Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir appelle plusieurs observations de notre part, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, nous devons, comme trop souvent, travailler dans l’urgence un texte touffu et dont les dispositions sont, pour l’essentiel, techniques.
Certes, nous devons être à jour de nos obligations : ne présenter aucun déficit de transposition et disposer d’un droit national conforme aux exigences de l’Union européenne, en vue de la présidence française du Conseil de l’Union européenne au cours du premier semestre 2022. Nous entendons parfaitement cet argument. Par ailleurs, ce projet de loi contient des ajustements indispensables pour la période de l’après-Brexit, qui devrait s’ouvrir au début de l’année prochaine.
Toutefois, nous ne pouvons, une fois encore, que regretter la manière dont le Gouvernement envisage le rôle du Parlement et la place du débat républicain dans nos institutions. Les précédents orateurs l’ont rappelé : le champ des habilitations demandées apparaît plus large que nécessaire. Une fois encore, nous devons travailler dans l’urgence alors que le texte aurait pu être examiné bien avant la crise du covid, dès l’automne 2018. De plus, le projet de loi initial a fait l’objet de deux lettres rectificatives.
Sur le fond, ce texte transpose ou habilite à transposer onze directives. Je laisserai le soin à ma collègue Viviane Artigalas d’aborder les mesures proposées, et qui vont dans le bon sens, pour accroître la protection des consommateurs, notamment les plus fragiles et les plus isolés.
De surcroît, ce projet de loi donne davantage de moyens aux autorités françaises pour lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ainsi, il met en œuvre de nouvelles règles relatives aux mouvements d’argent liquide en provenance ou à destination des pays tiers et renforce les sanctions en cas de violation de la réglementation douanière. Ces mesures sont attendues, mais une question demeure : l’urgence de la transposition dans un calendrier parlementaire tendu, dès lors que ces mesures ne s’appliqueront qu’en juin 2021.
Cette problématique de la temporalité est encore plus prégnante pour certains articles, qui mériteraient que l’on s’y attarde étant donné l’importance des enjeux politiques, économiques, sociaux, sociétaux et éthiques qu’ils soulèvent.
Je pense tout particulièrement à l’article 18, qui transpose un règlement européen harmonisant les règles relatives à la génétique animale. Il s’agit d’une question cruciale pour la France. Le secteur de la génétique animale représente 8 200 emplois en équivalent temps plein, liés, pour la plupart, à l’élevage laitier. Il faut noter que 50 % des gains annuels de productivité des élevages français sont liés au progrès génétique.
Derrière ces chiffres pointent les questions de l’augmentation des rendements par animal, de l’augmentation de l’efficacité alimentaire, de l’augmentation de la résistance des animaux aux pathologies et, plus généralement, de l’augmentation de la résilience au changement climatique.
Ce texte soulève d’autres questions encore, qu’il s’agisse de l’évolution de la qualité ou la différenciation des produits permettant l’ajout de valeur et la création de dynamiques territoriales. La facilitation des méthodes de production pour les éleveurs et la participation au bien-être animal sont autant d’enjeux de ce projet de loi.
Le règlement dont il s’agit libéralise le secteur de la génétique animale et laisse peu de marges aux États membres dans son application : des craintes apparaissent donc nécessairement. Ainsi, pour reprendre les mots de l’étude d’impact, « une part importante des activités exercées, en France, sous la responsabilité de l’État, relève désormais des missions des organismes de sélection agréés, et donc du secteur privé, ce qui conduit à un changement important dans le secteur de la génétique animale, en particulier s’agissant de l’accès aux données zootechniques et de l’évaluation génétique ». Dans ces conditions, comment s’assurer que les techniques d’édition de génome appliquées aux animaux sont employées avec toute la prudence nécessaire ?
De plus, pour les agriculteurs, notamment ceux qui sont situés dans des territoires peu denses économiquement ou difficilement accessibles, la libéralisation du secteur pourrait accroître les difficultés d’accès à du matériel génétique de qualité. Elle pourrait également conduire à la disparition de races locales menacées ou peu productives, qui, bien qu’elles constituent une grande richesse pour le patrimoine national, ne présenteraient pas un intérêt économique immédiat suffisant pour le secteur privé. Quels sont nos garde-fous pour éviter ces situations ?
Dans le cas présent, le recours à une ordonnance semble inévitable, au vu du nombre de modifications à opérer dans le code rural. Mais nous devrons être vigilants lors de la ratification de ce texte, pour veiller à la préservation des intérêts français, notamment à la défense de la diversité et de la richesse du patrimoine génétique de nos élevages, que l’on peut considérer comme des biens communs : cette notion, nouvelle dans le débat public, permet d’appréhender les ressources patrimoniales communes.