Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui se situe à la convergence de deux préoccupations essentielles.
La première d'entre elles est la protection des mineurs.
Le travail des enfants est interdit dans notre pays depuis la loi de 1874. Pensons bien sûr aux Misérables de Victor Hugo ou à l'œuvre de Charles Dickens, qui ont contribué, au XIXe siècle, à l'éveil des consciences sur ce sujet. Les rares dérogations à ce principe, qui concernent les enfants du spectacle et du mannequinat, sont soigneusement encadrées par la loi. Il faut bien le dire, l'enfance n'est pas le temps du travail et des préoccupations professionnelles. Si l'on peut concevoir une activité limitée, il nous appartient de préserver ce temps de l'insouciance.
Or, si la révolution numérique a ouvert de nouveaux espaces de liberté et de créativité, ce dont il faut se réjouir, elle a également permis le développement de nouvelles formes d'exploitation, d'autant plus insidieuses qu'elles ont l'air parfaitement innocentes et ludiques. Il ne s'agit plus de travail « à la mine », certes, mais, depuis plusieurs années, les chaînes mettant en scène des enfants filmés par leurs parents se multiplient sur les plateformes de partage de vidéos en ligne.
Certaines d'entre elles bénéficient, en France et dans le monde, d'une audience très importante, qui peut atteindre plusieurs millions d'abonnés et des dizaines de millions de vues. Il arrive qu'elles représentent, de surcroît, une source de revenus importante pour les parents, par le biais de la publicité et des placements de produits.
Comment croire, dès lors, à la fiction soigneusement entretenue de vidéos tournées et produites de manière « naturelle », sans pressions ni contrainte ?
Quand des sommes aussi considérables que celles qui ont été évoquées durant les auditions – parfois plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois ! – sont en jeu, comment penser une seule seconde que l'équilibre de ces enfants est préservé ?
Or – vous l'avez rappelé, monsieur le ministre – il n'existe, à l'heure actuelle, aucun cadre, aucune garantie pour protéger ces enfants dits « youtubeurs », en termes de temps de tournage et de partage des bénéfices notamment.
Le grand mérite de la proposition de loi de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, qui a été adoptée à l'unanimité par les députés, est de commencer à constituer un cadre juridique qui réponde à ces nouveaux défis. Je tiens d'ailleurs à saluer la présence en tribune de M. Bruno Studer, qui marque ainsi son engagement total sur ce texte et son respect pour les travaux du Sénat.
Protéger : tel est, en un mot, l'objet de la présente proposition de loi, qui s'inscrit dans un mouvement amorcé depuis déjà plusieurs années, consistant à réguler internet pour éviter que celui-ci ne soit un espace de non-droits, « sans foi ni loi ». C'est là un exercice délicat pour le législateur, qui doit mettre en balance la sauvegarde des libertés publiques, au premier rang desquelles figure la liberté de communication, et la protection du « vivre ensemble » et des plus vulnérables.
La récente décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi Avia visant à lutter contre la haine en ligne nous a montré, si besoin était, qu'il fallait suivre un chemin de crête particulièrement étroit et que l'on a toujours intérêt à écouter très attentivement, en la matière comme en bien d'autres, les justes préconisations de Philippe Bas, éminent président de la commission des lois du Sénat.