Chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour l'examen du rapport d'information de Mme Josiane Costes et de M. Charles Guené sur l'ingénierie territoriale et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Cet examen vient clore un cycle puisque notre délégation s'est déjà réunie le 4 juin pour une communication d'étape, ainsi que jeudi dernier à l'occasion de l'audition de Mme Cayeux et de M. Le Breton, respectivement présidente et directeur général de l'ANCT.
Je me félicite de ce rapport des sénateurs Josiane Costes et Charles Guené, qui intervient dix années après le rapport de M. Yves Daudigny (« Les collectivités territoriales : moteurs de l'ingénierie publique »). Cela démontre l'engagement dans la durée de notre délégation sur ce sujet déterminant qu'est l'ingénierie territoriale.
Ce rapport s'inscrit aussi en complément du rapport d'information relatif aux collectivités locales engagées au service de nos ruralités, que nos collègues Bernard Delcros, Jean-François Husson, Franck Montaugé et Raymond Vall ont présenté à l'automne dernier, et dont certaines recommandations concernaient également l'ingénierie.
L'ensemble de ces travaux démontre la volonté de notre délégation de soutenir les territoires les plus fragiles.
Merci Monsieur le président. Nos précédentes réunions ont principalement porté sur l'ANCT, avec notre communication d'étape sur les points de vigilance concernant les modalités d'intervention de l'Agence, puis l'audition de sa présidente et de son directeur général sur la feuille de route qui venait d'être adoptée. Je voudrais en revenir au sujet initial de nos travaux, celui de l'ingénierie territoriale au sens large, qui ne se réduit pas aux seuls moyens de l'État, et qui repose aujourd'hui en grande partie sur les collectivités territoriales. Dix ans après le rapport d'information de notre collègue Yves Daudigny, la situation a profondément évolué.
C'est pourquoi je propose d'utiliser l'expression d'« ingénierie dans les territoires », qui rend mieux compte de la diversité de nos territoires et de leurs acteurs. En complément de l'ingénierie publique de l'État, je souhaite ainsi mettre en avant les termes d'ingénierie publique locale pour désigner toutes les ressources d'assistance technique, juridique et financière relevant de la sphère des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs syndicats, agences ou sociétés.
Mon propos s'articulera en trois points. Le premier concerne le désengagement de l'État dans son soutien aux collectivités territoriales ; puis, en conséquence, le développement d'une ingénierie publique locale principalement structurée autour des départements ; mais qui, de par la diversité des situations locales, des moyens financiers et humains, ne couvre pas tous les besoins, notamment en ingénierie stratégique et de conception.
On peut attribuer le désengagement de l'État à deux causes principales.
Dès le début des années 2000, le changement de régime juridique des prestations d'assistance technique a fait entrer l'ingénierie traditionnellement fournie par l'État dans le champ concurrentiel et les règles des marchés publics. Par la suite, les réformes successives tendant à la rationalisation et à la réorganisation des services de l'État à partir de 2007 (la Révision générale des politiques publiques, RGPP) ont conduit l'État à abandonner, entre 2012 et 2016, les prestations de maîtrise d'oeuvre, l'Assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT) et les missions de régulation des services publics d'eau potable et d'assainissement.
Le retrait de l'État a été rapide et les moyens maintenus se sont révélés limités.
Sur le volet ingénierie administrative, environ 400 postes dans les directions départementales des territoires pour accompagner les collectivités dans le cadre du dispositif de « Nouveau conseil aux territoires », puis le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), créé en 2013 pour reprendre avec 2 500 personnels l'ingénierie de deuxième niveau (conception de projet, ensemblier) de l'ex ministère de l'Équipement, suite à la suppression des Directions départementales de l'équipement (DDE) sur des thématiques techniques (ouvrages d'art, infrastructures de transport, mobilité, littoral, environnement, patrimoine).
Pour pallier ce déficit de moyens et répondre aux « besoins d'État », voire au sentiment d'abandon exprimé par les collectivités, l'État a adopté une directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'État dans les territoires 2016-2018, qui visait à maintenir un État « expert », « incitateur » et « facilitateur », et à mutualiser tous les moyens de l'État, de ses opérateurs et de ses agences.
