Intervention de Marie-Pierre de La Gontrie

Réunion du 21 juillet 2020 à 14h30
Mesures de sûreté contre les auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine — Discussion générale

Photo de Marie-Pierre de La GontrieMarie-Pierre de La Gontrie :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tous ici, nous soutenons la lutte de notre nation contre le terrorisme. Tous ici, nous pensons aux victimes, à leurs familles, à leurs amis dont parfois nous sommes. Tous ici, nous sommes profondément reconnaissants à nos soldats et à nos forces de sécurité qui s’exposent et luttent au quotidien.

Mais aujourd’hui, comme législateur, notre responsabilité est singulière : tenter de rendre plus efficace l’arme judiciaire contre le terrorisme, plus particulièrement protéger nos compatriotes d’un risque de récidive terroriste – vaste ambition.

Comme cela a déjà été souligné, nous sommes confrontés à une difficulté : le risque de récidive délinquante relève, dans les faits, de la prévision, voire de la prédiction. Et nous parlons, en examinant ce texte, d’ordonner des sanctions nouvelles, restrictives de liberté, à l’encontre de personnes qui, condamnées, ont déjà effectué la totalité de leur peine, qui plus est avant que la proposition de loi dont nous débattons ne soit votée.

Vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez rappelé voilà seulement trois jours combien vous vous étiez opposé à la rétention de sûreté durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, vous élevant justement contre cette sanction après la sanction. Car imposer des mesures restrictives de liberté à un être humain auquel aucune infraction n’est imputée, simplement de crainte qu’il n’en commette une nouvelle, conduit à quitter le terrain des faits pour le diagnostic aléatoire au nom d’un principe de précaution élargi à la justice pénale.

Vous l’avez d’ailleurs parfaitement résumé hier, lors de votre audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale lorsque, répondant au député Diard, vous avez indiqué : « Attendez-vous des juges, des magistrats et du garde des sceaux qu’ils soient un médium capable d’endiguer des velléités de nouvelles infractions ? […] Ce n’est que ça, la question. […] Et je vais vous dire, la sécurité absolue, c’est l’enfermement à vie pour tout le monde. Alors là, vous n’aurez plus aucun problème ».

Au fil des années, des lois, des événements tragiques que notre pays a connus, nous avons créé, renforcé, ajouté des modalités de poursuite, de sanctions, de suivi des personnes coupables de faits terroristes. Ce faisant, nous avons mêlé justice administrative et justice judiciaire – juge de l’application des peines, parquet, suivi socio-judiciaire, régime spécial de réduction des peines… Aujourd’hui, nul n’est plus capable d’évaluer l’efficacité de ces dispositions.

Mais chaque majorité veut laisser son empreinte, donner à voir sa détermination, même par un texte inapplicable ou fragile au regard de nos principes constitutionnels. Devons-nous, au Sénat, participer à cela ? Je ne crois pas. Devons-nous transiger avec les principes de notre droit, avec la légalité de la peine, avec le principe non bis in idem, avec la non-rétroactivité de la loi pénale ? Je ne crois pas. Devons-nous tenter d’éviter la guerre au prix du déshonneur pour récolter, au final, et la guerre et le déshonneur ? Je ne crois pas.

Le Conseil national des barreaux nous appelle à refuser la peine après la peine. Le Conseil d’État, de manière assez obscure, convenons-en, a tenté d’accepter la qualification de « mesures de sûreté » des dispositions proposées, tout en reconnaissant que la frontière n’était pas nette, tout en se montrant très prudent – et c’est un euphémisme – sur le dispositif envisagé. De plus, il rappelle que les dispositions contenues dans cette proposition de loi, pour l’essentiel, existent déjà et que la complexité – un collègue le rappelait à l’instant – qui en résulterait pourrait affecter l’efficacité de la politique de l’État.

Les propos tenus par votre prédécesseure, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, étaient eux aussi empreints d’une réserve à peine dissimulée, évoquant le fragile équilibre du texte et la superposition de mesures susceptibles d’être appliquées aux mêmes fins.

C’est pour ces motifs, je l’annonce aujourd’hui au Sénat, que le groupe socialiste saisira le Conseil constitutionnel de ce texte, une fois voté, aux fins d’examen de sa conformité à l’État de droit.

Votre prédécesseure rappelait devant l’Assemblée nationale la nécessité d’une évaluation des dispositifs existants. Je le dis de manière un peu solennelle, monsieur le ministre, allez-vous, pour votre premier texte, apposer votre signature sur une loi tout à la fois en rupture avec nos principes, incantatoire quant à son champ d’application, fictive du point de vue de l’efficacité de l’action de l’État et de la lutte contre la récidive et qui ouvre un précédent auquel il sera impossible de résister ? Son unique et maigre vertu est d’afficher sur le plan politique que cette majorité agit contre le risque terroriste comme si ces quelques mots valaient démonstration.

Monsieur le garde des sceaux, le 17 juillet dernier, lors de votre déplacement au tribunal judiciaire de Paris, vous disiez à un journaliste, accompagnant vos propos d’un geste de la main : voyez-vous, monsieur, il y a une toute petite règle dans notre République, une petite bricole qui s’appelle la Constitution.

Pour notre part, nous ne succombons pas et défendons coûte que coûte dans cette période difficile les principes fondateurs de notre État de droit. Comme l’a dit le sénateur Robert Badinter en 2008, dans cet hémicycle, au sujet de la rétention de sûreté : « L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. » Avec ce texte, nous y sommes. Voilà pourquoi le groupe socialiste votera contre.

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