Séance en hémicycle du 21 juillet 2020 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • terrorisme

Sommaire

La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2020 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme M. le président du Sénat et MM. les questeurs en ont informé, hier, l’ensemble des sénateurs, je vous indique que le port du masque est désormais obligatoire dans l’ensemble des salles de réunion et des espaces de circulation du Sénat, à compter d’aujourd’hui.

Ainsi, il vous est demandé de bien vouloir porter, à partir de ce jour, un masque dans l’hémicycle ; je constate d’ailleurs que vous le faites déjà.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie (proposition n° 242, texte de la commission n° 599, rapport n° 598).

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui a pour objet l’homologation des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.

Sur le fondement de la Constitution, ce territoire dispose, comme la Polynésie française d’ailleurs, d’une autonomie lui permettant de créer des infractions pénales et d’assortir celles-ci de peines. En application des dispositions des articles 87 et 157 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, le Congrès et les assemblées de province de Nouvelle-Calédonie peuvent ainsi assortir de peines d’emprisonnement les infractions qu’ils créent, dans les matières relevant de leurs compétences.

Si cette autonomie est entière pour ce qui concerne, notamment, les peines d’amendes, les peines d’emprisonnement nécessitent quant à elles l’homologation préalable du Parlement. À défaut d’une telle homologation, ces peines ne peuvent être prononcées par les juridictions pénales. Les délais d’homologation sont parfois longs, faute d’un vecteur législatif ; cette proposition de loi permettra donc de rattraper le retard pris, depuis plusieurs années, en la matière.

L’homologation des peines d’emprisonnement est soumise à deux conditions.

En premier lieu, les peines instituées par la collectivité doivent respecter « la classification des délits » ; cela signifie que seules les peines d’emprisonnement prévues en matière délictuelle par la législation nationale peuvent être retenues. Cela implique que ces peines doivent respecter l’échelle des peines d’emprisonnement prévue par l’article 131-4 du code pénal, donc être de deux mois, de six mois, d’un an, de deux ans, de trois ans, de cinq ans, de sept ans ou de dix ans.

En second lieu, la collectivité ne peut prévoir une peine plus sévère que celle qui est prévue en métropole pour une infraction de même nature. En pratique, les peines prévues par les délibérations ou lois de pays sont, le plus souvent, identiques à celles qui sont prévues par les lois nationales, même si elles peuvent leur être inférieures.

La présente proposition de loi tient compte des deux exigences que je viens d’évoquer ; d’une part, elle respecte la classification des délits et, d’autre part, les peines n’excèdent pas le maximum prévu, pour les infractions de même nature, par les lois de la République.

Sur le fond, il s’agit de textes qui relèvent de la compétence des territoires et qui concernent, notamment, le droit social, le droit environnemental, le droit de l’urbanisme, le droit des assurances ou encore le droit du sport. Il est ainsi proposé d’homologuer des peines d’emprisonnement en répression de délits prévus à l’ancien code de la santé publique, applicable en Nouvelle-Calédonie ; 47 infractions sont concernées, telles que la fabrication ou la vente de médicaments falsifiés, à usage humain.

Ce texte concerne également les infractions au code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie, notamment le délit d’exercice illégal de la médecine vétérinaire. Les délits prévus au code des assurances applicable en Nouvelle-Calédonie – je pense par exemple à la direction d’une société d’assurance malgré une interdiction ou une incapacité – sont également concernés.

Il s’agit par ailleurs d’infractions au code de l’urbanisme de la Nouvelle-Calédonie, comme l’exécution de travaux non autorisés par un permis de construire, ou au code de l’environnement de la province Sud, comme le délit d’obstacle aux fonctions d’un fonctionnaire ou agent habilité à exercer des missions de contrôle administratif dans le domaine de l’environnement.

Enfin, sont concernés les délits prévus par la délibération relative à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant ; il s’agit du délit d’émission, par une entreprise, de substances polluantes constitutives d’une pollution atmosphérique, en violation d’une mise en demeure.

L’homologation des peines d’emprisonnement est nécessaire pour assurer, en Nouvelle-Calédonie, une répression équivalente à celle qui existe en métropole.

Prévoir que le juge pénal peut prononcer des peines d’emprisonnement dans ces matières ne signifie pas que ces peines seront systématiquement infligées en répression des infractions commises.

Néanmoins, l’homologation des peines d’emprisonnement permettra d’offrir au juge pénal de Nouvelle-Calédonie un panel plus étoffé et diversifié de peines, comme c’est le cas sur le reste du territoire national. En effet, dès lors qu’une peine d’emprisonnement est encourue, le juge peut prononcer non seulement celle-ci, mais également des peines autres que l’incarcération, comme le travail d’intérêt général, la peine de jours-amendes ou encore le stage de citoyenneté.

Enfin, d’une manière générale, le Gouvernement est favorable, au nom du principe d’égalité, à l’homologation des peines d’emprisonnement, qui permet que des agissements identiques ou similaires soient réprimés par des sanctions de même nature, sur toute l’étendue du territoire de la République.

Cette proposition de loi, qui permettra d’homologuer 82 peines, est, je le sais, très attendue sur ce territoire. Je suis d’ailleurs favorable au fait qu’une proposition de loi de ce type soit examinée annuellement par le Parlement.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur la présente proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous ne m’en voudrez pas, je l’espère, si je n’épuise pas mon temps de parole ; en effet, la commission des lois est sur la même longueur d’onde que vous, monsieur le garde des sceaux, et elle est favorable à l’adoption conforme de ce texte.

Ce vote permettra aux juridictions de Nouvelle-Calédonie de prononcer rapidement des peines d’emprisonnement dans des cas où elles ne peuvent pas le faire.

Par exemple, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, prévus au code du travail de Nouvelle-Calédonie et inspirés du droit français général, ne sont toujours pas assortis, et cela depuis plusieurs années, de la peine d’emprisonnement prévue dans le droit français général. On voit donc bien l’intérêt d’homologuer rapidement ces peines, en adoptant ce texte.

Cette proposition de loi, déposée par Philippe Dunoyer, député de Nouméa, ne fait, pour l’essentiel, que reprendre des textes que nous retrouvons dans le droit français général, d’où l’absence de difficultés dans l’examen de ce texte.

Je me permettrai d’ajouter deux conditions à celles que vous avez rappelées, monsieur le garde des sceaux.

D’une part, la loi organique prévoit effectivement que les assemblées de Nouvelle-Calédonie – le Congrès ou assemblées de province – peuvent adopter des délibérations assorties d’infraction, mais exclusivement dans leurs domaines de compétence. La première vérification à faire consiste donc à s’assurer que les peines prévues ressortissent aux domaines de compétence de la Nouvelle-Calédonie.

D’autre part, il existe une jurisprudence sur le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Nous devons donc vérifier si la description de l’infraction est suffisamment claire pour justifier une peine d’emprisonnement. Si tel n’est pas le cas, l’homologation de celle-ci n’est pas possible. C’est d’ailleurs à ce titre que la commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pas homologué une peine initialement prévue, parce que l’infraction correspondante lui avait paru trop peu précise et faisait référence à un arrêté qui n’était pas, lui-même, d’une clarté absolue.

Si vous me le permettez, mes chers collègues, je présenterai tout de même le texte en quelques mots, pour que vous compreniez de quoi il retourne.

L’article 1er, qui constituait initialement l’article unique de la proposition de loi, prévoit l’homologation de peines d’emprisonnement prévues à différents codes.

Il s’agit du code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie, qui rejoint notre code rural. Sont également visées 4 infractions au code des assurances, correspondant à celles que nous connaissons dans notre propre code des assurances.

Il s’agit encore de 45 peines d’emprisonnement pour des infractions aux règles, identiques aux nôtres, de l’ancien code de la santé publique, toujours applicable en Nouvelle-Calédonie. Sont aussi concernées 4 peines pour les infractions au code du travail ; j’ai abordé les peines de harcèlement moral ou sexuel, mais il y en a d’autres, notamment relatives à la fraude.

Il s’agit par ailleurs d’un texte relatif à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant, avec une définition de la pollution plus restrictive que la nôtre. On peut le regretter et trouver dommage de ne pas aller plus loin, mais nous n’avons pas à nous prononcer sur le fond du droit ; c’est la liberté de la Nouvelle-Calédonie. Nous n’avons qu’à homologuer la décision d’assortir ces infractions de peines d’emprisonnement : ce territoire a une parfaite liberté dans la définition des peines d’amende ou complémentaires.

Est également visé un texte relatif aux manifestations sportives, qui prévoit une sanction pénale pour non-souscription, par l’organisateur de la manifestation, d’une assurance. Ce texte présente encore une nuance par rapport à notre droit ; en effet, la Nouvelle-Calédonie va un peu plus loin, en obligeant l’organisateur d’une manifestation sportive à assurer également les participants et les personnes présentes, ce qui n’est pas le cas en France. Néanmoins, cela ne nous empêche pas d’accepter l’homologation.

Enfin, sont prévues des peines pour des infractions à une loi relative à l’efficacité énergétique, lorsque l’on fait obstacle aux fonctions exercées par les agents contrôleurs.

À cet article 1er, qui n’a posé aucune difficulté aux commissions des lois des deux chambres, se sont ajoutés trois articles, qui visent uniquement des délibérations de la province Sud. La Nouvelle-Calédonie compte en effet trois provinces, mais, notre collègue Dunoyer ayant demandé aux différentes assemblées si celles-ci avaient des textes nécessitant une homologation, seule la province Sud, celle de Nouméa, a répondu dans les délais impartis. Cela ne signifie toutefois pas qu’il ne faille pas être attentif aux autres provinces.

Cela clôt le sujet, mais, vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, il est important que ces homologations, par le Parlement, ne se fassent pas au détour d’un amendement à un texte de loi – cela s’est déjà produit –, ni au travers d’une proposition de loi d’un député de Nouvelle-Calédonie. Il faudrait effectivement prévoir un rendez-vous quasi annuel pour faire le point et examiner les demandes d’homologation de ces décisions.

Bien évidemment, mes chers collègues, je dis tout cela sous réserve de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. La question référendaire est plus intéressante sur le fond et suscitera sans doute plus de débats, mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.

Je vous propose, au nom de la commission des lois, d’adopter le texte dans sa version issue de l’Assemblée nationale, de sorte que puissent entrer en vigueur les peines pénales prévues en Nouvelle-Calédonie et conformes aux peines applicables dans le droit français général, ce qui répondrait à l’attente de nos collègues de ce territoire.

Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Yvon Collin applaudit également.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bignon

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, collectivités d’outre-mer disposant d’une large autonomie interne, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont la possibilité de créer des infractions pénales et de les assortir de sanctions.

Si elles sont pleinement compétentes en matière d’amendes et de peines complémentaires, ainsi que l’ont rappelé M. le ministre et M. le rapporteur, les lois statutaires soumettent toutefois les peines d’emprisonnement à une homologation du Parlement.

Comme le souligne l’exposé des motifs de la proposition de loi que nous examinons cette après-midi, « le plus souvent, l’homologation par le Parlement des peines créées par les assemblées délibérantes ultramarines est obtenue par voie d’amendement ou intégrée dans des projets de loi relatifs aux outre-mer. » En effet, les véhicules législatifs permettant au Parlement de se prononcer sont rares, ce qui a pour conséquence d’allonger les délais d’homologation.

Or, en l’absence d’homologation des peines d’emprisonnement, les juridictions pénales ne peuvent les prononcer, maintenant en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française « un régime de sanctions anormalement léger », dénoncé par les rapporteurs successifs appelés à examiner des dispositions en ce sens.

C’est pourquoi cette proposition de loi est la bienvenue. Elle doit permettre de rattraper le retard accumulé pour l’homologation des peines prévues par la Nouvelle-Calédonie.

Pour cette homologation, un quadruple contrôle doit être effectué. Il faut tout d’abord que les peines d’emprisonnement respectent les dispositions constitutionnelles en matière pénale, en particulier le principe de légalité des délits et des peines. Il faut ensuite que la peine de prison soit prévue dans un domaine de compétences propre de la collectivité. Il faut également que la peine d’emprisonnement n’excède pas le quantum prévu pour l’infraction de même nature applicable sur le reste du territoire de la République. Il faut enfin que les peines respectent le principe de la classification des délits.

Au-delà de ces contrôles de conformité au respect des normes organiques et constitutionnelles, le Parlement est libre d’apprécier l’opportunité même d’assortir les infractions en cause de la peine d’emprisonnement prévue par la Nouvelle-Calédonie.

La proposition de loi, dans sa version initiale, procède à un nombre particulièrement élevé d’homologations, concernant 59 peines d’emprisonnement, dont une quarantaine figurant dans l’ancien code de la santé publique applicable dans cette collectivité.

Chacune des dispositions a été vérifiée et passe l’épreuve des quatre contrôles, le Congrès de Nouvelle-Calédonie s’étant souvent inspiré des peines déjà en vigueur dans le reste du territoire de la République.

Je me réjouis que la commission des lois de l’Assemblée nationale ait enrichi le texte, en y insérant trois articles additionnels.

Le premier procède à l’homologation de peines d’emprisonnement spécifiquement prévues par la province Sud. Le deuxième tend à homologuer les peines d’emprisonnement prévues par la récente loi du pays du 14 janvier 2019 modifiant le livre IV de la partie législative de l’ancien code de la santé publique. Le dernier vise à homologuer une peine d’emprisonnement prévue par la loi du pays du 2 avril 2019 relative à la réglementation des établissements d’accueil petite enfance et périscolaire.

Plus d’un an s’est écoulé depuis l’examen, le 3 juillet 2019, de la proposition de loi par la commission des lois de l’Assemblée nationale, et voilà déjà six mois que les députés l’ont adoptée – c’était le 14 janvier 2020.

L’ordre du jour parlementaire très dense n’a pas permis d’aller au terme de la navette parlementaire dans un délai raisonnable. C’est ainsi que, depuis près de quatre ans, plusieurs peines sont en attente d’homologation. Je me félicite donc que la commission des lois du Sénat fait le choix d’un vote conforme, afin de ne pas retarder davantage l’entrée en vigueur de ces peines d’emprisonnement sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’homologation des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie ne soulève pas de difficultés. De manière générale, comme M. le rapporteur l’a très bien observé, les dispositions du droit néocalédonien sont souvent le décalque des dispositions applicables en métropole.

Le groupe Les Indépendants, au nom duquel je m’exprime, votera ainsi cette proposition de loi, qui constitue un texte important pour le droit calédonien.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à homologuer, en vue de permettre leur entrée en vigueur, des peines d’emprisonnement prévues dans la réglementation de la Nouvelle-Calédonie.

Je tiens, à cette occasion, à saluer mon collègue sénateur centriste Gérard Poadja, dont nous connaissons l’engagement en faveur de son territoire et pour qui l’adoption, aujourd’hui, de cette proposition de loi est de première importance.

Je souhaite également remercier notre collègue député Philippe Dunoyer, auteur de ce texte, pour sa mobilisation en vue de combler un vide juridique important, en procédant à une actualisation de notre législation qui était nécessaire et attendue de longue date.

En effet, en Nouvelle-Calédonie, si le Congrès et les assemblées des trois provinces peuvent créer des infractions pénales dans les domaines de compétences qui leur sont propres et les assortir de sanctions, les peines d’emprisonnement prévues par ces infractions doivent faire l’objet d’une homologation par le Parlement national.

Le travail autour de cette proposition de loi a donc été de recenser l’ensemble des infractions, ainsi que les peines d’emprisonnement en attente d’homologation depuis maintenant plusieurs années. Si la proposition concernait initialement une cinquantaine de peines, ce sont aujourd’hui plus de 70 peines qui ont été introduites dans le texte que nous étudions aujourd’hui.

Cette proposition de loi d’homologation est un texte primordial pour la Nouvelle-Calédonie.

La Chancellerie s’est beaucoup impliquée dans ces travaux. Je tiens à la saluer ici, au nom de Gérard Poadja et de Philippe Dunoyer.

Cette proposition de loi est d’autant plus importante et attendue que les peines concernées ont, pour certaines d’entre elles, été créées en 2014, comme les peines relatives au harcèlement sexuel et moral au travail. Six ans plus tard, les juridictions de Nouvelle-Calédonie ne peuvent toujours pas les prononcer…

Cette proposition de loi est également d’autant plus importante et attendue que l’homologation concerne la répression de délits aussi importants que la vente de médicaments falsifiés, l’exercice illégal de la médecine vétérinaire, l’exécution de travaux sans permis de construire ou encore l’émission par une entreprise de substances polluantes dans l’air. Il y a donc urgence à procéder à l’homologation de ces peines, pour le bon fonctionnement de la justice en Nouvelle-Calédonie.

Je sais porter la voix de Gérard Poadja et des élus du Pacifique en général quand je déclare ici espérer que cette proposition de loi ouvre la voie à un examen plus régulier des demandes d’homologation de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi de la Polynésie française. Jusqu’à présent, en effet, les conditions dans lesquelles le Parlement a procédé à des homologations – par voie d’amendement ou dans le cadre de projets de loi gouvernementaux sur les outre-mer – ont été fort peu satisfaisantes.

La présente proposition de loi constitue donc une très bonne initiative, mais son examen, qui a commencé depuis déjà quatorze mois, nous rappelle les risques qu’encourent ces démarches, notamment du fait des aléas de la navette.

Il faut donc en finir avec les textes de rattrapage. Il faut que le législateur intervienne régulièrement, afin de permettre le bon fonctionnement des territoires ultramarins, dans le respect de leurs statuts et de la diversité de leurs degrés d’autonomie. C’est une demande formulée de longue date par les parlementaires ultramarins. Sa satisfaction irait dans le sens d’une meilleure prise en considération des sujets propres à ces territoires et d’une meilleure administration de la justice sur place.

L’inscription de ce texte à l’ordre du jour constitue un signe positif, qui, je l’espère – et les élus du Pacifique l’espèrent également –, ouvrira la voie à l’institutionnalisation d’un rendez-vous régulier de ce type au Parlement.

L’ancienne garde des sceaux Nicole Belloubet s’y était déclarée favorable lors de l’examen de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale. J’espère, monsieur le ministre, que vous suivrez vous aussi cet engagement. Soyez assuré que ces paroles ne sont pas tombées dans l’oreille de sourds, et que les élus de Nouvelle-Calédonie, mais aussi de Polynésie française seront très attentifs à leur concrétisation.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Jérôme Bignon applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui vise à homologuer, en vue de permettre leur entrée en vigueur, des peines d’emprisonnement prévues dans la réglementation de la Nouvelle-Calédonie.

Comme vous le savez, les collectivités du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, disposent d’une large autonomie, dans le cadre des articles 74 et 76 de la Constitution. Elles ont ainsi la possibilité de créer des infractions pénales et de les assortir de sanctions.

En Nouvelle-Calédonie, cette compétence est encadrée par la loi organique statutaire du 19 mars 1999. Le Congrès et les trois assemblées provinciales peuvent créer des infractions pénales dans les domaines de compétences qui leur sont propres et les assortir de sanctions.

Cette compétence est encadrée par une procédure spécifique, l’homologation par le Parlement des peines d’emprisonnement. Rappelons que, à défaut d’homologation, seules les peines d’amendes et les peines complémentaires prévues par la réglementation locale pourront être prononcées.

Régulièrement mise en œuvre depuis la fin des années 1970, l’homologation des peines d’emprisonnement adoptées en Nouvelle-Calédonie répond à une forte nécessité juridique.

Cette proposition de loi prévoit donc d’homologuer diverses peines d’emprisonnement créées par les institutions calédoniennes au cours des dernières années. Elle concernait initialement une cinquantaine de peines. L’Assemblée nationale a souhaité renforcer le texte, en ajoutant une vingtaine de peines supplémentaires.

Nous ne pouvons qu’appeler à un examen plus fréquent de ces homologations, qui paraissent indispensables pour que la justice puisse s’exercer normalement sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Il est heureux que les institutions de notre Ve République permettent cette souplesse pour les territoires ultramarins. Il est important aussi d’en assurer le bon fonctionnement.

Afin de permettre un examen rapide, notre groupe votera ce texte adopté par l’Assemblée nationale de façon conforme.

Avant de terminer, je souhaite rappeler notre attachement à nos territoires ultramarins. Ceux-ci font pleinement partie de la France. Ils sont la France, dans leur diversité de paysages et de culture, rassemblés sous notre drapeau commun. N’oublions jamais ce que nous devons à ces territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Si la France est notamment aujourd’hui le deuxième espace maritime mondial, derrière les États-Unis, c’est aussi grâce à ces territoires.

Nous avons la chance de disposer, avec eux, d’une richesse singulière, en particulier avec les zones économiques exclusives. Celles-ci regorgent notamment de ressources énergétiques, biologiques, animales et végétales exceptionnelles.

Nous devons protéger cette richesse commune. Je pense notamment aux récifs coralliens, aujourd’hui menacés, qui représentent plus de 58 000 kilomètres carrés de notre territoire, soit plus de 10 % des récifs mondiaux. Avec eux, c’est notre patrimoine naturel et notre avenir que nous devons protéger.

Chacun sait que ces territoires sont marqués par des difficultés économiques et sociales fortes et préoccupantes. Mais nous savons aussi que les investissements dans l’économie de la mer liée à ces zones économiques exclusives, tout comme une meilleure promotion des outre-mer sur le plan touristique et des réflexions sur leur insertion dans l’environnement, notamment avec les pays voisins, pourront, demain, permettre à nos territoires ultramarins de se développer et d’assurer leur avenir.

Applaudissements sur les travées d u groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà près de six ans que des personnes coupables d’infractions pénales n’ont toujours pas vu l’ombre d’un centre pénitentiaire. Harcèlement moral ou sexuel au travail, exercice illégal de la médecine ou encore vente et fabrication de médicaments falsifiés : en l’absence d’homologation, l’ensemble de ces infractions n’est puni que par des amendes et peines complémentaires.

En Nouvelle-Calédonie, le Congrès et les trois assemblées de province disposent du droit de légiférer en matière pénale. Conférée par les articles 74 et 76 de la Constitution, cette autonomie connaît cependant un certain nombre de limites : respect des dispositions constitutionnelles applicables en matière pénale, peines ne devant pas excéder le quantum prévu au niveau national pour les infractions de même nature…

Plus que tout, les peines privatives de liberté sont soumises à une homologation du Parlement français : depuis 2014, ce sont aujourd’hui plus de 70 peines qui ont été accumulées en salle d’attente.

Ce texte est de bon augure, car il permettra enfin de combler un vide juridique important en Nouvelle-Calédonie.

Néanmoins, monsieur le garde des sceaux, ce long délai doit impérativement être pris en considération par le Sénat, car, telle qu’elle existe aujourd’hui, la procédure d’homologation n’est pas satisfaisante. La réponse apportée aujourd’hui est ponctuelle ; nous demandons qu’elle devienne régulière. Pour permettre une bonne administration et une bonne exécution de la justice, elle devrait intervenir au moins une fois par an. La procédure doit donc être de toute urgence simplifiée.

On peut aussi s’interroger sur l’opportunité d’autres véhicules d’homologation, qui seraient plus souples et qui pourraient prendre le relais du Parlement. De plus, ce texte nous rappelle à quel point les sujets ultramarins ne sont pas assez prioritaires. Par ailleurs, qui est réellement en charge des questions de justice en outre-mer au Gouvernement : le garde des sceaux ou le ministre des outre-mer ? Il faudrait, à mon sens, rapidement clarifier l’ensemble de ces questions.

Cela dit, je tiens à saluer le contrôle vigilant du respect des principes constitutionnels de la part des parlementaires et je me réjouis que la commission des lois ait décidé d’accepter l’ensemble des peines proposées à l’homologation.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Cela va réellement permettre au droit néocalédonien d’avancer rapidement et dans la bonne direction.

J’en profite pour ouvrir une parenthèse et féliciter la Nouvelle-Calédonie pour le report au 4 octobre prochain du référendum d’autodétermination. Afin de garantir une participation élevée de nos concitoyens, ce report constitue, à l’évidence, une bonne décision. Vraisemblablement, la terrible crise sanitaire à laquelle nous faisons face ne permettrait pas une expression large. On a pu, hélas, le mesurer sur le territoire métropolitain il n’y a pas si longtemps.

Je veux également saluer l’initiative « Outre-mer en commun », lancée par le Gouvernement et l’Agence française de développement, l’AFD, et dédiée au soutien des collectivités locales et des entreprises ultramarines.

Chiffré à 1 milliard d’euros, ce plan devrait foncièrement aider les économies ultramarines à relever la tête. Il permettra d’atténuer la baisse moyenne attendue de 5 % du PIB pour les économies d’outre-mer. Je me réjouis notamment du prêt amortissable de 240 millions d’euros accordé par l’AFD à la Nouvelle-Calédonie.

Néanmoins, dans une collectivité marquée par de profondes inégalités, ces aides pourraient se révéler encore insuffisantes, notamment pour les jeunes, alors que 36 % d’entre eux sont touchés par le chômage. Dans ces conditions, l’insertion sur le marché du travail pourrait se révéler catastrophique à la rentrée. Il faut de toute urgence appuyer la relance économique dans tous nos territoires.

Enfin, comme l’a très bien souligné le nouveau ministre, M. Lecornu, « les territoires d’outre-mer, ce n’est pas une affaire d’identité, c’est une affaire de cœur ». Par conséquent, pour en revenir au texte qui nous occupe aujourd’hui, j’espère de tout cœur que nous trouverons rapidement une solution afin de simplifier la procédure d’homologation en Nouvelle-Calédonie.

Je m’en remets au Gouvernement, monsieur le garde des sceaux. Nous avons toute confiance en vous !

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui constitue un exemple fort de la diversité et de la richesse des statuts institutionnels ultramarins.

En effet, la Constitution confère à la Nouvelle-Calédonie une large autonomie. Comme la Polynésie française, ce territoire d’outre-mer du Pacifique a la possibilité de créer des infractions pénales dans les domaines de compétences qui leur sont propres et de les assortir de sanctions. Néanmoins, la mise en œuvre des peines d’emprisonnement requiert le recours à la procédure d’homologation par notre Parlement.

