Merci Monsieur le président. Nos précédentes réunions ont principalement porté sur l'ANCT, avec notre communication d'étape sur les points de vigilance concernant les modalités d'intervention de l'Agence, puis l'audition de sa présidente et de son directeur général sur la feuille de route qui venait d'être adoptée. Je voudrais en revenir au sujet initial de nos travaux, celui de l'ingénierie territoriale au sens large, qui ne se réduit pas aux seuls moyens de l'État, et qui repose aujourd'hui en grande partie sur les collectivités territoriales. Dix ans après le rapport d'information de notre collègue Yves Daudigny, la situation a profondément évolué.
C'est pourquoi je propose d'utiliser l'expression d'« ingénierie dans les territoires », qui rend mieux compte de la diversité de nos territoires et de leurs acteurs. En complément de l'ingénierie publique de l'État, je souhaite ainsi mettre en avant les termes d'ingénierie publique locale pour désigner toutes les ressources d'assistance technique, juridique et financière relevant de la sphère des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs syndicats, agences ou sociétés.
Mon propos s'articulera en trois points. Le premier concerne le désengagement de l'État dans son soutien aux collectivités territoriales ; puis, en conséquence, le développement d'une ingénierie publique locale principalement structurée autour des départements ; mais qui, de par la diversité des situations locales, des moyens financiers et humains, ne couvre pas tous les besoins, notamment en ingénierie stratégique et de conception.
On peut attribuer le désengagement de l'État à deux causes principales.
Dès le début des années 2000, le changement de régime juridique des prestations d'assistance technique a fait entrer l'ingénierie traditionnellement fournie par l'État dans le champ concurrentiel et les règles des marchés publics. Par la suite, les réformes successives tendant à la rationalisation et à la réorganisation des services de l'État à partir de 2007 (la Révision générale des politiques publiques, RGPP) ont conduit l'État à abandonner, entre 2012 et 2016, les prestations de maîtrise d'oeuvre, l'Assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT) et les missions de régulation des services publics d'eau potable et d'assainissement.
Le retrait de l'État a été rapide et les moyens maintenus se sont révélés limités.
Sur le volet ingénierie administrative, environ 400 postes dans les directions départementales des territoires pour accompagner les collectivités dans le cadre du dispositif de « Nouveau conseil aux territoires », puis le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), créé en 2013 pour reprendre avec 2 500 personnels l'ingénierie de deuxième niveau (conception de projet, ensemblier) de l'ex ministère de l'Équipement, suite à la suppression des Directions départementales de l'équipement (DDE) sur des thématiques techniques (ouvrages d'art, infrastructures de transport, mobilité, littoral, environnement, patrimoine).
Pour pallier ce déficit de moyens et répondre aux « besoins d'État », voire au sentiment d'abandon exprimé par les collectivités, l'État a adopté une directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'État dans les territoires 2016-2018, qui visait à maintenir un État « expert », « incitateur » et « facilitateur », et à mutualiser tous les moyens de l'État, de ses opérateurs et de ses agences.
Toutefois, comme on le voit sur l'inventaire des acteurs compétents dressé dans le cadre de cette directive nationale, les moyens en ingénierie développés par les collectivités territoriales n'étaient pas même cités.
Pourtant, même si le développement de l'ingénierie publique locale a été plus progressif que le retrait de l'État, il s'est solidement structuré autour des compétences attribuées aux départements pour la mise à disposition d'une assistance technique, pour des raisons de solidarité territoriale, dans les domaines de l'aménagement, de la voirie, de l'eau, de l'assainissement, de la restauration et de l'entretien des milieux aquatiques, la prévention des inondations, de l'habitat, destinée aux communes et Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui ne bénéficient pas des moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétence.
D'après l'Association nationale des agences techniques départementales, 70 départements apportent une assistance technique, juridique ou financière :
- 55 sous forme d'agence technique départementale (48 sous forme d'établissement public administratif et 7 sous la forme d'une association, d'un syndicat mixte ou d'une société publique locale) ;
- 15 sous forme de régie.
Leurs moyens sont d'environ 70 millions d'euros et 860 agents.
Par ailleurs, les collectivités territoriales et leurs groupements emploient 28 000 ingénieurs territoriaux titulaires et 6 000 contractuels. Compte tenu du nombre de collectivités, on peut estimer que l'estimation de 30 000 communes ou intercommunalités qui n'ont pas les moyens d'organiser leurs propres services d'ingénierie est toujours d'actualité.
