Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis ému d'apprendre le décès de votre ancien collègue Patrice Gélard, que j'ai eu l'occasion de bien connaître. J'ai une pensée pour toute sa famille.
Le numérique apporte son lot d'opportunités nouvelles. Nous avons eu l'occasion de le vérifier au cours des derniers mois. La crise sanitaire nous a obligés à réinventer notre rapport à la culture et à l'éducation, à repenser nos moyens de communication et nos modes de travail. À bien des égards, c'est le numérique qui nous a permis de continuer à vivre en ces temps troublés.
Cependant, il apporte également son lot de risques. Là encore, la période singulière que nous venons de vivre l'a rappelé : le harcèlement en ligne n'a pas cessé, bien au contraire. J'en veux pour preuve la recrudescence des actes de pornodivulgation sur Snapchat – ce n'est qu'un exemple parmi d'autres des nombreuses menaces qui ont émergé avec le numérique.
Face à ces menaces, nous avons une responsabilité : celle de faire respecter les règles par tous, de les adapter s'il le faut, de combler les vides juridiques afférents à ces nouveautés, avec pragmatisme, avec ambition, avec résolution, sans renoncer à nos principes et sans nous résigner. Ce n'est pas parce que les géants du numérique sont des « géants », en effet, qu'ils peuvent échapper à toute régulation. Non, internet n'est pas un espace de non-droit.
Je veux vous le dire avec force : nous partageons le même état d'esprit. Nous ne pouvons pas nous contenter de ne rien faire alors que notre souveraineté est accaparée par des acteurs numériques étrangers. Il nous faut donc agir.
C'est cet état d'esprit qui présidait hier à la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, ainsi qu'à la directive sur le droit d'auteur, dont vous avez déjà assuré une partie de la transposition, pour ce qui concerne le droit voisin des éditeurs de presse. Je tiens d'ailleurs à saluer l'engagement de David Assouline, de votre commission de la culture et du Sénat tout entier sur ce sujet : votre action a permis de prendre les devants, d'anticiper la directive européenne et d'aller vite une fois celle-ci adoptée. Le reste de la directive, qui était très attendue par les acteurs de la création, sera transposé prochainement, et nous aurons très bientôt l'occasion d'en parler avec les membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat.
C'est ce même état d'esprit qui préside au texte que vous examinez aujourd'hui. Il étend à l'univers numérique une protection qui existe déjà pour les enfants du secteur du spectacle et les enfants mannequins.
Ce texte s'inscrit dans la lignée du discours tenu par le Président de la République devant l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, l'Unesco, le 20 novembre dernier. Le Gouvernement tout entier, rappelait-il, est mobilisé pour la protection de l'enfance, aux côtés du secrétaire d'État chargé de ce sujet, Adrien Taquet.
La discussion de cette proposition de loi en est une preuve supplémentaire : la protection des enfants dans l'espace numérique est une priorité du Gouvernement, et nous sommes en train de renforcer cette protection.
Nous voulons notamment mieux protéger les mineurs contre la pornographie en ligne. La directive Services de médias audiovisuels y contribue. Elle impose aux plateformes de partage vidéo de mettre en place des mesures pour empêcher l'accès des mineurs aux contenus qui leur sont particulièrement préjudiciables, parmi lesquels figurent les contenus pornographiques. Elle sera rapidement transposée.
La proposition de loi de la députée Bérangère Couillard, que vous avez adoptée à l'unanimité il y a deux semaines, va également dans ce sens. Elle a permis de préciser, dans le code pénal, que le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l'accès des mineurs à la pornographie. Il s'agissait là d'un engagement du Président de la République, que le Gouvernement a soutenu, permettant sa traduction dans la loi.
Sur le modèle de ce qui existe pour les jeux en ligne, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, sera chargé de vérifier que les sites contrôlent l'âge des internautes qui les fréquentent, sans quoi les fournisseurs d'accès bloqueront la diffusion des sites concernés en France. C'est le moyen le plus efficace de protéger les mineurs.
Un comité de suivi a en outre été mis en place pour encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux, avec une obligation de résultat dans les six mois. Ce comité implique l'ensemble des acteurs concernés, ainsi que les associations. C'est l'un des chantiers que conduisent en commun le CSA et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ; de tels travaux ont vocation à se multiplier, et je m'en félicite. Je salue, en l'espèce, l'engagement de Roch-Olivier Maistre et de Sébastien Soriano, présidents respectivement du CSA et de l'Arcep, pour mener à bien cette coopération entre régulateurs, qui sonne comme un rappel : nous n'arriverons pas seuls à protéger efficacement les enfants des dangers du numérique ; pour protéger, il faut s'unir.
Cette ambition, nous devons par conséquent la promouvoir au niveau européen, parce que l'Europe est notre meilleure protection – j'ai eu l'occasion de le dire à de multiples reprises à cette tribune. Face aux géants du numérique, elle est même notre seule protection efficace et crédible. Devant eux, nous ne ferons le poids que si nous faisons front commun. C'est le cas pour la question de la protection de l'enfance, comme c'était le cas pour la question du droit voisin, et comme cela sera évidemment le cas pour d'autres sujets à l'avenir.