Composée de quatre articles, dont trois articles additionnels introduits à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi soumet donc à notre homologation plus de 70 peines d’emprisonnement dans des domaines aussi variés que le droit social, le droit de l’environnement, celui des assurances ou encore celui du sport.

Ces peines, travaillées avec le concours de la Chancellerie, ont passé avec succès la procédure de vérification du respect des trois conditions cumulatives fixées par la loi organique du 19 mars 1999, qui encadre cette compétence.

Vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, ces peines interviennent bien dans des domaines relevant du champ de compétences du Congrès et des trois assemblées provinciales. Leur quantum n’excède pas celui qui est prévu pour une infraction de même nature sur le reste du territoire. Enfin, elles respectent la classification des délits.

Avant de donner la position de mon groupe, qui, vous l’aurez compris, soutient la démarche entreprise par notre collègue député de Nouvelle-Calédonie, je souhaite insister sur le fait que, si la présente proposition représente la diversité de nos territoires d’outre-mer, elle est également le reflet des difficultés que ces territoires rencontrent trop souvent.

En raison de la rareté des véhicules législatifs les concernant, leur sort dépend souvent d’amendements présentés en marge d’autres textes, dont le lien avec l’objet principal est parfois ténu, ou de projets de loi relatifs aux outre-mer en général.

Le dispositif qui nous réunit aujourd’hui ne déroge pas à cette faiblesse, puisque l’homologation de peines la plus récente découle d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi d’actualisation du droit des outre-mer du 14 octobre 2015. D’autres peines d’emprisonnement sont en attente depuis 2014, faute d’avoir trouvé un texte dans lequel s’insérer…

C’est la raison pour laquelle je souscris évidemment à la demande de nos amis calédoniens d’instaurer un rendez-vous annuel, ou à tout le moins beaucoup plus régulier, pour l’homologation des dispositions pénales.

Afin de ne pas retarder davantage l’entrée en vigueur de ces peines d’emprisonnement sur le territoire calédonien, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. Celui-ci a été voté à l’Assemblée nationale à l’unanimité. Dans le même esprit, la commission des lois du Sénat a fait le choix d’un vote conforme. J’en profite pour remercier notre rapporteur de la qualité de son travail et de cette délicate attention.

Je veux profiter du temps de parole qui m’est accordé pour évoquer l’état du centre pénitentiaire de Nouméa.

Dans le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2019, que j’avais choisi de consacrer à la situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer, j’avais souligné que, au centre pénitentiaire de Nouméa, seul établissement de Nouvelle-Calédonie, les conditions de détention, liées à la vétusté et à l’état de surpopulation, étaient régulièrement dénoncées.

À titre d’exemple, le quartier centre de détention de Nouméa, d’une densité de 138, 5 % au 1er octobre 2018, est en surencombrement chronique. La situation a certes connu des améliorations récentes, inspirées des propositions du rapport de Mme Mireille Imbert-Quaretta, conseillère d’État missionnée par Christiane Taubira, alors ministre de la justice, mais force est de constater qu’elle est toujours insatisfaisante.

Pour conclure, le groupe LREM votera sans retenue cette proposition de loi fortement attendue en Nouvelle-Calédonie, qui permettra au juge pénal de ce territoire de disposer des mêmes outils de répression qu’au niveau national.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Dany Wattebled applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’État français a longtemps joué un rôle important dans l’administration de ses territoires du Pacifique Sud.

Issue de la colonisation, cette gestion lointaine depuis Paris tend aujourd’hui à s’estomper. Guidée par le principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et par la nécessité de respecter les spécificités locales, le droit de bénéficier d’une large autonomie la France confère désormais à certains départements et territoires ultramarins, en vertu des articles 74 et 76 de la Constitution.

La Nouvelle-Calédonie s’est ainsi vu autoriser par la loi organique statutaire du 19 mars 1999 le droit à légiférer dans certains domaines restreints, notamment en matière de création d’infractions pénales.

Cependant, le principe a été posé que, lorsque le Congrès de Nouvelle-Calédonie crée une infraction pénale assortie d’une peine d’emprisonnement, celle-ci doit au préalable faire l’objet d’une homologation du Parlement français, faute de quoi elle ne peut être appliquée.

Cette intervention du législateur national est légitime et nécessaire pour deux raisons.

Tout d’abord, elle vise à vérifier que les conditions posées par la loi organique de 1999 sont bien remplies, à savoir que la durée d’emprisonnement édictée par le Congrès calédonien n’est pas supérieure à la durée maximale fixée par le droit positif français pour une infraction similaire.

Ensuite, elle permet à l’État d’exercer ses prérogatives en matière de justice pénale et de protection des libertés individuelles.

Suivant cette procédure, le texte qui nous réunit aujourd’hui vise à faire homologuer par le Parlement français 59 peines d’emprisonnement qui ont été votées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie et ses trois assemblées provinciales. Ces peines d’emprisonnement portent sur des sujets divers : il s’agit de sanctions relatives au harcèlement sexuel et moral au travail ou ayant trait aux domaines de la santé, des assurances et de l’environnement.

Mes chers collègues, nous nous félicitons que l’Assemblée nationale et le Sénat aient accepté d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour. Il y a en effet urgence à agir. Parmi les peines que nous homologuerons aujourd’hui, certaines ont été créées en 2014. Cela veut dire que, six longues années plus tard, les juridictions calédoniennes ne sont toujours pas en droit de les prononcer, faute de validation par le Parlement français…

Comment expliquer que des mesures ayant trait à des contentieux aussi graves que le harcèlement sexuel et moral au travail aient à attendre si longtemps pour être reconnues par les autorités nationales avant de pouvoir être appliquées dans les territoires du Pacifique ? Il est évident qu’une telle insécurité juridique ne peut que fragiliser le statut de la victime et sa confiance dans la justice de notre pays.

Il est par ailleurs problématique de constater que, depuis que la loi de 1999, attribuant cette autonomie normative à la Nouvelle-Calédonie, a été mise en place, les homologations sont peu fréquentes et passent presque systématiquement par des amendements ou des propositions de loi déposées par des parlementaires ultramarins, comme si ceux-ci étaient les seuls garants du fonctionnement du système judiciaire calédonien.

N’est-ce pas au Gouvernement de s’assurer de la bonne application des lois dans tous ses territoires, dans le respect des particularités locales ? L’exécutif ne devrait-il pas produire annuellement un projet de loi recensant toutes les mesures d’emprisonnement édictées en Nouvelle-Calédonie et devant faire l’objet d’une homologation par le Parlement national ?

Nos territoires d’outre-mer n’ont été que trop délaissés par l’État français. Touchés par une crise économique endémique, un chômage de masse et des conditions sociales dégradées, les Français ultramarins ne devraient pas en plus avoir à composer avec un dysfonctionnement de leur droit pénal local, en raison d’un manque de volontarisme des gouvernements successifs.

Il n’est pas non plus acceptable que les détenus calédoniens aient à endurer les conditions de détention très difficiles du centre pénitentiaire de Nouméa, où la surpopulation carcérale atteint un taux de 135 %.

Comme à l’Assemblée nationale, ce texte devrait être adopté sans difficulté au Sénat. Il va sans dire que le groupe CRCE soutiendra cette initiative parlementaire. Il était grand temps !

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voulais tout d’abord exprimer ma gratitude à l’égard du Sénat, qui me donne dix minutes de temps de parole sur ce texte, alors que notre excellent rapporteur Jacques Bigot a d’ores et déjà tout dit, après vous, monsieur le garde des sceaux.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

C’est donc une situation particulière pour moi. D’ordinaire, j’éprouve des difficultés à circonscrire mon propos dans le temps qui m’est imparti. Je rêve d’ailleurs quelquefois de ce qui prévalait naguère dans cette institution, lorsque Robert Badinter parlait deux fois plus que le temps prévu, sans que jamais aucun président de séance ni aucune présidente de séance osât l’interrompre.

Exclamations amusées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je le précise aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, puisque c’est la première fois que j’ai l’occasion de m’adresser à vous depuis cette tribune.

Nous pourrions dire bien des choses sur la Nouvelle-Calédonie. Dans le rapport que j’avais commis avec Mmes Joissains et Tasca en 2014, nous avions formulé de nombreuses recommandations, dont certaines sont – hélas ! – toujours d’actualité. Je pense en particulier à ce qu’a excellemment souligné M. Mohamed Soilihi sur la prison de Nouméa : il y a eu quelques améliorations, mais le travail à faire reste malheureusement très important.

Nous pourrions aussi parler du nickel et de la manière dont les produits de la mine et de l’exploitation reviennent, ou ne reviennent pas, aux habitants de la Nouvelle-Calédonie.

Nous pourrions encore évoquer la situation présente. Cela ne vous a pas échappé, en préparation du deuxième référendum, il y a des tensions non négligeables.

Nous pourrions enfin profiter de l’occasion pour saluer l’œuvre considérable de Michel Rocard, grâce à qui il a pu exister un accord entre deux personnes qui ne sont plus là, mais auxquelles il faut rendre un immense hommage ; elles se sont unies en dépit de tout ce qui les séparait.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Pour ce deuxième référendum – trois sont prévus –, la date proposée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie n’a pas été retenue.

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, il y a aussi un sujet sur lequel j’aimerais entendre votre avis d’éminents juristes. Alors que la juxtaposition du bleu, du blanc et du rouge sur des documents de propagande est interdite par le code électoral, un décret a autorisé l’utilisation de ces trois couleurs lors de ce scrutin par l’une des parties en présence, ce que l’autre ne perçoit pas très bien.

Je me permets de rappeler à cette tribune, après avoir reçu des messages, notamment, de M. Paul Néaoutyine, que les trois couleurs de la France appartiennent à tous les Français, de l’Hexagone et d’outre-mer, jusqu’au moment, naturellement, où serait décidé un autre chemin ; tant que ce n’est pas le cas – n’anticipons en rien –, ces trois couleurs de la France appartiennent à chacune et à chacun.

Chacun le sait, cette homologation des peines d’emprisonnement est nécessaire, et elle doit être exercée sous un quadruple contrôle, dont vous avez abondamment parlé l’un et l’autre. Les peines doivent respecter les dispositions constitutionnelles en matière pénale – c’est la moindre des choses ! –, être prévues dans un domaine de compétence propre de la collectivité, ne pas excéder le quantum prévu pour l’infraction de même nature applicable sur l’ensemble du territoire de la République, le tout dans le respect de la bonne classification des délits.

C’est exactement le cas dans ce texte. Notre rapporteur Jacques Bigot indique : « J’ai examiné – et quand Jacques Bigot dit qu’il a examiné, c’est qu’il l’a véritablement fait !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous voterons bien entendu ce texte, en souscrivant au vœu du député Philippe Dunoyer et de notre collègue Thani Mohamed Soilihi. Il est vrai que les dispositions relatives à l’outre-mer figurent souvent dans le dernier article des textes de loi et qu’elles sont examinées rapidement. Et lorsque l’homologation attend six ans, ce n’est pas très respectueux des territoires concernés et de leurs habitants. Avoir plus souvent, annuellement, de telles lois d’homologation, qui ne prennent tout de même pas trop de temps, est donc une belle idée.

C’est pourquoi, après avoir tenu six minutes et demie à cette tribune, …

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Pas tout à fait, mais ce fut un bel effort !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. … je renouvelle notre soutien à ce texte.

Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM et RDSE. – M. Jérôme Bignon applaudit également.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Époque bénie, mais, si j’ai bien compris, époque révolue – hélas ! –, que celle où le garde des sceaux pouvait s’exprimer sans être interrompu ! C’est donc en quelques mots que je vais essayer de vous répondre.

Évidemment, six ans d’attente, c’est insupportable ! Je suis donc tout à fait favorable à ce qu’une homologation régulière soit envisagée. Nous pouvons également imaginer, toujours pour éviter que les justiciables et la justice ne subissent des retards, une procédure simplifiée devant le Parlement, afin d’examiner régulièrement l’évolution de la situation et de faire en sorte que les territoires concernés aient le même arsenal législatif que la métropole.

Par ailleurs, l’ouverture d’un centre de détention à Koné, qui, vous le savez, est prévue en 2021, permettra, me semble-t-il, de régler l’insupportable problème de la surpopulation carcérale en Nouvelle-Calédonie, qui nous préoccupe tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous rassurer : dans cette enceinte, les ministres disposent de tout le temps qu’ils souhaitent pour leurs interventions ! M. Sueur faisait référence à la période où M. Badinter siégeait parmi nous en tant que membre de la Haute Assemblée, et non à celle où il exerçait vos fonctions actuelles.

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

(Non modifié)

Sont homologuées, en application de l’article 87 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie :

1° Aux articles Lp. 243-5 et Lp. 445 du code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie ;

2° Aux articles Lp. 325-2, Lp. 325-3, Lp. 331-22, Lp. 514-1 et Lp. 514-2 du code des assurances applicable en Nouvelle-Calédonie ;

3° Aux articles Lp. 5321-2, Lp. 5321-3, Lp. 5321-4, Lp. 5321-5, Lp. 5321-8, Lp. 5322-1, Lp. 5322-2, Lp. 5322-3, Lp. 5323-1, Lp. 5324-1, Lp. 5324-2, Lp. 5324-3, Lp. 5324-4, Lp. 5324-5, Lp.5324-6, Lp. 5325-1, Lp. 5325-2, Lp. 5325-3, Lp. 5326-1, Lp. 5326-5, Lp. 5326-6, Lp. 5326-7, Lp. 5327-1, Lp. 5331-1, Lp. 5331-4, Lp. 5331-6, Lp. 5331-7, Lp. 5332-1, Lp. 5332-2, Lp. 5332-3, Lp. 5333-1, Lp. 5333-2, Lp. 5334-1, Lp. 5335-1, Lp. 5342-1, Lp. 5342-2, Lp. 5342-4, Lp. 5342-5, Lp. 5342-6, Lp. 5343-1, Lp. 5343-2, Lp. 5343-3, Lp. 5343-4, Lp. 5343-5 et Lp. 5344-1 de l’ancien code de la santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie ;

4° Aux articles Lp. 116-2, Lp. 116-3, Lp. 544-25 et Lp. 545-31 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie ;

5° À l’article 26 de la délibération du congrès n° 219 du 11 janvier 2017 relative à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant ;

6° À l’article 44 de la délibération du congrès n° 118/CP du 26 novembre 2018 portant réglementation des manifestations sportives terrestres ;

7° À l’article 17 de la loi du pays n° 2018-25 du 26 décembre 2018 relative à l’efficacité énergétique des équipements, à l’interdiction d’importation d’équipements contenant des substances appauvrissant la couche d’ozone et à l’interdiction d’importation des ampoules à incandescence ou à halogènes.

L ’ article 1 er est adopté.

(Non modifié)

Sont homologuées, en application des articles 87 et 157 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, les peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie :

1° À l’article PS 221-66 du code de l’urbanisme de la Nouvelle-Calédonie ;

2° Aux articles 341-41 et 416-16 du code de l’environnement de la province Sud ;

3° Aux 1° à 7° et 9° du I ainsi qu’au V de l’article 424-9 du même code. –

Adopté.

(Non modifié)

I. – Sont homologuées, en application de l’article 87 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, les peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie aux articles Lp. 4212-2, Lp. 4223-1, Lp. 4243-3, Lp. 4423-1, Lp. 4423-5, Lp. 4484-1 et Lp. 4493-1 de l’ancien code de la santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie.

(Supprimé) –

Adopté.

II. – §

(Non modifié)

I. – Est homologuée, en application de l’article 87 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, la peine d’emprisonnement prévue en Nouvelle-Calédonie à l’article 8 de la loi du pays n° 2019-9 du 2 avril 2019 relative à la réglementation des établissements d’accueil petite enfance et périscolaire.

(Supprimé) –

Adopté.

II. – §

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à homologuer des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.

La proposition de loi est adoptée définitivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales (texte de la commission n° 618, rapport n° 617).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner cette après-midi les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) qui s’est réunie le 9 juillet dernier pour élaborer un texte sur la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Sur ce sujet majeur, qui touche à la vie quotidienne de nos concitoyens, il aurait été difficilement concevable que nous ne parvenions pas à dégager un compromis. À mes yeux, il était indispensable que la représentation nationale affiche son unité au moment d’affirmer sa volonté de mieux protéger les femmes – ce sont le plus souvent elles qui sont en cause – et les mineurs victimes de violences.

Peu de désaccords subsistaient après l’examen du texte au Sénat.

Je commence par le volet pénal. La commission mixte paritaire a retenu les rédactions que nous avions adoptées sur la possibilité de déroger au secret médical et sur la saisie des armes.

Un compromis a été trouvé sur la délicate question de l’inscription, dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijais), des personnes mises en examen. Cette inscription est aujourd’hui possible sur décision du juge d’instruction, mais elle est en pratique assez rarement effectuée.

Nous avions souhaité la favoriser en décidant qu’elle serait automatique, sauf décision contraire du magistrat. Cela a pu légitimement susciter des réserves au regard du principe de la présomption d’innocence. Nous avons trouvé, je crois, une solution d’équilibre en réservant l’inscription automatique aux affaires criminelles, c’est-à-dire aux infractions les plus graves, pour lesquelles il paraît justifié de faire primer le principe de précaution.

La commission mixte paritaire a ensuite supprimé un article additionnel, adopté contre l’avis de la commission, qui tendait à interdire les mains courantes, considérant que cette disposition était redondante avec celles qui figurent déjà dans le code de procédure pénale. Ce sont les pratiques qu’il faut faire évoluer sur le terrain. Des progrès ont été accomplis. J’espère que le nouveau gouvernement aura à cœur de continuer à mobiliser les forces de police et de gendarmerie sur le recueil de la parole des victimes et sur leur accompagnement au cours de la procédure.

La commission mixte paritaire a maintenu la circonstance aggravante que nous avions introduite pour le délit d’envoi réitéré de messages malveillants, sous réserve d’une modification rédactionnelle. Elle a précisé les conditions dans lesquelles certaines peines complémentaires d’interdiction de paraître ou de contact pourraient continuer à s’appliquer lorsque le condamné est incarcéré.

Certains conjoints violents parviennent à maintenir leur emprise depuis leur lieu de détention. Il est donc nécessaire de prévoir dans certaines circonstances que l’agresseur ne pourra pas entretenir de relation avec la victime.

J’en viens au volet civil. La commission mixte paritaire est d’abord revenue sur la question de la procédure applicable lorsqu’une femme victime de violences conjugales demande au juge aux affaires familiales de lui délivrer une ordonnance de protection.

Le 27 mai dernier, le Gouvernement avait promulgué un décret donnant à la victime un délai de seulement vingt-quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date de l’audience pour remettre au greffe l’acte permettant d’établir que cette date avait bien été signifiée au conjoint violent, le non-respect de ce délai entraînant la caducité de la demande.

Nous avions donc jugé ce délai de vingt-quatre heures extrêmement difficile à tenir. Il risquait de faire obstacle à la délivrance des ordonnances de protection, alors que nous avions souhaité encourager le recours à cette procédure au moment du vote de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, ou loi Pradié.

Ce constat nous avait conduits à adopter en séance un amendement présenté par nos collègues du groupe socialiste tendant à confier au ministère public et aux forces de l’ordre la charge de signifier au défendeur la date de l’audience.

Fort heureusement, le Gouvernement a depuis lors modifié le décret litigieux, après avoir entendu l’ensemble des parties prenantes, notamment les associations de défense des femmes victimes de violences.

Le nouveau décret, publié le 3 juillet, nous a paru acceptable. Il prévoit désormais que la signification est à la charge du ministère public si la victime n’est pas assistée par un avocat. Il porte le délai de vingt-quatre heures à quarante-huit heures et supprime la disposition qui entraînait la caducité automatique de la demande en cas de dépassement de ce délai. Enfin, il revoit les conditions de versement de l’aide juridictionnelle pour couvrir les frais d’huissier.

En conséquence, la commission mixte paritaire a estimé qu’il n’était plus nécessaire de conserver l’article additionnel que nous avions adopté, son objectif étant désormais atteint.

Toujours à propos de l’ordonnance de protection, la commission mixte paritaire a retenu, dans la rédaction du Sénat, l’article que nous avions adopté pour autoriser le juge aux affaires familiales à prononcer une interdiction de rapprochement. Elle a complété une autre disposition pour préciser que si l’ensemble des ordonnances sont notifiées au procureur de la République, les situations dans lesquelles un mineur est en danger doivent faire l’objet d’un signalement spécifique.

Sur la décharge de l’obligation alimentaire, visée à l’article 6, la commission mixte paritaire a retenu la rédaction du Sénat. Sur l’article 6 bis, relatif à l’indignité successorale, elle a précisé le périmètre de la mesure sans remettre en cause l’essentiel de nos apports.

Une disposition autorise la victime de violences à résilier plus rapidement son bail. Sur proposition de la rapporteure de l’Assemblée nationale, nous avons décidé de subordonner son application à l’engagement de poursuites, à des mesures de substitution aux poursuites, à une condamnation ou à la délivrance d’une ordonnance de protection, de préférence au simple dépôt d’une plainte, qui aurait pu donner lieu à des abus.

En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, nous avons abouti à une solution de compromis, qui préserve les éléments positifs du système actuel, notamment le fait de permettre au bureau d’aide juridictionnelle ou à la juridiction elle-même d’accorder en urgence une aide lorsque cela lui paraît opportun, tout en autorisant le Gouvernement à fixer par décret une liste de contentieux pour lesquels l’aide sera accordée automatiquement mais à titre provisoire. Nous avons fait du « en même temps » !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Je suis heureuse de vous l’annoncer, la commission mixte paritaire a maintenu l’article additionnel que le Sénat a adopté en séance, sur mon initiative, concernant le contrôle de l’âge des personnes accédant sur internet à un site pornographique.

J’ai repris les pistes de réflexion tracées par la rapporteure de l’Assemblée nationale, Bérangère Couillard, qui avait suggéré de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, un nouveau rôle de régulation, en s’inspirant du mécanisme applicable au secteur des jeux en ligne. C’est cette architecture qui a été retenue dans l’article additionnel voté au Sénat.

Depuis trop longtemps, les mineurs peuvent visionner sans restriction, parfois dès l’âge de 12 ans, 11 ans, voire moins, un nombre considérable de contenus pornographiques. Cela ne peut que nous inquiéter quant aux conséquences de ces images sur leur développement psychologique et affectif.

J’en ai bien conscience, il reste du travail à accomplir pour que les principes inscrits dans la loi deviennent une réalité sur le terrain, toujours dans le respect de la vie privée des adultes. En effet, cette disposition concerne seulement les mineurs. Nous ne nous occupons pas des adultes. Je sais que des dispositifs techniques pourront toujours être imaginés pour contourner les obstacles à l’accès des mineurs à ces sites. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de le faire.

Je suis cependant convaincue que nous, parlementaires, devons marquer notre détermination à avancer sur le sujet. Les réactions nombreuses suscitées par une telle initiative montrent qu’elle répondait à une préoccupation partagée par la majorité de nos concitoyens.

Même si les dispositifs techniques ne sont pas sans défaut – nous en sommes bien conscients ! –, nous aurions réalisé une grande avancée si les plus jeunes étaient mis à l’abri de ces contenus en ligne parfois extrêmes, d’une violence souvent inouïe et qui dégradent l’image de la femme.

Vous pouvez donc en être assurés, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, le Sénat suivra avec beaucoup d’attention dans les prochains mois la mise en œuvre des mesures que nous nous apprêtons à voter.

Dans le discours qu’il a prononcé devant notre Haute Assemblée, M. le Premier ministre a indiqué que la lutte contre les violences conjugales serait l’une des grandes priorités de la politique pénale du Gouvernement.

Nous ne pouvons qu’approuver cette déclaration d’intention ; nous souhaitons bien entendu qu’elle se traduise dans les faits.

Je voudrais cependant rappeler que la lutte contre les violences conjugales ne passe pas seulement par une action répressive. Elle suppose aussi de mener un travail d’éducation et d’accompagnement social et psychologique des victimes, ainsi que des auteurs pour prévenir la récidive ; sinon, cela ne servirait à rien. Elle impose de soutenir les associations, sans lesquelles tant de victimes se trouveraient désorientées. Elle nécessite donc un engagement dans la durée de la part de l’État, avec des moyens et une détermination sans faille du pouvoir politique. Prévenir pour protéger : tout l’enjeu est là.

Monsieur le garde des Sceaux, cher maître, vous le savez aussi bien que moi, pour l’avoir vécu, la violence au quotidien est attendue ; elle est subie ; elle est permanente. Elle empêche tout simplement de vivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord – je le dis loin des polémiques, dans la sérénité de la Haute Assemblée – l’homme que je suis et le ministre que je viens de devenir sont fiers d’apporter un plein et entier soutien à une proposition de loi qui me tient tout particulièrement à cœur : celle qui vise à protéger les victimes de violences conjugales.

Je me réjouis de voir aujourd’hui devant le Sénat l’achèvement des travaux permettant l’adoption d’une importante proposition de loi, qui permettra de lutter plus efficacement contre les violences conjugales.

Vous savez qu’il s’agit là d’un objectif prioritaire fixé par le Président de la République. Il est évidemment intolérable que, de nos jours, des femmes – il y a en a plus de 120 l’année dernière – meurent sous les coups de leur conjoint.

De nombreuses actions ont déjà été menées par le précédent gouvernement, tout spécialement par Nicole Belloubet, qui m’avait précédé et à laquelle je veux ici rendre un hommage particulier. La garde des sceaux avait, dès le 9 mai 2019, adressé aux procureurs généraux une circulaire leur demandant de déployer l’ensemble de l’ensemble de notre arsenal répressif, dans un double objectif : faire preuve d’une plus grande fermeté à l’égard des auteurs de ces violences et mieux protéger les victimes.

Ainsi, le dispositif « téléphone grave danger » a vu le nombre d’appareils distribués multiplié par trois en un peu plus d’un an.

À ce jour, 1 490 terminaux ont été déployés en juridiction et 76 % ont été attribués, ce qui couvre l’ensemble des besoins actuels.