Toutefois, comme on le voit sur l'inventaire des acteurs compétents dressé dans le cadre de cette directive nationale, les moyens en ingénierie développés par les collectivités territoriales n'étaient pas même cités.
Pourtant, même si le développement de l'ingénierie publique locale a été plus progressif que le retrait de l'État, il s'est solidement structuré autour des compétences attribuées aux départements pour la mise à disposition d'une assistance technique, pour des raisons de solidarité territoriale, dans les domaines de l'aménagement, de la voirie, de l'eau, de l'assainissement, de la restauration et de l'entretien des milieux aquatiques, la prévention des inondations, de l'habitat, destinée aux communes et Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui ne bénéficient pas des moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétence.
D'après l'Association nationale des agences techniques départementales, 70 départements apportent une assistance technique, juridique ou financière :
- 55 sous forme d'agence technique départementale (48 sous forme d'établissement public administratif et 7 sous la forme d'une association, d'un syndicat mixte ou d'une société publique locale) ;
- 15 sous forme de régie.
Leurs moyens sont d'environ 70 millions d'euros et 860 agents.
Par ailleurs, les collectivités territoriales et leurs groupements emploient 28 000 ingénieurs territoriaux titulaires et 6 000 contractuels. Compte tenu du nombre de collectivités, on peut estimer que l'estimation de 30 000 communes ou intercommunalités qui n'ont pas les moyens d'organiser leurs propres services d'ingénierie est toujours d'actualité.
L'offre d'ingénierie publique locale demeure diverse et ne couvre pas tous les besoins.
Les domaines qu'elle couvre concernent principalement la gestion patrimoniale (urbanisme, voirie, bâtiments, espaces publics, eau, assainissement, patrimoine historique), l'informatique et la dématérialisation des services publics, l'appui au développement territorial (projets de territoires...) et les conseils divers (énergie, juridique, financier). Ces prestations relèvent majoritairement du conseil et de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, et plus rarement de la maitrise d'oeuvre et de la formation. Cette ingénierie de premier niveau (opérationnelle) répond essentiellement à des besoins ordinaires des collectivités locales. Elle s'avère insuffisante pour des projets très spécialisés ou exceptionnels (ouvrages d'art, ponts, patrimoine). Globalement, on constate une carence d'ingénierie à tout niveau, particulièrement en milieu rural, et d'études dites amont pour concevoir les projets.
La montée en puissance et en compétences des acteurs locaux est réelle. Nous avons rencontré en Haute-Saône et dans les Côtes-d'Armor des acteurs locaux et des agences techniques départementales que l'on peut qualifier de puissantes, avec des compétences très diversifiées. Malgré tout, les situations locales sont très contrastées. Elles dépendent du niveau des agences locales, de leurs moyens, mais aussi du maillage territorial pertinent pour concevoir et développer les projets, de la connaissance des acteurs locaux entre eux et de leur volonté de travailler en commun.
J'en viens à notre première série de propositions en faveur de l'ingénierie publique locale. Elles sont au nombre de 12 et visent à mieux faire reconnaître le rôle de l'ingénierie publique locale, à adapter les ressources humaines des collectivités aux besoins de nouvelles compétences et à ouvrir de nouveaux moyens financiers.
Les quatre premières propositions visent à reconnaitre le rôle de l'ingénierie publique locale :
- la proposition 1 consiste à améliorer la connaissance de toutes les ressources d'ingénierie publique locale pour tisser des liens entre les acteurs locaux qui, parfois, ne se connaissent pas ;
- la proposition 2 consiste à conforter ou favoriser l'émergence d'une offre d'ingénierie publique locale dans chaque département, en lien étroit avec le conseil départemental, pleinement reconnue par les services déconcentrés de l'État et associée aux actions de l'ANCT ;
- la proposition 3 consiste à harmoniser l'environnement juridique et fiscal de la rémunération des services d'assistance fournis par les départements (périmètre des missions, secteur concurrentiel, TVA) ;
- enfin, la proposition 4 consiste à favoriser l'application des outils juridiques de coopération entre collectivités territoriales et leurs groupements par une meilleure diffusion et application du guide des coopérations.
