Intervention de Nathalie Goulet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 juillet 2020 à 9h30
Contrôle budgétaire — Franc cfa - communication

Photo de Nathalie GouletNathalie Goulet, rapporteur spécial :

Mes chers collègues, à la suite de l'annonce du Président de la République du 21 décembre 2019 sur la disparition prochaine du franc de la communauté financière africaine en Afrique de l'ouest, il nous est apparu nécessaire de mener un contrôle sur ce sujet. Avec Victorin Lurel, nous avons mené plusieurs auditions avant la crise sanitaire.

On a trop tendance à l'oublier mais, dans notre architecture budgétaire, il existe un compte de concours financiers dédié aux accords monétaires internationaux encadrant le franc CFA.

Parler du franc CFA est en réalité un abus de langage. Il existe en effet trois francs CFA : celui de l'Union monétaire ouest-africaine, celui de l'Union monétaire d'Afrique centrale et celui des Comores. Ces monnaies ne sont pas interchangeables. Les communautés monétaires se caractérisent par quatre principes communs, piliers de ce qu'on appelle communément la Zone franc.

Le premier principe est celui de la garantie de convertibilité illimitée du Franc CFA par le Trésor français. S'il arrivait par exemple que les pays de la Zone franc ne puissent pas assurer en devises le paiement de leurs importations, le Trésor français apporterait les sommes nécessaires en euros

Le second principe, le plus critiqué symboliquement et le plus mal compris des opposants au franc CFA, est celui de la centralisation d'une partie des réserves de change des banques centrales des trois zones monétaires auprès du Trésor français. Cette centralisation vient en réalité en contrepartie de la garantie de convertibilité illimitée : le Trésor doit pouvoir apprécier l'évolution des réserves de change. Les opposants au franc CFA se servent de ce principe pour expliquer que le colonialisme français se poursuit par la voie monétaire, avec le blocage des réserves de change auprès du Trésor français. Cette affirmation, inexacte, engendre des polémiques. Comme nous avons pu nous en rendre compte au cours de nos auditions, ce n'est malheureusement pas le seul mécanisme à être mal compris et détourné au profit d'une rhétorique anticoloniale, incendiaire et antifrançaise.

Les troisième et quatrième principes sont propres au fonctionnement de la zone franc : il s'agit de la libre transférabilité et de la fixité des parités par rapport à l'euro. La parité des changes est un véritable sujet de contentieux et nous replonge dans des débats économiques aussi anciens que l'apparition des monnaies. Vaut-il mieux un régime de change fixe ou variable ? En tout état de cause, les taux de change des trois francs CFA sont aujourd'hui fixes par rapport à l'euro, ce qui constitue une véritable garantie de stabilité et de maîtrise de l'inflation pour les pays de la zone franc. Nous avons d'ailleurs été surpris de voir que l'Europe et, en particulier, la Banque centrale européenne (BCE), était assez peu impliquée sur ce sujet. C'est un point que nous devons approfondir dans le cadre de notre travail.

En nous plongeant dans ce contrôle, nous avons relevé beaucoup d'incompréhensions. La politique a fini par prendre le dessus sur le monétaire, le franc CFA, autrefois franc des colonies françaises africaines, est un sujet sensible. Le Président de la République a justifié la réforme en disant : « Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation économique et monétaire qu'elle juge postcoloniale », apportant lui-même de l'eau au moulin de cette théorie. Autant dire qu'il nous faut distinguer ce qui relève de postures idéologiques et des arguments de fond.

De ce point de vue, les premières auditions ont pu donner une idée assez claire de ce que l'on pouvait faire de la réforme annoncée du franc CFA en Afrique de l'Ouest. C'est une bonne chose, qui devrait mettre fin aux « irritants », tel que le nom de la monnaie ou encore l'obligation de centralisation d'une partie des réserves de change. Je rappelle toutefois ici que ces réserves sont aujourd'hui rémunérées à un taux avantageux par rapport à ce que pourrait proposer le marché. Restera, à plus long-terme, des questions comme celles du choix de la parité : faut-il mieux un taux de change fixe ou variable ? Une fixité par rapport à une seule monnaie ou par rapport à un panier de devises ?

En ce qui concerne les symboles, il va falloir mettre les choses à plat avant l'examen du projet de loi approuvant les nouveaux accords de coopération monétaire. La première partie de mon rapport sera donc consacrée à un exercice de « vrai / faux » sur une série d'affirmations plus ou moins bien fondées. C'est cet effort de communication qui a manqué ces dernières années. Il conviendrait que le rapport que nous allons déposer puisse régler les « irritants » et fasse des propositions constructives pour que cet abandon du franc CFA constitue le tremplin d'une véritable politique monétaire de l'Afrique de l'Ouest.

La crise sanitaire a retardé nos travaux, mais c'est un enjeu important en matière de rapports entre la France et l'Afrique et nous devons poursuivre nos auditions. Ces dernières ont jusqu'ici été très éclairantes, et je citerai notamment celle de Dominique Strauss-Kahn, qui pense que l'abandon du franc CFA représente une occasion pour la région d'asseoir son intégration monétaire.

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