Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 16 juillet 2020 à 10h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Pour cela, nous avons proposé un chèque « rebond solidaire » pour les ménages, mais vous ne vous saisissez pas de cette proposition. Vous préférez ne pas revenir sur la baisse des aides personnalisées au logement, les APL, alors qu’il est urgent de réaffirmer leur rôle fondamental de redistribution, de cohésion sociale et d’amortissement de la crise.

Nous le savons, dans les crises, ce sont toujours les plus fragiles qui paient l’addition finale. Alors que 700 000 jeunes vont entrer sur le marché de l’emploi, vous avez axé vos annonces sur la facilitation de l’embauche des jeunes par les entreprises. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.

Vous redécouvrez manifestement l’intérêt des emplois aidés. Mais alors, pourquoi les avoir supprimés, ou quasiment, à partir de 2017 ? Sans chômage, sans RSA, que ce soit dans les campagnes ou dans les quartiers, les jeunes sont les plus éloignés de l’emploi et cette crise les repousse encore plus loin dans les marges de notre société.

Vous annoncez, monsieur le Premier ministre, 100 000 services civiques. J’ai été ministre de la jeunesse, et je peux vous dire qu’on ne crée pas en claquant des doigts 100 000 services civiques ; ils doivent correspondre à des missions utiles pour la société. Permettez-moi de vous le dire simplement.

La pauvreté n’est jamais un choix ; il faut la combattre. Vous avez appelé à ce que vous soient transmises des propositions. Chiche ! Nous avons une proposition : le revenu de base. Dix-neuf départements de gauche ont dit depuis deux ans leur disponibilité pour l’expérimenter : donnez-leur les moyens de le faire ! Dans 1 500 quartiers de la politique de la ville où ce revenu de base serait bien utile, les populations sont confrontées à une perte, voire à un effondrement de leurs ressources. L’aide alimentaire y est devenue incontournable.

Vous avez annoncé la relance des chantiers de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Seraient-ils en panne ? Cette mesure est nécessaire, mais la rénovation urbaine ne doit pas être isolée d’une politique globale : il faut donner les moyens au secteur associatif, aux travailleurs sociaux et aux médiateurs de revenir activement sur le terrain et mettre en œuvre un plan de 30 000 emplois aidés en ciblant les étudiants et les jeunes dans les quartiers.

La remise en cause drastique et brutale de ces contrats a été une erreur, monsieur le Premier ministre. Reconnaissez-le. Ils constituent un levier de soutien fort et rapide, facilement mobilisable.

Autre absent de taille : vous avez peu parlé de l’Europe, finalement, tandis que se jouent aujourd’hui les négociations sur le plan de relance européen et le cadre financier pluriannuel.

Alors que la France sera l’un des pays les plus touchés par la chute attendue de son PIB, pourquoi attendez-vous septembre pour mettre en place un plan de relance ? Une partie de nos partenaires agissent vite, parfois même, comme en Allemagne, en tournant le dos aux politiques anciennes.

En France, finalement, pour Emmanuel Macron, la seule rupture politique a été de changer de Premier ministre. Le Président de la République est passé de l’art du « en même temps » à l’art du contretemps. La seule rupture que nous observons avec ce gouvernement concerne peut-être la grande cause du quinquennat, l’égalité femmes-hommes, qui a dû s’effacer devant les équilibres politiques nécessaires pour former le Gouvernement… Nous aurons l’occasion de vous interroger tout à l’heure sur ce sujet dans le cadre des questions d’actualité.

Plutôt que de la rupture, je vois de l’immobilisme, un immobilisme coupable quand il concerne des réformes qui ont fragmenté notre pays et fragilisé les plus faibles. Aujourd’hui, votre rôle, monsieur le Premier ministre, est de rassembler les Français, de les protéger, de les accompagner face à cette crise, mais certainement pas de relancer la réforme des retraites, qui a déjà laissé tant de traces.

Des centaines de milliers de Français sont descendues dans la rue pour lutter contre les mesures contenues dans ce texte. Le chiffon rouge de l’âge pivot sera peut-être retiré, mais la cicatrice de l’article 49, alinéa 3 sera toujours présente.

Ce projet a également suscité une forte opposition des syndicats, ouvriers comme patronaux. Permettez-moi de m’étonner, monsieur le Premier ministre, alors que vous prêchez « le dialogue, l’écoute, la recherche du compromis », que vous annonciez la reprise de cette réforme, dans une logique, permettez-moi de le dire, d’obstination décalée eu égard à la situation.

