Séance en hémicycle du 22 juin 2020 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 17 juin a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire (projet n° 537, texte de la commission n° 541, rapport n° 540).

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, il vous est demandé de n’occuper qu’un siège sur deux ou, à défaut, de porter un masque.

Je rappelle que l’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection avant et après chaque séance et que les micros seront désinfectés après chaque intervention. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité.

Je rappelle également que les sorties devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.

Je rappelle enfin que, afin de limiter la circulation des documents, vous êtes invités à utiliser vos tablettes et la fonctionnalité « En séance » sur notre site internet pour prendre connaissance du dérouleur et des amendements. Des liasses resteront à votre disposition, à la demande.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de mars dernier, une situation exceptionnelle a justifié l’instauration d’un régime exceptionnel.

Il le fallait, et nul ne pense aujourd’hui que cet état d’urgence sanitaire était au mieux une option regrettable, au pire une fantaisie catastrophiste. Il l’était d’autant moins qu’il a été scrupuleusement travaillé, amendé, enrichi par les représentants de la Nation, car, quelles que soient les épreuves que nous traversons, notre arme la plus efficace demeure la démocratie.

L’état d’urgence sanitaire expirera le 10 juillet prochain. La fin de l’état d’urgence signifie-t-elle la fin de l’épidémie ? J’aimerais vous dire que oui. J’aimerais vous dire que le pire est derrière nous et que nous pouvons sans crainte retrouver une vie qui soit sereine, à défaut d’être insouciante… Mais ce serait malheureusement irresponsable. Les indicateurs sont certes rassurants, mais nous devons tous rester vigilants.

Le Gouvernement ne demandera pas une seconde prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui prendra donc fin comme prévu le 11 juillet prochain. La sortie de l’état d’urgence doit toutefois être organisée, parce que la prudence reste de mise et que de nombreuses mesures garderont toute leur pertinence dans les mois à venir.

Le choix éthique que nous devons faire est celui de la responsabilité. Si l’intégralité des mesures de l’état d’urgence sanitaire n’est plus justifiée, il ne faut pas nous bercer d’illusions et faire comme si les risques de redémarrage de l’épidémie n’existaient pas. Ces risques existent bel et bien, et une sortie précipitée de l’état d’urgence sanitaire ne ferait qu’augmenter leur poids.

Les deux articles de ce projet de loi ont fait l’objet de débats nourris à l’Assemblée nationale, qui a adopté plusieurs modifications. La durée du régime transitoire, initialement prévu jusqu’au 10 novembre, a été raccourcie au 30 octobre.

Par ailleurs, ce régime transitoire conserve des mesures dont la pertinence est indiscutable, y compris pour ceux qui ne sont pas épidémiologistes – nous sommes encore nombreux dans ce cas !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

L’application de la plupart des autres mesures prévues pendant l’état d’urgence sanitaire restera possible, mais dans les conditions du droit commun du code de la santé publique ou du code de commerce, notamment pour ce qui concerne la réglementation des prix.

Si le retour du droit commun marque la fin de l’exception, et nous en sommes heureux, vous aurez compris qu’il ne doit pas marquer la fin de la vigilance.

L’ensemble du dispositif devra en tout état de cause être réexaminé, puisque vous avez prévu qu’il deviendra caduc à compter du 1er avril 2021. Il faudra alors le repenser ensemble, à la lumière de l’expérience acquise, en espérant de tout cœur que ce virus aura alors trouvé sa place dans les livres d’histoire et qu’il aura complètement disparu de notre quotidien.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la sortie de l’état d’urgence que nous construisons dans ce projet de loi n’est pas une sortie sèche, parce que nous ne voulons pas faire comme si nous étions définitivement à l’abri du risque épidémique. Rien ne serait pire que la précipitation : ce serait tout à la fois oublier bien vite les semaines terribles que nous venons de connaître et augmenter le risque d’en connaître à nouveau.

Je crois d’ailleurs que les Français sont sensibles à ce point. J’en veux pour preuve les nombreuses réactions de nos compatriotes, qui se sont émus des regroupements de population parfois importants dans les rues de la capitale à l’occasion de la fête de la musique, alors même que les restrictions de circulation continuent de s’appliquer et que nous n’avons de cesse de rappeler que le respect des règles de distanciation sociale et, le cas échéant, le port du masque sont toujours importants pour assurer la protection de tous les Français.

L’état d’urgence sanitaire a été voté dans cet hémicycle, et je sais que vous vous êtes toujours montrés, à juste titre, très vigilants et exigeants.

L’état d’urgence sanitaire a eu des conséquences lourdes, très lourdes, notamment sur notre économie. Le Président de la République n’a pas manqué de rappeler que nous avions fait passer la santé avant le reste, « quoi qu’il en coûte ». Si c’était à refaire, nous ne ferions pas autre chose, car des vies étaient en jeu. Dans cette épreuve de vérité collective, nous avons affirmé nos valeurs les plus fondamentales.

Permettez-moi, avant de conclure, d’évoquer l’article 2. Je vous remercie des mots que vous avez eus dans votre rapport, monsieur Bas. L’utilité de prolonger la durée de conservation des données pseudonymisées pour la recherche et la veille épidémiologiques est bien réelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous avions quelques points de désaccord, je reconnais et salue le travail constructif de la commission et vous remercie de donner au Gouvernement les moyens d’agir pendant cette phase nouvelle de gestion de la crise qui s’ouvrira à compter du 11 juillet prochain.

La santé de nos concitoyens et les solidarités pour que chacun soit protégé : telles sont les valeurs fondamentales que le Gouvernement a défendues pour notre Nation ces dernières semaines. Si certaines décisions coûtent, il y a des enjeux qui n’ont pas de prix. L’état d’urgence sanitaire va prendre fin, mais notre vigilance doit demeurer intacte, et elle le restera.

M. Julien Bargeton applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d ’ administration générale, rapporteur . Monsieur le président, je suis très heureux de retrouver cette tribune, qui nous a manqué au cours des derniers mois !

Marques d ’ assentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le ministre, je vous remercie des explications que vous nous avez apportées. Mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver pour ce débat très important.

Monsieur le ministre, la commission des lois s’est réunie ce matin. Nous travaillons dans des conditions extrêmement tendues. Nous avons déjà accepté de le faire pour faire aboutir la loi du 23 mars dernier, puis celle du 11 mai dernier. Nous espérions que la sortie de l’état d’urgence sanitaire justifierait que le Parlement dispose de davantage de temps pour se concentrer sur sa mission et tenter, quand c’est possible, d’améliorer les textes qui lui sont proposés.

Nous constatons qu’il n’en est rien. Si cela ne nous a pas empêchés de travailler, l’ordre du jour prioritaire nous contraint à le faire dans des conditions telles que nous nous inquiétons de la qualité du travail que nous pourrons fournir.

Vous nous présentez ce texte comme organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Nous ne faisons pas la même interprétation de la rédaction proposée par le Gouvernement, puis confirmée par l’Assemblée nationale.

À l’article 1er, nous avons considéré que vous repreniez les mêmes pouvoirs que ceux qui vous ont été accordés par le Parlement du fait de l’état d’urgence sanitaire dans les trois domaines qui ont fait l’objet de vos décisions les plus nombreuses durant celui-ci : la liberté d’aller et venir et les conditions de circulation, l’ouverture des établissements recevant du public et la liberté de manifestation et de réunion.