Pour ma part, je veux vous dire ma détermination à mener une lutte sans merci contre le fléau, que j’ai toujours combattu, des violences au sein du couple. C’est particulièrement indigne de notre civilisation et tellement contraire à nos valeurs. Je poursuivrai les travaux engagés par mon ministère dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et j’ouvrirai si nécessaire de nouveaux chantiers.

Le texte qui vous est soumis aujourd’hui a fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées. Je m’en réjouis vivement et vous remercie, tant ce sujet doit faire l’objet d’une union sacrée dépassant évidemment tous les clivages.

Les parquets et les juridictions sont plus que jamais mobilisés pour traiter sans délai les plaintes et les requêtes dont ils sont saisis. Pendant le confinement, les procureurs ont procédé, près de neuf fois sur dix, au déferrement des personnes mises en cause pour de telles violences. Dans la plupart des cas, une éviction du domicile familial a été prononcée à leur égard. Ce sont là des réponses efficaces.

Il s’agit aussi de décloisonner, de fluidifier la circulation des informations entre les différents services et, au-delà, de promouvoir l’engagement de tout le tissu associatif et des citoyens engagés pour donner aux personnes victimes de violences intrafamiliales les moyens de retrouver leur dignité.

Je connais l’engagement qui est le vôtre dans cette lutte contre les violences commises au sein du couple. Loin d’être des affaires privées, elles impliquent la société tout entière. Vous en êtes les représentants et vous avez d’ores et déjà, par le vote de plusieurs lois, renforcé les moyens de lutte contre ces violences. Je pense notamment à la loi du 28 décembre 2019, qui a renforcé et accéléré la procédure de l’ordonnance de protection, laquelle peut désormais être prise dans un délai contraint. La loi a également introduit l’interdiction pour le conjoint violent de se rendre dans certains lieux où se trouve de façon habituelle la partie demanderesse et a permis la suspension automatique de l’exercice de son autorité parentale. Le déploiement du bracelet anti-rapprochement d’ici au mois de septembre sera aussi l’une de mes priorités.

Cette loi du 28 décembre était toutefois incomplète. La présente proposition va permettre de parachever les évolutions législatives, qui, sur certains points importants, paraissaient encore nécessaires. Je me félicite de ce que ce texte ait pu faire l’objet d’un large consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Mesdames, messieurs, vous avez adopté conformes onze des articles retenus par l’Assemblée nationale, puis vous avez trouvé un accord en commission mixte paritaire sur les dispositions qui restaient en discussion.

Cet accord, intervenu le 9 juillet dernier, résulte évidemment de la qualité de vos travaux et du travail conjoint des rapporteures – avec un « e » final –, Mme Bérangère Couillard à l’Assemblée nationale et vous, madame la sénatrice Marie Mercier. Je veux ici vivement vous remercier. Ce nouveau texte apporte des modifications nombreuses et significatives à notre législation et complète sur des points importants le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale en vue de renforcer davantage encore la protection effective des victimes de violences familiales, qu’il s’agisse des parents ou des enfants.

Il prend notamment en compte le phénomène d’emprise, ce mécanisme si complexe qui place la victime sous la domination et la dépendance de son conjoint. Il permet de comprendre le silence des victimes et leur comportement craintif, qui fait croire à tort à une acceptation de leur sort. C’est pourtant cette emprise qui les maintient auprès de leurs bourreaux et peut les entraîner vers la mort.

Sur le plan pénal, tout d’abord, la proposition de loi se concentre sur trois axes majeurs.

Le premier vise à faciliter le signalement des violences conjugales.

À cette fin, la proposition de loi donne la possibilité aux professionnels de santé de porter ces faits à la connaissance du procureur de la République, même s’ils n’ont pas réussi à obtenir l’accord de la victime. Je sais les nombreux débats que cette mesure importante a provoqués. Je suis heureux que ces dispositions, améliorées en première lecture par l’Assemblée nationale puis précisées par la chambre haute, aient fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire.

Le deuxième axe consiste à améliorer les procédures pénales concernant ces infractions. Le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention pourra ordonner, dans le cadre d’un contrôle judiciaire et en motivant bien évidemment sa décision, la suspension du droit de visite et d’hébergement à l’égard des enfants, y compris en l’absence de violence directe à leur encontre.

Le troisième axe entend renforcer la répression de certains agissements.

Le harcèlement au sein du couple, quand il conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire, fait encourir dix ans d’emprisonnement à son auteur.

La lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie, notamment sur des sites internet, fait également l’objet d’un renforcement attendu. Le délit existant sera constitué y compris si l’accès d’un mineur à des messages pornographiques résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins 18 ans.

Par ailleurs, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, s’il constate une violation de ces dispositions par un éditeur de sites internet, pourra enjoindre à ce dernier de se mettre en conformité avec la loi. En cas d’inexécution de cette injonction, il pourra saisir le président du tribunal judiciaire de Paris pour que celui-ci ordonne la fermeture de l’accès à ce service.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Cette disposition, qui résulte d’un ajout du Sénat accepté en commission mixte paritaire, institue en effet un dispositif efficace et cohérent.

Sur le plan civil, on doit prendre en compte les conséquences dévastatrices des violences commises au sein du couple à l’égard de la victime, mais aussi de la famille.

Concernant l’obligation alimentaire, les enfants, victimes indirectes, n’auront plus à soutenir financièrement celui qui a été condamné. C’est bien la moindre des choses.

S’agissant de l’indignité successorale, le conjoint ne sera plus légitime à hériter lorsqu’il a commis des violences graves envers le défunt. Là encore, c’est la moindre des choses.

Enfin, le port du bracelet anti-rapprochement, communément appelé BAR, déployé comme indiqué à partir de septembre 2020, pourra désormais être ordonné également par un juge civil dans le cadre de l’ordonnance de protection interdisant au conjoint violent de se rapprocher de la victime à moins d’une certaine distance. Nous ne pouvons que saluer l’importance et l’utilité des dispositions de cette proposition de loi, dont j’espère qu’elle fera l’objet, comme la loi du 28 décembre 2019, d’une adoption unanime ce jour par votre assemblée, à l’instar de son adoption par l’Assemblée nationale la semaine dernière.

Je puis vous assurer, pour ma part, que je poursuivrai de façon efficace et déterminée les actions entreprises par ma prédécesseure pour renforcer la prévention et la répression des violences au sein du couple ou sur les mineurs, notamment pour appliquer au mieux et le plus rapidement possible les dispositions de ce nouveau texte.

Lors de la passation de pouvoir, j’ai indiqué que le ministère de la justice était celui des libertés. Il est aussi, bien entendu, celui de la protection, à commencer par celle que l’on doit aux femmes qui sont au contact de conjoints ou de compagnons violents. C’est aussi celle, indispensable, de leurs enfants, qui sont les victimes directes ou indirectes de ces violences.

En tant qu’avocat, j’ai connu le chagrin de victimes dévastées et j’aurai à cœur que toutes les victimes, notamment celles de violences conjugales, bénéficient de la meilleure protection que nous pouvons leur accorder. Nos voisins, les Espagnols notamment, nous ont montré que les violences conjugales sont non pas une fatalité sociale, mais une criminalité qui doit pouvoir être combattue, comme toutes les autres, grâce à des politiques publiques volontaires.

Conformément aux engagements du Président de la République, cette loi renforcera notre arsenal législatif. Je serai heureux et fier de la voir adoptée aujourd’hui par la Haute Assemblée.

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Elisabeth Moreno

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, dans notre démocratie, il doit y avoir des combats qui nous rassemblent, des combats qui transcendent les clivages partisans. C’est ce qu’ont démontré une fois de plus l’Assemblée nationale et le Sénat lors de l’examen de cette proposition de loi.

Je me réjouis que nos deux assemblées aient trouvé un accord en commission mixte paritaire. Il est, je le crois, à la hauteur de l’enjeu qui nous rassemble aujourd’hui, celui de la lutte contre les violences conjugales.

Je tiens à saluer le travail de la rapporteure, Marie Mercier, et, plus largement, l’esprit avec lequel le Sénat a su s’emparer de cette proposition de loi. Je sais également le travail constant de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, dont vous faites partie. Le rapport réalisé sur les violences à l’encontre des femmes et des enfants durant le confinement en témoigne.

Je suis ravie que cette proposition de loi arrive aujourd’hui au terme de son parcours législatif.

Parce que la vie humaine est notre bien le plus précieux, nous avons bâti au fil du temps un arsenal juridique qui protège les victimes de violences conjugales. Nous continuons de le renforcer ; c’est cela qui nous réunit aujourd’hui et je vous félicite d’y avoir consacré tant de travail.

Parce que les violences intrafamiliales ne sont malheureusement pas en voie d’extinction, parce qu’elles touchent toutes les classes sociales et toutes les générations, parce qu’elles sont multiformes, nous sommes, nous, membres du Gouvernement, parlementaires, acteurs publics en général, confrontés à une double obligation d’action et de résultat.

Je souhaite rendre hommage à Mme Schiappa et Mme Belloubet, Mme Couillard et M. Gouffier-Cha pour le travail qu’ils ont effectué, et je remercie M. le garde des sceaux de son soutien.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Elisabeth Moreno

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Bien évidemment, je n’oublie pas toutes les personnes qui ont contribué à ce travail !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. On a failli se vexer !

Mêmes mouvements.

Debut de section - Permalien
Elisabeth Moreno

Quant à moi, j’y mettrai toute ma détermination.

Ces violences sont trop souvent enveloppées d’un épais silence. Le règne du déni et la loi du « non-dit » contribuent à en minorer la gravité, voire, parfois, à les rendre invisibles. Elles sont pourtant une réalité du quotidien, une réalité malheureusement trop concrète.

Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. En 2018, 121 femmes et 28 hommes sont morts sous les coups de leur partenaire ou de leur ex-partenaire de vie et 21 enfants mineurs ont été tués dans un contexte de violences par l’un de leurs parents. Cette impunité doit maintenant cesser. C’est l’esprit qui anime cette proposition de loi et que la commission mixte paritaire a rendu possible.

Le texte d’aujourd’hui contient de véritables avancées. Il permet de mieux repérer, de mieux protéger et de mieux sanctionner.

Mieux repérer, en permettant, par exemple, aux médecins de déroger au secret médical lorsqu’ils suspectent un danger immédiat pour leur patiente. Je salue, à ce titre, le travail réalisé avec le Sénat sur la rédaction de cette disposition.

Mieux protéger, en modifiant les dispositions relatives au régime de l’aide juridictionnelle provisoire, afin que les victimes puissent bénéficier au plus tôt de l’assistance d’un avocat.

Mieux sanctionner, en reconnaissant la notion d’emprise, ce que l’on appelle communément le « suicide forcé ». Cela passe notamment par une aggravation des peines en cas de harcèlement moral ayant poussé la victime au suicide – jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Je salue également, sur l’initiative du Sénat, la création d’une circonstance aggravante pour le délit d’envoi de messages malveillants lorsqu’il est commis par un conjoint ou un ex-conjoint.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je voudrais réaffirmer devant vous que les victimes de violences intrafamiliales n’ont pas été oubliées durant le confinement. Les services de l’État, mais aussi les collectivités locales, notre formidable tissu associatif, les forces de l’ordre et les entreprises se sont mobilisés.

Dans ces circonstances exceptionnelles, des mesures inédites ont ainsi été instaurées, qu’il s’agisse de la mise en place de points d’accueil éphémères dans les supermarchés ou les centres commerciaux pour permettre aux femmes victimes de violences de se signaler et de s’informer en sécurité, de la mise en place du dispositif de signalement des violences dans les pharmacies, du financement exceptionnel de 20 000 nuitées d’hôtel, ou encore de la création d’un numéro d’écoute dédié aux auteurs de violences afin de prévenir le passage à l’acte ou la récidive.

Bien entendu, nous devrons tirer toutes les conséquences du confinement et aller plus loin dans les mesures de prévention et de lutte, à l’image du numéro d’appel pour les victimes de violences, le 3919, qui doit encore être renforcé.

Cette proposition de loi est en tout cas une étape supplémentaire vers la protection et la libération des victimes, une étape supplémentaire pour mettre un terme à l’impunité. À nous désormais de la mettre en œuvre pour renforcer la lutte contre ces violences inacceptables !

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC, Les Républicains et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Madame la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, permettez-moi tout d’abord de vous saluer et de vous présenter tous mes vœux de réussite, en particulier dans le domaine qui nous réunit aujourd’hui, où, comme vous l’avez dit, les clivages politiques s’effacent pour le bien commun, comme en témoigne la réussite de la commission mixte paritaire. Vous le verrez rapidement si vous travaillez avec nous, le Sénat, plus particulièrement la délégation aux droits des femmes, est force de proposition en la matière.

Mais revenons, madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au sujet des violences conjugales. Une loi de plus pour lutter contre les violences faites aux femmes, c’est une victoire de plus pour ce combat national.

Nous avançons depuis plusieurs années, morceau de loi par morceau de loi, lentement mais sûrement. Je sais que, pour nombre d’entre nous, un grand texte aurait été préférable à une accumulation de petits textes. Je me satisfais pour ma part que l’on fasse entrer dans la loi des éléments, qui, pris indépendamment, n’ont pas l’air de révolutionner nos codes, mais qui, mis bout à bout, font avancer la cause. Il faut les faire entrer dans le droit dès que la société est prête à les intégrer.

N’attendons pas que tout soit validé ; adoptons pas à pas, petit à petit, chaque possibilité de protéger une femme ou un enfant.

Notre société était prête pour l’utilisation des bracelets anti-rapprochement, elle est aujourd’hui prête à reconnaître la notion d’emprise. C’est d’ailleurs, pour moi, l’élément le plus important de ce texte. Enfin, cette notion est consacrée dans la loi.

Depuis toujours, l’emprise existe. C’est pourquoi beaucoup de femmes n’osent pas déposer plainte ou retirent leurs plaintes lorsqu’elles sont victimes d’un homme violent. Ce n’est pas amoindrir les femmes que de le reconnaître, c’est au contraire savoir venir en aide à des victimes et sauver des vies.

La confiscation des armes des conjoints violents, la suspension du droit de visite en cas de suspicion de violences, le cyberharcèlement entre conjoints, le renforcement de la lutte contre la pédocriminalité ou encore l’incrimination en cas de suicide d’une victime de violences sont autant d’avancées qui étaient également nécessaires pour lutter contre ce fléau. Je n’oublie pas non plus, chère Marie Mercier, l’inscription au Fijais des personnes mises en examen pour suspicion de crime.

Je profite d’ailleurs de cette tribune pour remercier, outre notre rapporteur, l’auteure du texte, Bérangère Couillard, ainsi que Philippe Bas, président de la commission des lois, dont le travail a permis d’aboutir à un texte commun lors de la CMP.

Mais il reste encore beaucoup à faire, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux.

Beaucoup à faire sur la formation des acteurs – policiers, gendarmes, médecins, enseignants, etc. –, pour permettre de détecter le plus en amont possible les violences et mieux recueillir la parole des victimes…

Beaucoup à faire sur les moyens, pour pallier le manque criant de psychologues dans les commissariats ou les gendarmeries, le manque d’infirmières scolaires ou la baisse des aides aux associations…

Beaucoup à faire, aussi, sur la présence des femmes dans notre société.

J’ai rendu, avec ma collègue Marta de Cidrac, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes du Sénat, un rapport sur la présence des femmes dans l’audiovisuel. Nous avons constaté qu’elles étaient sous-représentées dans l’ensemble des métiers de l’audiovisuel et que la crise de la covid avait amplifié le phénomène, en les faisant tout bonnement disparaître des écrans !

Il est temps d’exiger le respect de la parité. On en parle depuis maintenant trente ans… Le projet de loi sur l’audiovisuel sera l’occasion d’en débattre et, je l’espère, de régler cette question.

Si ce sujet semble a priori éloigné des violences conjugales, l’image qu’une société a et renvoie des femmes conditionne assurément la façon dont elles sont traitées, y compris dans leur foyer.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera le texte de la proposition de loi sur les violences conjugales issu de la commission mixte paritaire.

Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur des travées des groupes RDSE et SOCR, ainsi qu ’ au banc de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. - Mme Nassimah Dindar applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, pour votre première présence au banc, vous aurez compris, me semble-t-il, que notre assemblée était très engagée sur la question de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Élue depuis trois ans, c’est le troisième texte que je suis amenée à examiner en la matière. Nous sommes à fois vigilants et très investis, et nous serons aux côtés du Gouvernement lorsque la situation le justifiera.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé de 120 personnes décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. J’ai écouté l’intégralité de votre audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale – quand on aime, on ne compte pas ! –, et j’ai compris que, parfois, vous étiez surpris par les chiffres…

M. le garde des sceaux fait signe que non.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Je dirai tout d’abord un mot de la genèse de cette proposition de loi. Elle comporte certes quelques progrès, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un texte de consolation. Alors que se tenait le Grenelle, notre collègue député LR Aurélien Pradié a présenté une proposition de loi extrêmement ambitieuse, qui, dans une vision transpartisane assez originale, et en tout cas peu fréquente, a permis d’améliorer considérablement le mécanisme de l’ordonnance de protection.

La République En Marche en était fort chagrinée et a donc déposé la présente proposition de loi, dont une partie a dû être supprimée en cours d’examen. Au final, quelques dispositions supplémentaires permettent d’améliorer encore le sujet, et certains amendements du groupe socialiste, qui avaient été rejetés lors du précédent texte, ont finalement été acceptés lors de ce nouvel examen. L’essentiel est d’avancer.

Comme notre collègue Dominique Vérien l’a signalé, l’un des vrais progrès de ce texte, c’est l’introduction de la notion d’emprise dans nos codes. Cette évolution est délicate à faire accepter, mais fondamentale.

Les dispositions relatives à l’exposition des mineurs à la pornographie en ligne, introduites sur l’initiative de Marie Mercier, sont également très importantes.

Ce texte fut aussi l’occasion de remédier à une situation ubuesque : après l’introduction du délai de six jours pour délivrer l’ordonnance de protection, un décret de votre prédécesseure, monsieur le garde des sceaux, a fixé des modalités de convocation et de signification qui rendaient la procédure totalement impossible pour la demanderesse – ne soyons pas hypocrites, il s’agit en effet de femmes.

Les associations s’en sont émues, nous aussi, et le décret a finalement été modifié. La situation est désormais acceptable, sans être parfaite non plus. Le délai n’est plus imposé à peine de caducité de la requête et, lorsqu’il n’y a pas d’avocat, la procédure est lancée sur l’initiative du juge.

Les associations jouent en effet un rôle capital de vigie dans ce combat. Nous essayons de le relayer, de l’accompagner, mais c’est à elles que je pense à ce moment, et je veux les saluer.

Mon groupe votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, même s’il n’est pas idéal. Il introduit des dispositions sur le secret médical qui ont pu interpeller, et sur lesquelles les médecins spécialistes de ces questions sont partagés. Nous l’étions également, et nous verrons à l’usage si nous avons eu raison de les inclure. À l’inverse, d’autres sujets n’ont pas été retenus, comme la question du conjoint violent dans le domicile conjugal ou l’information systématique du parquet lors de la délivrance de l’ordonnance de protection.

Toutefois, chaque pas étant important, nous allons voter en faveur de ce texte, non pas parce que nous devrions par principe être tous d’accord sur ce sujet important – je m’inscris en faux contre un tel raisonnement –, mais parce que les progrès sont réels, même s’ils ne sont pas suffisants.

Madame la ministre, vous avez indiqué il y a quelques jours vouloir faire passer le nombre de féminicides de 170 à 10, ajoutant joliment que vous pourriez ainsi mourir tranquille. Je salue cette ambition : sur ce point, le groupe socialiste et l’ensemble du Sénat seront à vos côtés.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, RDSE, LaREM et UC.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Arnell

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour vous, madame la ministre : je veux simplement vous dire que le combat ne fait que commencer !

La délégation aux droits des femmes, à laquelle j’appartiens, apporte toute sa contribution à ce combat ; quelques hommes en font partie et je peux, en tout état de cause, vous assurer que l’ensemble de mes collègues est concerné par ce fléau.

C’est aussi en tant qu’Ultramarin que je me suis engagé personnellement dans ce combat, parce que ce fléau a pris une trop grande importance dans les sociétés d’outre-mer.

Comme notre collègue Françoise Laborde a déjà eu l’occasion de le dire lors de l’examen de la proposition de loi devant le Sénat le 9 juin dernier, le tabou des violences conjugales est bel et bien en train d’être brisé, à la fois dans notre société, mais aussi dans notre législation grâce à l’adoption ces dernières années d’une série de textes renforçant la prévention et la répression de ces violences très spécifiques qui surviennent dans le secret du huis clos familial.

Cette particularité leur confère une grande complexité. D’abord, parce que ces violences ont des incidences sur les enfants qui en sont malheureusement, la plupart du temps, les premiers témoins, quand ils n’en sont pas aussi les victimes. Ensuite, parce que toute action de prévention et de lutte contre les violences conjugales nécessite des réponses transversales, à la fois sur le plan social, judiciaire, éducatif et législatif.

Le constat ne serait pas complet, si j’omettais d’évoquer le rôle central que tiennent les lanceurs d’alerte par leur vigilance active pour identifier les faits et y mettre fin. Nous avons pu le constater pendant la période récente de confinement qui a été un véritable révélateur de l’ampleur de l’effort à fournir pour gagner cette bataille.

Notre arsenal juridique doit être encore renforcé, car le fléau n’est toujours pas endigué. Les statistiques annuelles de mortalité le prouvent – elles sont toujours aussi cruelles –, mais je ne reviendrai pas ici sur ces données chiffrées, déjà très largement commentées tout au long de l’examen du texte et à l’occasion des travaux de la délégation aux droits des femmes.

Avec les sénatrices et sénateurs de mon groupe, le RDSE, je salue les nouvelles dispositions prévues par la commission mixte paritaire, tout en regrettant néanmoins que le Grenelle contre les violences conjugales ait abouti non pas à une loi-cadre, mais plutôt à une succession de propositions de loi partielles. L’ampleur de ce fléau aurait pourtant nécessité, de notre point de vue, de recourir à une loi-cadre qui aurait été à la mesure de la concertation engagée lors du Grenelle et des espoirs qu’il a suscités, mais également à la mesure des freins qui perdurent, au niveau tant sociétal que judiciaire. Une loi-cadre aurait pu traduire une véritable prise de conscience collective, politique et institutionnelle à la mesure du fléau.

Néanmoins, la commission mixte paritaire réunie le 9 juillet dernier est parvenue à un compromis. Je tiens à souligner tout particulièrement que les apports du Sénat y ont été déterminants, notamment sur les sujets les plus sensibles. Je pense à la restriction de l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales ou à la limitation du recours à la médiation, conformément à l’avis des experts que nous avons auditionnés tout au long des travaux de la délégation aux droits des femmes.

Si nous les votons aujourd’hui, d’autres mesures seront les bienvenues, comme le fait de décharger de l’obligation alimentaire les descendants ou ascendants des victimes envers les parents auteurs de violences conjugales dans des cas précis comme le meurtre, l’empoisonnement, les violences ayant entraîné la mort ou toute tentative de l’un de ces crimes.

La levée du secret médical sera aussi une mesure déterminante – je dirais même, historique. Tout médecin ou soignant sera désormais en droit d’informer les autorités des faits de violences conjugales sans l’accord des victimes.

Plusieurs articles, dont l’article 1er B, portant sur les modalités de délivrance des ordonnances de protection, ont été supprimés lors de la commission mixte paritaire, mais ils ont été satisfaits à la suite de la publication récente d’un décret venu corriger les effets délétères de celui du 27 mai dernier. Il n’était pas acceptable, en effet, que la procédure administrative de contestation repose sur la responsabilité de la victime, lui imposant des délais de signification intenables de vingt-quatre heures. Sur ce point, nous avons abouti rapidement malgré la période de confinement et grâce à une très forte mobilisation des associations de terrain et des parlementaires membres des délégations.

Le renforcement, avec l’article 1er E, du maintien à domicile de la victime par le droit à l’éviction du conjoint violent est aussi particulièrement notable – c’est une avancée très attendue.

La diminution du délai de préavis imposé au locataire avant de quitter son logement – il passe de trois à un mois – en cas de poursuite ou de prononcé d’une ordonnance de protection pour violences conjugales a donné lieu à discussion.

Même si des inquiétudes persistent, notamment en ce qui concerne le respect du délai de six jours pour délivrer une ordonnance de protection – ce délai ne nous semble pas réaliste –, les principales avancées de ce texte seront des mesures très utiles sur le terrain.

Avec ce texte, le législateur rappellera qu’un conjoint violent ne peut pas être un bon parent. Il traduira cette vérité dans la loi, en restreignant l’autorité parentale et le droit de visite ou de garde qui sont autant d’occasions de perpétuer l’emprise d’un parent violent sur la victime et sur l’enfant, autant de risques de surviolence. La reconnaissance de l’emprise comme violence psychologique sera aussi un changement de paradigme.

Avant de conclure, je souhaiterais m’assurer que, malgré le récent remaniement, la création du nouveau comité de pilotage national pour améliorer la mise en œuvre des ordonnances de protection reste bien à l’ordre du jour.

Madame la présidente, je vous prie de m’excuser de dépasser mon temps de parole. Je voudrais simplement ajouter en conclusion que, pour les membres du groupe du RDSE, le texte auquel a abouti la commission mixte paritaire devrait contribuer à bâtir une prévention plus efficace et une meilleure protection des victimes et de leurs enfants avec des répercussions concrètes. Ce faisant, il participera à ce que la peur change de camp et que la parole se libère. C’est donc unanimement que le groupe du RDSE votera ce texte.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et UC. – Mme Laurence Rossignol et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. J’ai en effet fait preuve d’une grande générosité au regard de votre temps de parole, mon cher collègue.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme du parcours législatif de cette proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, que nous espérons tous voir adopter très rapidement.

D’abord, parce que nous partageons sur toutes les travées de cette assemblée la volonté de lutter contre ces violences qui font, chaque année, plusieurs milliers de victimes et qui conduisent, dans les cas les plus dramatiques, au décès de centaines d’entre elles.