Les quatre propositions suivantes visent à adapter les ressources humaines des collectivités aux besoins de nouvelles compétences :
- la proposition 5 consiste à assouplir les règles d'affectation des fonctionnaires territoriaux en fonction de la taille de la collectivité (y compris hors fonction publique territoriale, FPT) ;
- la proposition 6 consiste à développer le recours au contrat de projet ;
- la proposition 7 consiste en la mise à disposition par l'État d'ingénieurs et de cadres pour la durée d'un projet ;
- enfin, la proposition 8 consiste à développer la formation professionnelle continue en matière d'ingénierie au niveau national.
Les quatre dernières propositions visent à ouvrir de nouveaux moyens financiers en faveur de l'ingénierie publique locale :
- la proposition 9 consiste à ne pas comptabiliser les dépenses d'ingénierie au titre des dépenses de fonctionnement prises en compte dans la contractualisation dite de Cahors ;
- la proposition 10 consiste à affecter une partie des crédits de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) (un milliard d'euros en 2019) et de la Dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) (570 millions d'euros) vers les frais de rémunération de personnels dédiés à l'ingénierie, à titre exceptionnel et sur des territoires en besoin tels que les Pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) ;
- la proposition 11 consiste à étudier la possibilité pour les départements d'affecter une part de la taxe d'aménagement à d'autres formes d'ingénieries publiques départementales, telles que les Agences techniques départementales, en plus des deux parts actuellement affectées aux Espaces naturels sensibles (ENS) et Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ;
- enfin, la proposition 12 consiste à rééquilibrer la Dotation globale de fonctionnement (DGF) en faveur du milieu rural ou urbain défavorisé, en particulier pour faciliter le financement de l'ingénierie.
Je cède maintenant la parole à Josiane Costes pour les propositions relatives à l'ANCT.
J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter la création de l'ANCT le 4 juin dernier, lors de notre communication d'étape sur les 8 points de vigilance que nous lui avions communiqués, et sur lesquels sa présidente et son directeur général ont pu répondre lors de leur audition la semaine dernière.
Si nous avons eu des précisions sur les modalités d'intervention de l'Agence et la feuille de route qu'elle a adoptée le 17 juin dernier, l'essentiel des points de vigilance demeure, notamment la question des moyens financiers et humains, qui nous paraissent limités. À ce sujet, il a été intéressant d'entendre dire par la présidente du conseil d'administration de l'agence que les 10 millions d'euros initialement dédiés à l'ingénierie sur mesure ne sont pas suffisants et qu'elle en demandera le doublement pour les années suivantes.
Je vous ferai un rappel très bref de la création de l'ANCT.
Le principe d'une nouvelle agence a été annoncé par le Président de la République à l'occasion de la Conférence nationale des territoires organisée au Sénat le 17 juillet 2017. La loi portant création de l'ANCT a été promulguée en juillet 2019, pour une création juridique de l'agence au 1er janvier 2020.
L'ANCT est un « opérateur d'opérateurs », elle rassemble le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Agence du numérique et l'Établissement public de restructuration et d'aménagement des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA).
Les trois axes d'intervention de l'ANCT sont « le déploiement de programmes d'appui territorialisés », « l'aide à la conception et à la mise en oeuvre de projets de territoires, dans le cadre de contrats territoriaux intégrateurs, les contrats de cohésion » et « l'appui en ingénierie et sur-mesure à des projets locaux qui ne pourraient aboutir sans le soutien spécifique de l'agence et de ses partenaires ».
Sur un effectif de 331 postes, 59 seront dédiés au soutien des collectivités territoriales au titre de l'ingénierie d'État.
Pour l'heure, il est évidemment bien trop tôt pour dresser un bilan. L'agence vient d'adopter sa feuille de route et les conventions avec ses cinq opérateurs de référence (le Cerema ; l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat - l'ANAH -, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine - l'ANRU -, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - l'ADEME - et la Banque des territoires). En outre, un appel d'offres pour la désignation des prestataires locaux d'ingénierie est en cours.
La gouvernance locale de l'Agence reposera sur le préfet, en qualité de délégué territorial unique qui aura la charge de constituer et d'animer un comité local de cohésion des territoires.