Or il est tout de même singulier que, sur ces trois sujets, vous ayez repris les termes mêmes de la loi du 23 mars, tout en affichant une sortie de l’état d’urgence. De plus, sous couvert de sortie de l’état d’urgence, vous demandez la prorogation de ces pouvoirs pour une durée de quatre mois, alors que la précédente prorogation que nous avons consentie était d’une durée de deux mois.

Cette prorogation est donc doublement étonnante, d’une part parce qu’elle ne dit pas son nom, et, d’autre part, parce qu’elle porte sur une durée deux fois plus importante que la dernière prorogation que nous avons consentie.

Naturellement, ce n’est pas parce que vous réclamez les mêmes pouvoirs que ceux qui vous ont été accordés lors de l’état d’urgence sanitaire sur les sujets les plus sensibles pour les libertés individuelles et publiques que vous entendez prendre des mesures aussi radicales que celles qui ont été prises à l’époque, à commencer par le confinement.

Toutefois, même si nous devons rester prudents et vigilants sur toute régression en la matière, il reste que la situation sanitaire s’améliore. Il paraît donc très difficile de justifier, y compris devant le juge des libertés fondamentales qu’est le Conseil constitutionnel, le maintien sans le dire des pouvoirs étendus qui ont été conférés au Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire… C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire d’examiner les choses de plus près.

Nous avons décidé de substituer à l’article 1er des dispositions qui nous semblent exactement proportionnées à vos besoins. Il vous reviendra de nous dire si nous y sommes parvenus, car il faut naturellement que vous puissiez amener progressivement à la sortie de l’état d’urgence en disposant des moyens qui vous seront nécessaires. Il n’est pas question pour nous de vous les marchander.

Nous tenons simplement à vous rappeler que, en matière de libertés essentielles, il n’y a aucune raison que le législateur vous autorise à faire plus que ce qui vous semble à vous-même nécessaire et que nous pourrions approuver après discussion avec vous.

Cette discussion n’a pas pu avoir lieu la semaine dernière en commission compte tenu de votre emploi du temps ; elle interviendra donc aujourd’hui.

Les dispositions que nous avons adoptées nous paraissent amplement suffisantes pour permettre de sortir de l’état d’urgence dans de bonnes conditions, tant en matière de liberté de circulation que d’ouverture des établissements recevant du public ou encore de droit de manifester.

Concernant ce dernier, le Conseil d’État, dans le cadre de son rôle de juge de l’excès de pouvoir, a d’ailleurs indiqué au Gouvernement qu’un certain nombre de mesures prises étaient disproportionnées à la situation sanitaire telle que le Gouvernement lui-même l’a décrite – en la matière, nous n’avons pas de meilleures informations que celles que vous nous apportez. Nous avons donc voulu circonscrire exactement vos pouvoirs.

Par ailleurs, nous pensons qu’il faut accorder une attention particulière à la situation de certaines collectivités telles que la Guyane et Mayotte.

Certains élus de Mayotte contestent la nécessité de reconduire l’état d’urgence sanitaire. Nous acceptons cette reconduction, tout en vous rappelant que si les conditions qui justifient l’état d’urgence sanitaire à Mayotte et en Guyane devaient fort heureusement disparaître, rien ne vous imposerait alors de maintenir cet état d’urgence sanitaire localement pendant les quatre mois qui vous seront accordés pour agir.

Nous vous faisons évidemment confiance pour ajuster vos décisions aux réalités. Si toutefois l’action publique se prolongeait au-delà de la période nécessaire, dans un état de droit tel que le nôtre, où la juridiction administrative exerce un contrôle sur les mesures de police, des recours pourraient intervenir.

Nous avons également voulu maintenir l’équilibre trouvé lors des travaux de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions sur les mesures que l’on appelle par commodité « mesures de quarantaine », mais qui sont devenues mesures de quatorzaine, puis – si vous me permettez ce néologisme – mesures de septaine.

Nous aurons à débattre des modifications que nous avons adoptées afin de faciliter les voyages entre l’outre-mer et la métropole, tout en assurant la plus grande sécurité sanitaire possible.

Au mois de mai dernier, nous avions rappelé que les tests de dépistage ne sont pas infaillibles, car, pendant une partie de la période d’incubation, la présence du virus chez un individu ne peut être détectée. C’est pourquoi nous avions alors privilégié des mesures de quatorzaine pour les personnes prenant l’avion.

Nous accepterons aujourd’hui des mesures de dépistage par test, car nous considérons que l’amélioration de la situation sanitaire justifie un système moins protecteur.

Nous avons eu une discussion assez longue sur votre souhait de prolonger les durées de conservation des données recueillies dans le cadre des systèmes d’information pour le dépistage de la maladie.

Le travail réalisé par l’Assemblée nationale, qui a restreint la portée du texte que vous aviez proposé, nous paraît satisfaisant. La rédaction retenue permettra en effet aux épidémiologistes de travailler sur des données pseudonymisées, pour reprendre un terme très élégant, sans pour autant que des données directement identifiantes soient divulguées.

Nous accepterons de prolonger la durée de conservation des données à cette fin, mais sous forme d’exception à la règle que nous avons voulu poser, selon laquelle la durée de conservation ne peut en principe excéder trois mois.

Tels sont les équilibres que nous avons recherchés, monsieur le ministre. En démocratie, il faut dire les choses telles qu’elles sont : ce texte n’était pas un texte de sortie de l’état d’urgence, mais un texte de prorogation des principales mesures de l’état d’urgence. Si le Sénat est suivi, ce sera un texte de sortie de l’état d’urgence.

Nous sommes allés jusqu’à modifier le fameux article L. 3131-1 du code de la santé publique, afin de doter le ministre de la santé, voire le Premier ministre, ou encore les préfets, d’une base juridique solide, dont vous ne disposiez pas avant le 23 mars dernier et dont vous ne disposerez plus quand l’état d’urgence sanitaire sera levé.

Nous avons donc eu le souci de contribuer à la sécurité sanitaire, tout en veillant, comme c’est le rôle du Sénat, à la préservation des libertés publiques et en ne consentant aucune restriction qui ne soit strictement justifiée par la situation sanitaire, qui elle-même, naturellement, évolue.

Enfin, il nous semble important que vous puissiez prendre des mesures plus sévères si cela est nécessaire. C’est pourquoi nous avons bien précisé que vous pouvez à tout moment prendre un décret pour déclarer l’état d’urgence sanitaire et prendre toutes les mesures auxquelles nous avons consenti au mois de mars dernier dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie d’avoir été si patient, monsieur le président. J’en ai justement terminé !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui à la vigilance, nous avez-vous dit, monsieur le ministre, mais non à l’état d’urgence. Nous avons bien compris votre approche et votre raisonnement.

Autorisez-moi cependant à poser une première question : ce texte est-il nécessaire ? Les mesures de droit commun, prévues notamment à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, permettent-elles, ou non, de répondre aux questions qui sont posées à l’exécutif ? J’estime pour ma part que la réponse serait plutôt oui.