Ensuite, parce que ce texte, qui poursuit le travail législatif précédemment engagé, notamment par la loi Pradié adoptée en décembre dernier, transcrit des préconisations du Grenelle contre les violences conjugales et contient des avancées importantes en matière civile, pénale et de procédure pénale. Je pense à l’interdiction de la médiation en cas de violences conjugales, au renforcement des sanctions en cas de harcèlement, aux dispositifs protégeant la vie privée numérique des victimes ou encore à la levée du secret médical en cas de violences et d’emprise.

La présente proposition de loi contient également des dispositions visant la protection des mineurs, telles que la suspension du droit de visite et d’hébergement en cas de violences conjugales et la lutte contre l’exposition à la pornographie.

Enfin, parce que nous avons su, auteurs, parlementaires et Gouvernement, faire preuve de souplesse, en complétant ou en modifiant le texte qui nous était soumis dans l’esprit de concorde qui nous a animés tout au long de nos travaux. Je pense aux dispositions relatives à la déclaration d’indignité successorale en cas de condamnation pour torture et acte de barbarie, violence volontaire, viol ou agression sexuelle envers le défunt, ainsi qu’à la décharge de l’obligation alimentaire en cas de crime ou délit commis au sein de la famille.

À ce dernier titre, d’ailleurs, je me réjouis que plusieurs amendements que notre groupe avait déposés aient été conservés, dont celui qui réintroduit l’automaticité de cette décharge à l’ensemble des débiteurs d’aliments en cas de crime, tout en ménageant la faculté pour le juge de prendre une décision contraire.

La possibilité donnée au juge aux affaires familiales de prononcer une interdiction de rapprochement, dont le respect pourra être contrôlé grâce à un bracelet électronique, nous apparaissait également comme une bonne mesure.

Je salue en outre l’adoption le 3 juillet dernier, conformément à l’engagement pris en séance publique par votre prédécesseure, monsieur le garde des sceaux, d’un décret relatif aux modalités de convocation du défendeur dans le cadre de la délivrance de l’ordonnance de protection. Celui-ci permettra d’assurer l’effectivité de la délivrance des ordonnances de protection, tout en respectant le principe du contradictoire.

Pour conclure, je soulignerai que c’est bien la conjugaison d’une prise de conscience généralisée, d’une évolution des mentalités, d’une volonté politique forte, d’un arsenal juridique solide accompagné de moyens importants qui nous permettra de faire reculer pour de bon ces violences. Le groupe La République En Marche votera naturellement en faveur de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à réprimer les violences conjugales a fait l’objet d’une commission mixte paritaire conclusive. Les mesures votées devraient bientôt intégrer le droit positif et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Nous notons tout d’abord que les articles concernant l’ordonnance de protection ont été supprimés, dans la mesure où un décret du 3 juillet 2020 est venu renforcer la capacité de l’obtenir.

Cependant, les travaux de la commission mixte paritaire n’ont pas été de nature à améliorer le texte tel qu’il était sorti du Sénat.

Le champ d’application de l’article 7 ter a notamment été restreint. Son dispositif initial ouvrait le droit à la victime ayant porté plainte pour violences conjugales de bénéficier d’un préavis réduit à un mois, afin de pouvoir quitter le logement qu’elle occupait avec son conjoint violent. La commission mixte paritaire a malheureusement ajouté la nécessité qu’une ordonnance de protection soit obtenue par la victime afin qu’elle puisse disposer de ce mécanisme, avec l’argument que sans ce garde-fou n’importe qui pourrait porter plainte afin de quitter son logement dans les plus brefs délais. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette mesure en demi-teinte, qui jette un voile de suspicion sur les victimes présumées.

Nous déplorons par ailleurs que, lors de son passage dans notre chambre, tant le Gouvernement que la droite sénatoriale aient refusé de doter cette proposition de loi d’un volet préventif. Tous nos amendements ont en effet été balayés sans véritables arguments de fond ni volonté de débattre des thématiques que nous soulevions.

Ainsi continuerons-nous à défendre la nécessité de sensibiliser les policiers, médecins et magistrats aux violences faites aux femmes. De même, nous estimons toujours essentiel qu’un accompagnement social et psychologique soit apporté aux conjoints violents afin de soigner ceux qui peuvent l’être.

Prévenir et soigner, telle devrait être la mission du droit en matière de violences intrafamiliales. Réprimer les actes délictueux et criminels commis au sein des couples est nécessaire, mais ne saurait suffire.

Enfin, nous souhaitons une fois de plus attirer l’attention de l’exécutif sur le manque de moyens attribués aux actions gouvernementales en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et pour l’aide aux victimes de brutalités sexuelles et sexistes. Dans son troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, le Gouvernement a souhaité augmenter le budget en la matière de 4 millions d’euros ; nous sommes toujours bien loin du milliard demandé par le Haut Conseil à l’égalité !

Malgré des lacunes, la plupart des dispositions prévues dans ce texte vont dans le bon sens. Comme nous avions eu l’occasion de le dire en première lecture, nous saluons par exemple les mesures prévues aux articles 3 et 11 A, susceptibles d’accroître la sécurité des mineurs. Il en va de même pour les dispositifs garantissant le respect de la vie privée numérique des victimes prévus aux articles 10 et 10 bis. Ces éléments introduisent dans le XXIe siècle la lutte contre les violences faites aux femmes, ces dernières étant désormais régulièrement victimes de cyberharcèlement et de maltraitance numérique.

Bien que nous n’ayons pas été entendus sur certains sujets, nous ne nions pas le bénéfice que représenterait l’adoption de cette proposition de loi pour les victimes de violences physiques et morales dans un cadre conjugal.

En conséquence, le groupe CRCE votera ce texte. Gardons à l’esprit tout le travail qu’il nous reste à accomplir afin que les coups, les menaces et tous ces actes néfastes qui se concluent bien trop souvent par des féminicides ne soient plus si fréquents.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi qu ’ au banc des commissions. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le confinement a constitué une arme supplémentaire au service des conjoints et pères violents, en isolant avec eux leurs victimes privées de tout lien avec l’extérieur. Pour de nombreuses femmes et de nombreux enfants, le confinement n’est pas terminé : la réalité quotidienne des familles maintenues dans une terreur constante par un conjoint ou un père violent ressemble à un confinement permanent.

La priorité pour nous, élus, est de gagner ensemble le combat contre les violences conjugales. Le confinement s’est déroulé entre deux discussions législatives importantes portant sur la lutte contre les violences conjugales, alors qu’un texte unique aurait permis de prendre en compte l’ensemble des conclusions du Grenelle au cours d’un débat certainement plus satisfaisant.

Depuis 2018, le Parlement a été saisi chaque année d’un texte relatif aux violences : projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, devenu la loi du 3 août 2018 ; proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille en 2019 ; proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales en 2020. Ces textes se sont ajoutés aux lois de 2006, 2010 et 2014, ainsi qu’à la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Si je me félicite de ce que la lutte contre les violences conjugales soit devenue un thème récurrent du calendrier parlementaire, mettant ainsi en évidence une prise de conscience de l’urgence d’éradiquer ce mal, je regrette cette accumulation de textes disparates. L’examen d’un texte unique déposé après le Grenelle nous aurait certainement permis d’avoir un débat plus cohérent avec une vision globale de la politique de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales.

Aussi, je partage pleinement la position de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je salue la présidente, qui appelle à une remise à plat de tous les textes concernant ces violences dans la perspective de l’établissement d’une loi-cadre ambitieuse qui traiterait tous les aspects de ce fléau. La délégation plaide ainsi pour un débat législatif prenant le temps de la réflexion et sans recours à la procédure accélérée.

Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il semble évident que notre arsenal juridique, avec ce dernier texte, apparaît désormais relativement complet pour endiguer cette violence insupportable.

Je ne pensais pas un seul instant que cette commission mixte paritaire pourrait échouer. Sur un sujet tel que les violences conjugales et intrafamiliales, nous connaissons tous parfaitement nos responsabilités. Il restait d’ailleurs peu de points de désaccord entre nos deux assemblées et des solutions de compromis ne pouvaient que facilement se dégager. Je me félicite donc que désormais nous disposions d’un ensemble de normes étoffé.

Il apparaît maintenant indispensable – notre rapporteur l’a indiqué à juste titre – de le compléter, d’abord, par un travail de formation auprès des policiers, des gendarmes et des magistrats, ensuite, par l’allocation de moyens aux associations qui soutiennent les victimes, enfin, par l’organisation de campagnes de communication visant à favoriser la libération de la parole. En outre, il est primordial d’agir dans le domaine du logement afin de faciliter l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal.

Avant de conclure, je souhaite remercier notre collègue rapporteur, Marie Mercier, non seulement pour la qualité de son travail, mais également pour l’engagement dont elle a fait preuve sur un sujet aussi sensible et délicat. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque l’on traite de questions aussi dramatiques, il me semble que tout texte qui apporte une amélioration de la situation constitue un énorme progrès. Le groupe Les Indépendants votera à l’unanimité cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Deseyne

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 9 juillet pour examiner les dispositions de ce texte restant en discussion est parvenue à un accord. C’est la preuve que ce sujet rassemble au-delà des clivages politiques – nous en faisons d’ailleurs la démonstration, tant ce texte mobilise sur l’ensemble de nos travées.

Au cours de son examen, le Sénat a contribué à enrichir ce texte avec des dispositions importantes.

Ainsi, Marie Mercier, rapporteure de cette proposition de loi, est à l’origine d’un amendement confiant au Conseil supérieur de l’audiovisuel un nouveau pouvoir de régulation pour ce qui concerne l’accès des mineurs aux sites pornographiques. La protection en ligne de l’enfance est une avancée capitale portée par ce texte. On sait aujourd’hui que les violences conjugales apparaissent de plus en plus tôt au sein des jeunes couples. La prévention en amont est donc essentielle.

Or l’âge moyen du premier accès à du contenu pornographique est de 14 ans et près de 50 % des enfants visionnent du contenu pornographique sur internet pour la première fois à 11 ans. Depuis 2014, la délégation aux droits des femmes alerte régulièrement les pouvoirs publics sur l’exposition croissante des mineurs aux images pornographiques.

L’exposition à la pornographie conduit à une conception erronée du rôle de la femme, en véhiculant l’image de la femme-objet, de la femme soumise. L’image de la femme y est dégradée, méprisante, les rapports sexuels violents et les relations entre les hommes et les femmes dénaturées.

Avec cette proposition de loi, les sites qui ne prendraient pas de mesures permettant de contrôler effectivement l’âge des personnes qui les visitent feront d’abord l’objet d’une mise en demeure ; s’ils n’obtempèrent pas, l’accès au site sera bloqué. Ce renforcement de la protection des mineurs, en réglementant l’accès aux contenus violents et pornographiques, est une avancée majeure.

Toujours pour protéger les enfants, la proposition de loi ouvre la possibilité de suspendre l’autorité parentale dans le cadre du contrôle judiciaire et les décharge de l’obligation alimentaire en cas de crimes ou délits commis au sein de la famille.

Dans un autre domaine, le secret médical pourra exceptionnellement être rompu, lorsque le professionnel de santé ou le médecin suspecte un danger immédiat et que la victime se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé devra s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure. S’il ne l’obtient pas, il devra l’informer du signalement fait au procureur de la République. Il s’agit simplement, lorsqu’une vie est en danger, de ne pas pénaliser les médecins qui pourraient être hésitants en cas de signalement au procureur de la République. Cette disposition protège à la fois les professionnels de santé et les victimes de violences.

Par ailleurs, cette proposition de loi alourdit aussi les peines en cas de harcèlement au sein du couple, les portant à dix ans d’emprisonnement, lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

Pour mieux lutter contre les cyberviolences conjugales, la proposition de loi réprime la géolocalisation d’une personne sans son consentement et crée une circonstance aggravante pour le délit d’envoi répété de messages malveillants, lorsqu’il est commis par le conjoint ou l’ex-conjoint ou en cas de violation du secret des correspondances par un conjoint ou ex-conjoint.

Je tiens à remercier la rapporteur, Marie Mercier, pour la qualité de son travail et sa grande humanité sur des sujets particulièrement difficiles.

Conscients de l’urgence qu’il y a à protéger les trop nombreuses victimes des violences familiales et conjugales, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront les conclusions de la commission mixte paritaire.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, chacun constate qu’aujourd’hui encore nous avons besoin d’une nouvelle loi pour mieux protéger les victimes de violences conjugales et le regrette.

Les chiffres sont là, ils sont incontestables et plus personne ne les ignore : 121 femmes et 28 hommes ont été tués par leur partenaire ou ex-partenaire et 21 enfants mineurs sont décédés, tués par l’un de leurs parents dans un contexte de violence au sein du couple. Telle est la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui et qui amène le législateur à voter de nouveau un texte sur ce sujet.

Cette proposition est d’abord le fruit d’un travail parlementaire efficace, réalisé en bonne intelligence entre les deux assemblées. Bien sûr, nous avons tous à cœur de mettre fin à ces violences et les dispositions que nous avons pu rassembler dans ce texte sont un pas de plus vers une meilleure protection des victimes adultes et mineures.

En l’espèce, les apports du Sénat ont été réels, à commencer par l’amendement permettant au juge aux affaires familiales de prononcer une interdiction de rapprochement, dont le respect pourra être contrôlé grâce à un bracelet électronique – cette mesure complète les dispositions de la loi Pradié.

Le Sénat a également approuvé les dispositions relatives au secret professionnel et au signalement au procureur de la République des individus, dont la vie serait en danger en raison de violences commises au sein du foyer.

Je veux également saluer l’engagement des deux assemblées sur la question de la protection des mineurs face à la pornographie, angle mort législatif s’il en est – la rapporteur a concrétisé cet engagement par un amendement.

C’est une réalité embarrassante que chacun préfère bien souvent évacuer. On estime ainsi que près de 60 % des mineurs ont déjà eu accès à la pornographie, et ce dès l’âge de 10 ou 11 ans, ce qui occasionne naturellement des troubles durables.

L’amendement qui a été adopté permet de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel un nouveau pouvoir de régulation de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Ces sites devront prendre des mesures efficaces et ne pourront plus se défausser ; ils devront vraiment contrôler l’âge des utilisateurs, sous peine de ne plus être diffusés en France.

Depuis plusieurs années, les mineurs peuvent facilement accéder à des contenus pornographiques. Il n’est plus possible de laisser grandir nos enfants, aujourd’hui, en France, avec de tels contenus, qui présentent bien souvent une image dégradée de la femme à laquelle se mêlent diverses formes de violence.

Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, je considère que cette proposition de loi peut améliorer les choses.

Je regrette néanmoins que ce sujet n’ait pas fait l’objet d’un plus vaste projet de loi, qui aurait peut-être offert plus de clarté à l’ensemble de nos concitoyens.

Mes chers collègues, permettez-moi enfin de rappeler que 220 000 femmes sont victimes, chaque année, de violences physiques ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint. Elles vivent bien souvent dans la peur quotidienne que ces comportements se reproduisent. Les témoignages sont là ; ils ne peuvent être éludés.

Lorsque la violence surgit au sein du couple, c’est toute une vie qui, immanquablement, bascule pour les victimes. Le foyer, qui devrait être un lieu de sérénité et de paix, devient alors un lieu de crainte et de peur pour les victimes adultes, mais aussi pour les enfants, qui subissent des conséquences psychologiques irrémédiables.

Si certaines victimes quittent leur foyer, nous devons penser à celles qui, pour le moment, n’y parviennent pas ; cela s’impose pour de multiples raisons. Nous devons davantage les accompagner et les aider à sortir de cette situation, mais également les encourager à déposer plainte.

Ces violences ne peuvent plus être ignorées ou cachées. Elles ne doivent plus être sous-estimées ou considérées comme une source de honte par leurs victimes. Elles doivent être sanctionnées et bannies de notre société au plus vite ; c’est aussi à nous, législateur, qu’incombe de viser cet objectif.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais répondre à Mme de la Gontrie.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Vous avez cru, madame, devoir lancer dans mon jardin une petite pierre au sujet des chiffres. J’entends naturellement la ramasser et peut-être, si vous en acceptez l’augure, la renvoyer dans le vôtre.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Pas d’agression ! Les jets de pierre sont interdits dans l’hémicycle !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Ce sont des jets de pierre virtuels, comme vous l’aurez bien compris.

Vous m’avez repris sur les chiffres ; vous me tancez vertement, quoique sans violence. Selon vous, je n’aurais pas dû parler de 120 femmes tuées par leur conjoint ; il y en aurait eu 150.

Alors, voici les chiffres dont je dispose : selon le collectif Féminicides par compagnon ou ex, il y en a eu 149 – 149 de trop, nous sommes tous d’accord ; selon un collectif de journalistes de Libération et de l’Agence France-Presse, il y en aurait eu entre 122 et 125 ; enfin, selon le dernier recensement du ministère de l’intérieur, qui remonterait à septembre 2019, elles seraient 105 – certaines questions de qualification sont inhérentes à ces comptages et ne sont pas étrangères à notre réflexion.

La mort d’une femme tombée sous les coups de son compagnon, qu’il s’agisse d’un meurtre ou de coups mortels, c’est toujours une mort de trop : nous sommes tous d’accord sur ce point.

J’espère vous rassurer, madame la sénatrice : cette divergence de chiffres, que vous connaissez, ne devrait pas vous permettre de conclure à de la désinvolture ou du désintérêt de ma part. Simplement, des sources différentes donnent des chiffres quelque peu divergents.

Je vous ai également entendue dire que, quand on aimait, on ne comptait pas. C’est pourquoi vous auriez suivi mon audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale…

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Ce n’est pas de mon fait, madame la sénatrice ! Je me suis soumis à la règle républicaine. Il ne vous aura pas échappé, si vous l’avez regardée en intégralité, qu’il y a eu un quiproquo. J’ai cru comprendre qu’on m’affirmait que 99 % des plaintes n’étaient pas traitées. C’est pourquoi j’ai poussé des cris d’orfraie : comment est-ce possible ! Il m’a ensuite été expliqué que c’était non pas cela qui était en cause, mais bien le fait que seul 1 % des actes commis étaient portés à la connaissance de l’autorité judiciaire.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Si vous avez été attentive, madame la sénatrice – je suis absolument certain que vous l’avez été –, vous aurez noté que j’ai repris la parole dans la suite de cette audition pour expliquer ce quiproquo. Pourtant – c’est sans doute un hasard, puisque la mauvaise foi ne se présume pas –, une vidéo circule de mon intervention, qui est extrêmement incomplète.

J’espère vous avoir rassurée, madame la sénatrice. Ce sujet m’intéresse et vous pourrez mesurer toute ma détermination : on ne peut pas s’arrêter à une querelle de chiffres, et ce d’autant plus quand ceux-ci sont relatifs et n’ont pas été définitivement fixés.

Voilà, madame la sénatrice, la petite pierre que j’ai voulu, très aimablement, jeter dans votre jardin avec une considération et un respect infinis pour la personne et la sénatrice que vous êtes.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie fait mine de se protéger le visage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est que du gravier !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Chapitre Ier

Dispositions relatives à l’ordonnance de protection et à l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales

(Supprimés)

L’article 515-11 du code civil est ainsi modifié :

1° La deuxième phrase du 3° est ainsi rédigée : « La jouissance du logement conjugal est attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. » ;

2° La deuxième phrase du 4° est ainsi rédigée : « La jouissance du logement commun est attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou au concubin qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. »

Le dernier alinéa de l’article 515-11 du code civil est ainsi modifié :

1° Les mots : « en raison de violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants » sont supprimés ;

2° Il est complété par les mots : « auquel il signale également les violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants. »

Chapitre Ier bis

(Division et intitulé supprimés)

La première phrase du I de l’article 515-11-1 du code civil est ainsi modifiée :

1° Après le mot : « peut », sont insérés les mots : « prononcer une interdiction de se rapprocher de la partie demanderesse à moins d’une certaine distance qu’il fixe et » ;

2° Après le mot : « défenderesse », la fin est ainsi rédigée : « ne respecte pas cette distance. »

I. – Le 17° de l’article 138 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu’est prononcée l’une des obligations prévues au 9°, au présent 17° ou au 17° bis, le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention se prononce, par une décision motivée, sur la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont la personne mise en examen est titulaire ; » ;

II

Chapitre II

Dispositions relatives à la médiation en cas de violences conjugales

Section 1

Dispositions relatives à la médiation familiale

Le livre Ier du code civil est ainsi modifié :

1° L’article 255 est ainsi modifié :

a) Au 1°, après le mot : « médiation », sont insérés les mots : «, sauf si des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint » ;

b) Au 2°, après le mot : « époux », sont insérés les mots : «, sauf si des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint » ;

2° L’article 373-2-10 est ainsi modifié :

a) Au deuxième alinéa, après le mot : « médiation », il est inséré le signe : «, » et, après le mot : « enfant », sont insérés les mots : « ou sauf emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent, » ;

b) Au dernier alinéa, après le mot : « enfant », sont insérés les mots : « ou sauf emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent ».

Section 2

Dispositions relatives à la médiation pénale

Chapitre III

Dispositions relatives aux exceptions d’indignité en cas de violences intrafamiliales

Section 1

Dispositions relatives à l’obligation alimentaire

L’article 207 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de condamnation du créancier pour un crime commis sur la personne du débiteur ou l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs, le débiteur est déchargé de son obligation alimentaire à l’égard du créancier, sauf décision contraire du juge. »

Section 2

Dispositions relatives à l’indignité successorale

L’article 727 du code civil est ainsi modifié :

1° Après le 2°, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt. » ;

Supprimé

Chapitre IV

Dispositions relatives au harcèlement moral au sein du couple

Chapitre IV bis

Dispositions relatives au logement

Après le 3° du I de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Pour le locataire bénéficiaire d’une ordonnance de protection ou dont le conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin fait l’objet de poursuites, d’une procédure alternative aux poursuites ou d’une condamnation, même non définitive, en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui ; ».

Chapitre V

Dispositions relatives au secret professionnel

L’article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le 3° devient un 4° ;

2° Le 3° est ainsi rétabli :

« 3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 du présent code, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ; ».

Chapitre VI

Dispositions relatives aux armes et aux interdictions de paraître ou de contact

Le premier alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’enquête porte sur des infractions de violences, l’officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instructions du procureur de la République, procéder à la saisie des armes qui sont détenues par la personne suspectée ou dont celle-ci a la libre disposition, quel que soit le lieu où se trouvent ces armes. »

I. – L’article 131-6 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de ou en même temps que la peine d’emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté prévues aux 6°, 7°, 10°, 12°, 13° et 14°. »

I bis. – Au premier alinéa de l’article 131-9 du code pénal, la référence : « à l’article 131-6 » est remplacée par les références : « aux 1°, 2°, 3°, 4°, 5°, 5° bis, 8°, 9°, 11° et 15° de l’article 131-6 ».

I ter

II. – Le 11° de l’article 230-19 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :

« 11° L’interdiction de paraître dans certains lieux prononcée en application du 7° de l’article 41-1 et du 9° de l’article 41-2 du présent code ; ».

Chapitre VII

Dispositions relatives au respect de la vie privée

L’article 222-16 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

Chapitre VIII

Dispositions relatives à la protection des mineurs

I. – Au quatrième alinéa de l’article 227-23 du code pénal, les mots : « deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros » sont remplacés par les mots : « cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros ».

II. – Le 5° de l’article 706-53-2 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« 5° D’une mise en examen, lorsque le juge d’instruction a ordonné l’inscription de la décision dans le fichier ; en matière criminelle, l’inscription dans le fichier est de droit, sauf décision motivée du juge d’instruction ; ».

Lorsqu’il constate qu’une personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227-24 du code pénal, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel adresse à cette personne, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé. La personne destinataire de l’injonction dispose d’un délai de quinze jours pour présenter ses observations.

À l’expiration de ce délai, en cas d’inexécution de l’injonction prévue au premier alinéa du présent article et si le contenu reste accessible aux mineurs, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond, que les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique mettent fin à l’accès à ce service. Le procureur de la République est avisé de la décision du président du tribunal.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir, sur requête, le président du tribunal judiciaire de Paris aux mêmes fins lorsque le service de communication au public en ligne est rendu accessible à partir d’une autre adresse.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut également demander au président du tribunal judiciaire de Paris d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut agir d’office ou sur saisine du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.

Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret.

Chapitre IX

Dispositions relatives à l’aide juridictionnelle

L’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« L’aide juridictionnelle est attribuée de plein droit à titre provisoire dans le cadre des procédures présentant un caractère d’urgence dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État.

« L’aide juridictionnelle provisoire devient définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d’aide juridictionnelle établit l’insuffisance des ressources. »

Chapitre IX bis

Dispositions relatives aux étrangers victimes de violences familiales ou conjugales

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° et 2°

Supprimés

3° Le septième alinéa de l’article L. 313-25 est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte délivrée en application du 3° ne peut être retirée par l’autorité administrative en application de l’article L. 313-5-1 lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences familiales ou conjugales. » ;

4° Le septième alinéa de l’article L. 313-26 est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte délivrée en application du 3° ne peut être retirée par l’autorité administrative en application de l’article L. 313-5-1 lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences familiales ou conjugales. » ;

Supprimé

6° L’article L. 314-11 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité administrative ne peut procéder au retrait de la carte délivrée en application du b du 8° lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences familiales ou conjugales. » ;

Chapitre X

Dispositions relatives à l’outre-mer

I. – Les articles 1er E, 1er F, 1er G, le II de l’article 3, les articles 4, 6, 6 bis, 12 et 12 bis de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.

I bis. – Les articles 1er E, 1er F, 1er G, le II de l’article 3, les articles 4, 6, 6 bis et 12 bis de la présente loi sont applicables en Polynésie française.

II. – Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à protéger les victimes de violences conjugales, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».

III. – L’article 711-1 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 711 -1. – Sous réserve des adaptations prévues au présent titre, les livres Ier à V du présent code sont applicables, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à protéger les victimes de violences conjugales, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

IV. – À l’article 69-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, après le mot : « française », sont insérés les mots : « dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à protéger les victimes de violences conjugales ».