Nous ne pouvons que souhaiter la réussite de cette agence. Cependant, il ne faudrait pas que derrière l'annonce d'un « retour de l'État dans les territoires », elle se limite à une réorganisation administrative et à une fusion de trois agences de l'État déjà existantes et sans moyens supplémentaires. Si l'ANCT n'est qu'un « opérateur d'opérateurs », qui eux-mêmes continuent à fonctionner en silo, le dispositif risque de ne pas changer significativement la donne au niveau local.
L'intervention de l'ANCT ne doit pas déstructurer ou désorganiser l'offre d'ingénierie préexistante.
Certains élus craignent une tentative de recentralisation plus ou moins directe de l'ingénierie qui, par ailleurs, existe de manière autonome à travers les Agences techniques départementales.
Pour les élus locaux, la priorité est que l'Agence soit en mesure de sortir de la logique verticale visant à décliner localement les programmes décidés à l'échelle nationale et soit à même de renforcer l'appui aux projets de territoire et l'aide à leur émergence.
Aussi, je vous exposerai une série de propositions spécifiques à l'ANCT pour l'accompagner dans son déploiement à travers les territoires. Ces propositions sont au nombre de 13, réparties en 5 objectifs :
- le premier objectif vise à conforter la gouvernance nationale et locale de l'ANCT dans le pilotage des politiques transversales. Pour cela, notre proposition 13 consiste à renforcer la dimension interministérielle de l'ANCT pour conforter sa mission de pilotage de politiques transversales multi opérateurs. Notre proposition 14 consiste à affirmer le rôle du préfet de département en qualité de délégué territorial de l'ANCT comme interlocuteur unique pour la mobilisation des moyens d'ingénierie de l'État et de ses opérateurs, et comme facilitateur en ce qui concerne le recours à l'ingénierie publique locale, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales ;
- le deuxième objectif vise à faire de l'ANCT le pivot de la mutualisation des ressources locales d'ingénierie. Pour cela, notre proposition 15 consiste à créer une plateforme numérique, en données collaboratives et ouvertes, dressant la cartographie exhaustive de tous les moyens d'ingénierie publique au sens large, réunissant les moyens de l'État, de ses services déconcentrés, de ses agences, ainsi que ceux des collectivités, de leurs établissements publics, de l'ensemble des réseaux d'opérateurs, associatifs, consulaires et de l'offre privée. Notre proposition 16 consiste à diffuser les bonnes pratiques en développant une culture de réseau collaborative et de retour d'expérience sur les projets (entre comités locaux de cohésion des territoires, comité régional des financeurs, conférence des territoires et-ou conférence des maires organisée dans chaque département, le réseau des Secrétariats généraux pour les affaires régionales, SGAR, réseaux consulaires, etc.) ;
- le troisième objectif vise à faire de l'ANCT un acteur de la différenciation et de la subsidiarité. Pour cela, notre proposition 17 consiste à adapter la doctrine d'action de l'agence aux spécificités du maillage territorial, qu'il s'agisse des échelons communaux, départementaux et de la nécessaire coordination avec les stratégies régionales, mais aussi des intercommunalités et des PETR qui, dans les territoires de faible densité, constituent la maille adéquate de gestation et de réalisation des projets. Notre proposition 18 consiste à construire le guichet unique sur la base d'une culture de qualité de service et de résultat auprès des collectivités en confortant les moyens des services déconcentrés de l'État - notamment les Directions départementales des territoires et de la mer (DDT-M) - et en associant ses partenaires locaux ;
- le quatrième objectif vise à prioriser l'ingénierie sur mesure et écouter les besoins des territoires pour faire émerger les projets locaux. Pour cela, notre proposition 19 consiste à affecter les crédits de l'Agence pour le soutien à l'ingénierie sur mesure aux seuls projets initiés par les collectivités qui en ont le plus besoin, non à la déclinaison locale de programmes nationaux. Notre proposition 20 consiste à pérenniser et renforcer l'enveloppe budgétaire dédiée à l'ingénierie sur-mesure, et notre proposition 21 consiste à clarifier les rôles respectifs de la DGCL, de l'ANCT et des instances locales de gouvernance (Comités locaux de cohésion des territoires et Comité régional des financeurs) dans la décision d'attribution des crédits. Notre proposition 22 consiste à évaluer annuellement l'action de l'ANCT sur la base d'indicateurs de performance retraçant dans les documents budgétaires l'accompagnement des projets locaux, notamment ceux qui n'auraient pu se développer sans l'appui de l'Agence ;
- enfin, le cinquième objectif vise à faire de l'ANCT un outil de lutte contre les inégalités territoriales. Pour cela, notre proposition 23 consiste à sortir de la logique d'appel à projet pour favoriser l'émergence des projets initiés localement (élus locaux, initiatives citoyennes, etc.). Notre proposition 24 consiste à prioriser l'accompagnement dans les territoires les plus fragiles, et notre proposition 25 consiste à créer une offre de service d'ingénierie de conception de projets pour les territoires qui présentent des potentialités inexploitées.