Avant d’entrer dans ce débat introduit par le président de la commission des lois sur le fondement juridique de ces mesures, permettez-moi de formuler une observation préalable.

J’ai été élu sénateur en 2014. Pendant près de la moitié de mon mandat, nous avons vécu sous le régime de l’état d’urgence, celui-ci ayant été prorogé à sept reprises dans le cadre de l’état d’urgence lié au terrorisme, et deux, voire trois fois si l’on interprète ce texte comme une prorogation déguisée, dans le cadre de la crise sanitaire.

Ce qui est normalement l’exception devient donc une forme de règle, ou en tout cas de situation continue. C’est un vrai sujet pour notre société, monsieur le ministre. Et c’est pourquoi je m’interroge sur la nécessité des mesures auxquelles vous nous demandez de consentir.

Philippe Bas, notre président de la commission des lois, estime – nous en avons largement discuté ce matin – que ce texte est une prorogation de l’état d’urgence qui ne dit pas son nom, et qu’en aucun cas il ne met fin à cet état d’urgence.

Je le regrette, car je n’en vois pas l’utilité, dans la mesure où les dispositions que vous nous demandez de vous accorder sont déjà prévues à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, dès lors, comme l’a indiqué le président Bas, que l’état d’urgence est déclaré. Dont acte !

Nous avons pourtant fait preuve d’anticipation, mes chers collègues, lors de nos travaux sur les dispositions de la loi du 23 mars 2020, puisque, par son article 2 complétant l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, nous avons expressément donné au ministre de la santé la totalité des pouvoirs faisant l’objet des dispositions qui nous sont présentées.

Ce fondement juridique est-il suffisamment solide ? La question était implicite dans l’intervention du président de la commission des lois. Il peut en effet paraître excessif d’accorder de telles possibilités de restriction des libertés au ministre de la santé. C’est d’ailleurs pourquoi, dans la période récente, le Premier ministre a pris des décrets donnant un effet juridique aux dispositions prises par le ministre de la santé.

J’estime pour ma part que la réponse est oui. Si l’article L. 3131-1 vous accorde des pouvoirs très larges, qui ont pu interroger le Conseil d’État, monsieur le ministre de la santé, c’est « afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ». Cela m’apparaît donc normé.

En bref, mes chers collègues, l’exécutif a aujourd’hui les moyens d’agir pour répondre, si ce malheur se produisait, à une nouvelle situation de pandémie ou de crise de Covid-19. Il ne m’apparaît donc pas que nous avons besoin de l’article 1er, tel qu’il nous a été présenté.

Or une loi inutile est par définition une loi bavarde. Je n’irai pas jusqu’à dire, comme on a pu le lire dans de nombreuses interventions dans la presse, que c’est une loi liberticide – je ne vous prête pas ces intentions, monsieur le ministre. En revanche, c’est une loi dérogatoire, et à mon sens inutilement dérogatoire.

Mes chers collègues, nous sommes dans une situation institutionnelle de très grand déséquilibre entre les pouvoirs de l’exécutif et ceux de nos assemblées. Les vieux principes de Montesquieu ont été amplement remis en cause. Je ne vois donc pas de motif de renforcer encore les pouvoirs de l’exécutif, et cela d’autant moins – pardonnez-moi d’être direct, monsieur le ministre – que notre pays a été largement suradministré dans la période récente.

Autant je crois aux vertus de la médecine, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et au rôle des médecins sur le terrain et dans les différents établissements pour lutter contre les pandémies, autant je ne suis pas certain que la saturation d’ordonnances et de dispositions juridiques soit le meilleur moyen d’y contribuer, sauf à confondre l’ordre public sanitaire et l’ordre public tout court.

Au reste, d’autres pays sont arrivés à de bons résultats en adoptant une approche plus pragmatique. Je n’en dis pas plus sur ce sujet, mais j’y suis particulièrement sensible.

Pour finir, j’en viens à l’article 2 et au fichier épidémiologique. Si j’approuve à la fois l’objectif de recherche épidémiologique et le passage par l’anonymisation, évitons de perdre toute mémoire, mes chers collègues ; la loi du 11 mai n’est tout de même pas si ancienne !

Lors de nos débats, nous avons été un certain nombre à nous opposer au projet de fichier centralisé que vous nous présentiez. Pour nous, la création d’un tel fichier ne pouvait être justifiée que par sa vocation épidémiologique, autrement dit, s’il rassemblait les différents éléments d’information sur la situation du patient, et à condition qu’il soit anonyme.

Or les présidents des commissions des lois et des affaires sociales, ainsi que M. Retailleau et vous-même, monsieur le ministre, nous ont expliqué que l’on avait absolument besoin de ce fichier pour casser les chaînes de contamination, mais que la ligne rouge était justement de ne pas lui donner un caractère épidémiologique par la réunion d’autres données. Cela figure même dans le petit compte rendu qui a été réalisé à l’issue de notre vote.

Ce fichier devient aujourd’hui totalement épidémiologique, et bien sûr anonyme. Je vous donne volontiers acte de cette modification, qui correspond à ce que nous avions souhaité. Mais de grâce, ne perdons pas la mémoire des choses ! Ce revirement explique d’ailleurs la grande perplexité de l’Ordre national des médecins, qui s’est senti en quelque sorte mené en bateau, si j’ose dire.

En conclusion, mon groupe s’exprimera avec sa liberté habituelle. Toutefois, à titre personnel, vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à l’article 1er, tout en étant favorable à l’article 2.

M. Franck Menonville applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le ministre, cette crise est d’une gravité que vous connaissez – vous l’avez beaucoup dit – et la vigilance reste nécessaire aujourd’hui encore – vous l’avez aussi beaucoup dit.

Nous ne pouvons oublier toutes les épreuves qui ont été vécues et qui sont encore vécues actuellement ; nous ne pouvons méconnaître la situation du monde par rapport à ce fléau. J’ai parfois l’impression que certains de nos compatriotes dorment sur un volcan : tout semble aller bien, mais vous savez que le virus peut toujours se réveiller.

On sait aussi que de grandes épreuves en termes d’emploi, de vie quotidienne et en termes sociaux nous attendent. Pour nous, socialistes, elles appellent – je veux le dire ici – des mesures de solidarité et de redistribution très fortes.

Venons-en au présent texte. Monsieur le ministre, celui-ci ne nous paraît pas utile, du moins pour ce qui est de l’article 1er. Finalement, de deux choses l’une : soit l’on est dans l’état d’urgence, soit on le quitte. Notre collègue député Hervé Saulignac l’a dit à l’Assemblée nationale : vous créez quelque chose de neuf. On connaissait le droit commun, on connaissait l’état d’urgence, et vous créez une sorte de pseudo-état d’urgence à géométrie variable et à durée aléatoire, donc quelque chose de bizarre.

Ce texte, vous l’avez sans doute remarqué, monsieur le ministre, est un trompe-l’œil et un faux-semblant. En effet, comme l’ont indiqué M. le président Philippe Bas et M. Bonnecarrère à l’instant, vous nous dites que l’état d’urgence sanitaire est terminé, mais, derechef, vous nous dites qu’il se poursuit, puisque vous donnez l’ensemble des prérogatives de l’état d’urgence au Premier ministre.

