Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne ménagerai aucun effet de surprise, je vous dis d’emblée que l’ensemble des membres de mon groupe est opposé à ce texte, en raison non seulement des mesures précises qu’il vise à instaurer, mais également, et surtout, de la vision de notre société dont il est porteur. Notre rôle de législateur devrait aussi consister, je pense, à prendre le recul nécessaire sur les lois que nous élaborons et sur leur cohérence globale.
Or, ces dernières années, l’inflation des mesures pénales est plus que notable, je peux en témoigner. Aux états d’urgence sécuritaire successifs, qui ne sont pas seulement propres au champ du terrorisme d’ailleurs, succèdent aujourd’hui des mesures spécifiques pour encadrer la remise en liberté d’auteurs d’infractions terroristes ayant purgé leur peine.
Après avoir décidé en 2016 de priver ces condamnés de toute possibilité d’aménagement de peine, on se retrouve face à la problématique de leur sortie « sèche ».
La question qui se pose à présent est la suivante : qu’allons-nous faire de ces individus, avec qui toutes les mesures carcérales ont échoué ? Après les quartiers d’évaluation de la radicalisation, puis les quartiers de prise en charge de la radicalisation, sur lesquels nous demandons un rapport au Gouvernement par voie d’amendement, nous créons de nouveaux espaces carcéraux pour évaluer, de nouveau, ces condamnés, afin de décider si ceux-ci présentent ou non un caractère dangereux pour la sécurité de nos concitoyens.
Que les choses soient claires : mon objectif ne diffère en rien du vôtre – protéger nos concitoyens contre tout nouvel acte barbare est fondamental –, à ceci près qu’il s’accompagne d’une d’inquiétude : compte tenu du nombre de dispositifs d’exception au droit commun qui se sont accumulés au fil des années, je me demande vers où nous avançons et, surtout, jusqu’où nous irons.
Que nous est-il proposé aujourd’hui ?
Ne sachant que faire de ces individus, mais souhaitant tout de même apaiser toute peur, légitime ou non, nous les maintenons dans une forme de peine après la peine, en restreignant leur liberté sur le fondement non pas des actes qu’ils ont commis, mais de ceux qu’on suppose qu’ils pourraient commettre.
Initialement, hormis la mesure de prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, le texte ne prévoyait que des mesures de contrôle dont l’intérêt en termes de réinsertion était quasi nul. Force est de reconnaître que la commission des lois a enrichi le texte sur ce point.
Pour notre part, nous avons toujours été opposés, et nous continuons de l’être, aux mesures de sûreté en général, considérant qu’un individu ayant purgé sa peine est quitte, libre de trouver sa voie de réinsertion dans notre société.
Créées en 2008, sous Nicolas Sarkozy, les mesures de sûreté étaient au départ destinées aux condamnés en fin de peine jugés dangereux pour des motifs psychiatriques.
Lors de l’adoption de la rétention de sûreté, mon groupe avait déjà alerté sur les risques de dérive vers une justice prédictive, sous couvert de prévention.
Au même moment – je le citerai à mon tour –, le sénateur Robert Badinter dénonçait de son côté « une période sombre pour notre justice »