Comme vous le voyez, nous ne formulons pas de critiques par avance. Nous souhaitons proposer une ligne de conduite à cette nouvelle agence pour prioriser le soutien aux projets locaux.
Je vous remercie.
Merci à vous deux. Nous avons eu raison de prendre notre temps et d'aller au fond des choses. Nous aboutissons à un travail intéressant et utile. J'espère que chacun saura en prendre son miel. Nous arrivons au terme de notre démarche. Elle s'achèvera ce matin par une conférence de presse autour de Gérard Larcher sur les propositions du Sénat pour la décentralisation.
La parole est maintenant aux sénateurs.
Je dois vous dire que l'audition de la semaine dernière m'a laissé sur ma faim. Je n'ai toujours pas compris quelle pourrait être la valeur ajoutée de l'ANCT par rapport à l'ANRU dans les territoires urbains. Je finis par me demander s'il n'aurait pas mieux valu centrer l'ANCT sur les territoires ruraux, dans lesquels le manque d'ingénierie est criant. J'espère me tromper, mais je crains que l'ANCT n'apporte surtout de la complexification dans les territoires urbains.
Pour en venir au rapport qui vient de nous être présenté, comment faut-il comprendre la proposition 12, qui consiste à rééquilibrer la DGF en faveur du milieu rural ou urbain défavorisé ?
Je dois dire que malgré la très grande sympathie et le grand respect que j'ai pour la présidente de la structure, qui est une femme expérimentée et intelligente, je me suis posé les mêmes questions que vous. C'est tellement français de ne pas savoir tourner des pages au profit de quelque chose de plus solide...
l. - Je me pose aussi beaucoup de questions. Très sincèrement, je n'ai pas compris comment la chose allait fonctionner. J'ai très bien compris l'intention et la finalité : il s'agit d'une réponse apportée par l'État au déficit d'ingénierie et de matière grise remonté par les élus dans beaucoup de collectivités. En revanche, sans vouloir remettre en cause les personnes et la présidente, je me demande encore comment cette agence va fonctionner. À ce stade, elle est surtout un « machin ». Par exemple, qui décidera de la priorisation des dossiers ? Ayons la franchise de poser les bonnes questions, comme vous venez de le faire.
J'espère que nous ne retrouverons pas la difficulté que nous avons déjà avec les agents qui assument des fonctions de l'État. Il faudra un véritable patron, qui incitera tout le monde à travailler ensemble. En tant qu'élue locale, j'ai vraiment le souci que le dispositif fonctionne et qu'il soit utile.
Je n'ai pas une position particulièrement hostile à l'ANCT. Je pense que le fait de vouloir optimiser la mise à disposition de l'ingénierie d'État à l'ensemble des collectivités est une bonne chose. Ayons confiance en l'avenir et essayons d'accompagner le développement de cette agence et son articulation avec les territoires.
En revanche, je ne vois pas suffisamment apparaître la question des coopérations avec les collectivités territoriales. Dans la proposition 15, vous parlez de l'ANCT en tant que pivot. Il s'agit d'une ambition qui peut être mal vécue. L'ANCT est l'un des pivots, mais ce n'est pas le seul. Personnellement, je défends la notion de coopération avec les collectivités territoriales. J'aurais souhaité que l'ANCT recherche systématiquement des conventions de coopération avec les régions et les départements. Aucun objectif n'a été fixé à l'ANCT en termes de signature de conventions de coopération. Je pense qu'il s'agit d'une faiblesse. Cette notion de coopération territoriale me manque. J'aurais préféré faire de l'ANCT l'un des pivots, et non pas le pivot, dans la recherche de coopérations.