Justement, la Commission européenne prépare en ce moment même sa stratégie numérique. Elle vient de lancer une consultation publique sur la future législation relative aux services numériques, le Digital Services Act, qui doit permettre de renforcer le marché commun et de clarifier les responsabilités en matière de services numériques. Il y a là, pour nous, une véritable occasion de promouvoir la vision française en la matière, par des initiatives ambitieuses concernant la régulation des contenus et la responsabilité des plateformes numériques.
Je suis pleinement mobilisé, avec mon collègue Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, et je sais que vous êtes nombreux à vous être penchés sur ces sujets ; je vous en remercie. Je pense en particulier à vous, évidemment, madame la présidente de la commission de la culture du Sénat, chère Catherine Morin-Desailly, et à votre engagement réitéré concernant la défense de la souveraineté numérique. Cet engagement ne sera pas vain : il nous sera éminemment utile pour bâtir la régulation européenne de demain.
Cette régulation devra être à la fois souple et exigeante.
Souple, d'abord : le monde numérique change rapidement, et la régulation doit pouvoir changer tout aussi rapidement ; il faut donc fixer des objectifs, mais laisser les acteurs choisir les solutions les plus adaptées.
Exigeante, ensuite ; cette exigence, nous l'atteindrons en dotant le régulateur de moyens pour contrôler les efforts et les résultats des plateformes, ainsi que pour sanctionner les manquements à leurs obligations.
La question de l'accès aux contenus est essentielle, mais elle ne saurait être seule à être prise en considération.
Justement, le texte de loi que vous examinez a pour objet une situation différente. Il vise à protéger non pas les enfants qui sont spectateurs de contenus vidéo, mais ceux qui en sont les acteurs. Il vise à protéger non pas les publics, mais les créateurs. Or, depuis quelques années, les créateurs de vidéos se sont multipliés de manière exponentielle, sur YouTube principalement, mais aussi sur TikTok, Twitch ou, hier, Vine.
Les plateformes de partage de vidéos sont, le plus souvent, une chance. Ce sont des espaces de liberté. Il s'y déploie une extraordinaire créativité. Des talents formidables s'y expriment, s'y révèlent, se trouvent un public, sans intermédiaires : talents pour raconter des histoires, talents artistiques, musicaux, comiques... Ces plateformes sont aussi une source de revenus pour les créateurs. Avec la monétisation des contenus, certains en ont même fait leur activité professionnelle – ils sont parfois qualifiés d'« influenceurs ».
Néanmoins, aujourd'hui, de plus en plus de vidéos, de plus en plus de chaînes sont consacrées à l'exposition d'enfants. Des enfants sont mis en scène en train de jouer, de manger, de cuisiner. Évidemment, derrière, ce sont souvent les parents qui sont aux manettes, qui mettent en scène leurs enfants, qui réalisent les vidéos, qui, le cas échéant, imposent un rythme de tournage ou certains types de contenus ou de produits commerciaux. Ce sont les parents qui, in fine, récupèrent la rémunération.
Le risque pour les enfants est évident. Avec cette loi voulue par Bruno Studer, le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, et par les députés, il s'agit de mieux protéger ces enfants « influenceurs ».
Pour protéger, il faut encadrer. Cela implique de faire entrer cette activité dans le droit commun du code du travail, pour le cas où l'activité des mineurs est assimilable au travail salarié. C'est déjà le cas – je le disais – pour les enfants qui jouent dans une pièce de théâtre, dans un film, ou qui font du cirque. Je salue d'ailleurs l'engagement de ma collègue Muriel Pénicaud en ce sens.
Cela implique également de créer un régime de déclaration administrative, pour le cas où il ne s'agit pas de salariat, mais où le nombre et la durée des contenus ou le montant des revenus liés à la diffusion des vidéos justifient une vigilance particulière et une pédagogie auprès des parents.
Pour protéger, il faut s'unir, associer les plateformes numériques à ce combat, les responsabiliser en matière d'information des parents sur la réglementation et de lutte contre les situations d'abus.
Enfin, pour protéger, il faut garantir le droit à l'oubli. C'est ce que proposent les auteurs de cette proposition de loi pour les mineurs figurant sur des vidéos mises en ligne sur les plateformes numériques. Il importe tout particulièrement que le mineur n'ait pas besoin de demander l'autorisation de ses parents pour faire valoir ce droit.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé à ce texte. Je remercie en particulier le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, Bruno Studer, d'avoir déposé cette proposition de loi, et le rapporteur du texte au Sénat, Jean-Raymond Hugonet. Nous avions déjà travaillé ensemble sur la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, dont vous étiez également rapporteur, monsieur Hugonet. C'est une nouvelle fois un plaisir de travailler avec vous.
Ce texte est nécessaire, même indispensable. Le Gouvernement a donc souhaité participer activement à ce travail législatif. Tel est le sens des amendements que je souhaite vous soumettre au nom du Gouvernement ; l'un est rédactionnel, l'autre vise à préciser les règles applicables aux annonceurs afin de renforcer la réalité juridique du régime des sanctions, au regard notamment du principe de légalité des délits et des peines.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si cette proposition de loi est nécessaire, elle n'est malheureusement pas suffisante. Il nous faut, plus largement, lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans ; c'est l'objet d'une proposition de loi que je vous remercie d'avoir présentée, madame la présidente Catherine Morin-Desailly.
Il nous faudra aussi mobiliser les services de l'État pour détecter les situations particulièrement problématiques et garantir sans relâche la protection de l'enfance. Sur ce sujet, je peux vous assurer de la mobilisation pleine et entière du Gouvernement. §