Aussi, la question est simple : à quoi cela sert-il et pourquoi ? Cela fait un peu penser à ces chanteurs qui ont l’habitude – certains ne l’ont jamais fait, l’un d’entre eux notamment, qui m’est particulièrement cher, mais nous en parlerons un autre jour – de faire de fausses sorties : on sort de l’état d’urgence, mais, en fait, on n’en sort pas du tout, car il continue sous une autre forme.

C’est pourquoi, comme l’ensemble de la gauche et une bonne partie de la droite à l’Assemblée nationale, nous allons nous prononcer contre ce texte et voter résolument contre l’article 1er.

Je perçois les efforts de notre président Philippe Bas pour sauver un peu, mais finalement pas grand-chose, de l’article 1er. Pour notre part, nous avons déposé un amendement tendant à le supprimer : finalement, cela clarifierait les choses que de le voter, mes chers collègues.

Par prudence, nous avions également déposé des amendements de repli, l’un pour garantir la liberté de circulation – sur ce point, M. Bas est allé à notre rencontre ou nous sommes allés à la sienne, peu importe –, un autre pour garantir l’ouverture des établissements recevant du public, un dernier, enfin, pour garantir la liberté de manifestation.

À ce sujet, je tiens à insister particulièrement sur la décision du Conseil d’État, que chacun connaît : celui-ci a rappelé que la liberté de manifestation est une liberté fondamentale garantie par la Constitution. Il est bien sûr nécessaire de veiller à respecter toutes les exigences sanitaires, mais, dès lors qu’elles le sont, cette liberté doit être garantie.

Nous avions donc déposé un amendement, que la commission ne m’a pas fait l’honneur de retenir, mais auquel nous tenons, qui visait à ce que la liberté de manifestation soit garantie derechef, dès que la loi serait promulguée. Certes, on peut discuter des dates, mais nous pensons que cet amendement a une valeur symbolique et pratique.

Au total, l’article 1er est donc inutile, et ce pour les deux raisons qui ont déjà été explicitées.

Monsieur le ministre, vous êtes trop féru de la chose parlementaire et de la loi – comme souvent, je suis très gentil ; je le suis même parfois trop, mais enfin, la vie est courte

M. Bruno Retailleau s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, rapporteur. Même nous, nous le connaissons !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Bas le connaît et l’a même précisé : c’est un point sur lequel nous sommes d’ailleurs d’accord. Monsieur Bas, nous sommes en désaccord avec votre position sur l’article 1er, mais c’était en revanche une très bonne chose que de préciser les dispositions de l’article L. 3131-1 et leurs conditions d’application à l’article 1er bis A.

Je pense, monsieur le ministre, que vous devriez en être satisfait, car cet article vous permet de prendre des décisions dont la portée est large et qui peuvent être importantes en cas de circonstances sanitaires exceptionnelles. Ceux qui ont introduit cet article savent bien qu’il existe des cas où il faut que le ministre de la santé intervienne de toute urgence : c’est prévu, et vous n’avez donc pas besoin de l’article 1er.

Par ailleurs, si vous aviez besoin de mettre en œuvre un nouvel état d’urgence, faites appel au Parlement. Nous ne sommes pas d’accord avec l’idée, qui consiste en quelque sorte à prendre une assurance pour éviter un retour devant le Parlement : s’il faut légiférer de nouveau, et même si c’est au mois de septembre, comme l’a dit tout à l’heure le président Bas en commission, nous reviendrons ! Nous connaissons les devoirs qui sont les nôtres. Vous pouvez donc saisir le Parlement et utiliser très largement cet article du code de la santé publique rénové. Notre position est à cet égard très claire.

J’ajoute quelques mots pour nos collègues de l’outre-mer et, tout particulièrement, pour Mme Catherine Conconne, qui, au nom de plusieurs de ses collègues, nous a incités à déposer un amendement pour maintenir des contrôles sanitaires, non pas aux frontières, mais pour les personnes qui souhaitent se rendre dans les territoires d’outre-mer, quand cela se justifie pour des raisons de santé publique.

Cette mesure nous semble tout à fait nécessaire, raisonnable et évidente, monsieur le ministre. Nos compatriotes d’outre-mer pensent qu’elle est utile pour que le tourisme puisse se développer – c’est une source de revenus – en toute sérénité dans leurs territoires. De même, il nous paraît nécessaire que des mesures spécifiques soient prises s’agissant de Mayotte et, surtout, de la Guyane.

Enfin, nous n’avons pas proposé la suppression de l’article 2. Nous ne serions d’ailleurs pas défavorables à une loi qui se réduirait à cet article. En effet, je dois dire que, à mon sens – je rejoins ainsi les propos de M. Bonnecarrère –, l’Assemblée nationale a fait un bon travail. Il me semble que, dès lors que le recueil des données est prolongé pour une durée très limitée et exclusivement pour des impératifs de recherche scientifique, il est raisonnable et peut être approuvé.

Voilà les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, nous pensons que ce texte n’est pas utile sous cette forme et voilà pourquoi nous serons malheureusement contraints de ne pas l’adopter.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Franck Menonville applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à l’heure où nous parlons, la vie des Français poursuit son retour vers la normalité et, avec elle, l’application des lois de la République.

Une grande part de l’activité économique a repris, avec, dès la première heure ce matin, la réouverture des cinémas, des centres de vacances et des casinos. Le retour en classe signe également la reprise de l’école républicaine obligatoire. C’est aussi, pour tous les élèves concernés, un moyen de retrouver camarades et professeurs pour clore symboliquement l’année scolaire avant les grandes vacances, après l’expérience souvent difficile du confinement.

Hier, déjà, dans les villes où elle n’avait pas été interdite, la fête de la musique a pu être célébrée, parfois avec des débordements, mais toujours dans un grand élan de liberté retrouvée, après des mois d’isolement.

Dans les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la situation sanitaire est désormais sous contrôle, à l’exception de certains territoires français d’outre-mer – je pense à Mayotte et à la Guyane où la situation est toujours préoccupante, j’y reviendrai.

Dans quelques jours, nos concitoyens seront également appelés à voter pour le second tour des élections municipales, après une période inédite de suspension de la vie démocratique locale.

Tous ces éléments laissent à penser que l’urgence sanitaire est dernière nous. Si tel est le cas, le maintien de l’état d’urgence n’est plus justifié.

Devant les juridictions, le retour à la normale ne manque pas de fragiliser les actes et les décisions pris sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire. Le 13 juin dernier, par exemple, une ordonnance de référé du Conseil d’État a suspendu la décision d’interdiction des manifestations organisées par l’association SOS Racisme et plusieurs syndicats.

Après les nombreux bouleversements que nous venons de connaître, il importe que les règles applicables soient claires et les plus stables possible, afin de ne pas ajouter aux déstabilisations qui minent déjà le pays. Le retour au droit commun doit être la norme.

Au moment de la prorogation, nous avions insisté sur l’importance du principe de proportionnalité des mesures prises par rapport aux circonstances de temps et de lieu. Certains juristes regrettaient d’ailleurs que ce principe n’ait pas été appliqué plus rigoureusement dans les zones épargnées par le virus au nom de la protection des libertés.

La lecture des dispositions du code de la santé publique par le Conseil d’État est dorénavant claire : il en résulte que, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, les manifestations et les rassemblements ne sont illégaux que si les circonstances épidémiques le justifient et aucune précaution sanitaire adaptée n’est prise. Nous aborderons l’examen de ce texte avec ce même souci de la protection des libertés.