J'ai également un souci avec l'identification des points d'entrée. Pourtant, cette notion est très importante. Les communes devront-elles contacter directement l'ANCT pour essayer de mobiliser de l'ingénierie ?
Enfin, concernant la proposition 17, je souhaiterais que l'ANCT élabore un plan d'action et d'adaptation de l'ingénierie aux réalités territoriales, et que ce plan soit validé au sein du comité départemental. Discuter de ce plan d'action et d'adaptation avec les parties prenantes me semble être un premier pas pour renforcer les coopérations.
Au-delà du travail des rapporteurs, qui est excellent, les interrogations sur la capacité à bien travailler ensemble avec les dispositifs existants, que ce soit au niveau des départements, des villes ou des agglomérations, sont légitimes.
Nous avons tous envie que cet outil fonctionne et qu'il soit à la hauteur des attentes des territoires. Les propositions de nos rapporteurs comprennent des pistes à creuser. J'ai été particulièrement sensible à la proposition 14, qui consiste à redonner un rôle central au préfet. Il me paraît important d'inclure le préfet dans le dispositif. Sinon, comment les projets seront-ils choisis ?
Je ne doute pas de la volonté de la présidente de l'ANCT, mais aura-t-elle les moyens de ses ambitions ? Ce dispositif répondra-t-il aux attentes extrêmement fortes des territoires ?
La connaissant, soit elle fera progresser la structure dans la bonne direction, soit elle saura dignement tirer certains enseignements d'une démarche qui ne correspond pas à ses attentes. Elle n'est pas le genre de personne à s'inscrire dans une logique de structure.
L'ANCT est un bel outil, mais n'oublions pas que nous sommes actuellement en sortie de crise. Nous avons besoin de relance économique, et les plus grands investisseurs sont les collectivités territoriales. Ne recentrons pas tout au niveau de la région, du département ou de l'agglomération car les communes ont aussi besoin d'investir. Laissons aux communes la liberté de leurs choix d'investissement.
Merci de l'intérêt que vous avez manifesté pour notre rapport. Nous aurions pu appeler ce dossier « le dossier de toutes les inquiétudes » car nous nous sommes posé les mêmes questions que vous. Nous ne nous sommes pas focalisés sur l'ANCT. Nous sommes partis des besoins en ingénierie de notre pays et nous avons analysé en quoi l'ANCT permettrait d'y répondre. Notre but n'est pas de faire un procès d'intention. Nous avons réalisé ce rapport en même temps que l'ANCT se mettait en place. Nous lui avons fait des suggestions. Certaines ont été retenues, d'autres non. Cette agence peut être particulièrement utile à notre pays, à condition qu'elle soit adaptée à la diversité de nos territoires.
Les préfets seront les patrons de l'ANCT. La crise nous a appris que les préfets pouvaient être utiles. Il faudra tout de même poser des limites. En tout cas, les résultats seront différents selon la manière dont les préfets appréhenderont leur territoire. Nous ne pouvons pas plaquer une formule nationale sur l'ensemble du territoire.
Il existe une volonté de réorganiser les services de l'État. Nous avons craint que l'ANCT ne soit qu'une réorganisation des services de l'État. Or nous n'avons pas besoin que de cela. Nous avons vraiment besoin d'une organisation globale.
Selon moi, les conventions de coopération apparaissent en filigrane de l'esprit dans lequel l'ANCT a été constituée. Nous pourrons affiner nos propositions en ce sens. S'agissant de la question sur la DGF, nous ne proposons pas de formule toute faite mais souhaitons que la problématique d'ingénierie des territoires ruraux soit prise en compte à l'occasion d'une future réforme.
Notre rapport porte sur l'ingénierie territoriale en général. Nos déplacements sur le terrain nous ont permis de constater la grande variété de l'ingénierie qui est à la disposition des territoires. Les besoins ne sont pas les mêmes partout. Nous avons interrogé nos interlocuteurs des territoires sur la manière dont ils percevaient l'ANCT. Nous avons senti beaucoup de flou et d'anxiété. L'ANCT pourrait avoir un rôle important à jouer sur les territoires qui ont très peu d'ingénierie. C'est en tout cas ce que nous espérons. L'ANCT s'adaptera en marchant. C'est ce qui me rend optimiste. Rien n'est figé. Le pire serait qu'elle ne soit qu'une couche supplémentaire qui paralyse le système.