Chapitre XI

(Division et intitulé supprimés)

(Supprimé)

Chapitre XII

Dispositions relatives aux Français établis hors de France

(Division et intitulé nouveaux)

Après le 4° de l’article 10 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, il est inséré un 4° bis ainsi rédigé :

« 4° bis Les violences conjugales concernant les Français établis hors de France ; ».

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, nous nous réjouissons de vous rencontrer, dans cet hémicycle, à l’occasion de notre dernière lecture de cette proposition de loi. Vous verrez l’un et l’autre combien la lutte contre les violences faites aux femmes dépend de l’étroite collaboration de vos deux ministères, auxquels on pourrait encore ajouter le ministère de l’intérieur, encore que je ne regrette pas l’absence au banc du Gouvernement du détenteur de ce portefeuille.

Je tenais à vous rassurer, monsieur le garde des sceaux : vous avez salué « madame la rapporteure avec un “e” ». C’est fait : lors de vos prochaines interventions dans cet hémicycle, vous pourrez vous contenter de dire : « madame la rapporteure ».

Exclamations d ’ agacement sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je sais bien que nous autres féministes sommes très excessives, mais nous n’exigeons pas des gardes des sceaux qu’ils parlent en écriture inclusive ! Nous saluons néanmoins cet effort, dont je tiens à vous libérer pour l’avenir. Il n’y a pas de quoi monter au créneau, mes chers collègues de l’autre côté de l’hémicycle !

Nous n’en avons pas fini avec les textes consacrés aux violences faites aux femmes. En effet, celui-ci ne va pas jusqu’au bout. Il est encore largement soumis à ce qui a été la doctrine de la Chancellerie et de nombreux experts, la doctrine selon laquelle un mari violent peut aussi être un bon père. Ce texte ne rompt pas avec cette approche. À l’en croire, un mari violent n’est pas forcément un mauvais père ; même s’il l’est, il faudrait privilégier les liens entre le père et l’enfant et ne pas les couper, car ils seraient trop importants.

À ce propos, monsieur le garde des sceaux, je voudrais attirer votre attention sur un point. Vous vous êtes beaucoup exprimé au sujet de la justice pénale, mais la justice civile importe également. Les violences contre les femmes s’y nouent, en particulier dans le cabinet du juge aux affaires familiales. Nous prenons insuffisamment en compte cet aspect aujourd’hui, alors qu’il n’y a pas de lutte efficace contre les violences faites aux femmes qui ne s’appuie, d’abord, sur une profonde évolution de la justice civile et familiale, et qui ne s’attaque à cette fameuse obsession du maintien du lien entre le père et l’enfant, en toutes circonstances. Encore cet après-midi, j’ai eu à examiner le dossier d’un enfant dont les parents sont séparés et dont le père est radicalisé : l’enfant est toujours obligé de se plier au droit de visite et d’hébergement du père, malgré la toxicité et la dangerosité de celui-ci, tout cela parce qu’il est le père !

C’est donc aussi sur cette évolution de la justice civile que nous vous attendons, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

On a beaucoup évoqué, au cours de ce débat, les différents programmes qui sont en rapport avec ce sujet. À ce propos, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je voudrais vous faire observer qu’il existe, au sein de la cuisine parlementaire, un outil qui pourrait s’avérer très utile dans la lutte contre les violences faites aux femmes : je veux parler des documents de politique transversale.

En effet, ce sujet concerne plusieurs ministères : évidemment les vôtres, mais aussi l’éducation nationale, l’intérieur et encore beaucoup d’autres entités d’État. Ce document permet de disposer, au moment de l’examen du budget, d’une vision complète des fonds et des missions destinés à un sujet donné. Il existe 22 documents de politique transversale, consacrés à l’action extérieure, au changement climatique, aux outre-mer, à l’aide au développement, ou encore, évidemment, à la prévention de la radicalisation et de la délinquance.

Si un tel document budgétaire consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes n’est pas déjà en préparation pour le prochain projet de loi de finances, j’y déposerai un amendement à cette fin. En effet, il serait très utile pour cette cause que nous en ayons une vision globale, compte tenu du nombre de ministères impliqués. Un document de politique transversale serait un outil très important pour les spécialistes de la matière et tous ceux qui s’y intéressent.

Voilà pourquoi je tenais à faire cette observation, tout en vous confirmant que l’ensemble de mon groupe soutiendra le présent texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nassimah Dindar

Vous aurez compris, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, que l’ensemble des sénateurs et des sénatrices qui composent la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes approuvent ce texte, mais le jugent insuffisant. Nous avons véritablement besoin d’une grande loi-cadre pour lutter contre les violences faites aux femmes et toutes les violences intrafamiliales.

Je voudrais revenir sur un seul sujet : la mise en place des dispositions législatives relatives à l’éviction du conjoint violent. Il faut, sur tous les territoires, avoir une politique cohérente qui permette le départ du conjoint violent du domicile conjugal. Sur les territoires insulaires comme le mien, la demande est très forte sur le marché du logement : on relève plus de 28 000 demandes de logement social en attente à La Réunion. Or nous obligeons encore les femmes victimes de violence à quitter, avec leurs enfants, le domicile conjugal, en raison du manque de cohérence entre les différents acteurs publics, entre les services de la préfecture et ceux du conseil départemental, dont les travailleurs sociaux demandent que soient impérativement trouvées des places en urgence.

Un travail sur ce point est donc extrêmement nécessaire et urgent, de manière que les enfants et, a fortiori, les femmes victimes de violences ne subissent pas cette double peine. Même d’un point de vue financier, cela coûtera bien moins cher à la collectivité que de loger pour trois mois, comme le font les services départementaux, ces femmes et ces enfants, qui doivent parfois changer d’école.

Je rappellerai à ce sujet que quand, dans nos territoires ultramarins, survient un uxoricide, c’est-à-dire quand un homme tue sa femme, les membres de sa famille qui veulent quitter l’île ne se voient pas offrir d’accompagnement jusqu’au territoire hexagonal. J’ai eu affaire à de tels cas. J’estime qu’il s’agit d’une injustice très profonde, tout comme celle que subissent les femmes qui veulent quitter un territoire ultramarin pour ne pas subir la violence d’un conjoint qui, souvent, n’accepte pas une décision de justice.

C’est pourquoi il faut de la cohérence entre territoires et entre partenaires. Je fermerai le ban en affirmant à mon tour l’impérieuse nécessité d’une grande loi-cadre pour garantir cette cohérence ; c’est bien la demande de notre délégation, dont je salue la présidente, ainsi que Mme la rapporteure de cette proposition de loi, pour le travail accompli.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Je tiens à saluer à mon tour Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, qui ne pouvait assister à notre séance d’aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Arnell

Pour ma part, je veux saluer le travail de ma collègue Françoise Laborde, que j’ai dû remplacer au pied levé, d’où le fait d’avoir dépassé mon temps de parole – je m’en excuse une nouvelle fois.

Je veux également exprimer mon accord avec les propos de Mme Dindar quant aux spécificités des outre-mer en la matière. Souvent, quand on rencontre des phénomènes de violence, il n’y a pas de solution alternative au départ, du fait de l’exiguïté de ces territoires : on demande trop souvent à la femme de partir, alors qu’il serait plus juste de faire partir le conjoint violent.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Personne ne demande plus la parole ?…

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Madame la présidente, je me réjouis que vous ayez pu présider nos débats sur ce texte, dont je sais qu’il vous tient particulièrement à cœur.

Je me réjouis de ce vote unanime du Sénat. Je l’espérais, non seulement en raison de l’importance des enjeux dont nous avons traité au fil de notre examen de cette proposition de loi, mais aussi parce que l’apport du Sénat à ce texte a été considérable. Nous le devons à chacune et à chacun d’entre vous : je veux saluer l’implication de tous, en particulier celle des membres de la délégation aux droits des femmes et de la commission des lois, et plus largement celle des membres de chacun de nos groupes politiques qui se sont impliqués pour relever ces défis.

Je voudrais aussi avoir un mot de remerciement, que je veux chaleureux, à l’égard de notre rapporteur. En effet, au cours des dernières années, Marie Mercier s’est beaucoup investie sur les questions relatives aux violences sexuelles sur mineurs et aux violences faites aux femmes. Elle y a fait montre de toute l’humanité que nous lui connaissons, qui est enracinée dans son exercice médical antérieur, mais aussi inspirée par des convictions profondes et sincères.

Quand on traite de questions si sensibles et délicates, la tentation est très grande de vouloir se donner bonne conscience. L’enjeu est tout de même de réussir à convertir l’émotion et les bonnes intentions en bonnes lois, sans oublier, d’ailleurs, que la loi ne peut régler tous les problèmes de société et que leur accumulation n’est pas une réponse pertinente à tous les fléaux qui affectent la vie sociale comme la vie familiale.

Il a été rappelé à quel point la prévention, l’éducation, l’accompagnement social et l’accueil des victimes sont des éléments importants ; aucun d’entre eux ne relève de la loi. En revanche, les questions que nous avons traitées au cours de nos délibérations sur cette proposition de loi et sur la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille ont permis de poser des règles que nous jugeons pertinentes parce qu’elles sont applicables.

La loi est un outil qu’il ne faut pas galvauder ; Marie Mercier y a été constamment attentive. Nous n’avons adopté ici que des règles que les pouvoirs publics et les magistrats auront les moyens de faire respecter. C’est un bon travail législatif ; il me tenait à cœur de le saluer !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine (proposition n° 544, texte de la commission n° 631, rapport n° 630).

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je sollicite une suspension de séance de cinq minutes, madame la présidente.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez porte sur un sujet très sensible. À travers elle, on s’efforce de répondre à la problématique des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, dont certains présentent toujours une situation de dangerosité en fin de peine. Sur ces questions, monsieur le président de la commission, comme vous le savez, j’ai évolué.

Permettez-moi d’abord de rappeler quelques données factuelles. En France, 260 personnes sont actuellement détenues après une condamnation pour une infraction terroriste en lien avec la mouvance islamiste. Certaines d’entre elles purgent des peines correctionnelles de plusieurs années – principalement entre sept et dix ans – qui ont été prononcées, pour beaucoup d’entre elles, après 2012.

Outre ces détenus condamnés, 252 personnes sont en détention provisoire après avoir été mises en examen pour des actes de terrorisme. Elles seront jugées dans les mois ou années à venir : 49 procès terroristes se dérouleront d’ici à 2021.

Parmi les condamnés, 31 seront libérés en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022, après avoir exécuté leur peine.

Les lois du 3 juin et du 21 juillet 2016 ont supprimé les crédits de réduction de peine pour les terroristes et restreint leur accès à la libération conditionnelle, mais ces dispositions ont sans doute repoussé la difficulté, voire l’ont renforcée, puisque ces mêmes détenus vont prochainement quitter la détention en « sortie sèche », selon l’expression convenue.

Je souhaitais faire ce bref rappel, car il résume le défi qui est le nôtre : apporter une réponse pénale au terrorisme.

Bâti depuis 1986, notre dispositif judiciaire de réponse à la menace terroriste est équilibré. Il repose sur un dispositif centralisé avec des aménagements procéduraux. Ce cadre a encore été complété l’an dernier avec la création d’un parquet autonome spécialisé, le parquet national antiterroriste (PNAT).

Dans son œuvre normative, le législateur a toujours cherché à articuler la spécificité qu’impose une criminalité complexe, dont la finalité est l’effondrement de notre modèle sociétal et de nos valeurs démocratiques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en ayant à l’esprit cet impérieux besoin d’équilibre que vous devrez aborder ces débats.

Un travail important est réalisé dans nos établissements pénitentiaires afin de prévenir la radicalisation des détenus et de freiner tout prosélytisme délétère. Plusieurs rapports en ont rendu compte. Je pense au rapport d’information des députés Diard et Poulliat sur les services publics face à la radicalisation, qui comprend des propositions destinées à renforcer le suivi des personnes radicalisées, comme au rapport de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté sur la prise en charge pénitentiaire des personnes radicalisées et le respect des droits fondamentaux.

La remise en liberté de détenus condamnés, potentiellement toujours radicalisés en dépit du travail réalisé, appelle cependant une réponse.

Nous devons tout mettre en œuvre pour garantir la sûreté de nos concitoyens. Cette majorité s’y est déjà attachée. Ainsi, le dispositif de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, a ouvert la possibilité de soumettre ces personnes à une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas). Cependant, limitée à un an, la durée de ces mesures administratives peut paraître aujourd’hui insuffisante.

Pour autant, soumettre des personnes ayant purgé leur peine à un nouveau régime judiciaire restrictif de liberté appelle à la vigilance.

Marques d ’ approbation sur les travées des groupes SOCR et CRCE.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Il faut se garder de l’illusion d’une justice prédictive, chimère qui est la négation de l’idée même de justice et de réhabilitation.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Nous devons veiller à ce que les mesures que nous élaborons n’enferment pas davantage les condamnés dans leur misanthropie au lieu de permettre leur réinsertion, laquelle doit rester notre objectif principal.

Le travail de l’Assemblée nationale, puis de votre commission des lois, s’appuyant sur un avis très étayé du Conseil d’État, a permis de dégager une solution d’équilibre.

L’article 1er de la proposition de loi introduit dans le code de procédure pénale un dispositif permettant au juge judiciaire d’imposer des mesures de sûreté aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme ayant purgé leur peine d’emprisonnement.

Les mesures de sûreté doivent respecter le principe résultant de l’article IX de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. En effet, le législateur doit concilier, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties.

À cet égard, il convient d’être vigilant sur le caractère adapté, nécessaire et proportionné du dispositif. Nous sommes sur une ligne de crête : prendre des mesures qui permettent d’assurer la protection des Français, sans adopter celles qui ne seraient pas strictement nécessaires.

Je le redis, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous vous apprêtez à voter est un texte d’équilibre. J’invite par conséquent votre assemblée à la prudence sur tout durcissement du texte voté par l’Assemblée nationale, alors que le Conseil d’État a appelé notre attention sur ce point.

Sur les garanties attachées à la nouvelle mesure, je tiens à rappeler les éléments suivants.

Premièrement, le concept de dangerosité n’est pas étranger à notre droit. Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, déclarées conformes à la Constitution, reposent sur ce concept.

Deuxièmement, le nouveau dispositif constitue une mesure restrictive de liberté et non privative de liberté, s’appliquant à des personnes condamnées définitivement.

Troisièmement, le placement sous surveillance électronique mobile de la personne est soumis à son consentement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Quatrièmement, l’évaluation de la dangerosité des condamnés susceptibles de faire l’objet de ces nouvelles mesures de sûreté sera réalisée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, qui saura prendre en charge ce sujet complexe qu’est la dangerosité, grâce à l’ensemble des compétences de chacun de ses membres et leur spécialisation dans l’appréciation de la dangerosité d’une personne.

Cinquièmement, enfin, c’est l’autorité judiciaire et elle seule qui sera compétente afin de prononcer, le cas échéant, de telles mesures de sûreté et d’assurer leur suivi tout au long de leur durée. Cette décision interviendra à l’issue d’un débat contradictoire et un appel des parties sera toujours possible.

Pour l’avenir, il serait essentiel de réaliser une évaluation des dispositifs de prévention de la récidive terroriste dans leur ensemble. La complexité actuelle peut en effet nuire à l’efficacité de l’action de l’État.

Il est nécessaire de proposer une remise à plat des dispositifs existants, afin que l’empilement actuel retrouve une cohérence et une lisibilité d’ensemble.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est au prix d’une telle évaluation que l’action de l’État trouvera sa pleine efficacité, son sens et sa cohérence.

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est appelé aujourd’hui à examiner une proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, déposée par Mme Yaël Braun-Pivet et adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin dernier.

Ce texte a pour ambition d’apporter une réponse à l’enjeu majeur que représente, pour la sécurité de notre pays, la libération de plus de 150 terroristes d’ici à la fin de l’année 2022. Il crée, à cet effet, une nouvelle mesure de sûreté.

Sur le fond, notre commission des lois ne pouvait qu’accueillir favorablement ce texte, qui répond à un constat qu’elle avait elle-même dressé au mois de février dernier, à l’occasion du bilan de la loi SILT. Une proposition de loi similaire à celle que nous examinons aujourd’hui a d’ailleurs été déposée par Philippe Bas et Marc-Philippe Daubresse, dès le début du mois de mars dernier. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait pris l’initiative d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de notre assemblée.

La proposition de loi a pour principal objet de créer une nouvelle mesure de sûreté, dédiée à la prise en charge des condamnés terroristes qui sortent de détention. Elle prévoit également de faire du suivi socio-judiciaire une peine complémentaire obligatoire.

Ce texte vient combler un vide juridique dénoncé par de nombreux acteurs de terrain. Le législateur a considérablement renforcé l’arsenal antiterroriste au cours des dernières années, mais il s’est concentré sur la répression et le régime des peines, sans anticiper la question du suivi à l’issue de l’exécution de la peine.

Nous sommes donc dans une situation paradoxale et peu satisfaisante : les individus condamnés pour des faits de terrorisme sont aujourd’hui les plus suivis en détention, mais les moins accompagnés au moment de leur libération. Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que rien n’existe. Pour autant, les outils tant judiciaires qu’administratifs se révèlent incomplets et inadaptés à l’enjeu.

C’est pourquoi la commission a approuvé le principe de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi. Toutefois, je sais que la mesure suscite des craintes, notamment sur sa constitutionnalité, y compris au sein de cet hémicycle.

À cet égard, je tiens à insister sur un point : la mesure créée ne constitue en aucun cas une « peine après la peine ». Il s’agit d’une mesure de sûreté, au sens de la jurisprudence définie par le Conseil constitutionnel. Elle a pour objet non pas de sanctionner, mais bien de prévenir la récidive et la commission de nouveaux actes de terrorisme. Elle se fonde non sur la culpabilité de la personne, mais sur sa dangerosité évaluée à l’issue de sa période de détention.

N’oublions pas que, en 2008, le Conseil constitutionnel a admis l’existence de mesures de même nature et validé la rétention et la surveillance de sûreté.

Cela étant, il est de notre responsabilité de trouver le point équilibre entre sécurité et liberté. La commission des lois s’est efforcée d’y travailler la semaine dernière. Il s’agit d’un exercice difficile, mais je crois que nous y sommes parvenus.

Nous avons apporté une série de garanties pour assurer la constitutionnalité de la mesure.

Nous avons tout d’abord encadré le champ d’application de la mesure, en la limitant aux personnes condamnées aux peines les plus lourdes, supérieures à cinq ans d’emprisonnement. Il s’agit de répondre à une exigence constitutionnelle, à l’instar de ce qui est prévu pour la rétention et la surveillance de sûreté.

Dans le même état d’esprit, nous avons précisé l’articulation de la mesure créée avec les dispositifs existants. Il s’agissait non seulement de garantir que la mesure ne soit prononcée que lorsqu’elle est strictement nécessaire et adaptée pour suivre ces profils, mais aussi de veiller à une articulation fluide avec les mesures administratives, notamment les Micas.

Enfin, nous avons apporté plusieurs ajustements à la procédure, même si le texte de l’Assemblée nationale était déjà équilibré sur ce point et garantissait le respect des droits de la défense.

Notre principale modification porte sur le contenu des réquisitions du procureur antiterroriste. Il nous est apparu indispensable que ces réquisitions s’appuient sur des éléments non seulement circonstanciés, mais également actuels, pour assurer la stricte nécessité et la proportionnalité de la mesure demandée.

Je suis bien consciente que ces changements peuvent sembler restreindre les possibilités de surveillance. Nous avons toutefois intérêt à ce que la mesure soit solide. En cas d’inconstitutionnalité en effet, c’est tout le dispositif qui serait fragilisé, ce qu’aucun d’entre nous ne souhaite.

Parallèlement à ce souci d’équilibre, la commission a cherché à s’assurer du caractère opérationnel de la mesure. Il m’a été indiqué que le texte adopté par l’Assemblée nationale suscitait quelques interrogations, notamment sur son caractère inapplicable.

Pour surmonter ces difficultés, nous avons adopté quatre modifications.

La première porte sur le champ d’application de la mesure, qu’il était essentiel de réviser. Dans le texte de l’Assemblée nationale, le critère de dangerosité était apprécié par deux éléments : d’une part, le risque très élevé de récidive ; d’autre part, « l’adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Ce dernier critère était à notre sens trop restrictif : il se rapprochait de la définition de l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste, ce qui rendait la mesure quasiment inapplicable. En d’autres termes, si ce critère était rempli, alors il aurait été possible d’engager une nouvelle procédure judiciaire à l’encontre de la personne.

Nous avons donc atténué légèrement cette définition, en visant l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, plutôt que l’adhésion à une entreprise terroriste.

La deuxième modification principale concerne la durée de la mesure. Les députés ont prévu une durée d’un an, renouvelable dans la limite de cinq ans, voire de dix ans en cas de condamnation pour crime ou délit grave. Cette durée d’un an est jugée peu opérationnelle par les acteurs judiciaires : elle imposerait d’engager la procédure de renouvellement moins d’un mois après le prononcé de la mesure.

J’ai donc proposé à la commission de porter cette durée à deux ans, comme le prévoyait la proposition de loi de Philippe Bas et de Marc-Philippe Daubresse. J’ajoute que la personne conservera à tout moment la possibilité de demander la mainlevée de la mesure, ce qui me paraît garantir un équilibre satisfaisant.

La troisième modification a trait à l’obligation de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), car la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale la rendait peu opérationnelle.

En effet, contrairement à une idée reçue, le bracelet électronique n’est pas un dispositif utilisé pour suivre en permanence et en temps réel une personne. Il ne sert qu’à s’assurer du respect d’une autre mesure limitant la liberté d’aller et de venir, par exemple une interdiction de paraître dans certains lieux.

L’ensemble des acteurs que nous avons entendus ont été unanimes sur ce point : tel qu’il était rédigé, le placement sous surveillance électronique mobile était inapplicable. C’est pourquoi la commission a associé le PSEM aux autres obligations de surveillance et prévu que ce placement soit prononcé pour contrôler le respect des autres obligations, en particulier l’interdiction de paraître, l’interdiction de fréquenter certaines personnes, etc.

Nous avons en revanche jugé nécessaire de supprimer la possibilité de cumuler le placement sous surveillance électronique mobile et le pointage, qui pourrait être jugée disproportionnée par le Conseil constitutionnel.

Enfin, la commission a renforcé le contenu de la mesure créée.

Elle a, d’une part, renforcé le volet « surveillance » de la mesure, en insérant deux obligations complémentaires : l’interdiction de se livrer à l’activité au cours de laquelle l’infraction a été commise et l’interdiction de détenir ou de porter une arme.

Elle a, d’autre part, renforcé le volet d’accompagnement à la réinsertion, qui était quasiment absent du texte adopté par les députés. Sur ce volet, il a été prévu un suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, parallèlement au suivi qui sera opéré par le juge de l’application des peines.

La commission a également introduit une nouvelle obligation d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation. Nous avons répondu, sur ce point, à une demande forte des acteurs de terrain. N’oublions pas que l’intérêt d’une mesure judiciaire, par rapport à une mesure administrative, est bien de prévenir la récidive, non seulement par des mesures de surveillance, mais également par des mesures d’assistance. Je suis particulièrement attachée à ces apports qui, je le crois, sont nécessaires si nous souhaitons gérer efficacement ces profils.

Pour garantir l’efficacité de l’ensemble de ces obligations et faciliter leur contrôle, la commission des lois a également introduit un article 1er bis prévoyant l’inscription des obligations de la mesure de sûreté au fichier des personnes recherchées.

Face au défi du terrorisme, le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité. Dès 2014, il a pris l’initiative de plusieurs évolutions législatives, qui ont permis de renforcer considérablement notre arsenal pénal antiterroriste, dans le strict respect des libertés individuelles.

C’est ce même esprit qui doit aujourd’hui nous guider et nous amener à approuver collectivement ce texte.

Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des terroristes sortant de détention est une priorité pour la sécurité des Français. C’est ce que je vous propose de faire aujourd’hui.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte a pour objet d’appliquer un certain nombre de contraintes, appelées « mesures de sûreté », à des personnes qui viennent de purger des peines privatives de liberté pour des actes de terrorisme et qui présentent une dangerosité particulière à l’issue de l’exécution de leur peine. Cette dangerosité est définie comme un risque de récidive, adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes terroristes.

Ces mesures de contrainte seraient imposées par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris. Initialement, il était prévu de confier cette tâche au tribunal d’application des peines. Cependant, à la suite de remarques du Conseil d’État, pour éviter la confusion avec les peines, ce choix a été modifié pour se calquer au maximum sur la rétention de sûreté, qui s’applique en particulier aux délinquants sexuels, alors même que la manière d’évaluer les risques n’a rien à voir. C’est pourquoi nous craignons que cela n’entraîne beaucoup de confusion.

La rapporteure a essayé d’améliorer un texte qui a fait l’objet d’un avis long et plus que mitigé du Conseil d’État. Elle a tenté de se faufiler entre nos engagements constitutionnels et conventionnels, et d’éviter que ces mesures de sûreté ne se confondent avec une nouvelle peine.

Faut-il vraiment aller dans ce sens ? La question se pose avec une acuité particulière depuis qu’à l’été 2016 le Parlement a voté l’impossibilité d’aménager les peines pour certains condamnés pour terrorisme, ce qui entraîne obligatoirement des sorties sèches, non préparées et potentiellement dangereuses.

Mes chers collègues, le rôle de la justice pénale est d’établir des faits et de prononcer des peines. Si, demain, nous attendons d’elle qu’elle se prononce non plus sur des actes, mais sur le risque que représente une personne, elle n’est plus la justice : elle deviendrait une sorte d’organisation de la société déresponsabilisant les gens, où la culpabilité s’estomperait devant la dangerosité.

Acceptons-nous cette évolution ? Acceptons-nous une peine après la peine, alors que les personnes visées n’ont pas vu ces mesures de contrainte prononcées par le tribunal qui a statué sur leur peine ? Bien entendu, le problème est réel, mais, face à 52 détenus sortant après exécution de la peine en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022, faut-il un nouveau texte de loi…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

… confus ou des moyens de surveillance et d’évaluation de la dangerosité ?

Malheureusement, au regard des effets de la prison sur la radicalisation, le risque ne touche pas que ceux qui sortent de prison après avoir été condamnés pour un acte terroriste.