L'offre d'ingénierie publique locale demeure diverse et ne couvre pas tous les besoins.
Les domaines qu'elle couvre concernent principalement la gestion patrimoniale (urbanisme, voirie, bâtiments, espaces publics, eau, assainissement, patrimoine historique), l'informatique et la dématérialisation des services publics, l'appui au développement territorial (projets de territoires...) et les conseils divers (énergie, juridique, financier). Ces prestations relèvent majoritairement du conseil et de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, et plus rarement de la maitrise d'oeuvre et de la formation. Cette ingénierie de premier niveau (opérationnelle) répond essentiellement à des besoins ordinaires des collectivités locales. Elle s'avère insuffisante pour des projets très spécialisés ou exceptionnels (ouvrages d'art, ponts, patrimoine). Globalement, on constate une carence d'ingénierie à tout niveau, particulièrement en milieu rural, et d'études dites amont pour concevoir les projets.
La montée en puissance et en compétences des acteurs locaux est réelle. Nous avons rencontré en Haute-Saône et dans les Côtes-d'Armor des acteurs locaux et des agences techniques départementales que l'on peut qualifier de puissantes, avec des compétences très diversifiées. Malgré tout, les situations locales sont très contrastées. Elles dépendent du niveau des agences locales, de leurs moyens, mais aussi du maillage territorial pertinent pour concevoir et développer les projets, de la connaissance des acteurs locaux entre eux et de leur volonté de travailler en commun.
J'en viens à notre première série de propositions en faveur de l'ingénierie publique locale. Elles sont au nombre de 12 et visent à mieux faire reconnaître le rôle de l'ingénierie publique locale, à adapter les ressources humaines des collectivités aux besoins de nouvelles compétences et à ouvrir de nouveaux moyens financiers.
Les quatre premières propositions visent à reconnaitre le rôle de l'ingénierie publique locale :
- la proposition 1 consiste à améliorer la connaissance de toutes les ressources d'ingénierie publique locale pour tisser des liens entre les acteurs locaux qui, parfois, ne se connaissent pas ;
- la proposition 2 consiste à conforter ou favoriser l'émergence d'une offre d'ingénierie publique locale dans chaque département, en lien étroit avec le conseil départemental, pleinement reconnue par les services déconcentrés de l'État et associée aux actions de l'ANCT ;
- la proposition 3 consiste à harmoniser l'environnement juridique et fiscal de la rémunération des services d'assistance fournis par les départements (périmètre des missions, secteur concurrentiel, TVA) ;
- enfin, la proposition 4 consiste à favoriser l'application des outils juridiques de coopération entre collectivités territoriales et leurs groupements par une meilleure diffusion et application du guide des coopérations.
Les quatre propositions suivantes visent à adapter les ressources humaines des collectivités aux besoins de nouvelles compétences :
- la proposition 5 consiste à assouplir les règles d'affectation des fonctionnaires territoriaux en fonction de la taille de la collectivité (y compris hors fonction publique territoriale, FPT) ;
- la proposition 6 consiste à développer le recours au contrat de projet ;
- la proposition 7 consiste en la mise à disposition par l'État d'ingénieurs et de cadres pour la durée d'un projet ;
- enfin, la proposition 8 consiste à développer la formation professionnelle continue en matière d'ingénierie au niveau national.
Les quatre dernières propositions visent à ouvrir de nouveaux moyens financiers en faveur de l'ingénierie publique locale :
- la proposition 9 consiste à ne pas comptabiliser les dépenses d'ingénierie au titre des dépenses de fonctionnement prises en compte dans la contractualisation dite de Cahors ;
- la proposition 10 consiste à affecter une partie des crédits de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) (un milliard d'euros en 2019) et de la Dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) (570 millions d'euros) vers les frais de rémunération de personnels dédiés à l'ingénierie, à titre exceptionnel et sur des territoires en besoin tels que les Pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) ;
- la proposition 11 consiste à étudier la possibilité pour les départements d'affecter une part de la taxe d'aménagement à d'autres formes d'ingénieries publiques départementales, telles que les Agences techniques départementales, en plus des deux parts actuellement affectées aux Espaces naturels sensibles (ENS) et Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ;
- enfin, la proposition 12 consiste à rééquilibrer la Dotation globale de fonctionnement (DGF) en faveur du milieu rural ou urbain défavorisé, en particulier pour faciliter le financement de l'ingénierie.
Je cède maintenant la parole à Josiane Costes pour les propositions relatives à l'ANCT.