Intervention de Daniel Chasseing

Réunion du 25 juin 2020 à 9h00
Nouvelle ère de la décentralisation — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Daniel ChasseingDaniel Chasseing :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Éric Kerrouche et nos collègues du groupe socialiste d’avoir déposé cette proposition de résolution, qui s’inscrit dans la perspective du projet de loi de décentralisation, déconcentration et différenciation. En effet, il est important que le Sénat, assemblée des territoires, s’empare de ces sujets et soit force de propositions.

La crise sanitaire a bouleversé tous nos repères, notamment financiers ; cela ne veut pas dire que le sujet n’est plus d’actualité, bien au contraire.

La décentralisation consiste en un transfert de compétences de l’État aux collectivités territoriales : l’économie est gérée par les régions, le social par les départements.

Ces derniers sortent clairement renforcés de la gestion de cette crise, notamment dans les territoires ruraux. En effet, les départements ont mené des tests Covid, en particulier dans les Ehpad et le secteur médico-social, et acheté des masques à destination des communes et avec elles. Ils auraient donc toute leur place dans le pilotage fonctionnel et financier des Ehpad, dans la perspective de l’organisation prochaine d’une cinquième branche de la sécurité sociale, consacrée à la dépendance, tout en conservant le budget hébergement.

De même, il faut favoriser les départements qui embauchent les médecins salariés, afin de répondre au problème des déserts médicaux par l’action de proximité.

La décentralisation nous oblige à articuler clarté et souplesse pour répartir les compétences. Ainsi, l’articulation de la compétence « économie » entre le département et la région pourrait être aménagée au cas par cas, la région pouvant la déléguer aux départements pour des projets précis, limités aux communes ou petites intercommunalités. En matière économique toujours, une délégation de compétences devrait être possible aussi des intercommunalités vers les communes, dans certains cas. Il faut de la souplesse ! Trois maires sur quatre pensent que le transfert de compétences rigide des communes aux intercommunalités a des conséquences négatives…

Si le département est l’échelle pertinente de l’action locale, notamment dans les territoires ruraux isolés, il peut aussi s’avérer pertinent de déconcentrer l’action de l’État et des territoires. Je pense en particulier à la mise en place de sous-préfets développeurs, une idée défendue par notre ancien collègue Alain Bertrand, auquel je rends hommage : ils seraient chargés de développer l’emploi dans les territoires ruraux et difficiles, mais aussi d’aider les maires dans leurs projets.

La différenciation est capitale en matière économique, touristique et de services publics. Il faut aider davantage les collectivités territoriales qui créent des ateliers relais, soutenir davantage l’équipement des entreprises, sans forcément établir de lien avec le nombre d’emplois créés – de la souplesse, là aussi – et instaurer des avantages fiscaux de type ZRR (zone de revitalisation rurale) et zone franche dans les zones ciblées hypodenses sur le plan démographique. Il convient également de renforcer les aides pour les artisans et commerçants en dotant le Fisac beaucoup mieux qu’actuellement.

L’objectif est de maintenir la vie et d’assurer le remplacement des emplois agricoles, dont les deux tiers ont été perdus en trente ans dans certains territoires. L’agriculture aussi doit être soutenue, notamment dans les secteurs d’élevage, et bénéficier de différenciations de la part de l’Europe et de l’État. Il n’y aura pas de ruralité sans agriculteurs ! Leur métier est très difficile, mais indispensable à la Nation et à l’aménagement du territoire.

Les services publics – écoles, collèges, gendarmerie – doivent eux aussi bénéficier de différenciations pour être conservés dans les zones hypodenses ; France Services peut être une possibilité.

Le tourisme rural également doit être différencié pour être pérennisé. Je pense notamment à la réhabilitation des hôtels et des villages de vacances.

La suppression de l’artificialisation des terres de façon uniforme sur tout le territoire pénalise fortement les petites communes rurales, qui avaient déjà, sans PLU (plan local d’urbanisme), beaucoup de mal à obtenir un permis de construire. Là aussi, la différenciation est nécessaire.

Oui, pour redonner de la vie et de l’espoir dans les territoires difficiles, notamment ruraux, il faut renforcer le département par décentralisation et réaliser une déconcentration avec un service managé par un sous-préfet développeur, mais surtout différencier, pour adapter l’action de l’État fort aux spécificités de chaque territoire. L’excellent président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, M. Jean-Marie Bockel, nous indique, dans sa lettre du 11 juin dernier, que 68 % de nos concitoyens sont favorables à l’adaptation de la loi aux spécificités des territoires.

Pour arriver à ce résultat, les élus ne souhaitent pas de modification de la Constitution, plus de loi tous les cinq ans – bref, pas de bouleversement.

Si, monsieur Kerrouche, nous approuvons complètement l’esprit de votre proposition de résolution et si, comme vous, nous croyons à un État fort qui assure l’égalité des citoyens sur tout le territoire, votre texte nous paraît pour l’instant trop imprécis pour que nous puissions le voter en l’état. Reste que le Sénat, qui représente les territoires, doit bel et bien être, comme ce matin, force de propositions pour la décentralisation, la déconcentration et la différenciation.

Madame le ministre, le Gouvernement doit prévoir, dans le projet de loi 3D, des mesures pragmatiques et efficaces pour maintenir la vie dans les territoires difficiles, notamment ruraux.

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