Or l’article 1er du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui permet au Premier ministre, en même temps qu’il met fin à l’état d’urgence en France métropolitaine et dans la plupart des territoires d’outre-mer, de conserver un certain nombre de compétences au-delà de la période de l’état d’urgence, pour une période certes limitée.

La prudence du Gouvernement est compréhensible : à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus scientifique, tant ce virus demeure mystérieux. Toutefois, les dernières semaines nous permettent d’exercer une vigilance optimiste, comme au moment de la prorogation de l’état d’urgence, dont la durée avait d’ailleurs été raccourcie du 23 juillet au 10 juillet par le Sénat, une position défendue par notre collègue Joël Labbé et plusieurs membres du groupe du RDSE.

Nous étions donc a priori majoritaires à nous opposer au maintien de compétences rappelant l’état d’urgence au-delà d’une véritable urgence sanitaire.

Compte tenu de l’évolution du texte, des amendements votés à l’Assemblée nationale et de ceux qui ont été adoptés ce matin sur l’initiative de notre rapporteur, la majorité d’entre nous s’apprêtent désormais à se prononcer en sa faveur, en vue d’une sortie définitive à l’automne. L’article 1er en ressort quasiment vidé de sa substance initiale.

En définitive, nos réserves portent essentiellement sur la façon de légiférer. Cette période a considérablement affaibli l’autorité de la loi, soit en la marginalisant au profit des ordonnances, soit en comprimant le calendrier du travail législatif, menaçant d’en détériorer la qualité, soit encore en fragilisant les accords trouvés au Parlement, via la mise en discussion répétée et constante de certains sujets.

Je pense notamment à la question de l’utilisation des données personnelles à des fins de lutte contre l’épidémie. La mise en débat simultanée de deux dispositifs aux finalités différentes – prévention ou recherche scientifique – et aux modalités différentes – application ou fichier – a considérablement brouillé les échanges. Il n’était pas très respectueux du Parlement de mettre une nouvelle fois ce sujet sur la table, comme l’article 2 du projet de loi le prévoyait avant l’intervention des deux chambres.

Lorsque la crise sera véritablement derrière nous, que des traitements efficaces et des vaccins auront été trouvés, il faudra réfléchir à la multiplication de ces régimes de crise et, après avoir tenu compte d’un retour d’expérience, évaluer la pertinence de ce nouveau régime pour l’ensemble des crises sanitaires graves qui sont envisageables.

C’était une exigence déjà formulée par le radical Jacques Genton, député du Cher et rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence en Algérie : il eût été préférable, disait-il, « de légiférer à ce sujet de manière abstraite et générale, c’est-à-dire de faire une loi en une période où elle n’aurait pas eu à s’appliquer dans l’immédiat et de ne pas prendre le prétexte d’une situation spéciale et contemporaine sur un point du territoire pour provoquer une intervention législative ». Ses mots restent d’actualité.

N’oublions pas, enfin, la situation des outre-mer et les efforts que continuent de fournir ceux de nos concitoyens qui se trouvent aux confins du territoire français.

Ce n’est en réalité que le début de la fin de l’état d’urgence, pour reprendre le nom initial du projet de loi. Alors que le virus continue de circuler, cette vigilance optimiste que j’évoquais reste de mise. Aujourd’hui, elle passe essentiellement par le respect des gestes de précaution que chacun d’entre nous connaît désormais.

M. Joël Labbé applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce nouveau projet de loi, qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 et dans celui de la protection de la population face au virus, me pousse à employer un mot très utilisé au cours des différents débats sur l’état d’urgence, celui de responsabilité. Ce mot incarne une éthique, un état d’esprit qui anime ce projet de loi.

J’utilise le mot « responsabilité » comme l’employait Hans Jonas dans Le Principe responsabilité, qui décrit justement une attitude à prendre face aux crises. Cet auteur pensait plutôt aux crises écologiques, mais cette pensée sur la meilleure manière d’agir avec éthique, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, peut également s’appliquer aux crises sanitaires.

Alors que l’état d’urgence a été prorogé jusqu’au 10 juillet, il est nécessaire de créer toutes les conditions favorables à la confirmation, dans les semaines et les mois à venir, de l’amélioration de la situation sanitaire de notre pays. Pour ce faire, le texte s’articule autour de trois axes principaux.

Le premier axe consiste à instaurer un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui confère au Premier ministre et aux préfets, pour une durée limitée, certains pouvoirs de police qui demeurent une faculté d’intervention – je tiens à le souligner.

Deux questions se posaient à cet égard : tout d’abord, la situation sanitaire justifie-t-elle que des mesures spécifiques soient encore prises ? Ensuite, si l’on répond à cette première question par l’affirmative, sur quels fondements juridiques prendre ces mesures ?

Il me semble que le Gouvernement, la majorité à l’Assemblée nationale et la commission, ce matin, par la voix du rapporteur, ont plutôt répondu favorablement à la première question : oui, nous avons encore besoin de mesures spécifiques. Certes, la situation s’améliore, mais le virus continue de circuler. On connaît les chiffres : il y a encore 715 cas graves nécessitant des soins en service de réanimation, par exemple.

Le chemin que nous traçons ne peut pas nier, gâcher et entrer en contradiction avec tous les efforts préalablement accomplis, je veux parler du confinement et de l’état d’urgence sanitaire qui ont permis de réduire la vitesse de prorogation du virus, mais aussi de l’investissement sans faille de nos personnels de santé. Je dirai que nous devons à nos concitoyens, bien sûr, mais aussi et surtout à nos personnels de santé de conserver cette vigilance. Certaines situations dégradées sur une partie du territoire, ainsi que la reprise de l’épidémie à l’étranger, nous y enjoignent aussi.

Nous sommes donc tous d’accord pour dire qu’il faut rester vigilant. Une fois ce constat partagé, la question qui se posait était de savoir comment le faire : prorogation de l’état d’urgence sanitaire, retour au droit commun ou instauration d’un régime transitoire ?

Il me semble contradictoire de dire à la fois, comme l’ont fait certains d’entre vous, que la situation n’est pas stabilisée et que plus aucune mesure ne se justifie. Il faut choisir parmi les critiques : à partir du moment où la situation n’est pas entièrement stabilisée, une sortie sèche de l’état d’urgence ne paraît pas satisfaisante ni responsable, pour reprendre le mot que j’ai utilisé.

Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont donc fait le choix, confirmé par la commission ce matin, d’un régime transitoire permettant de mobiliser certains instruments jusqu’au 30 octobre.

Il n’est évidemment pas souhaitable de maintenir un même registre de contrainte pendant l’état d’urgence et après. Ce serait tout à fait illégitime. Il faut donc saluer le travail qui a été accompli : je pense à l’encadrement des pouvoirs de police du Premier ministre en matière de rassemblement sur la voie publique, par exemple, ou au fait de supprimer l’obligation de présenter les résultats d’un examen de biologie médicale pour les personnes en provenance ou à destination de territoires ultramarins, qui ne font pas partie des zones de circulation de l’infection.