La porte d'entrée du maire d'une petite commune rurale qui a un projet est le préfet. Or les préfets n'ont pas tous les mêmes qualités. C'est un premier problème. De plus, ils ne restent souvent pas très longtemps. C'est un second problème. Il est à craindre que cela n'engendre des ruptures de politiques. Tout remettre entre les mains du préfet revient, d'une certaine manière, à tout remettre entre les mains de l'État. Cela pose question.
Ce sont 7 millions d'euros qui seront affectés la première année au « sur mesure » pour tout le territoire français. Ce n'est pas beaucoup. En outre, les projets devront être présentés au Comité local de cohésion des territoires, présidé par le préfet. Sur quels critères les projets seront-ils sélectionnés ? Des élus siègeront-ils dans ce comité ? Je ne voudrais pas que, de filtre en filtre, le système soit ralenti, alors que c'est justement l'inverse qui est recherché. J'avais posé cette question à M. Le Breton. Je n'ai pas eu de réponse. Dans certains départements, l'ANCT est même perçue comme un perturbateur.
Dans le Haut-Rhin, qui est très bien organisé, nous n'avons pas besoin de l'ANCT.
C'est exactement ce que nous avons entendu. Dans d'autres départements, notamment ceux qui ont peu d'ingénierie et peu de moyens financiers, l'ANCT est très attendue. Les situations sont donc variées. Il faudra faire preuve de souplesse.
L'ANCT est un lieu de connaissance et de mise en relation. D'une certaine manière, elle aura le rôle d'un assembleur. Il faut savoir que des territoires qui ne sont pourtant pas très éloignés les uns des autres ne se connaissent pas.
Concernant la proposition 14, l'affirmation du rôle du préfet de département en tant qu'interlocuteur unique doit se faire dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales.
Nous avons formulé des recommandations. Nous espérons qu'elles seront prises en compte. Aujourd'hui, il subsiste encore beaucoup de flou. Les choses se mettront en place en cheminant, et pas de manière uniforme sur l'ensemble du territoire. Il faudra faire preuve d'adaptation.
Concernant les moyens financiers, le problème de la péréquation est qu'elle crée de l'angoisse d'une année sur l'autre dans les départements qui en vivent, car ils ne savent pas ce qui les attend l'année suivante. Le sujet devrait être traité au niveau de la DGF de manière pérenne.
La relance sera un très bon test. Nous verrons ce que l'ANCT est capable de faire. Parmi les projets phares, la priorité est donnée au déploiement de 10 000 accompagnements sur le volet « Industrie du futur ». Dans la philosophie d'action déployée par l'ANCT, le soutien à l'ingénierie est ciblé avec le déploiement de 30 chefs de projet dans des territoires industriels plus fragiles.
Nous ne sommes pas tellement inquiets de la manière dont l'État recadrera ses politiques. Les politiques verticales fonctionnent plutôt bien, même si nous avons senti des inquiétudes chez le patron de l'ANRU. De même, la Banque des territoires ne regarde pas forcément l'ANCT avec les yeux de Chimène. Toutefois, c'est surtout dans le sur mesure que nous attendons l'ANCT, dans la manière dont elle aidera certains territoires à se mettre en mode projet et à reprendre en main leur destin. L'ANCT sera-t-elle une réponse ou une nouvelle réorganisation de l'État ?
Le travail remarquable que vous avez effectué marque presque davantage les esprits que l'objet. Nos débats le prouvent. Nous avons encore du mal à identifier l'ANCT, mais vous avez eu l'intelligence de ne pas vous focaliser sur ses points faibles et ces inquiétudes. Je pense vraiment que ce travail sur l'ingénierie territoriale sera utile. Il méritera une révision régulière. Vous avez su aller au fond des choses et faire preuve de subtilité et de finesse.
Je voudrais maintenant vous demander l'autorisation formelle de publier de rapport.
La délégation donne son accord à l'unanimité.
Je voudrais aussi vous demander l'autorisation formelle de publier les travaux de la commission sur le Covid-19.
La délégation donne son accord à l'unanimité.