Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, et pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, vise à instaurer des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Si nous partageons pleinement l’objectif du texte, nous avons quelques réserves sur les moyens prévus pour l’atteindre.
Dans son avis, le Conseil d’État réalise une prestation d’équilibriste en dissertant sur la nature des mesures envisagées. S’agit-il véritablement de mesures de sûreté ou bien de sanctions pénales ? Ont-elles pour objectif d’empêcher la commission d’infractions futures ou bien de sanctionner les crimes déjà perpétrés ?
Le Conseil d’État reconnaît que, en raison de l’empilement des dispositifs en la matière, la frontière entre peine et mesure de sûreté n’est « pas toujours nette ».
Ces débats ne passionnent peut-être pas les foules, mais ils sont capitaux, car ils conditionnent la validité constitutionnelle des dispositions que nous examinons.
Le Conseil d’État indique ensuite que les mesures envisagées concerneraient deux catégories de personnes : d’une part, les individus condamnés avant 2016, date à laquelle la peine complémentaire du suivi socio-judiciaire est devenue applicable aux infractions terroristes ; d’autre part, les individus condamnés depuis cette date, mais qui l’ont été par un jury populaire de cour d’assises. Et apparemment de tels jurys ne recourraient pas suffisamment à cette peine.
Voilà qui appelle deux observations.
Premièrement, les mesures de sûreté rétroactives qui nous sont proposées ont en réalité vocation à remplir la fonction du suivi socio-judiciaire, qui, lui, est une peine et ne devrait donc pas être rétroactif.
Deuxièmement, il ne nous paraît pas souhaitable de remettre en cause la justice rendue au nom du peuple français et par le peuple français.
Monsieur le garde des sceaux, nous connaissons votre attachement aux jurys populaires, et nous le partageons. Il nous semble important de conserver l’existence et la légitimité de ces derniers.
Le deuxième article de la proposition de loi aurait pour effet de rendre le suivi socio-judiciaire quasiment automatique, ce qui soulève des questions quant à la personnalisation des peines.
Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, a réalisé un travail remarquable, que je salue. La commission a tenté de renforcer au mieux la conformité du texte à la Constitution. La proposition de loi risque effectivement de porter atteinte à des principes essentiels de notre État de droit.
Le renforcement de la sécurité ne paraît pas certain. Sur le fond, les mesures proposées s’ajouteraient à un arsenal juridique déjà bien fourni et ne semblent pas apporter un meilleur niveau de sécurité.
Depuis 1986, plus d’une quinzaine de lois contre le terrorisme ont été adoptées. Cette inflation législative n’est pas bonne pour la sécurité juridique de notre pays. Nous faisons aujourd’hui face à l’une de ses conséquences : la multiplication des dispositifs particuliers, des mesures exceptionnelles, a laissé des angles morts, qu’on essaie bien sûr de corriger par d’autres mesures exceptionnelles.
Cette tentative de rattrapage risque néanmoins de s’effectuer au détriment de nos concitoyens, d’abord parce qu’elle s’arrange difficilement avec nos principes juridiques fondamentaux ; ensuite, comme le Conseil d’État l’a rappelé, parce que la complexité nuit à l’efficacité de l’action de l’État ; enfin, parce qu’elle pourrait laisser penser qu’elle répond à la nécessité de la lutte antiterroriste quand les agents qui sont affectés à celle-ci ont avant tout besoin de plus de moyens.
Les mesures de sûreté comportent toujours un risque d’arbitraire. L’évaluation de la particulière dangerosité du condamné est une opération délicate et problématique. Le risque de récidive n’est pas la récidive.
La liberté fait intrinsèquement courir le risque de la récidive, comme elle fait plus généralement courir celui de la commission d’infractions.