Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 22 juin 2020 à 17h00
Sortie de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui à la vigilance, nous avez-vous dit, monsieur le ministre, mais non à l’état d’urgence. Nous avons bien compris votre approche et votre raisonnement.

Autorisez-moi cependant à poser une première question : ce texte est-il nécessaire ? Les mesures de droit commun, prévues notamment à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, permettent-elles, ou non, de répondre aux questions qui sont posées à l’exécutif ? J’estime pour ma part que la réponse serait plutôt oui.

Avant d’entrer dans ce débat introduit par le président de la commission des lois sur le fondement juridique de ces mesures, permettez-moi de formuler une observation préalable.

J’ai été élu sénateur en 2014. Pendant près de la moitié de mon mandat, nous avons vécu sous le régime de l’état d’urgence, celui-ci ayant été prorogé à sept reprises dans le cadre de l’état d’urgence lié au terrorisme, et deux, voire trois fois si l’on interprète ce texte comme une prorogation déguisée, dans le cadre de la crise sanitaire.

Ce qui est normalement l’exception devient donc une forme de règle, ou en tout cas de situation continue. C’est un vrai sujet pour notre société, monsieur le ministre. Et c’est pourquoi je m’interroge sur la nécessité des mesures auxquelles vous nous demandez de consentir.

Philippe Bas, notre président de la commission des lois, estime – nous en avons largement discuté ce matin – que ce texte est une prorogation de l’état d’urgence qui ne dit pas son nom, et qu’en aucun cas il ne met fin à cet état d’urgence.

Je le regrette, car je n’en vois pas l’utilité, dans la mesure où les dispositions que vous nous demandez de vous accorder sont déjà prévues à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, dès lors, comme l’a indiqué le président Bas, que l’état d’urgence est déclaré. Dont acte !

Nous avons pourtant fait preuve d’anticipation, mes chers collègues, lors de nos travaux sur les dispositions de la loi du 23 mars 2020, puisque, par son article 2 complétant l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, nous avons expressément donné au ministre de la santé la totalité des pouvoirs faisant l’objet des dispositions qui nous sont présentées.

Ce fondement juridique est-il suffisamment solide ? La question était implicite dans l’intervention du président de la commission des lois. Il peut en effet paraître excessif d’accorder de telles possibilités de restriction des libertés au ministre de la santé. C’est d’ailleurs pourquoi, dans la période récente, le Premier ministre a pris des décrets donnant un effet juridique aux dispositions prises par le ministre de la santé.

J’estime pour ma part que la réponse est oui. Si l’article L. 3131-1 vous accorde des pouvoirs très larges, qui ont pu interroger le Conseil d’État, monsieur le ministre de la santé, c’est « afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ». Cela m’apparaît donc normé.

En bref, mes chers collègues, l’exécutif a aujourd’hui les moyens d’agir pour répondre, si ce malheur se produisait, à une nouvelle situation de pandémie ou de crise de Covid-19. Il ne m’apparaît donc pas que nous avons besoin de l’article 1er, tel qu’il nous a été présenté.

Or une loi inutile est par définition une loi bavarde. Je n’irai pas jusqu’à dire, comme on a pu le lire dans de nombreuses interventions dans la presse, que c’est une loi liberticide – je ne vous prête pas ces intentions, monsieur le ministre. En revanche, c’est une loi dérogatoire, et à mon sens inutilement dérogatoire.

Mes chers collègues, nous sommes dans une situation institutionnelle de très grand déséquilibre entre les pouvoirs de l’exécutif et ceux de nos assemblées. Les vieux principes de Montesquieu ont été amplement remis en cause. Je ne vois donc pas de motif de renforcer encore les pouvoirs de l’exécutif, et cela d’autant moins – pardonnez-moi d’être direct, monsieur le ministre – que notre pays a été largement suradministré dans la période récente.

Autant je crois aux vertus de la médecine, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et au rôle des médecins sur le terrain et dans les différents établissements pour lutter contre les pandémies, autant je ne suis pas certain que la saturation d’ordonnances et de dispositions juridiques soit le meilleur moyen d’y contribuer, sauf à confondre l’ordre public sanitaire et l’ordre public tout court.

Au reste, d’autres pays sont arrivés à de bons résultats en adoptant une approche plus pragmatique. Je n’en dis pas plus sur ce sujet, mais j’y suis particulièrement sensible.

Pour finir, j’en viens à l’article 2 et au fichier épidémiologique. Si j’approuve à la fois l’objectif de recherche épidémiologique et le passage par l’anonymisation, évitons de perdre toute mémoire, mes chers collègues ; la loi du 11 mai n’est tout de même pas si ancienne !

Lors de nos débats, nous avons été un certain nombre à nous opposer au projet de fichier centralisé que vous nous présentiez. Pour nous, la création d’un tel fichier ne pouvait être justifiée que par sa vocation épidémiologique, autrement dit, s’il rassemblait les différents éléments d’information sur la situation du patient, et à condition qu’il soit anonyme.

Or les présidents des commissions des lois et des affaires sociales, ainsi que M. Retailleau et vous-même, monsieur le ministre, nous ont expliqué que l’on avait absolument besoin de ce fichier pour casser les chaînes de contamination, mais que la ligne rouge était justement de ne pas lui donner un caractère épidémiologique par la réunion d’autres données. Cela figure même dans le petit compte rendu qui a été réalisé à l’issue de notre vote.

Ce fichier devient aujourd’hui totalement épidémiologique, et bien sûr anonyme. Je vous donne volontiers acte de cette modification, qui correspond à ce que nous avions souhaité. Mais de grâce, ne perdons pas la mémoire des choses ! Ce revirement explique d’ailleurs la grande perplexité de l’Ordre national des médecins, qui s’est senti en quelque sorte mené en bateau, si j’ose dire.

En conclusion, mon groupe s’exprimera avec sa liberté habituelle. Toutefois, à titre personnel, vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à l’article 1er, tout en étant favorable à l’article 2.

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