Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est appelé aujourd’hui à examiner une proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, déposée par Mme Yaël Braun-Pivet et adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin dernier.
Ce texte a pour ambition d’apporter une réponse à l’enjeu majeur que représente, pour la sécurité de notre pays, la libération de plus de 150 terroristes d’ici à la fin de l’année 2022. Il crée, à cet effet, une nouvelle mesure de sûreté.
Sur le fond, notre commission des lois ne pouvait qu’accueillir favorablement ce texte, qui répond à un constat qu’elle avait elle-même dressé au mois de février dernier, à l’occasion du bilan de la loi SILT. Une proposition de loi similaire à celle que nous examinons aujourd’hui a d’ailleurs été déposée par Philippe Bas et Marc-Philippe Daubresse, dès le début du mois de mars dernier. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait pris l’initiative d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de notre assemblée.
La proposition de loi a pour principal objet de créer une nouvelle mesure de sûreté, dédiée à la prise en charge des condamnés terroristes qui sortent de détention. Elle prévoit également de faire du suivi socio-judiciaire une peine complémentaire obligatoire.
Ce texte vient combler un vide juridique dénoncé par de nombreux acteurs de terrain. Le législateur a considérablement renforcé l’arsenal antiterroriste au cours des dernières années, mais il s’est concentré sur la répression et le régime des peines, sans anticiper la question du suivi à l’issue de l’exécution de la peine.
Nous sommes donc dans une situation paradoxale et peu satisfaisante : les individus condamnés pour des faits de terrorisme sont aujourd’hui les plus suivis en détention, mais les moins accompagnés au moment de leur libération. Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que rien n’existe. Pour autant, les outils tant judiciaires qu’administratifs se révèlent incomplets et inadaptés à l’enjeu.
C’est pourquoi la commission a approuvé le principe de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi. Toutefois, je sais que la mesure suscite des craintes, notamment sur sa constitutionnalité, y compris au sein de cet hémicycle.
À cet égard, je tiens à insister sur un point : la mesure créée ne constitue en aucun cas une « peine après la peine ». Il s’agit d’une mesure de sûreté, au sens de la jurisprudence définie par le Conseil constitutionnel. Elle a pour objet non pas de sanctionner, mais bien de prévenir la récidive et la commission de nouveaux actes de terrorisme. Elle se fonde non sur la culpabilité de la personne, mais sur sa dangerosité évaluée à l’issue de sa période de détention.
N’oublions pas que, en 2008, le Conseil constitutionnel a admis l’existence de mesures de même nature et validé la rétention et la surveillance de sûreté.
Cela étant, il est de notre responsabilité de trouver le point équilibre entre sécurité et liberté. La commission des lois s’est efforcée d’y travailler la semaine dernière. Il s’agit d’un exercice difficile, mais je crois que nous y sommes parvenus.
Nous avons apporté une série de garanties pour assurer la constitutionnalité de la mesure.
Nous avons tout d’abord encadré le champ d’application de la mesure, en la limitant aux personnes condamnées aux peines les plus lourdes, supérieures à cinq ans d’emprisonnement. Il s’agit de répondre à une exigence constitutionnelle, à l’instar de ce qui est prévu pour la rétention et la surveillance de sûreté.
Dans le même état d’esprit, nous avons précisé l’articulation de la mesure créée avec les dispositifs existants. Il s’agissait non seulement de garantir que la mesure ne soit prononcée que lorsqu’elle est strictement nécessaire et adaptée pour suivre ces profils, mais aussi de veiller à une articulation fluide avec les mesures administratives, notamment les Micas.
Enfin, nous avons apporté plusieurs ajustements à la procédure, même si le texte de l’Assemblée nationale était déjà équilibré sur ce point et garantissait le respect des droits de la défense.
Notre principale modification porte sur le contenu des réquisitions du procureur antiterroriste. Il nous est apparu indispensable que ces réquisitions s’appuient sur des éléments non seulement circonstanciés, mais également actuels, pour assurer la stricte nécessité et la proportionnalité de la mesure demandée.
Je suis bien consciente que ces changements peuvent sembler restreindre les possibilités de surveillance. Nous avons toutefois intérêt à ce que la mesure soit solide. En cas d’inconstitutionnalité en effet, c’est tout le dispositif qui serait fragilisé, ce qu’aucun d’entre nous ne souhaite.
