Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 22 juin 2020 à 17h00
Sortie de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à l’heure où nous parlons, la vie des Français poursuit son retour vers la normalité et, avec elle, l’application des lois de la République.

Une grande part de l’activité économique a repris, avec, dès la première heure ce matin, la réouverture des cinémas, des centres de vacances et des casinos. Le retour en classe signe également la reprise de l’école républicaine obligatoire. C’est aussi, pour tous les élèves concernés, un moyen de retrouver camarades et professeurs pour clore symboliquement l’année scolaire avant les grandes vacances, après l’expérience souvent difficile du confinement.

Hier, déjà, dans les villes où elle n’avait pas été interdite, la fête de la musique a pu être célébrée, parfois avec des débordements, mais toujours dans un grand élan de liberté retrouvée, après des mois d’isolement.

Dans les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la situation sanitaire est désormais sous contrôle, à l’exception de certains territoires français d’outre-mer – je pense à Mayotte et à la Guyane où la situation est toujours préoccupante, j’y reviendrai.

Dans quelques jours, nos concitoyens seront également appelés à voter pour le second tour des élections municipales, après une période inédite de suspension de la vie démocratique locale.

Tous ces éléments laissent à penser que l’urgence sanitaire est dernière nous. Si tel est le cas, le maintien de l’état d’urgence n’est plus justifié.

Devant les juridictions, le retour à la normale ne manque pas de fragiliser les actes et les décisions pris sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire. Le 13 juin dernier, par exemple, une ordonnance de référé du Conseil d’État a suspendu la décision d’interdiction des manifestations organisées par l’association SOS Racisme et plusieurs syndicats.

Après les nombreux bouleversements que nous venons de connaître, il importe que les règles applicables soient claires et les plus stables possible, afin de ne pas ajouter aux déstabilisations qui minent déjà le pays. Le retour au droit commun doit être la norme.

Au moment de la prorogation, nous avions insisté sur l’importance du principe de proportionnalité des mesures prises par rapport aux circonstances de temps et de lieu. Certains juristes regrettaient d’ailleurs que ce principe n’ait pas été appliqué plus rigoureusement dans les zones épargnées par le virus au nom de la protection des libertés.

La lecture des dispositions du code de la santé publique par le Conseil d’État est dorénavant claire : il en résulte que, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, les manifestations et les rassemblements ne sont illégaux que si les circonstances épidémiques le justifient et aucune précaution sanitaire adaptée n’est prise. Nous aborderons l’examen de ce texte avec ce même souci de la protection des libertés.

Or l’article 1er du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui permet au Premier ministre, en même temps qu’il met fin à l’état d’urgence en France métropolitaine et dans la plupart des territoires d’outre-mer, de conserver un certain nombre de compétences au-delà de la période de l’état d’urgence, pour une période certes limitée.

La prudence du Gouvernement est compréhensible : à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus scientifique, tant ce virus demeure mystérieux. Toutefois, les dernières semaines nous permettent d’exercer une vigilance optimiste, comme au moment de la prorogation de l’état d’urgence, dont la durée avait d’ailleurs été raccourcie du 23 juillet au 10 juillet par le Sénat, une position défendue par notre collègue Joël Labbé et plusieurs membres du groupe du RDSE.

Nous étions donc a priori majoritaires à nous opposer au maintien de compétences rappelant l’état d’urgence au-delà d’une véritable urgence sanitaire.

Compte tenu de l’évolution du texte, des amendements votés à l’Assemblée nationale et de ceux qui ont été adoptés ce matin sur l’initiative de notre rapporteur, la majorité d’entre nous s’apprêtent désormais à se prononcer en sa faveur, en vue d’une sortie définitive à l’automne. L’article 1er en ressort quasiment vidé de sa substance initiale.

En définitive, nos réserves portent essentiellement sur la façon de légiférer. Cette période a considérablement affaibli l’autorité de la loi, soit en la marginalisant au profit des ordonnances, soit en comprimant le calendrier du travail législatif, menaçant d’en détériorer la qualité, soit encore en fragilisant les accords trouvés au Parlement, via la mise en discussion répétée et constante de certains sujets.

Je pense notamment à la question de l’utilisation des données personnelles à des fins de lutte contre l’épidémie. La mise en débat simultanée de deux dispositifs aux finalités différentes – prévention ou recherche scientifique – et aux modalités différentes – application ou fichier – a considérablement brouillé les échanges. Il n’était pas très respectueux du Parlement de mettre une nouvelle fois ce sujet sur la table, comme l’article 2 du projet de loi le prévoyait avant l’intervention des deux chambres.

Lorsque la crise sera véritablement derrière nous, que des traitements efficaces et des vaccins auront été trouvés, il faudra réfléchir à la multiplication de ces régimes de crise et, après avoir tenu compte d’un retour d’expérience, évaluer la pertinence de ce nouveau régime pour l’ensemble des crises sanitaires graves qui sont envisageables.

C’était une exigence déjà formulée par le radical Jacques Genton, député du Cher et rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence en Algérie : il eût été préférable, disait-il, « de légiférer à ce sujet de manière abstraite et générale, c’est-à-dire de faire une loi en une période où elle n’aurait pas eu à s’appliquer dans l’immédiat et de ne pas prendre le prétexte d’une situation spéciale et contemporaine sur un point du territoire pour provoquer une intervention législative ». Ses mots restent d’actualité.

N’oublions pas, enfin, la situation des outre-mer et les efforts que continuent de fournir ceux de nos concitoyens qui se trouvent aux confins du territoire français.

Ce n’est en réalité que le début de la fin de l’état d’urgence, pour reprendre le nom initial du projet de loi. Alors que le virus continue de circuler, cette vigilance optimiste que j’évoquais reste de mise. Aujourd’hui, elle passe essentiellement par le respect des gestes de précaution que chacun d’entre nous connaît désormais.

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