, leurs directeurs auraient des marges de manoeuvre plus importantes, une plus grande capacité de gestion. Plusieurs de ces directeurs ont d'ailleurs appelé à ce changement. Notons que les caisses nationales de sécurité sociale créées par les ordonnances Jeanneney de 1967, qui ont un statut d'établissement public, se sont vu reconnaître par le législateur le droit d'employer, à l'instar des caisses de base, des salariés. Je ne comprends pas que l'on ne transpose pas ce modèle aux hôpitaux. Les directeurs ainsi que l'ensemble du personnel soignant et des agents administratifs y gagneraient en termes de souplesse de gestion. Les établissements seraient beaucoup plus réactifs et pourraient faire face aux crises aussi efficacement qu'en Allemagne.
Le nerf de la guerre sanitaire est non pas l'argent, mais le statut des acteurs du soin. Il faut modifier radicalement les relations des professionnels de santé et des ARS avec l'assurance maladie, ainsi que le statut des hôpitaux publics. Et ce n'est pas de la politique !