La responsabilité politique n’est pas de dire pour rassurer : « La loi vous protège. » C’est d’avoir une politique et des moyens pour permettre la prévention des actes terroristes. De ce point de vue, le bracelet électronique est une privation de liberté, mais n’est pas une mesure de sûreté : il suffit de voir ce qu’il s’est hélas ! passé à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Attentatoire à nos principes, ce texte est aussi dangereux pour notre sécurité.

D’abord, il y a un total manque de proportionnalité entre la dangerosité évaluée des personnes et les mesures pouvant être prises. Les Micas s’appliquent à un spectre beaucoup plus large et sont plus fortes ; qui plus est, elles sont prononcées par l’exécutif. Les mesures prévues sont prononcées par un juge, s’appliquent à des individus qui pourraient a priori être plus dangereux et sont moins contraignantes. En outre, il est très fortement probable que l’autorité administrative ne pourra pas aller au-delà des mesures judiciaires.

Par conséquent, avec ce texte, on construit une disproportionnalité entre la dangerosité qui existe et les mesures de surveillance et de contraintes qui peuvent être prises.

Ensuite, quid du respect du contradictoire ? Si les services de renseignement établissent la dangerosité telle qu’elle est définie et qu’il faut verser les sources et les éléments au dossier, croyez-vous vraiment que ces éléments d’information et les sources dévoilées à tous ne constitueraient pas un danger pour l’efficacité de nos services de renseignement ?

M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Enfin, il y a une confusion des rôles. En effet, l’exposé de la dangerosité pourrait engendrer une judiciarisation. En revanche, s’il s’agit uniquement de protéger, cela relève de la responsabilité de l’exécutif, et non de celle de l’autorité judiciaire. Celle-ci dispose déjà de services de renseignements et d’un arsenal de mesures de police – la loi SILT a été évoquée.

Si, face aux mêmes dangers et à la même situation, l’autorité administrative et l’autorité judiciaire peuvent toutes deux prendre des mesures, aucune ne sera vraiment responsable. L’exigence de la responsabilité que nous avons aujourd’hui nous conduit à faire en sorte que la responsabilité de l’exécutif et celle de l’autorité judiciaire soient claires et distinctes et à exiger les moyens qu’il faut pour suivre et évaluer la dangerosité.

Le Conseil d’État a formulé une même remarque dans son avis, de façon un peu plus diplomatique que je ne viens de le faire, soulignant « la complexité qui peut nuire à l’efficacité de l’action de l’État prise dans ses fonctions administratives et judiciaires ». Reste que c’est au cœur du problème.

Rassurer la population n’a rien à voir avec assurer la sécurité. Assurer la sécurité, c’est définir précisément les responsabilités de chacun.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Il faut conclure, mon cher collègue : vous avez largement dépassé votre temps de parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le garde des sceaux, ce texte heurte tous nos principes fondamentaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il n’est pas efficace pour assurer notre sécurité.

L’homme ou la femme, aussi mauvais soient-ils, ont toujours droit à la défense. Or il s’agit là non pas d’une personne, mais d’un mauvais projet de loi : il n’a pas besoin d’un défenseur commis d’office. Le groupe socialiste et républicain votera contre, parce qu’il est inquiet des conséquences de son adoption sur notre société et sur son efficacité.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis 2015, il a plusieurs fois été question dans cet hémicycle de la prise en charge des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. C’est un sujet suffisamment complexe pour qu’on lui consacre un examen tout à fait particulier. En cela, la proposition de loi des députés La République En Marche est bienvenue.

Dans les trois années à venir, environ 150 personnes condamnées pour des faits de terrorisme retrouveront leur liberté, après avoir purgé leur peine, alors que la menace persiste dans notre pays. Ce ne sont évidemment pas les terroristes de 2015 qui n’ont pas encore été jugés : le procès de l’attentat de Charlie Hebdo se tiendra, je crois, entre les mois de septembre et novembre prochains. Toutefois, il est facile de comprendre le frémissement que peut provoquer cette nouvelle dans la conscience collective encore endeuillée par de nouvelles attaques au couteau à Romans-sur-Isère.

L’intention limpide des auteurs de cette proposition de loi en découle. Il s’agit de s’assurer de maintenir hors d’état de nuire ces individus, dont les actes passés sont de nature à laisser penser qu’ils nourrissent une hostilité puissante contre la société qu’ils s’apprêtent à rejoindre dès leur libération. Afin d’éviter toute récidive, nos collègues députés proposent de créer un nouveau régime de mesures de sûreté propre au terrorisme.

Ce n’est pas la première fois que le Parlement doit se prononcer sur la question des sorties de prison d’individus violents, dont on craint qu’ils ne récidivent. Comme le mettait en garde Robert Badinter, ici même, au moment de l’examen de la loi relative à la rétention de sûreté : « L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. »

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Sur la rétention de sûreté, on se souvient également de l’argument des pénalistes : créer une « peine après la peine » risque d’affaiblir le sens de la peine.

En 2005, le groupe RDSE s’était pourtant prononcé en faveur de la rétention de sûreté, considérant qu’il s’agissait d’un pis-aller, faute de moyens adaptés à la prise en charge de personnes psychiquement dangereuses. De la même manière, il est aujourd’hui en majorité favorable à ce texte, afin de protéger la population faute d’autres moyens.

Monsieur le garde des sceaux, nos deux réserves concernent, d’une part, la durée des mesures de sûreté initiales susceptibles d’être ordonnées, afin de trouver un meilleur équilibre entre prévention de la récidive et préservation des libertés, d’autre part, la définition de la particulière dangerosité, qui ne convient pas aux magistrats qui seront chargés d’appliquer ce texte. En effet, un grand nombre d’entre eux restent par essence opposés au maintien d’une forme de contrainte à l’issue de la peine. Nous partageons leurs inquiétudes face à la multiplication tous azimuts des instruments judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme, dans un contexte de moyens de fonctionnements dégradés pour la justice. Les modifications intervenues en commission des lois sur l’initiative de Mme la rapporteure – et il faut l’en remercier – permettent déjà quelques clarifications entre les différents régimes.

Toutes les modifications introduites depuis 2015 ne doivent pas nous laisser croire à la possibilité d’un « risque zéro ». De ce point de vue, le cas des personnes radicalisées en prison, mais non condamnées pour des actes de terrorisme, ne constitue-t-il pas un trou dans la raquette ? Faut-il rappeler que celles-ci ne pourront pas se voir appliquer les mesures de sûreté prévues par cette proposition de loi ?

Toutefois, notre position générale a été confortée par le fait que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est entre-temps venue préciser le cadre de conventionnalité des mesures de sûreté susceptibles d’être ainsi prises. Le 4 décembre 2018, elle a ainsi validé le placement en détention d’un individu condamné pour meurtre à caractère sexuel, en raison de la nécessité et dans l’optique de traiter le trouble mental.

Monsieur le garde des sceaux, comment étendre cette jurisprudence appliquée aux personnes atteintes de troubles psychiatriques aux personnes adhérant à une idéologie terroriste ? Je pose la question. Il faudrait pour cela comprendre le phénomène de radicalisation, qui reste aujourd’hui très opaque. Nous ne disposons en réalité que de peu d’informations sur les profils des personnes concernées. Les investigations conduites après 2015 ont ainsi mis au jour la perméabilité des milieux du crime en bande organisée et du terrorisme, auxquels s’ajoutent quelques illuminés et quelques déséquilibrés.

De ces trois catégories, les « idéologues » du terrorisme sont sans doute les plus imprévisibles et les plus difficiles à combattre sur le terrain du droit. Face à eux, l’arme la plus puissante reste peut-être d’approfondir toujours davantage notre démocratie et de faire de la justice sociale une réalité, tout en rappelant que, dans notre pays, les individus sont jugés selon les règles de l’État de droit, c’est-à-dire établies par eux et pour eux.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 143 personnes condamnées pour des actes de terrorisme sortiront des prisons françaises d’ici à 2022, dont 31 dès cette année, vient de nous dire le garde des sceaux.

Permettez-moi de citer un autre chiffre : d’après le Centre d’analyse du terrorisme, le taux de récidive des djihadistes varie entre 39 % et 100 %, donnée factuelle sur laquelle il est possible de s’appuyer.

Ce double constat conduit le législateur à s’interroger sur les moyens juridiques qu’il convient de mettre en œuvre.

D’une part, cette question est un enjeu majeur de sécurité publique, comme l’ont souligné les professionnels que nous avons auditionnés et qui expriment des craintes réelles, et non pas théoriques, sur la situation des personnes détenues appelées à sortir d’ici à trois ans.

D’autre part, il résulte des travaux des deux assemblées une incomplétude et une inadaptation des dispositifs de suivi et de surveillance en vigueur.

Le président de notre commission des lois, Philippe Bas, en amont de nos collègues du groupe La République En Marche à l’Assemblée nationale, avait déposé une proposition de loi, dont l’objectif était le même que le texte que nous examinons aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

M. Arnaud de Belenet. Il faut rendre à Philippe Bas ce qui appartient à Philippe Bas !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Le dépôt de la présente proposition de loi est donc bien dû à une réalité alarmante et vise à faire face à un enjeu clair : apporter une réponse à un manque.

Les lacunes ont déjà été mentionnées, je ne m’y attarderai pas. Elles tiennent notamment à l’inapplicabilité du suivi socio-judiciaire aux personnes condamnées pour des faits commis avant 2016. Elles tiennent également à l’inadéquation de la surveillance judiciaire, les personnes condamnées pour des actes terroristes ayant été exclues en 2016 des dispositifs de réduction de peine dans le cadre de laquelle s’applique cette surveillance.

D’un point de vue administratif, les mesures individuelles de contrôle et de surveillance paraissent pour leur part insuffisantes parce que leur durée est limitée à douze mois et parce qu’elles n’offrent pas d’accompagnement à la réinsertion.

Pour ce qui concerne la réinsertion, le travail a été fait. Il s’agit là d’ailleurs d’un volet essentiel du texte. Quant à la durée des mesures, une prorogation est tentante, mais une période de vingt-quatre mois pourrait poser un problème de constitutionnalité.

La présente proposition de loi permet donc de répondre utilement à ce vide paradoxal et préoccupant.

À l’article 1er est créée une nouvelle mesure de sûreté, qui donne la faculté au juge, dans le respect du contradictoire, d’imposer des obligations en matière de surveillance et de suivi aux condamnés pour terrorisme présentant, à l’issue de leur peine, une particulière dangerosité.

Ce texte renforce utilement, dans son article 2 adopté conforme par notre commission des lois, la mise en œuvre du suivi socio-judiciaire en visant l’automaticité du prononcé de ce dernier.

Il prévoit enfin, après l’adoption d’amendements en ce sens par la commission, l’inscription bienvenue de certaines obligations résultant de la mesure de sûreté au fichier des personnes recherchées, ainsi que l’application du dispositif dans les territoires ultramarins.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le présent texte, cela a été dit, nous place effectivement sur une ligne de crête en matière de libertés publiques.

L’utilité du dispositif ne saurait éluder la nécessité de s’assurer du respect des principes fondamentaux de notre droit, notamment en matière pénale.

Certains sur ces travées ont exprimé la crainte que les obligations de la mesure de sûreté ne se révèlent être des peines après la peine, contrevenant par là même au principe du non bis in idem.

Non seulement le Conseil d’État affirme, dans son avis, que les mesures visées par la proposition de loi « ont exclusivement la nature de mesures de sûreté », non seulement le Conseil constitutionnel n’exclut pas, par principe, la possibilité pour le législateur de créer des mesures de sûreté, mais les rapporteures à l’Assemblée nationale et au Sénat se sont justement employées à renforcer les garanties du dispositif et sa nécessaire rigueur.

Je pense aux modifications, introduites à l’Assemblée nationale, par exemple sur la réduction de la durée maximale globale de la mesure de sûreté, à la suite des observations du Conseil d’État. Ces modifications, que notre commission a conservées, renforcent l’assise juridique du dispositif.

Je pense également aux garanties introduites en matière de placement sous surveillance électronique mobile, à savoir le consentement de la personne et la réduction de la fréquence de l’obligation de pointage.

Pour la majorité à l’Assemblée nationale, l’enjeu était bien – nous aurons l’occasion d’y revenir lors des débats entre les deux chambres – de concilier le caractère opérationnel avec la sécurité juridique du dispositif.

Notre rapporteure, Jacqueline Eustache-Brinio, que je salue pour son travail, a également procédé à des clarifications bienvenues sur l’articulation de la mesure de sûreté instituée avec les autres dispositifs de suivi et de surveillance en vigueur. Elle nous a indiqué vouloir veiller à l’indispensable proportionnalité de la mesure de sûreté et à sa constitutionnalité. Nous y reviendrons certainement.

Finalement, et les éléments que je viens de mentionner l’illustrent bien, un double objectif a guidé les travaux des deux assemblées : l’opérationnalité et la constitutionnalité de la mesure de sûreté instituée. Ces points continueront, je le pense, à éclairer les échanges entre les deux chambres jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire, qui, je l’espère, sera conclusive, afin de répondre à l’enjeu de protection de la société, dans le respect de notre État de droit.

Bien évidemment, le groupe La République En Marche votera ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand on entend le mot « terrorisme », on pense immédiatement au terrorisme islamiste qui ensanglante notre pays depuis de nombreuses années, mais il n’est pas le seul.

Je consacrerai une partie du temps de parole qui m’est accordé à apporter, par un instant de silence, mon soutien à la famille d’Axelle Dorier, cette jolie jeune femme, aide-soignante de 23 ans, qui est tout le portrait de ma propre fille.

Axelle, martyre, victime d’un terrorisme du quotidien qui ne dit pas son nom, commis par la racaille, cette racaille qui tue les nôtres partout en France, dans le silence de la bien-pensance, l’indifférence de la classe politique et le mépris des officines médiatiques.

M. Stéphane Ravier observe un bref moment de silence.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Que l’on donne les noms, monsieur le ministre, que l’on donne les noms et que la justice frappe, qu’elle frappe fort !

Depuis la loi de 2008, le mécanisme de rétention de sûreté n’a jamais été mis en œuvre dans une affaire de terrorisme. Depuis l’attentat de Charlie Hebdo en 2015, votre angélisme a coûté à notre pays plus de 250 vies.

Il y a quatre ans, le 14 juillet à Nice, 86 personnes étaient assassinées par un terroriste tunisien.

Quelques jours plus tard, c’était le père Hamel qui était à son tour assassiné en son église par un djihadiste de 19 ans, Adel Kermiche. Cet assassinat est la preuve éclatante et tragique de l’échec d’une vision idéologique et laxiste de la justice, qui s’est obstinée à voir un jeune garçon perdu, là où son CV indiquait qu’elle avait affaire à un assassin endoctriné et déterminé.

Ces leçons du passé écrites à l’encre du sang des innocents n’ont pas empêché Mme Belloubet d’anticiper la libération de 74 détenus radicalisés, 74 foyers susceptibles de relancer l’épidémie de barbarie.

En France, mère des arts, des armes et des lois, fille aînée de l’Église, l’islamisme est comme un poison dans l’eau !

Pour preuve, on apprend que 153 condamnés pour actes de terrorisme vont retrouver la liberté dans notre pays cette année.

Le constat est clair : les mesures de sûreté à l’issue des peines sont insuffisantes et inadaptées.

Face à ces barbares, il faut être impitoyable ! Pour qu’un mécanisme de sûreté soit effectif et efficace, il faut refuser, sans aucune exception, le retour des djihadistes condamnés à l’étranger ; rétablir la perpétuité réelle ; déchoir de leur nationalité française les binationaux ; expulser les étrangers et instaurer un tracking numérique et un suivi des terroristes, avec ou sans leur consentement.

Pour ma part, je ne me plaindrais pas, mes chers collègues, si le GIGN, le RAID, ou la BRI nous débarrassaient rapidement et définitivement de ceux qui auront commis l’irréparable !

Aux antipodes de ces mesures de bon sens, vous avez rappelé, monsieur le ministre, vouloir rapatrier en France les djihadistes ayant fait allégeance à l’État islamique et ayant été condamnés à mort en Irak ou en Syrie. Au fond, vous êtes resté dans votre robe d’avocat, honoré de défendre Abdelkader Merah.

Protestations indignées sur diverses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

« Le Président sera celui de la menace permanente sur les Français » avait annoncé le candidat Emmanuel Macron en avril 2017. Voilà un engagement qu’il aura tenu ! Il rejetait le projet d’inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit. Plus de trois ans ont passé, la nuit n’est assurément pas terminée, et le sang français continue de couler.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne ménagerai aucun effet de surprise, je vous dis d’emblée que l’ensemble des membres de mon groupe est opposé à ce texte, en raison non seulement des mesures précises qu’il vise à instaurer, mais également, et surtout, de la vision de notre société dont il est porteur. Notre rôle de législateur devrait aussi consister, je pense, à prendre le recul nécessaire sur les lois que nous élaborons et sur leur cohérence globale.

Or, ces dernières années, l’inflation des mesures pénales est plus que notable, je peux en témoigner. Aux états d’urgence sécuritaire successifs, qui ne sont pas seulement propres au champ du terrorisme d’ailleurs, succèdent aujourd’hui des mesures spécifiques pour encadrer la remise en liberté d’auteurs d’infractions terroristes ayant purgé leur peine.

Après avoir décidé en 2016 de priver ces condamnés de toute possibilité d’aménagement de peine, on se retrouve face à la problématique de leur sortie « sèche ».

La question qui se pose à présent est la suivante : qu’allons-nous faire de ces individus, avec qui toutes les mesures carcérales ont échoué ? Après les quartiers d’évaluation de la radicalisation, puis les quartiers de prise en charge de la radicalisation, sur lesquels nous demandons un rapport au Gouvernement par voie d’amendement, nous créons de nouveaux espaces carcéraux pour évaluer, de nouveau, ces condamnés, afin de décider si ceux-ci présentent ou non un caractère dangereux pour la sécurité de nos concitoyens.

Que les choses soient claires : mon objectif ne diffère en rien du vôtre – protéger nos concitoyens contre tout nouvel acte barbare est fondamental –, à ceci près qu’il s’accompagne d’une d’inquiétude : compte tenu du nombre de dispositifs d’exception au droit commun qui se sont accumulés au fil des années, je me demande vers où nous avançons et, surtout, jusqu’où nous irons.

Que nous est-il proposé aujourd’hui ?

Ne sachant que faire de ces individus, mais souhaitant tout de même apaiser toute peur, légitime ou non, nous les maintenons dans une forme de peine après la peine, en restreignant leur liberté sur le fondement non pas des actes qu’ils ont commis, mais de ceux qu’on suppose qu’ils pourraient commettre.

Initialement, hormis la mesure de prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, le texte ne prévoyait que des mesures de contrôle dont l’intérêt en termes de réinsertion était quasi nul. Force est de reconnaître que la commission des lois a enrichi le texte sur ce point.

Pour notre part, nous avons toujours été opposés, et nous continuons de l’être, aux mesures de sûreté en général, considérant qu’un individu ayant purgé sa peine est quitte, libre de trouver sa voie de réinsertion dans notre société.

Créées en 2008, sous Nicolas Sarkozy, les mesures de sûreté étaient au départ destinées aux condamnés en fin de peine jugés dangereux pour des motifs psychiatriques.

Lors de l’adoption de la rétention de sûreté, mon groupe avait déjà alerté sur les risques de dérive vers une justice prédictive, sous couvert de prévention.

Au même moment – je le citerai à mon tour –, le sénateur Robert Badinter dénonçait de son côté « une période sombre pour notre justice »

M. le garde des sceaux marque son assentiment

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Aujourd’hui, en évoquant avec force la récidive probable, n’envoie-t-on pas aux condamnés qui ont purgé leur peine le signal qu’ils seront suspectés à vie et, en quelque sorte, rejetés de la République ?

Il faudrait réaliser une vaste étude sur les risques réels de récidive des personnes condamnées pour actes de terrorisme en France. La Belgique en a effectué une, qui a été publiée cette année : elle révèle que le taux de récidive de ces détenus est très faible comparé à celui des détenus dits « classiques », ces taux s’établissant respectivement à 3 % et 50 %.

Aussi, dans la mesure où la spécificité des crimes et délits terroristes reste à démontrer en termes de passage à l’acte et de réitération, n’aurait-il pas été plus efficace de maintenir ces condamnés dans le droit commun et de leur permettre d’accéder aux aménagements de peine ? Comprenons-nous bien : je parle d’aménagements préparés, adaptés à leur personnalité et individualisés, sachant que tout manquement pourrait être rapidement repéré ou sanctionné. De tels aménagements ne seraient-ils pas plus à même de prévenir la récidive que des mesures de pur contrôle et de stigmatisation ? Je m’interroge.

En outre, nous pensons que cette proposition de loi révèle l’échec du temps pénitentiaire et qu’elle ne répond pas aux véritables et nombreuses questions qui se posent.

Autant que faire se peut, comment prévenir les actes de terrorisme ? De quels moyens doivent disposer nos services de renseignement, par exemple ?

Comment réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits ? Ce n’est sûrement pas en les obligeant pendant plusieurs années à se rendre jusqu’à trois fois par semaine dans un commissariat pour justifier leur présence, obstacle évident à la reprise d’une vie active et socialisante. C’est pourtant l’une des obligations que tend à mettre en œuvre cette proposition de loi, obligation dont nous proposerons la suppression.

Quels moyens sont octroyés aux services pénitentiaires pour assurer le suivi des personnes condamnées ? Quelles sont les modalités de ce suivi ?

De nombreux rapports ont été faits sur la question du traitement de la radicalisation, notamment sur l’initiative de parlementaires. Chaque fois, ils ont retenu l’attention de la Chancellerie, mais jamais – jamais ! – aucune recommandation ne s’est traduite par la mise en œuvre de mesures idoines. Cette fois encore, aucune recommandation n’est reprise dans cette proposition de loi. Je pose la question : pourquoi ?

Monsieur le garde des sceaux, lors de la première séance de questions d’actualité à laquelle vous assistiez dans nos murs, vous évoquiez la difficile préservation de l’équilibre entre liberté et sûreté dans le cadre des mesures postpénales. Selon vous, les mesures qui nous sont aujourd’hui proposées permettront-elles de parvenir à un équilibre satisfaisant ?

« La punition n’a jamais constitué un moyen de dissuasion et n’apporte qu’un mince réconfort à une victime déjà morte » explique l’un des personnages dans l’introduction de Minority report de Philip K. Dick.

De la fiction à la réalité, le pas est presque franchi avec les dispositions que prévoit ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, et pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, vise à instaurer des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Si nous partageons pleinement l’objectif du texte, nous avons quelques réserves sur les moyens prévus pour l’atteindre.

Dans son avis, le Conseil d’État réalise une prestation d’équilibriste en dissertant sur la nature des mesures envisagées. S’agit-il véritablement de mesures de sûreté ou bien de sanctions pénales ? Ont-elles pour objectif d’empêcher la commission d’infractions futures ou bien de sanctionner les crimes déjà perpétrés ?

Le Conseil d’État reconnaît que, en raison de l’empilement des dispositifs en la matière, la frontière entre peine et mesure de sûreté n’est « pas toujours nette ».

Ces débats ne passionnent peut-être pas les foules, mais ils sont capitaux, car ils conditionnent la validité constitutionnelle des dispositions que nous examinons.

Le Conseil d’État indique ensuite que les mesures envisagées concerneraient deux catégories de personnes : d’une part, les individus condamnés avant 2016, date à laquelle la peine complémentaire du suivi socio-judiciaire est devenue applicable aux infractions terroristes ; d’autre part, les individus condamnés depuis cette date, mais qui l’ont été par un jury populaire de cour d’assises. Et apparemment de tels jurys ne recourraient pas suffisamment à cette peine.

Voilà qui appelle deux observations.

Premièrement, les mesures de sûreté rétroactives qui nous sont proposées ont en réalité vocation à remplir la fonction du suivi socio-judiciaire, qui, lui, est une peine et ne devrait donc pas être rétroactif.

Deuxièmement, il ne nous paraît pas souhaitable de remettre en cause la justice rendue au nom du peuple français et par le peuple français.

Monsieur le garde des sceaux, nous connaissons votre attachement aux jurys populaires, et nous le partageons. Il nous semble important de conserver l’existence et la légitimité de ces derniers.

Le deuxième article de la proposition de loi aurait pour effet de rendre le suivi socio-judiciaire quasiment automatique, ce qui soulève des questions quant à la personnalisation des peines.

Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, a réalisé un travail remarquable, que je salue. La commission a tenté de renforcer au mieux la conformité du texte à la Constitution. La proposition de loi risque effectivement de porter atteinte à des principes essentiels de notre État de droit.

Le renforcement de la sécurité ne paraît pas certain. Sur le fond, les mesures proposées s’ajouteraient à un arsenal juridique déjà bien fourni et ne semblent pas apporter un meilleur niveau de sécurité.

Depuis 1986, plus d’une quinzaine de lois contre le terrorisme ont été adoptées. Cette inflation législative n’est pas bonne pour la sécurité juridique de notre pays. Nous faisons aujourd’hui face à l’une de ses conséquences : la multiplication des dispositifs particuliers, des mesures exceptionnelles, a laissé des angles morts, qu’on essaie bien sûr de corriger par d’autres mesures exceptionnelles.

Cette tentative de rattrapage risque néanmoins de s’effectuer au détriment de nos concitoyens, d’abord parce qu’elle s’arrange difficilement avec nos principes juridiques fondamentaux ; ensuite, comme le Conseil d’État l’a rappelé, parce que la complexité nuit à l’efficacité de l’action de l’État ; enfin, parce qu’elle pourrait laisser penser qu’elle répond à la nécessité de la lutte antiterroriste quand les agents qui sont affectés à celle-ci ont avant tout besoin de plus de moyens.

Les mesures de sûreté comportent toujours un risque d’arbitraire. L’évaluation de la particulière dangerosité du condamné est une opération délicate et problématique. Le risque de récidive n’est pas la récidive.

La liberté fait intrinsèquement courir le risque de la récidive, comme elle fait plus généralement courir celui de la commission d’infractions.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Pour prévenir ce risque, en plus de préparer la réinsertion, nous devons renforcer les moyens matériels et humains de nos services d’enquête, mais nous ne devons pas, pour tenter de combler ces lacunes, tordre notre droit.

