Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 25 juin 2020 à 9h00
Exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, le Parlement est amené à réfléchir et à légiférer sur l'exposition aux écrans des mineurs, en particulier des jeunes enfants, la nature de cette exposition ayant fortement évolué avec l'émergence du numérique. Je citerai l'examen de la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique et le débat sur la proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, déposée par la présidente de la commission de la culture du Sénat.

Aujourd'hui, nous sommes conduits à discuter de l'exploitation commerciale des vidéos mettant en scène des mineurs de moins de seize ans mises en ligne sur des plateformes de partage telles que YouTube. Dans leur finalité, les différents textes précités se rejoignent : ils ont pour objet de protéger les enfants en tenant compte de l'évolution des usages, et singulièrement des usages numériques.

Après l'euphorie des premières années internet, nous avons collectivement pris conscience que l'entrée dans la « troisième révolution industrielle » s'accompagnait d'enjeux auxquels il s'avérait absolument impératif d'apporter des réponses : protection des données, notamment des données à caractère personnel, séparation entre vie professionnelle et vie privée, éducation au numérique, régulation des Gafam.

La protection des mineurs à l'égard du numérique et de toute forme d'exploitation fait partie intégrante de ces défis contemporains, d'autant que notre arsenal juridique, en la matière, est encore bien léger.

Le numérique soulève en effet des questions aiguës concernant les droits des mineurs. Notre ordre juridique interne, reposant sur le postulat selon lequel ses représentants légaux agissent au nom du mineur, n'est pas suffisamment opérant ni approprié pour appréhender l'ensemble des usages numériques et protéger ainsi efficacement les mineurs.

Progressivement, la législation évolue, octroyant directement des droits aux mineurs ; ainsi de l'article 56 de la loi de 2016 pour une République numérique : « le mineur âgé de quinze ans ou plus peut s'opposer à ce que les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale aient accès aux données le concernant recueillies au cours [de projets de recherche] ». L'article 5 de la présente proposition de loi est une autre illustration probante d'une telle évolution, puisqu'il confère aux mineurs un droit à l'oubli sans que le consentement des titulaires de l'autorité parentale soit requis.

En d'autres termes, nous sommes bel et bien dans une phase de régulation consécutive à l'augmentation exponentielle des usages du numérique, ayant pour objet de préserver les équilibres sociaux et de renforcer les droits des personnes, notamment des plus vulnérables, ainsi que l'effectivité de ces droits.

Ainsi, cette proposition de loi comble un vide juridique afférent à une pratique de plus en plus courante : la réalisation et la publication de contenus mettant en scène des enfants sur des plateformes en ligne. Plus précisément, elle crée deux régimes juridiques distincts pour ces « enfants youtubeurs », l'un, aligné sur le régime applicable aux « enfants du spectacle », valant pour une pratique professionnelle, l'autre, détaillé à l'article 3, concernant une pratique semi-professionnelle.

Ces deux régimes visent à protéger l'enfant et à lui assurer que les bénéfices qui pourraient être tirés par les parents de l'exploitation commerciale de ces vidéos lui soient réservés. Il ne faut pas omettre que certains comptes ont des millions d'abonnés et génèrent des revenus substantiels qui, actuellement, peuvent totalement échapper aux mineurs, alors même qu'ils sont les acteurs principaux.

Par-delà l'aspect matériel et financier, les auteurs de ce texte insistent surtout sur l'information et la pédagogie nécessaires à destination des parents et du public s'agissant de la réalisation et du contenu de ces vidéos. Il est en effet indispensable de porter une vive attention aux risques, notamment psychologiques, inhérents aux conditions et à la fréquence de production de ces vidéos, mais aussi – vous l'avez dit, cher rapporteur – au respect de la dignité physique et morale de ces enfants, en veillant à ce que les contenus mis en ligne n'y portent aucunement atteinte.

Cependant, étrangement, cette sensibilisation, essentielle, qui passe notamment par la responsabilisation des plateformes, lesquelles devront édicter des chartes, ne s'adresse pas aux principaux acteurs concernés, c'est-à-dire aux mineurs eux-mêmes. Pourtant, il s'avère fondamental de faire preuve de pédagogie à leur égard, dans un souci d'éducation, de responsabilisation et de protection.

C'est pourquoi nous proposons d'informer et d'alerter ces mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image, tant sur leur vie privée qu'en termes de risques psychologiques et juridiques, ainsi que sur les moyens dont ils disposent pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique. Cette disposition serait de nature à renforcer la protection de leurs droits à l'ère numérique, en favorisant l'appropriation de ces droits et en permettant un accompagnement direct des mineurs concernés. Elle permettrait également d'englober dans le périmètre de cette proposition de loi les mineurs de moins de seize ans qui réalisent et diffusent par eux-mêmes des vidéos – ils sont nombreux dans ce cas – sans avoir nécessairement conscience des risques qui en découlent.

Cette logique alliant pédagogie et responsabilisation est pertinente pour garantir l'effectivité des droits de ces mineurs. Ainsi, la disposition de l'article 5 leur permettra de se prévaloir, en dehors de toute autorité parentale, d'un droit à l'effacement de leurs données personnelles sur les plateformes. J'aimerais d'ailleurs rappeler qu'un problème aigu se pose, sur ce point, s'agissant des plateformes où peuvent être postées des vidéos temporaires – je pense notamment à TikTok –, l'absence de visibilité de ces contenus ne signifiant nullement leur effacement.

Nous le voyons, mes chers collègues : sur tous ces sujets, notre droit est en construction. Souhaitons qu'il soit respecté par tous, mais n'oublions pas que, face à la « perfusion numérique » et à l'omniprésence des écrans, la pédagogie est indispensable. Elle doit devenir une priorité, notamment à l'école. Le présent texte va bien sûr dans le bon sens, et les membres du groupe socialiste et républicain seront très heureux de le voter. §

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