En faisant cela, vous remobiliserez les forces vives de notre pays contre un projet inique que vous auriez dû finalement abandonner, afin de ne pas pénaliser une nouvelle fois l’économie face à une forme de cataclysme social qui s’annonce.

Il en est de même de l’assurance chômage : votre réforme, celle qui est venue et celle qui vient, est très dure pour les Français les plus modestes. Le contexte économique et social dans lequel la pandémie nous a plongés la rend aujourd’hui particulièrement dangereuse. Je vous demande, monsieur le Premier ministre, au nom de mon groupe, non pas de l’amender, de la faire évoluer, mais de l’abroger purement et simplement.

L’environnement doit être aussi un axe fort du plan de relance. Vous avez raison : la rénovation énergétique des logements est indispensable. Le bâtiment représente 43 % de la consommation d’énergie finale en France et compte pour près du quart des émissions de gaz à effet de serre. C’est un gisement majeur de bénéfices environnementaux, économiques et sociaux.

Malheureusement, le dispositif que vous proposez nécessite une avance que de nombreux propriétaires ne pourront pas faire. Il faut démocratiser la rénovation thermique, en instaurant une « prime climat » qui permettra un préfinancement public et qui s’adaptera au niveau de revenus des propriétaires.

Cette crise est également l’occasion de repenser notre modèle et d’aller vers plus d’indépendance. Nous avons pu constater que la France n’était pas en capacité de répondre, à titre individuel, à l’urgence sanitaire. Manque de respirateurs, manque d’équipements de protection, manque de certains médicaments : cette crise a été un révélateur, ce dont, je crois, vous avez pris conscience.

Comme nous tous ici dans cette Haute Assemblée, vous partagez ces constats, mais quid de Luxfer, quid de Famar ? Les déclarations d’intention, c’est bien, monsieur le Premier ministre, mais cela ne suffit pas : il nous faut des actes, et je crains que nous ne les attendions encore longtemps. Depuis trois ans, votre majorité mène une politique plus bénéfique aux très riches et aux multinationales qu’elle n’est favorable aux précaires et aux PME françaises.

Suppression de l’ISF, mise en place de la flat tax, suppression de l’exit tax, baisse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes multinationales, suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de contribuables les plus aisés : la liste est longue.

J’ai bien entendu le Président de la République, un peu recadré par vous-même et par Mme Gourault, ce matin, sur Public Sénat, sur ce dernier point. Je ne suis pas certain que, par vos décisions, vous exaucerez son vœu en l’espèce, même si nous comprenons que, finalement, la taxe d’habitation pourrait être un outil utile pour l’ensemble des Français quand il s’agit finalement de financer les services publics locaux.

En tout cas, demander aux entreprises de baisser les dividendes sans les y contraindre ne suffira pas. Demander des dons en faveur de l’hôpital public sans créer un nouvel impôt sur le capital, comme nous vous l’avons proposé, ne suffira pas, et cela ne trompe personne. D’ailleurs, la vraie question, monsieur le Premier ministre, est celle-ci : qui va payer et dans quelles conditions allez-vous assurer la redistribution dans notre pays pour faire face à la crise et aux dépenses que vous avez décidé d’engager ?

Enfin, cette solidarité que nous appelons de nos vœux doit être territoriale. Il faut d’urgence porter secours à nos territoires les plus fragiles. Je pense à la Guyane, où vous étiez il y a quelques jours.

Ce sont ces territoires, ceux de l’outre-mer comme ceux de l’Hexagone, qui ont fait face à la crise au plus près des Français. Il convient d’en tirer toutes les conclusions. Nous ne voulons pas d’un nouveau big-bang territorial, monsieur le Premier ministre. Nous avons formulé des propositions. Ainsi, le Sénat a adopté une proposition de résolution présentée par notre groupe. Faites-en bon usage : elle est libre de droits pour imaginer le futur élan qui sera, je l’espère, le vôtre en matière de décentralisation.

Il est vrai que vous parlez beaucoup de territoires. Je crois que vous avez cité ce mot une cinquantaine de fois depuis hier. On peut sauter comme un cabri et prononcer ce mot. Mais tout ne viendra pas les territoires. D’ailleurs, je tiens à vous le dire, la notion de territoire pertinent, c’est un peu comme l’horizon : plus on s’en approche, plus il s’éloigne !

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