Benjamin Constant disait : « Présentés d’abord comme une ressource extrême dans des circonstances infiniment rares, l’arbitraire devient la solution de tous les problèmes et la pratique de chaque jour. Ce qui préserve de l’arbitraire, c’est l’observance des formes. »

Face au constat que la prison ne permet pas d’éviter la récidive, il nous faut revoir la politique pénale dans son ensemble. Préservons nos principes fondamentaux ; donnons aux prisons les moyens de préparer au mieux la réinsertion et aux services d’enquête les moyens d’accomplir leur mission dans les meilleures conditions.

« Quand le courage empiète sur la raison, il ronge le glaive avec lequel il combat » avertissait William Shakespeare.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Alors que je suis la septième à m’exprimer dans cette discussion générale, sur neuf orateurs inscrits, presque tout a déjà été dit. Je me contenterai donc de vous livrer quelques observations, monsieur le garde des sceaux.

J’ai eu le plaisir et l’opportunité d’avoir demandé et obtenu en 2014 la création de la première commission d’enquête dans cette maison sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, laquelle a abouti à la remise du rapport de Jean-Pierre Sueur ici présent. Je suis par conséquent ces questions depuis longtemps.

Je vais en finir assez rapidement avec les figures imposées en vous disant, monsieur le garde de sceaux, mes chers collègues, que mon groupe votera ce texte, et en venir aux figures libres, toujours beaucoup plus agréables.

À mon sens, les avancées contenues dans cette proposition de loi sont un peu en trompe-l’œil. Ce texte vise néanmoins à essayer d’apporter une réponse à un problème. Les Français n’acceptent plus du tout aujourd’hui l’équation : fiché S, connu des services, sortant de prison et commettant un acte délictueux, terroriste ou pas.

Le présent texte tend en fait à compléter certains dispositifs. J’avais interrogé le Gouvernement à ce sujet lors de questions d’actualité il y a quelques semaines.

Y a-t-il des récidives ? Dans quelles proportions ? Jean-Charles Brisard, directeur du Centre d’analyse du terrorisme, a réalisé une étude très sérieuse, très précise et édifiante sur 166 djihadistes de retour d’Afghanistan, de Bosnie et d’Irak : il en ressort que 100 % des djihadistes ayant quitté l’Afghanistan ont récidivé, comme 60 % de ceux qui sont revenus de Bosnie et 16 % de ceux qui sont rentrés d’Irak, soit une moyenne de 60 % de récidive. On ne fait pas de cette étude l’alpha et l’oméga de la démonstration, mais elle a au moins le mérite d’exister. Comme le dit excellemment le président Bas, les chiffres peuvent être inexacts, mais ils servent à asseoir les démonstrations.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est moi qui ai dit cela ?

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Oui !

Monsieur le garde des sceaux, comme l’ont déjà dit ceux de mes collègues qui m’ont précédée à cette tribune, votre travail, qui consiste à protéger les Français, va commencer avec les arbitrages budgétaires.

Vous nous avez annoncé lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement une augmentation importante du budget de la justice, mais vous n’allez pas pouvoir jouer les Saint-Martin et couper votre manteau tellement les nécessiteux sont nombreux. Il va falloir fixer des priorités.

La Cour des comptes a rendu un rapport extrêmement intéressant sur les moyens de la lutte contre le terrorisme, sur les moyens d’accompagnement, sur ceux des services de probation, des juges de l’application des peines. Siégeant à la commission des finances, je lis avec beaucoup d’attention, comme tout le monde, les rapports de la Cour. Je pense que nous ne sommes pas près d’avoir une politique de réinsertion et de lutte contre la radicalisation.

Catherine Troendlé et Esther Benbassa l’ont montré dans un rapport – un énième rapport –, une telle politique ne fonctionne pas. Un texte supplémentaire ne va pas forcément nous aider.

Vous allez devoir rendre des arbitrages, à un moment ou à un autre. Il faut des moyens accrus, on l’a dit, pour le personnel, pour les équipements. Il y a quelques jours, nous avons voté dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative 75 millions d’euros de moyens supplémentaires pour la police. Vous devrez également travailler avec votre collègue ministre de l’intérieur. Il faut aussi renforcer le renseignement.

En matière de répression et de suivi des détenus terroristes et radicalisés, les unités dédiées n’ont pas forcément donné satisfaction. Il est très important d’insister sur les formations, comme Mme la rapporteure l’a expliqué dans un rapport sur ce sujet. Il faut ainsi systématiquement former les magistrats à cette question, notamment à l’École nationale de la magistrature.

Enfin, il faut mettre en place des procédures d’évaluation. Sur ce sujet, cela fait des années que nous demandons une évaluation au Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), lequel a été fusionné avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) l’année dernière – je ne suis pas du tout sûre d’ailleurs que cela ait été une bonne idée –, afin de pouvoir cibler les politiques, en particulier de lutte contre la radicalisation ou contre la récidive. Or nous n’avons toujours pas ce rapport.

Je pense que toutes les questions qui sont posées, qui sont des questions légitimes de protection, ne trouveront en partie de réponse que lorsque votre ministère, le ministère de l’intérieur, les associations et les spécialistes en la matière auront déterminé quelle politique de lutte contre la radicalisation ils souhaitent mettre en place.

Aujourd’hui, c’est l’armée mexicaine ! Il existe de nombreuses procédures éparses, il y a beaucoup de bonnes volontés, d’associations subventionnées, mais absolument jamais évaluées. Je voudrais que l’on instaure une culture de l’évaluation, même si c’est difficile, dans ce domaine extrêmement important pour notre sécurité et fondateur pour les années à venir.

Vous l’aurez compris, mon groupe soutiendra ces mesures et votera ce texte. À titre personnel, je suis beaucoup plus réservée, car je pense que de telles dispositions doivent s’inscrire dans un ensemble et qu’il vous faut déterminer une politique de lutte contre la radicalisation se traduisant dans le projet de loi de finances. Vous pouvez pour cela vous appuyer sur le document de politique transversale sur la prévention de la délinquance et de la radicalisation. C’est un document fondateur, extrêmement important.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de remettre le sujet dans son contexte.

Depuis des années, la France mène une guerre au terrorisme, sur son sol et à l’extérieur. Cette guerre a un coût important, qu’il s’agisse du financement des opérations extérieures (OPEX), des moyens du renseignement, de l’usure des personnels et des matériels des armées. Je n’oublie pas non plus le travail fondamental des policiers et des magistrats spécialisés, ainsi que du personnel pénitentiaire au quotidien.

Ce coût, nous devons l’assumer, nous devons l’accepter, y compris lors de la perte de nos soldats, au prix d’un effort humain et financier important. Car en face, il y a une menace réelle et la France reste une cible privilégiée des terroristes islamistes.

Mais pourrons-nous longtemps soutenir ce coût, avec la crise économique qui s’annonce ? En effet, c’est bien l’un des buts du terrorisme que d’éreinter l’adversaire par des moyens asymétriques.

Pourtant, la seule évocation du nombre des victimes – tués, blessés, traumatisés – dans des attentats commis sur notre sol donne le tournis, de même que le nombre d’opérations déjouées par nos services. Dès lors, nous devons être perpétuellement en action.

Après les vagues d’attentats du milieu des années 1980, puis des années 1990, celles des années 2000, notamment à partir de 2015, ont particulièrement marqué les esprits par leur ampleur et conduit la France à devoir vivre de longs mois sous le régime d’exception de l’état d’urgence.

Ces vagues ont non seulement frappé les Français – c’était l’un de leurs objectifs – en montrant qu’aucune partie du territoire n’était plus à l’abri, mais ont surtout souligné les limites de notre système sécuritaire et judiciaire. Elles ont agi comme un révélateur de nos fragilités.

Aujourd’hui, cette menace est en évolution constante. Malgré la pression des armées, des services de sécurité, des législations renforcées, amendées, comme cela a été souligné, malgré également la défaite militaire de l’État islamique au Levant, cette menace n’a pas disparu. Au contraire, elle se reconfigure en permanence et ses modes d’action ont évolué, comme une espèce de phénix dangereux et protéiforme.

De fait, si le risque exogène, bien qu’amoindri, n’est pas écarté, le péril endogène a pris davantage d’importance. Car ce fut une autre révélation de cette crise, pour les non-spécialistes : voir émerger une menace intérieure portée par un islam radical et découvrir cette France en sécession, mettant au défi nos lois, nos usages ou nos valeurs républicaines et laïques. Des travaux du Sénat, dont la dernière commission d’enquête conduite par Nathalie Delattre et Jacqueline Eustache-Brinio, ont parfaitement mis en lumière la réalité de la radicalisation islamiste dans notre pays.

À côté des auteurs d’attentats, il existe toute une nébuleuse de sympathisants plus ou moins actifs, de petites mains logistiques, d’endoctrineurs du quotidien constituant une somme de comportements périphériques à l’acte terroriste proprement dit.

Mme la rapporteure marque son approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

C’est pourquoi, dans ce contexte si particulier, et au regard des efforts que nous déployons dans la lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons courir le risque de remettre en circulation dans des conditions trop souples des personnes condamnées pour terrorisme.

Pour autant, et je crois que c’est le souci de tous dans cette enceinte, chacun a droit à une justice équitable. Vous avez été, monsieur le ministre, l’incarnation forte des droits de la défense. Chaque condamné a aussi le droit de pouvoir tourner la page une fois payée sa dette à la société.

Mais ces personnes sont-elles des criminels ordinaires au sens où elles n’agissent pas pour leur compte personnel ou par appât du gain ? La cause qui les anime les dépasse et revêt pour les islamistes un caractère quasi sacré et, hors le cas des esprits fragiles ou des individus influençables, ces personnes sont aussi – je le pense – habitées par une forme de haine de la France.

Par conséquent, la condamnation puis l’incarcération dans un dossier terroriste amènent rarement le condamné à faire amende honorable. Cela explique en partie l’échec des politiques de déradicalisation et le fait que des profils déjà défavorablement connus des services se retrouvent régulièrement dans de nouvelles affaires.

D’ailleurs, même lors de la détention, dans cet « incubateur » qu’est devenue la prison, leurs comportements sont parfois agressifs, voire ultraviolents, à l’égard du personnel pénitentiaire et prosélytes à l’endroit des autres détenus, ce qui augure mal de l’avenir.

Aujourd’hui, le nombre de personnes prévenues et condamnées qui sont détenues en France pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste s’élève à plusieurs centaines. Ceux qui sortiront – le moment venu – les derniers seront les plus endurcis. S’y ajoutent des centaines de détenus de droit commun signalés comme radicalisés.

Magistrats et policiers de l’antiterrorisme s’accordent sur la dangerosité de ces futurs libérables et les insuffisances des mesures de suivi. C’est aussi le constat de la commission des lois qui évoque des outils incomplets, inadaptés ou inapplicables. L’introduction, par le biais de cette proposition de loi, d’une nouvelle mesure de sûreté est donc bienvenue, d’autant qu’elle fait écho à certains travaux du Sénat allant dans le sens du renforcement des dispositifs de suivi judiciaire des condamnés terroristes.

La commission, avec le souci de qualité du travail législatif qu’on lui connaît, a fait quelques ajustements utiles au texte proposé pour en garantir la sécurité juridique et l’opérationnalité.

Monsieur le ministre, il faut être sans faiblesse avec ces personnes qui, au-delà du seul aspect terroriste de leur action, veulent désagréger notre société de l’intérieur. Nous ne devons donc avoir ni faiblesse dans la peine prononcée ni faiblesse dans le suivi post-incarcération

Par ailleurs, quel que soit le suivi prévu, il faudra aussi veiller – cela a été souligné – à la formation des personnels et à la réalité des moyens mis à disposition. Or vous arrivez, monsieur le garde des sceaux, dans un ministère « sinistré » en termes de moyens et c’est bien, en matière terroriste comme dans d’autres domaines relevant de la justice, la question des moyens qui se pose et celle des arbitrages financiers qui seront faits dans les prochains mois, au regard d’un contexte économique dégradé et des multiples priorités du pays.

À vous, monsieur le ministre, et peut-être pouvons-nous modestement vous y aider, de peser et d’agir sur l’exécutif comme vous avez si bien su le faire dans les prétoires.

Cette proposition de loi instaurant des mesures de sûreté est bienvenue, notamment en ce qu’elle permet de poser ce débat que l’opinion publique – j’en suis convaincu – attend.

En conclusion, je veux saluer le travail effectué par la commission des lois, par son président et par sa rapporteure, et soutenir les amendements et apports du Sénat. Il s’agit d’un vrai sujet de sécurité publique. Nous sommes attendus sur cette question. Ce dispositif, tel que proposé et amendé, a trouvé le bon équilibre entre liberté et sécurité, entre nos principes constitutionnels, notre État de droit et ce droit à la protection et à la sécurité que nous devons à nos concitoyens. Nous soutiendrons donc cette proposition de loi ainsi modifiée par la commission.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tous ici, nous soutenons la lutte de notre nation contre le terrorisme. Tous ici, nous pensons aux victimes, à leurs familles, à leurs amis dont parfois nous sommes. Tous ici, nous sommes profondément reconnaissants à nos soldats et à nos forces de sécurité qui s’exposent et luttent au quotidien.

Mais aujourd’hui, comme législateur, notre responsabilité est singulière : tenter de rendre plus efficace l’arme judiciaire contre le terrorisme, plus particulièrement protéger nos compatriotes d’un risque de récidive terroriste – vaste ambition.

Comme cela a déjà été souligné, nous sommes confrontés à une difficulté : le risque de récidive délinquante relève, dans les faits, de la prévision, voire de la prédiction. Et nous parlons, en examinant ce texte, d’ordonner des sanctions nouvelles, restrictives de liberté, à l’encontre de personnes qui, condamnées, ont déjà effectué la totalité de leur peine, qui plus est avant que la proposition de loi dont nous débattons ne soit votée.

Vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez rappelé voilà seulement trois jours combien vous vous étiez opposé à la rétention de sûreté durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, vous élevant justement contre cette sanction après la sanction. Car imposer des mesures restrictives de liberté à un être humain auquel aucune infraction n’est imputée, simplement de crainte qu’il n’en commette une nouvelle, conduit à quitter le terrain des faits pour le diagnostic aléatoire au nom d’un principe de précaution élargi à la justice pénale.

Vous l’avez d’ailleurs parfaitement résumé hier, lors de votre audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale lorsque, répondant au député Diard, vous avez indiqué : « Attendez-vous des juges, des magistrats et du garde des sceaux qu’ils soient un médium capable d’endiguer des velléités de nouvelles infractions ? […] Ce n’est que ça, la question. […] Et je vais vous dire, la sécurité absolue, c’est l’enfermement à vie pour tout le monde. Alors là, vous n’aurez plus aucun problème ».

Au fil des années, des lois, des événements tragiques que notre pays a connus, nous avons créé, renforcé, ajouté des modalités de poursuite, de sanctions, de suivi des personnes coupables de faits terroristes. Ce faisant, nous avons mêlé justice administrative et justice judiciaire – juge de l’application des peines, parquet, suivi socio-judiciaire, régime spécial de réduction des peines… Aujourd’hui, nul n’est plus capable d’évaluer l’efficacité de ces dispositions.

Mais chaque majorité veut laisser son empreinte, donner à voir sa détermination, même par un texte inapplicable ou fragile au regard de nos principes constitutionnels. Devons-nous, au Sénat, participer à cela ? Je ne crois pas. Devons-nous transiger avec les principes de notre droit, avec la légalité de la peine, avec le principe non bis in idem, avec la non-rétroactivité de la loi pénale ? Je ne crois pas. Devons-nous tenter d’éviter la guerre au prix du déshonneur pour récolter, au final, et la guerre et le déshonneur ? Je ne crois pas.

Le Conseil national des barreaux nous appelle à refuser la peine après la peine. Le Conseil d’État, de manière assez obscure, convenons-en, a tenté d’accepter la qualification de « mesures de sûreté » des dispositions proposées, tout en reconnaissant que la frontière n’était pas nette, tout en se montrant très prudent – et c’est un euphémisme – sur le dispositif envisagé. De plus, il rappelle que les dispositions contenues dans cette proposition de loi, pour l’essentiel, existent déjà et que la complexité – un collègue le rappelait à l’instant – qui en résulterait pourrait affecter l’efficacité de la politique de l’État.

Les propos tenus par votre prédécesseure, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, étaient eux aussi empreints d’une réserve à peine dissimulée, évoquant le fragile équilibre du texte et la superposition de mesures susceptibles d’être appliquées aux mêmes fins.

C’est pour ces motifs, je l’annonce aujourd’hui au Sénat, que le groupe socialiste saisira le Conseil constitutionnel de ce texte, une fois voté, aux fins d’examen de sa conformité à l’État de droit.

Votre prédécesseure rappelait devant l’Assemblée nationale la nécessité d’une évaluation des dispositifs existants. Je le dis de manière un peu solennelle, monsieur le ministre, allez-vous, pour votre premier texte, apposer votre signature sur une loi tout à la fois en rupture avec nos principes, incantatoire quant à son champ d’application, fictive du point de vue de l’efficacité de l’action de l’État et de la lutte contre la récidive et qui ouvre un précédent auquel il sera impossible de résister ? Son unique et maigre vertu est d’afficher sur le plan politique que cette majorité agit contre le risque terroriste comme si ces quelques mots valaient démonstration.

Monsieur le garde des sceaux, le 17 juillet dernier, lors de votre déplacement au tribunal judiciaire de Paris, vous disiez à un journaliste, accompagnant vos propos d’un geste de la main : voyez-vous, monsieur, il y a une toute petite règle dans notre République, une petite bricole qui s’appelle la Constitution.

Pour notre part, nous ne succombons pas et défendons coûte que coûte dans cette période difficile les principes fondateurs de notre État de droit. Comme l’a dit le sénateur Robert Badinter en 2008, dans cet hémicycle, au sujet de la rétention de sûreté : « L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. » Avec ce texte, nous y sommes. Voilà pourquoi le groupe socialiste votera contre.

Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Je veux répondre à Mme la sénatrice Assassi, à M. le sénateur Leconte et à Mme la sénatrice de la Gontrie.

Comme je l’ai souligné voilà quelques instants, nous sommes sur une ligne de crête. De facto, ce constat exclut les vociférations compassionnelles tant il est vrai que tout ce qui est excessif n’est pas crédible.

Vous avez rappelé mes propos d’hier. Si la répression féroce était la garantie de la rémission des crimes, il y a des siècles – des siècles ! – que cela se saurait. Ma position a bougé sur le sujet, je vais vous en donner les raisons.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

On peut aussi réfléchir ! Laissez-moi vous répondre sans m’interrompre, je vous prie. Vous constaterez alors que mon cheminement intellectuel n’est pas le fruit d’une vérité de l’instant. J’ai d’ailleurs fait part de ces réflexions à M. le président Bas.

J’étais totalement opposé à la rétention de sûreté en ce qu’on n’enfermait pas un homme pour ce qu’il avait fait, mais à raison de ce qu’on supposait qu’il puisse faire.

J’ai aussi à l’esprit cette formule que nous connaissons tous de Benjamin Franklin selon laquelle un peuple qui est prêt à sacrifier un peu de sa liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux.

Première réflexion : il ne s’agit pas d’une détention. C’est singulièrement différent.

Deuxième réflexion : le juge de l’ordre judiciaire, garant de la liberté, est associé à ce placement sous bracelet, lequel n’est pas obligatoire.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Et justement, cela change tout. Dans quelle situation se trouverait-on, monsieur le sénateur, si cette proposition de loi n’était pas adoptée ? Un terroriste condamné sort de prison. Il va faire l’objet d’une surveillance par les services de renseignement qui peut être attentatoire à sa liberté – on va pouvoir l’écouter dans des conditions que nous savons, par le biais d’autorisations administratives… Je préfère que tout cela se fasse sous le contrôle du juge judiciaire, raison pour laquelle, après avoir mûrement réfléchi, je suis favorable à ces nouvelles dispositions. Ce n’est pas plus compliqué.

Je n’ai pas avalé mon chapeau parce que je suis devenu ministre. Je me souviens des mots que j’ai prononcés à l’époque sur la rétention : vous me dites que ce n’est pas une nouvelle peine, mais le type reste dans la même cellule, va manger dans la même gamelle – pardonnez-moi cette familiarité – et va avoir les mêmes gardiens de prison. Ici, il faut tout de même faire le distinguo entre bracelet facultatif et emprisonnement.

On aurait pu conduire une autre réflexion, que je n’ai pas entendue ce soir, sur l’efficacité de cette mesure : le malheureux prêtre qui a été égorgé aurait pu l’être par un homme qui portait un bracelet. Certes, mais peut-être qu’un certain nombre d’infractions ne seront pas commises à raison du port de ce bracelet. Et ce chiffre, nous ne le connaîtrons bien évidemment jamais.

Je le répète, nous sommes sur une ligne de crête. Je sais combien toutes ces questions de liberté sont absolument essentielles. Ma position est le fruit d’un long cheminement, mais je vous demande de bien faire, comme moi, le distinguo entre bracelet électronique et prison.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Au moment d’aborder la discussion des articles, je veux revenir sur plusieurs points qui ont paru essentiels à la commission.

Personne ne peut nier que la démarche dans laquelle nous sommes engagés est délicate : il s’agit d’être particulièrement attentifs à d’anciens condamnés qui ont purgé leur peine, qui sont donc en règle avec la justice, et qui peuvent néanmoins présenter une forte dangerosité, mais aussi à la liberté que tout citoyen a le droit de pouvoir exercer à partir du moment où il est en règle avec la justice. Et nous ne nous sommes pas engagés dans cette délicate démarche sans prendre un certain nombre de précautions.

Je suis d’ailleurs très heureux que notre collègue de l’Assemblée nationale, auteur de la proposition de loi, Mme Yaël Braun-Pivet – elle s’est sans doute inspirée de nos propres travaux en rédigeant son texte – ait pris la précaution de soumettre celle-ci au Conseil d’État.

Ce dernier a rendu un avis circonstancié de treize pages qui n’est pas un brevet de constitutionnalité et de conventionnalité et qui soulève un certain nombre de problèmes examinés par plusieurs de collègues, mais qui montre aussi le chemin à emprunter pour concilier les deux exigences que j’ai rappelées, celles de la liberté et de la protection de la société.

Je crois nécessaire de reprendre très précisément les choses, parce que c’est non pas avec des incantations ou des réquisitions que nous répondrons aux questions que soulève cette proposition de loi, mais en étant précis sur les dispositions prises, sur la nature des restrictions aux libertés qui seraient autorisées et sur les garanties apportées pour que ces restrictions ne soient pas excessives.

Cette proposition de loi nous fait-elle entrer dans un régime dans lequel le condamné qui a purgé sa peine serait de nouveau condamné pour les mêmes faits, pour le même crime ou pour le même délit ? Je peux vous rassurer, mes chers collègues, la réponse est assurément non ! Et il n’y a pas de nuances à cette réponse. Le respect essentiel de cette règle de l’État de droit non bis in idem est bien garanti.

Comme vient de le rappeler le garde des sceaux, il s’agit d’une mesure de surveillance, non de rétention. La liberté de l’ancien condamné est donc non pas supprimée, mais restreinte. Il s’agit également d’une mesure d’accompagnement psychologique dont la mise en œuvre sera assurée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation dont la vocation est d’accompagner les anciens détenus dans leur démarche de réinsertion.

L’individu concerné conserve sa liberté et peut être incité à suivre les démarches nécessaires – formation, soutien psychologique… – pour faciliter sa réinsertion. De telles mesures ne peuvent en aucun cas être interprétées comme des peines. Le travail spécifique de la commission des lois du Sénat et de notre rapporteure a consisté à renforcer les mesures de surveillance et d’accompagnement de cette proposition de loi.

Je veux soulever un autre point qui me paraît extrêmement important : est-il nécessaire aujourd’hui d’intervenir par le biais de la loi ? Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, mes chers collègues, d’autres dispositifs existent déjà. Mais sont-ils pertinents ? Permettent-ils de concilier protection de la société et liberté d’une personne ayant purgé sa peine ?

Il me semble que la loi de 2015 relative au renseignement, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, que la loi qui a institué, à l’automne 2017, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et que la loi de 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme ne répondent pas à notre préoccupation.

La loi de 2016 permet de prévoir la mesure de sûreté au moment de la condamnation. Ceux qui ont été condamnés avant l’entrée en vigueur de cette loi ne peuvent donc en faire l’objet. Ce texte n’est alors pas pertinent pour régler le problème des quelque 150 condamnés qui vont être libérés en 2020, 2021 et 2022. Nous avons besoin d’un autre dispositif.

Dès lors, pouvons-nous nous contenter des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues temporairement par la loi de l’automne 2017 qui nous a permis de sortir de l’état d’urgence ? Non, car ces textes n’ont pas le même objet : les mesures de surveillance prévues ne comportent aucune mesure d’accompagnement à la réinsertion. On ne se donne pas la chance d’au moins essayer de ramener à une vie normale un ancien condamné pour complicité de terrorisme. Ce dispositif ne couvre par conséquent que partiellement les finalités que nous voulons réaliser.

En outre, les mesures de surveillance prévues dans la loi de 2017 sont plus sévères encore que celles que nous proposons – et nous pourrons d’ailleurs permettre à l’État d’y recourir. Elles permettent l’assignation à résidence, peuvent imposer un pointage quotidien dans les services de police ou de gendarmerie. De nature administrative, le juge judiciaire ne les contrôle pas.

Or, afin d’améliorer les garanties de respect des libertés, nous proposons non pas des mesures purement administratives, mais des mesures judiciaires, contrôlées par une juridiction. Nous protégeons ainsi mieux les libertés, contrairement à ce que d’aucuns semblent avoir suggéré, qu’en nous en remettant purement et simplement aux mesures d’ordre administratif de notre arsenal juridique.