Je tiens aussi à saluer la démarche de notre rapporteur, Philippe Bas, qui a exprimé certaines réticences. Il a modifié l’article 1er pour mieux en encadrer les dispositions. J’espère que la commission mixte paritaire pourra être conclusive sur ce point à l’issue des débats.

Au terme de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale et en commission, nous pouvons affirmer qu’il ne s’agit pas d’un état d’urgence déguisé, qui tairait son nom en vertu d’une pudeur mal venue.

Si les deux régimes peuvent se ressembler, c’est aussi par les garanties qu’ils prévoient, comme le caractère proportionné, approprié et nécessaire des mesures prises, toujours sous contrôle du juge administratif, qui peut être saisi en référé. Je pense aussi à la faculté de contrôle et d’évaluation du Parlement sur les mesures prises, ce qui permet d’envisager un retour à l’équilibre obtenu en commission mixte paritaire pour la loi du 23 mars dernier et à la position alors exprimée par la majorité sénatoriale.

Je serai plus bref sur le reste du projet de loi, puisque l’article 2 fait l’objet d’un large consensus. Soulignons là encore le travail de la rapporteure à l’Assemblée nationale : celle-ci a restreint le champ d’application aux données pseudonymisées, au consentement des personnes aux seules fins de contribuer à la recherche et à la surveillance épidémiologiques. Il me semble que l’équilibre qui avait été trouvé précédemment est là aussi respecté.

Enfin, comme cela a aussi été dit, il faut s’arrêter un instant sur les dispositions relatives aux outre-mer, dont les situations sont parfois différentes.

Antoine Karam reviendra bien sûr sur la situation en Guyane : au regard de l’évolution de l’épidémie et du pic qui est attendu, il n’est pas possible de ne pas soutenir la prorogation de l’état d’urgence.

Sur la situation spécifique de Mayotte, cette fois, j’attire votre attention sur la vigilance qu’exercent les collègues de mon groupe, Thani Mohamed Soilihi et Abdallah Hassani, sur les inquiétudes légitimes des acteurs économiques mahorais dans les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, notamment.

Ce texte ménage les équilibres entre les objectifs de santé publique et la nécessité de rester vigilant, tout en retrouvant une vie normale. C’est pourquoi notre groupe le soutiendra.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis moi aussi ravie d’intervenir de nouveau à la tribune.

Depuis plusieurs semaines, la situation sanitaire est en voie de nette amélioration : en France, aucune dégradation notable n’a été enregistrée à la suite des premières phases de déconfinement, ce dont nous pouvons tous nous féliciter, même s’il faut effectivement encore faire preuve de vigilance, donc de responsabilité.

Le Gouvernement a décidé de ne pas prolonger officiellement l’état d’urgence sanitaire, qui devait prendre fin le 10 juillet, mais d’organiser une période dite « transitoire », qui permettra au Premier ministre, durant les trois mois et demi qui suivront la fin de l’état d’urgence, de réactiver par voie de décret plusieurs dispositions déployées dans le cadre même de cet état d’exception.

Autrement dit, au lieu de solliciter l’avis du Parlement pour prolonger l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement lui demande de lui octroyer, d’un coup, jusqu’au 30 octobre, toutes les compétences – ou presque – utiles pour agir seul par voie réglementaire, notamment en ce qui concerne les déplacements et l’accès aux transports, l’ouverture des établissements recevant du public et les rassemblements sur la voie publique.

Ces dispositions font dire à Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public, qu’il s’agit là « d’enrichir la grammaire des droits d’exception d’un nouveau régime dérogatoire ». En plus du droit commun et de l’état d’exception, il y aurait désormais la « sortie », une sorte de zone grise dans laquelle on ne sait pas vraiment si l’on est dans ou en dehors de l’état d’urgence.

Néanmoins, pourquoi vouloir mettre en place un tel régime ? Selon nous, celui-ci est profondément inutile, tant le Gouvernement dispose déjà de tous les outils pour faire face à une nouvelle situation de crise : comme certains l’ont déjà dit, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique offre déjà des pouvoirs extrêmement larges au ministre de la santé en cas de circonstances exceptionnelles. Un décret pour les réactiver aurait suffi en cas de deuxième vague.

Nous le savons, le risque zéro n’existe pas, et plusieurs foyers endémiques resurgissent sur la planète. Mais n’avez-vous pas toutes les compétences nécessaires en cas de résurgence du virus dans notre pays ? N’êtes-vous pas prêt à y faire face normalement, en ayant recours au droit commun, comme le font d’ailleurs les pays européens voisins ? Ne devriez-vous pas plutôt continuer à consolider notre système de soins et à combler les carences en personnel au lieu de rogner sur nos libertés publiques ?

Réquisition, encadrement des prix, aide alimentaire, précarité énergétique, moratoire sur les loyers, gratuité des transports en commun pour les travailleurs, toute une série de mesures sociales auraient eu leur place dans un tel texte pour une réelle sortie de l’état d’urgence humaine et efficace, qui réponde aux préoccupations des Français et les rassure.

L’heure est davantage à l’état d’urgence social qu’au prolongement d’un état d’urgence coercitif.

Pourquoi décider de sortir de l’état d’urgence dans ces conditions ? C’est presque pire qu’une simple prolongation ! On nous demande de ne conserver que les mesures restrictives de liberté, alors qu’il existe des mesures pour faire face à une nouvelle crise.

Les peurs légitimes qu’a engendrées la crise sont ici instrumentalisées pour confiner nos libertés. Comme « avoir peur, c’est se préparer à obéir », pour reprendre les mots de Hobbes, il est bien connu que la peur est un outil aisé à mobiliser pour des politiques requérant une adhésion aveugle.

Seulement, les parlementaires que vous avez face à vous, monsieur le ministre, tout comme nos concitoyens, ne sont pas dupes : ils savent décrypter vos intentions, à l’heure où les tensions sociales émergent et sont vives, au moment où les jeunes générations, notamment, se lèvent pour exprimer leurs aspirations et nous faire entrer dans une nouvelle ère pour ce qui est de la lutte contre les discriminations et les violences quelles qu’elles soient, policières ou sociales.

Nous vivrons encore avec ce virus, ou avec d’autres : alors, l’exception ne sera plus, et les dispositions deviendront communes.

Nous définissons aujourd’hui les conditions dans lesquelles nous souhaitons gérer les urgences sanitaires à l’avenir. Pour notre part, nous ne voulons certainement pas le faire en limitant nos libertés publiques, pas plus qu’en étendant les méthodes de surveillance généralisée et le stockage des données personnelles, comme le propose l’une des mesures de ce projet de loi.

Quoi que vous puissiez en dire, les risques de marchandisation des données sont réels, sans parler des ressources et du budget que tout cela nécessite.

Quant à l’application StopCovid, c’est un fiasco, puisqu’elle n’a été activée que par 2 % de la population et que le nombre d’utilisateurs actifs est évalué par des chercheurs – pas par moi ! – à 0, 5 % de la population française…

Enfin, monsieur le ministre, je vous alerte une nouvelle fois sur le peu de cas que le Gouvernement fait du Sénat et de son travail, à voir le bousculement de l’ordre du jour et l’examen précipité du texte, qui se déroule en commission et en séance publique le même jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Mme Éliane Assassi. Il serait bon de garder à l’esprit que le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Finalement, vous l’aurez bien sûr compris, nous nous opposerons à ce texte. Certes, la commission des lois propose de réglementer plutôt que d’interdire, mais avouons que nous resterions ainsi au milieu du gué.