Parallèlement à ce souci d’équilibre, la commission a cherché à s’assurer du caractère opérationnel de la mesure. Il m’a été indiqué que le texte adopté par l’Assemblée nationale suscitait quelques interrogations, notamment sur son caractère inapplicable.
Pour surmonter ces difficultés, nous avons adopté quatre modifications.
La première porte sur le champ d’application de la mesure, qu’il était essentiel de réviser. Dans le texte de l’Assemblée nationale, le critère de dangerosité était apprécié par deux éléments : d’une part, le risque très élevé de récidive ; d’autre part, « l’adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Ce dernier critère était à notre sens trop restrictif : il se rapprochait de la définition de l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste, ce qui rendait la mesure quasiment inapplicable. En d’autres termes, si ce critère était rempli, alors il aurait été possible d’engager une nouvelle procédure judiciaire à l’encontre de la personne.
Nous avons donc atténué légèrement cette définition, en visant l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, plutôt que l’adhésion à une entreprise terroriste.
La deuxième modification principale concerne la durée de la mesure. Les députés ont prévu une durée d’un an, renouvelable dans la limite de cinq ans, voire de dix ans en cas de condamnation pour crime ou délit grave. Cette durée d’un an est jugée peu opérationnelle par les acteurs judiciaires : elle imposerait d’engager la procédure de renouvellement moins d’un mois après le prononcé de la mesure.
J’ai donc proposé à la commission de porter cette durée à deux ans, comme le prévoyait la proposition de loi de Philippe Bas et de Marc-Philippe Daubresse. J’ajoute que la personne conservera à tout moment la possibilité de demander la mainlevée de la mesure, ce qui me paraît garantir un équilibre satisfaisant.
La troisième modification a trait à l’obligation de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), car la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale la rendait peu opérationnelle.
En effet, contrairement à une idée reçue, le bracelet électronique n’est pas un dispositif utilisé pour suivre en permanence et en temps réel une personne. Il ne sert qu’à s’assurer du respect d’une autre mesure limitant la liberté d’aller et de venir, par exemple une interdiction de paraître dans certains lieux.
L’ensemble des acteurs que nous avons entendus ont été unanimes sur ce point : tel qu’il était rédigé, le placement sous surveillance électronique mobile était inapplicable. C’est pourquoi la commission a associé le PSEM aux autres obligations de surveillance et prévu que ce placement soit prononcé pour contrôler le respect des autres obligations, en particulier l’interdiction de paraître, l’interdiction de fréquenter certaines personnes, etc.
Nous avons en revanche jugé nécessaire de supprimer la possibilité de cumuler le placement sous surveillance électronique mobile et le pointage, qui pourrait être jugée disproportionnée par le Conseil constitutionnel.
Enfin, la commission a renforcé le contenu de la mesure créée.
Elle a, d’une part, renforcé le volet « surveillance » de la mesure, en insérant deux obligations complémentaires : l’interdiction de se livrer à l’activité au cours de laquelle l’infraction a été commise et l’interdiction de détenir ou de porter une arme.
Elle a, d’autre part, renforcé le volet d’accompagnement à la réinsertion, qui était quasiment absent du texte adopté par les députés. Sur ce volet, il a été prévu un suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, parallèlement au suivi qui sera opéré par le juge de l’application des peines.
La commission a également introduit une nouvelle obligation d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation. Nous avons répondu, sur ce point, à une demande forte des acteurs de terrain. N’oublions pas que l’intérêt d’une mesure judiciaire, par rapport à une mesure administrative, est bien de prévenir la récidive, non seulement par des mesures de surveillance, mais également par des mesures d’assistance. Je suis particulièrement attachée à ces apports qui, je le crois, sont nécessaires si nous souhaitons gérer efficacement ces profils.
Pour garantir l’efficacité de l’ensemble de ces obligations et faciliter leur contrôle, la commission des lois a également introduit un article 1er bis prévoyant l’inscription des obligations de la mesure de sûreté au fichier des personnes recherchées.
Face au défi du terrorisme, le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité. Dès 2014, il a pris l’initiative de plusieurs évolutions législatives, qui ont permis de renforcer considérablement notre arsenal pénal antiterroriste, dans le strict respect des libertés individuelles.
C’est ce même esprit qui doit aujourd’hui nous guider et nous amener à approuver collectivement ce texte.
Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des terroristes sortant de détention est une priorité pour la sécurité des Français. C’est ce que je vous propose de faire aujourd’hui.