Enfin, la loi relative au renseignement, que je connais bien, mobilise des moyens extrêmement importants. N’est-il pas plus raisonnable de prendre une mesure de surveillance et d’accompagnement pour les anciens condamnés ayant purgé leur peine ? Dans l’hypothèse où leur comportement renforcerait les soupçons de risque de récidive, il serait alors temps de mobiliser des moyens de surveillance complémentaire très forts, très intenses, et qui supposent également une mobilisation importante de personnels.

Au regard des dispositifs existants, on comprend tout l’intérêt de la proposition de loi dont nous débattons. Les mesures proposées sont proportionnées, moins restrictives que d’autres – c’est en tout cas ce que j’ai essayé de démontrer –, offrent une garantie judiciaire qui n’existe pas en cas de mesure administrative et sont respectueuses de la règle non bis in idem.

Forts de ces constatations, nous devons adopter ce texte amendé par la commission.

Le titre XV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À l’intitulé, les mots : « et du jugement des » sont remplacés par les mots : «, du jugement et des mesures de sûreté en matière d’ » ;

bis L’article 706-17 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les mesures de sûreté prévues à la section 4 du présent titre sont ordonnées sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris ou, en ce qui concerne les mineurs, par le tribunal pour enfants de Paris. » ;

2° Est ajoutée une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Mesures de sûreté applicables aux auteurs dinfractions terroristes

« Art. 706 -25 -15. – I. – Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de sa situation intervenant à la fin de l’exécution de sa peine, qu’elle présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste s’appuyant sur des éléments actuels et circonstanciés, ordonner, aux seules fins de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne et de prévenir la récidive, une mesure de sûreté comportant une ou plusieurs des obligations suivantes :

« 1° Répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation ;

« 1° bis

« 1° ter

« 1° quater

« 2° Établir sa résidence en un lieu déterminé ;

« 3° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout changement d’emploi ou de résidence, lorsque ce changement est de nature à mettre obstacle à l’exécution de la mesure de sûreté ;

« 4° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout déplacement à l’étranger ;

« 4° bis

« 5° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ;

« 6° Ne pas entrer en relation avec certaines personnes, notamment les auteurs ou complices de l’infraction, ou catégories de personnes spécialement désignées ;

« 7° S’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés ;

« 7° bis

« 8°

Supprimé

« 9° Respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté ; cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel la personne concernée est tenue de résider.

« Les obligations auxquelles la personne concernée est astreinte sont mises en œuvre par le juge de l’application des peines assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation, et, le cas échéant, avec le concours des organismes habilités à cet effet.

« I bis

« II. – La mesure de sûreté prévue au I peut être ordonnée pour une période d’une durée maximale de deux ans. À l’issue de cette période, la mesure de sûreté peut être renouvelée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, et pour la même durée dans la limite de cinq ans ou, lorsque le condamné est mineur, dans la limite de trois ans. Cette limite est portée à dix ans lorsque les faits commis par le condamné constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement ou, lorsque le condamné est mineur, à cinq ans.

« II bis. – La mesure de sûreté prévue au I ne peut pas être ordonnée à l’encontre des personnes libérées avant la promulgation de la loi n° … du … instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

« III. – La mesure prévue au I ne peut être ordonnée que :

« 1° Si les obligations imposées dans le cadre de l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées au premier alinéa du même I ;

« 2° Et si cette mesure constitue l’unique moyen adapté de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne et de prévenir la récidive.

« La mesure de sûreté prévue audit I n’est pas applicable si la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire en application de l’article 421-8 du code pénal, ou si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire prévue à l’article 723-29 du présent code, d’une mesure de surveillance de sûreté prévue à l’article 706-53-19 ou d’une rétention de sûreté prévue à l’article 706-53-13.

« Art. 706 -25 -16. – La situation des personnes détenues susceptibles de faire l’objet de la mesure de sûreté prévue à l’article 706-25-15 est examinée, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste, au moins trois mois avant la date prévue pour leur libération par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité.

« À cette fin, la commission demande le placement de la personne concernée, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.

« À l’issue de cette période, la commission adresse à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris et à la personne concernée un avis motivé sur la pertinence de prononcer la surveillance mentionnée à l’article 706-25-15 au vu des critères définis au I du même article 706-25-15.

« Art. 706 -25 -17. – La décision prévue à l’article 706-25-15 est prise, avant la date prévue pour la libération du condamné, par un jugement rendu après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. Elle doit être spécialement motivée au regard des conclusions de l’évaluation et de l’avis mentionnés à l’article 706-25-16, ainsi que des conditions mentionnées au III de l’article 706-25-15.

« Le jugement précise les obligations auxquelles le condamné est tenu ainsi que la durée de celles-ci.

« La décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la libération.

« La juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste ou à la demande de la personne concernée, selon les modalités prévues à l’article 706-53-17 et, le cas échéant, après avis du procureur de la République antiterroriste, ordonner la mainlevée de la mesure. Le président de la même juridiction peut, dans les mêmes conditions, compléter ou supprimer les obligations à laquelle la personne est astreinte. Cette compétence s’exerce sans préjudice de la possibilité, pour le juge de l’application des peines, d’adapter à tout moment les obligations de la mesure de sûreté.

« Art. 706 -25 -17 -1. – Les décisions de la juridiction régionale de la rétention de sûreté prévues à la présente section peuvent faire l’objet des recours prévus aux deux derniers alinéas de l’article 706-53-15.

« Art. 706 -25 -17 -2. – Les obligations prévues à l’article 706-25-15 sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.

« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise d’une ou de plusieurs des obligations prévues au même article 706-25-15 doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.

« Art. 706 -25 -18. – Le fait pour la personne soumise à une mesure de sûreté en application de l’article 706-25-15 de ne pas respecter les obligations auxquelles elle est astreinte est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

« Art. 706 -25 -19. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application de la présente section. »

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme Costes, M. Gold, Mme Laborde et MM. Requier, Roux, Artano et Jeansannetas, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer les mots :

caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme

La parole est à M. Éric Gold.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, les magistrats auditionnés ont souligné à quel point la définition de la « particulière dangerosité » est difficile pour justifier la mise en place de mesures de sûreté à l’issue de la peine.

La « probabilité très élevée de récidive », un des critères cumulatifs retenus, est elle-même très compliquée à évaluer, et cette mention semble surabondante au regard de la finalité du dispositif explicité par le même alinéa.

L’autre critère – l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme – n’est guère plus satisfaisant. Comment mesurer une telle adhésion ? Par des faits ? Par des prises de position ? Dans le premier cas, la personne incarcérée étant, par définition, privée de liberté, il sera difficile de recueillir des éléments comme la consultation régulière de sites promouvant le terrorisme ou la participation à la préparation d’attentats. Dans le second cas, soit l’adhésion est dissimulée, et donc très difficile à établir, soit elle est explicitée et peut, en conséquence, faire l’objet d’une nouvelle condamnation.

En outre, pour être efficaces, ces mesures exigent le déploiement de moyens importants, qu’il s’agisse du renseignement pénitentiaire ou des juridictions.

Les auteurs de cette proposition de loi se sont fixé pour objectif de renforcer la prise en charge des personnes condamnées pour des faits de terrorisme. Nous visons, nous aussi, ce but. Toutefois, nous considérons que ces dispositions sont de nature à complexifier les outils judiciaires et administratifs existants. Avant toute nouvelle modification législative, il convient de renforcer les moyens à l’appui des dispositifs en vigueur !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Cher collègue, l’Assemblée nationale et le Sénat se sont efforcés de caractériser le plus précisément possible la notion de « particulière dangerosité », afin d’éviter tout risque d’arbitraire.

Le texte de la commission garantit un équilibre à la fois opérationnel et sécurisant sur le plan constitutionnel. Or votre amendement tend à remettre en cause tout le travail que nous avons mené à cette fin.

En supprimant les caractères permettant d’établir la dangerosité d’une personne, vous laisseriez aux autorités judiciaires un très large pouvoir d’appréciation. Il me semble qu’une telle modification fragilise fortement la mesure sur le plan constitutionnel.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Monsieur le sénateur, votre amendement tend à supprimer la définition de la « particulière dangerosité » des personnes pouvant faire l’objet des nouvelles mesures de sûreté.

Cette définition me semble pourtant indispensable. En effet, la caractérisation de la dangerosité est un élément central du nouveau dispositif : elle permettra le prononcé de mesures restrictives de liberté à l’encontre de personnes qui ont fini d’exécuter leur peine à raison de la menace grave pour l’ordre public qu’elles représentent.

Aussi, il paraît nécessaire de définir le plus précisément possible comment cette dangerosité doit être appréciée par les juridictions qui devront se prononcer sur les nouvelles mesures de sûreté. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le garde des sceaux, je sollicite quelques précisions sur ce sujet, que j’ai déjà évoqué au cours de la discussion générale.

Pour caractériser les éléments de dangerosité, une procédure contradictoire sera sans doute organisée. Mais comment la garantir ? Comment s’assurer de son efficacité dès lors que certaines sources voudront être protégées ?

M. le garde des sceaux manifeste son désaccord.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Une partie des informations permettant d’affirmer que la personne considérée représente effectivement un risque proviennent de nos services de renseignement. Or ces derniers ne voudront pas dévoiler leurs sources, exposer comment ils ont obtenu tel ou tel élément. De telles situations risquent de se répéter systématiquement. Aussi, quelle peut être l’efficacité de ce type de mesure ?

Je suis sûr que vous êtes attaché au principe du contradictoire et que vous voulez, comme nous, le garantir. Mais, dans ces conditions, cette mesure est mort-née et cet article n’a aucun sens !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Monsieur le sénateur, des psychologues et des psychiatres mèneront tout de même une évaluation pendant une période de six semaines : ce travail offrira une base de réflexion pour caractériser la dangerosité d’une personne.

C’est d’ailleurs la procédure de droit commun : en matière criminelle, l’expertise psychiatrique et psychologique est obligatoire. Les conclusions du psychiatre, du psychologue ou des deux peuvent apporter un certain nombre d’éléments quant à la dangerosité de l’accusé.

Ensuite viennent le contradictoire et ce que dit l’intéressé lui-même. S’il reconnaît qu’il persiste dans son idéologie, sa dangerosité ne fait absolument plus débat !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Je retire mon amendement, madame la présidente !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 1, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Mme Assassi, présidente de notre groupe, l’a souligné il y a quelques instants : l’alinéa 17 prévoit l’une des onze mesures de sûreté que peut ordonner la juridiction régionale de la rétention de sûreté sur réquisition du procureur de la République.

En vertu de ces dispositions, le condamné qui a purgé sa peine doit « se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ».

Bien d’autres dispositions sont contestables, sans parler de la logique globale du système qui nous est proposé. Mais il s’agit là, selon nous, d’une des mesures les plus attentatoires à nos libertés fondamentales, notamment à la liberté d’aller et venir.

Comment peut-on penser réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits en les obligeant, possiblement pendant plusieurs années, à se rendre dans un commissariat pour justifier leur présence jusqu’à trois fois par semaine, soit pratiquement un jour sur deux ? Je le répète : il s’agit là d’un obstacle évident à la reprise d’une vie active et socialisante.

En outre, ce millefeuille de dispositions tantôt administratives tantôt judiciaires, allant des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, au suivi socio-judiciaire en passant par les nouvelles mesures de sûreté que contient ce texte, nuit à la bonne compréhension du système dans sa globalité et de notre politique pénale en la matière.

Le Conseil d’État lui-même semble perplexe. Dans son avis, il indique : « Cette complexité peut aussi nuire à l’efficacité de l’action de l’État prise dans ses fonctions administratives et judiciaires, lorsqu’elle appelle l’intervention d’autorités ou de services différents, entre lesquels la nécessaire coopération reste à construire. »

Monsieur le garde des sceaux, il faudra que vous nous éclairiez de manière assez précise, qu’il s’agisse des subtilités qui différencient ces mesures ou de leur cohérence finale !

Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’alinéa 17.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Chère collègue, nous parlons de personnes condamnées pour terrorisme après avoir fait allégeance à une idéologie : ce n’est pas tout à fait rien.

À cet égard, le contrôle est essentiel. Bien sûr, nous souhaitons tous que ces personnes retrouvent le chemin d’une vie normale…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Mais personne, a priori, ne peut mesurer le degré de déradicalisation : personne ne peut savoir dans quelle mesure les intéressés sont libérés de l’idéologie au nom de laquelle ils ont perpétré des actes que l’on ne peut pas oublier.

Seul un contrôle régulier impliquant la présence physique permet de savoir si la situation s’aggrave ou si elle s’améliore, à mesure que recule l’adhésion à cette idéologie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

C’est simplement de cela qu’il s’agit ! Bien entendu, nous sommes défavorables à cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame la sénatrice, cet amendement tend à supprimer l’obligation de pointage. Puis-je vous rappeler que cette mesure est toujours révisable à la demande de l’intéressé…

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

… et que c’est un juge de l’ordre judiciaire qui statue ? Vous l’avez compris : je suis totalement défavorable à cette suppression.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

C’est un maximum !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Madame la rapporteure, je vous ai écoutée attentivement. Je comprends l’impératif de contrôle, mais il y a différents moyens de le mettre en œuvre. Si l’on veut qu’une personne soit véritablement réinsérée, on peut s’assurer de sa présence lorsqu’elle va travailler ou lorsqu’elle va suivre une formation !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame la sénatrice, le travail effectif et la socialisation seront forcément pris en compte. Bien sûr, mieux vaut qu’un ancien islamiste radical se réinsère en travaillant plutôt que de rester dans l’oisiveté. Ce sont là des éléments objectifs, que le juge peut et doit évidemment prendre en considération !

Enfin, trois passages au commissariat par semaine, c’est un maximum ; la fréquence des pointages est révisable et soumise au contrôle d’un juge de l’ordre judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Ça va être facile pour ces personnes de trouver un travail…

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, M. Collin, Mme Costes, MM. Castelli et Gold, Mme Laborde et MM. Requier, Roux, Artano et Jeansannetas, est ainsi libellé :

Alinéa 25, première phrase

Remplacer les mots :

de deux ans

par les mots :

d’un an

La parole est à M. Éric Gold.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Cet amendement vise à rétablir la durée initiale des mesures de sûreté susceptibles d’être prononcées à l’issue de la peine : ce délai serait d’un an, comme prévu par les auteurs de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

La commission des lois du Sénat a procédé à l’allongement de ce délai, afin de rendre le dispositif plus opérationnel, et à la suite des auditions qu’elle a menées.

En effet, la durée d’un an imposerait pour ainsi dire d’engager la procédure de renouvellement de la mesure dès son prononcé, et avant même que ne puisse être appréciée l’évolution de la personne concernée : l’évaluation devrait être conduite dans de très brefs délais.

J’ajoute que la durée de deux ans ne semble pas disproportionnée par rapport aux dispositifs existants : la surveillance de sûreté peut ainsi être prononcée pour une durée initiale de deux ans.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Monsieur Gold, cet amendement vise à rétablir la durée initiale de la mesure de sûreté, soit un an.

La commission des lois du Sénat a fait le choix de porter ce laps de temps à deux ans. Si je comprends les préoccupations opérationnelles qui l’ont conduite à retenir ce délai, je pense qu’une telle augmentation pourrait fragiliser la solidité juridique du dispositif.

D’un point de vue opérationnel, les mesures de sûreté ne pourront être renouvelées qu’après une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée et à l’issue d’un débat contradictoire, au cours duquel celle-ci sera obligatoirement assistée d’un avocat.

Il s’agit bel et bien de contraintes pour l’administration pénitentiaire et pour l’autorité judiciaire. Néanmoins, le renouvellement régulier de la mesure par l’autorité judiciaire est une garantie importante ; il assure un équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire.

À titre de comparaison, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, qui ont été déclarées conformes à la Constitution, sont prononcées pour une durée initiale de trois mois.

Pour ces raisons, je suis favorable à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

J’ai assisté aux auditions organisées par Mme la rapporteure, et je comprends pourquoi elle a voulu porter à deux ans la durée dont il s’agit. Je n’entends pas défendre cette disposition après les considérations que j’ai développées au cours de la discussion générale, mais – je le reconnais – elle traduit une certaine logique.

On nous a expliqué que, pour prolonger d’une année une mesure de sûreté dont la durée initiale était d’un an, il fallait en réalité engager la demande de renouvellement dans les deux ou trois mois suivant la libération de la personne. Cette procédure est effectivement très compliquée… Mais ce constat prouve également que le système conçu est complètement bancal.

M. le garde des sceaux manifeste son incompréhension.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le garde des sceaux, je vous ai interrogé il y a quelques instants au sujet de la dangerosité. De nombreux témoignages concordent : dans le cas des délinquants sexuels, l’évaluation psychiatrique prévue à ce titre peut être jugée pertinente. Mais, dans le cas d’anciens condamnés pour terrorisme, ce n’est pas si simple : d’autres éléments d’information méritent d’être pris en compte.

En définitive, le débat que suscite cet amendement souligne la fragilité du dispositif. De telles mesures imposent de nombreuses contraintes, elles heurtent de front nos principes républicains et notre État de droit : on ne peut pas compter sur elles pour assurer une meilleure sécurité !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Nous devons avoir bien présente à l’esprit la temporalité dans laquelle nous nous trouvons : c’est au cours de la détention que l’examen a lieu.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait référence à une expertise. Vos propos m’ont troublée, car, sauf erreur de ma part, il n’y a pas d’expertise ! C’est là tout le problème. Une nébuleuse d’indications permet éventuellement aux magistrats de faire telle ou telle supposition, mais l’objectivation de la circonstance soulève de grandes difficultés.

Cet amendement tend à réduire à un an la durée initiale des mesures de sûreté. À mon sens, c’est normal. En vertu du présent texte, qui est déjà complexe, il faudra s’appuyer sur des « éléments actuels et circonstanciés » ; de telles informations ne se recueillent pas au bout de deux ans. De plus, faute d’expertise, l’on prendra pour base le témoignage des chefs de détention.

Cette opération sera bel et bien assez complexe. Nous devons absolument réduire à un an le délai dont il s’agit, car – vous l’avez dit vous-même – il faudra garantir un réexamen régulier et contradictoire de la situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Je voterai cet amendement, même si je comprends l’objectif de la commission – l’efficacité et l’opérationnalité –, qui est tout à fait légitime.

En outre, M. Leconte le souligne avec raison : il ne faudrait pas que ce texte soit déclaré inconstitutionnel. Or, avec cet amendement, le principe de proportionnalité me semble consolidé.

Aussi, je m’étonne : à la tribune, au cours de la discussion générale, l’on évoque la perspective d’un recours devant le juge constitutionnel, puis on tergiverse lorsque le garde des sceaux émet un avis favorable sur cet amendement, qui tend à sécuriser constitutionnellement le dispositif !

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’amendement n° 2, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an, un rapport analysant et évaluant la mise en œuvre des quartiers d’évaluation de la radicalisation et des quartiers de prise en charge de la radicalisation. Ce rapport s’attache également à dresser des propositions d’améliorations des dispositifs en question.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

À compter de 2016, six quartiers d’évaluation de la radicalisation, ou QER, répartis sur l’ensemble du territoire français, ont été institués. À ce titre, une évaluation de quatre mois est prévue, pendant lesquels il est procédé à de longs entretiens : éducateurs, psychologues, référents religieux et conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation interviennent, afin de croiser les regards sur la situation et l’évolution des condamnés.

Dans ce cadre, l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire participent à des formations spécifiques dédiées à la radicalisation violente. Le but est d’évaluer le niveau d’honnêteté du détenu et sa potentielle capacité de dissimulation, laquelle est fréquemment observée chez les personnes radicalisées. Viennent ensuite l’évaluation du niveau de dangerosité, la probabilité de passage à un acte violent et le niveau de prosélytisme.

À la suite de ces évaluations, les personnes ancrées dans un processus de radicalisation violente, présentant une forte imprégnation idéologique et prosélytes sont affectées en quartier de prise en charge de la radicalisation, ou QPR. Une frontière étanche sépare ces quartiers du reste de la détention. J’ajoute que les QPR regroupent 15 % des détenus des QER.

Il s’agit là d’un dispositif élaboré, dont les rouages semblent bien huilés. Pourtant, on nous propose aujourd’hui de mettre en place de nouveaux sas d’observation ; on y évaluerait les détenus pendant six semaines, afin de déterminer leur niveau de dangerosité et les mesures de sûreté qui leur seront assignées lorsqu’ils ne seront plus écroués.

Au regard de la teneur de cette proposition de loi, les QER comme les QPR n’atteignent manifestement pas leur finalité. Autrement dit, ces mesures de sûreté semblent symptomatiques de l’échec de la mise en œuvre de ces quartiers dans nos centres pénitentiaires depuis 2016.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Si nous savions exactement comment faire, nous ne serions pas là…

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Qu’en est-il réellement ? C’est ce que nous souhaitons comprendre en demandant la remise d’un rapport au Parlement. Un tel document nous permettrait de dresser les causes de cet échec. Nous pourrions ainsi en tirer toutes les conséquences pour l’avenir et améliorer le système dans son ensemble !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Chère collègue, c’est vrai : nous sommes un certain nombre à nous interroger sur ces fameux QER. Nous ne disposons pas de toutes les données sur ce sujet. Néanmoins – c’est la position de la commission –, les remises de rapports ne constituent pas le meilleur moyen, pour le Parlement, d’exercer son pouvoir de contrôle. J’émets donc un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame la sénatrice, avec cet amendement, vous prévoyez la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport analysant et évaluant la mise en œuvre des quartiers d’évaluation de la radicalisation et des quartiers de prise en charge de la radicalisation.

De manière générale, le Gouvernement n’est pas favorable à la multiplication des rapports. Le Parlement dispose déjà de multiples moyens d’information et de contrôle de l’activité du Gouvernement. En conséquence, je suis défavorable à cet amendement.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L’article 230-19 du code de procédure pénale est complété par un 19° ainsi rédigé :

« 19° Les obligations ou interdictions prononcées en application des 3°, 4°, 4° bis, 6°, 7° et 7° bis du I de l’article 706-25-15. » –

Adopté.

L’article 421-8 du code pénal est ainsi modifié :

1° Les mots : « peuvent également être » sont remplacés par le mot : « sont » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » –

Adopté.

Au premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, la référence : « n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille » est remplacée par la référence : « n° … du … instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine ».

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’amendement n° 5, présenté par Mme Eustache-Brinio, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° …. du …. instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».

La parole est à Mme la rapporteure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Cet amendement de coordination tend à tenir compte de l’entrée en vigueur de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, texte dont nous venons de débattre longuement.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, oui, nous voulons tous lutter contre le terrorisme. Toutefois, pour notre part, nous récusons la démagogie, dans laquelle on peut facilement tomber au sujet de la politique carcérale.

On a beaucoup évoqué le bracelet électronique. À ce titre, nous sommes tous d’accord sur un point : le bracelet électronique ne peut exister que si la personne condamnée consent à le porter. Si elle dit non, ce moyen n’a pas d’effet. Il n’existe tout simplement pas.

D’autres dispositions sont détaillées, comme l’obligation de se présenter au commissariat ou à la gendarmerie, mais elles sont déjà prévues au titre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas. M. le président de la commission a rappelé leur existence en insistant sur leur sévérité. Sans doute le Gouvernement les reconduira-t-il.

En définitive, que reste-t-il ? Qui peut dire avec certitude que, parce qu’une personne ira pointer au commissariat le lundi, elle ne commettra pas tel délit ou tel crime le mardi ou le mercredi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le garde des sceaux, tout cela est compliqué, et vous le savez bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Selon nous, le vrai chemin est très difficile, mais il existe. Il passe par l’accompagnement des personnes qui sortent de prison, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… quelles qu’elles soient, et, en conséquence, par la préparation à la sortie. En outre, il faut donner davantage de moyens aux services de renseignement : n’ayons pas peur de le dire.

Mes chers collègues, le meilleur moyen d’éviter la récidive en matière de terrorisme, c’est le renseignement. Ne nous racontons pas d’histoires !

Enfin, il faut véritablement se consacrer à la condition pénitentiaire pour mener à bien la déradicalisation en prison. Actuellement, c’est le contraire qui se passe, et nous le savons tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le garde des sceaux, vous avez décrit les décennies de réflexion que vous avez consacrées à la justice comme un cheminement. J’ai un peu peur que vous n’ayez dernièrement pris un raccourci, mais je salue votre réflexion dans son ensemble et je suis sûr que vous la prolongerez. Vous le savez mieux que quiconque : pour traiter de tels enjeux, le chemin est long et difficile !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Mes chers collègues, il y a quelques années, alors qu’il était Président de la République, François Hollande disait à propos des mesures de sûreté prises à l’encontre des pédophiles : « Il est inconcevable que des récidivistes en puissance se promènent dans la nature. »

Pour ma part, je ne conçois pas non plus que des terroristes récidivistes en puissance se baladent dans la nature. Ce texte contribue à la sécurité du pays. Il reste sur la ligne de crête. Ses dispositions sont équilibrées : ne nous racontons pas d’histoires, votons-le !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 22 juillet 2020 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :

- Projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française, la région flamande et la région wallonne relative à l’aménagement de la Lys mitoyenne entre Deûlémont en France et Menin en Belgique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 640, 2019-2020) ;

- Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire (texte de la commission n° 644, 2019-2020) ;

Projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (texte de la commission n° 638, 2019-2020) ;

Nouvelle lecture du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2019 (texte n° 653, 2019-2020) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi permettant d’offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l’épidémie de covid-19 (texte de la commission, n° 589, 2019-2020)

Nouvelle lecture du projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie (texte n° 655, 2019-2020) et nouvelle lecture du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie (texte n° 656, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.

La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de l ’ éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l ’ encontre des auteurs d ’ infractions terroristes à l ’ issue de leur peine a été publiée conformément à l ’ article 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne s ’ étant manifestée dans le délai d ’ une heure prévu par l ’ article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :

Titulaires : M. Philippe Bas, Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Jacky Deromedi, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Marie-Pierre de la Gontrie, MM. Jean-Yves Leconte et Arnaud de Belenet ;

Suppléants : Mmes Catherine Di Folco, Marie Mercier, Catherine Troendlé, MM. Yves Détraigne, Jacques Bigot, Mmes Maryse Carrère et Esther Benbassa.