Sur le fond, ce projet de loi est inutile, parce qu’il met en place un régime d’exception hybride et dangereux, en pérennisant des mesures qui portent atteinte à notre droit commun. Et cela, j’en suis désolée, monsieur le ministre, mais nous n’en voulons pas !

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’épidémie semble sous contrôle pratiquement partout sur le territoire métropolitain.

L’État doit néanmoins continuer à accompagner les territoires dans lesquels le virus circule encore très activement, avant que ces mêmes territoires puissent retrouver une vie normale. Nos compatriotes de Guyane – je salue notre collègue sénateur de ce territoire présent dans l’hémicycle – et de Mayotte doivent savoir que nous ne les oublions pas et que l’État reste à leurs côtés.

La crise sanitaire, que nous espérons être derrière nous, a coûté la vie à près de 30 000 de nos compatriotes. Ce virus a beaucoup perturbé la vie de nos concitoyens, de notre économie et de nos entreprises.

Nous vivons, depuis le 24 mars dernier, en état d’urgence sanitaire. À ce titre, les libertés individuelles ont été contraintes de manière exceptionnelle durant la période. Nous ne pouvons que saluer le civisme et l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve nos concitoyens au cours de cette crise.

Si, aujourd’hui, nous retrouvons progressivement notre liberté et une certaine normalité, même si elle demeure contrainte, nous devons garder à l’esprit le caractère particulièrement imprévisible de cette épidémie.

Le projet de loi que nous examinons cette après-midi vise à organiser la fin ou la sortie de l’état d’urgence sanitaire, prévue le 10 juillet prochain. Pour cela, il prévoit une période transitoire, postérieure à l’état d’urgence, mais avec la prolongation de certaines de ses dispositions, et ce jusqu’au 30 octobre 2020.

Certaines d’entre elles n’en sont pas moins importantes, notamment en raison du contexte social tendu dans lequel notre pays est plongé depuis plusieurs mois. C’est le cas de la possibilité de restreindre la liberté de manifester.

Dès la fin du confinement, en dépit des interdictions, des manifestations se sont tenues. Les règles juridiques ont apparemment été balayées par l’émotion…

Dans une décision du 13 juin dernier, le Conseil d’État a jugé que l’interdiction de manifester n’était pas justifiée dans le contexte sanitaire actuel. C’est pourquoi le Gouvernement propose qu’on lui laisse la possibilité de réglementer ces rassemblements.

L’exercice n’est pas simple, et il est particulièrement sensible ! Ainsi, le texte prévoit de soumettre les manifestations sur la voie publique à autorisation, eu égard à la mise en œuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l’épidémie.

Dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties, la seule de ces mesures qui puisse être imposée, nous semble-t-il, est le port du masque… Or cela pourrait poser problème, notamment sous l’angle du maintien de l’ordre et de la sécurité publique.

Pour autant, nous sommes conscients que l’épidémie n’est pas terminée et qu’il importe de ne pas favoriser sa reprise.

Nous serons donc très attentifs à ce que, au titre des dispositions prévues dans ce projet de loi, on n’interdise pas les manifestations pour d’autres motifs que la lutte contre le virus.

Il en sera de même pour la restriction de la liberté d’aller et venir des individus ou encore la réglementation de l’ouverture des établissements recevant du public. Ces mesures sont fortement attentatoires aux libertés individuelles. Nous devons donc veiller à ce qu’elles répondent à des circonstances très précises et qu’elles soient aussi limitées que possible dans le temps.

Force est de constater qu’elles ne seront pas nécessaires partout, car tous les territoires de la République n’ont pas été touchés de la même manière par le virus – certains ont eu la chance d’être plus épargnés que d’autres.

De ce fait, il nous semble important, dans une logique de décentralisation, que le partage de compétences entre l’État et les collectivités locales soit clarifié, en particulier dans les territoires ultramarins. Les collectivités doivent avoir les moyens de protéger au mieux leur population.

Les conditions sanitaires s’améliorent globalement en France, mais il n’en va pas de même dans le reste du monde : le chiffre des contaminations continue de croître ! Nous devons donc faire preuve d’une grande vigilance. Les mesures barrières devront être appliquées tant que le virus n’aura pas disparu et qu’un traitement ne sera pas disponible.

La période qui s’ouvre sera déterminante. La résurgence du virus dans plusieurs pays doit nous inciter à la prudence !

Par conséquent, le groupe Les Indépendants soutient les objectifs portés par ce projet de loi : il nous faut sortir de l’état d’urgence, tout en restant sur nos gardes. Mais les mesures prises pour faire face à cette situation exceptionnelle doivent rester exceptionnelles et limitées dans le temps. C’est la direction que la commission des lois a choisi de prendre, et nous partageons ses conclusions.

M. Julien Bargeton applaudit.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, ce texte s’inscrit dans la droite ligne des deux lois que nous avons précédemment votées dans le cadre de cette épidémie de Covid-19 : la loi du 23 mars 2020 et la loi du 11 mai 2020.

Ces deux textes avaient notamment pour objet de donner au Gouvernement des prérogatives lui permettant de prendre des mesures adaptées à la gravité de la situation sanitaire que nous connaissions, en raison de la propagation du virus.

La loi du 23 mars 2020, sorte de texte inaugural de cette crise sanitaire, lui a effectivement accordé des prérogatives relativement nombreuses.

Le second texte, la loi du 11 mai 2020, prenait acte d’une amélioration de la situation sanitaire et facilitait ce que l’on a appelé le « déconfinement », c’est-à-dire le desserrement progressif des restrictions appliquées à notre vie quotidienne.

Ce desserrement, vous vous en souviendrez, a été dans un premier temps différencié selon les territoires, certains départements étant classés en vert, rouge ou orange – c’est peut-être encore d’actualité… –, et vous vous rappellerez aussi que les libertés ont pu être progressivement rétablies, suivant la chronologie de l’évolution de l’état sanitaire.

L’école offre, à mon sens, le meilleur exemple de tout cela. Tout d’abord interdite, elle a ensuite été autorisée avec un protocole sanitaire assez resserré. Désormais, elle est autorisée par principe, donc plus que largement, avec un protocole sanitaire extrêmement léger.

Le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objet de prendre acte du fait que la situation sanitaire s’est encore très nettement améliorée – sauf, malheureusement, pour nos concitoyens de Guyane et de Mayotte, toujours soumis à des dispositions particulières –, et cela en dépit du déconfinement, qui aurait pu, on le sait, l’aggraver. Néanmoins, cette situation sanitaire peut à tout moment se détériorer.

Pour éclairer précisément l’objet du présent texte, je reprendrai un extrait de l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi du Gouvernement :

« Pour respecter les principes de nécessité et de proportionnalité fixés par le législateur pour recourir à l’état d’urgence sanitaire, le moment est venu d’ouvrir un nouveau cycle dans la gestion de l’épidémie de Covid-19, qui permette tout à la fois de répondre à l’aspiration collective au rétablissement du droit commun et de garder la capacité d’agir rapidement face à une éventuelle dégradation de la situation sanitaire, à plus forte raison pendant la période estivale ».

J’avoue que je n’enlèverai pas une virgule à cette phrase ! C’est exactement ce que l’on souhaite faire au travers de ce texte, et c’est, me semble-t-il, parfaitement proportionné à la situation sanitaire actuelle !

Toutefois, ce qui est dit n’est pas ce qui est fait… Dans le texte, en effet, nous sortons de l’état d’urgence sanitaire – comment pourrions-nous y rester, dès lors que l’état d’urgence sanitaire se définit comme « un état de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population » ? –, mais le Gouvernement ne demande rien de plus que le maintien du régime d’état d’urgence sanitaire !

Plusieurs mesures ont été citées : possibilité d’interdiction de circulation pour les personnes et véhicules ; possibilité de fermeture des établissements recevant du public ; interdiction des rassemblements sur la voie publique, ainsi que des réunions de toute nature.

Voilà des atteintes relativement fortes aux libertés, qui, en plus, viennent s’ajouter aux dispositions auxquelles il est également fait référence dans l’exposé des motifs et dont il a souvent été question : celles de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Cet article permet aux membres du Gouvernement, notamment au ministre de la santé, de prendre des mesures assez larges dans une situation de « menaces sanitaires », pour reprendre le titre de ce chapitre du code.

En résumé, il nous était demandé, dans le projet de loi initial du Gouvernement, de reconduire de quatre mois, alors que la situation sanitaire est en très nette amélioration, des mesures prises au plus fort de la crise sanitaire pour une durée de deux mois !

La commission des lois n’a pas permis qu’il en soit ainsi, et mon groupe s’alignera sur sa position. En effet, elle a mis en œuvre ce que décrivait le Gouvernement dans son exposé des motifs, c’est-à-dire une sortie graduelle de l’état d’urgence, au travers de mesures certes nécessaires, mais aussi proportionnées à l’état sanitaire du pays, sans omettre une possibilité de retour en arrière si cet état sanitaire venait subitement à s’aggraver.

Comment tout cela est-il inscrit dans la position de la commission des lois ?

Tout d’abord, en lieu et place des interdictions, nous nous contentons de réglementations, ce qui est tout de même sensiblement différent, contrairement à ce que j’ai pu entendre.

Ensuite, nous rétablissons le principe de la liberté, qui doit rester le principe en droit français, et ce n’est que par exception qu’une réglementation – non une interdiction – peut intervenir. S’agissant du droit de manifester, nous rétablissons une liberté totale, en tout cas telle qu’elle existe aujourd’hui. Cela doit être suffisant pour faire face à une situation sanitaire très nettement améliorée.

Néanmoins, qu’en sera-t-il, me demanderez-vous, si, comme c’est possible, la situation se dégrade ? En effet, nous partageons le constat dressé, toujours dans l’exposé des motifs, selon lequel la situation est fragile et pourrait s’aggraver, avec une résurgence de l’épidémie.

Dans une telle hypothèse, le Gouvernement pourrait tout d’abord invoquer les dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui a été aménagé pour le sécuriser, me semble-t-il, par la commission des lois et qui confère au Gouvernement, en particulier au ministre de la santé publique, des pouvoirs relativement vastes en termes de restrictions de libertés.

Cette possibilité de restriction ne devant pas être du ressort du ministre de la santé – je suis désolée de vous le dire ainsi, monsieur le ministre, mais je crois que vous ne vous en offusquez pas

M. le ministre le confirme.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Par ailleurs, si la dégradation est telle que nous nous retrouvons en état d’urgence sanitaire, il suffira, par décret en conseil des ministres, de déclarer de nouveau l’état d’urgence sanitaire, et nous reprendrons le cours normal de la vie législative.

Tel est le sens de la proposition qui a été avancée par la commission des lois et que le groupe Les Républicains soutiendra. Il s’agit tout simplement, face à une situation sanitaire en amélioration, de prendre des mesures restreintes, sachant que, en cas d’aggravation, nous aurons les moyens de revenir à l’état d’urgence sanitaire et d’appliquer le régime juridique approprié à cet état d’urgence.

Le projet de loi aborde un second point : celui de la conservation des données personnelles. Vous vous en souvenez, alors que nous avions autorisé la conservation des données personnelles – de santé, évidemment – dans un délai n’excédant pas trois mois après leur collecte, le Gouvernement a souhaité introduire de larges dérogations permettant qu’elles soient conservées six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Cette prolongation, considérable par rapport à ce que nous avions prévu, n’est pas raisonnable, et cela pour deux motifs.

D’une part, le délai de conservation de trois mois après la collecte a été établi, par accord entre les deux chambres du Parlement, à l’occasion d’une commission mixte paritaire.

D’autre part, la loi du 11 mai 2020, dans laquelle ces mesures sont inscrites, a été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel – de l’accord de tous, d’ailleurs. Si ce contrôle de constitutionnalité a pu être passé, c’est précisément parce que le Parlement, par cette durée limitée de conservation des données, avait apporté une garantie à un système de collecte dérogeant au secret médical.

Nous pouvons difficilement revenir sur ce qui a été acté par le Parlement et considéré comme apportant une garantie par le Conseil constitutionnel. Je ne suis pas la seule à le dire ; nos collègues de l’Assemblée nationale sont revenus sur ces dispositions et, si une dérogation au délai de conservation des données a été admise, elle l’a été à des fins scientifiques, afin d’améliorer la recherche et la surveillance épidémiologique du virus responsable du Covid-19. C’était donc une mesure extrêmement raisonnable.

Tel est l’état du texte, au sortir des travaux de la commission des lois. Comme cette rédaction nous convient, le groupe Les Républicains la votera.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Je vous remercie de ces interventions en discussion générale, mesdames, messieurs les sénateurs.

Ne vous inquiétez pas, madame la sénatrice Muriel Jourda, je ne m’offusque jamais des remarques qui sont exprimées, et encore moins des travaux réalisés en commission !

En revanche, je suis un peu plus gêné, parfois, par les procès d’intention qui me sont intentés sur de supposées velléités cachées : au travers d’un texte visant à protéger les Français, nous chercherions en fait à limiter les libertés, comme si c’était une passion à laquelle nous nous adonnerions du soir au matin. Soyons raisonnables ! Ce n’est évidemment pas le cas. Et ce n’est pas l’esprit qui, jusqu’ici, a animé les débats dans cette belle assemblée sénatoriale.

Je ne serai pas plus long sur le fond, car nous allons échanger à l’occasion de l’examen de l’article 1er.

Après l’intervention du président Philippe Bas, j’ai effectivement compris, et je m’en réjouis, que la confiance était en passe d’être accordée sur l’article 2. Cela fait suite, notamment, aux travaux à l’Assemblée nationale. Nous concentrerons donc tous nos efforts et nos échanges, constructifs, sur cet article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La discussion générale est close.

La commission va maintenant se réunir pour examiner les amendements de séance.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois se réunira en salle René Monory à dix-neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je vais donc suspendre la séance. Mes chers collègues, je vous propose de reprendre nos travaux à vingt et une heures trente ; en effet, le ministre n’est disponible qu’après le dîner, et je pense que tout le monde souhaite sa présence dans l’hémicycle pour débattre de ce texte.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.