J’ai peut-être, en déformant la réalité historique, tant et tant admiré ceux qui se sont battus pour permettre à nos pères, puis à nos mères de s’exprimer par le suffrage universel pour former cette volonté générale que le Parlement doit incarner que j’ai vraiment du mal à mettre à jour mes conceptions démocratiques et que je n’arrive pas à entrevoir la valeur démocratique du tirage au sort.
Qui plus est, le tirage au sort que l’on a mis en œuvre à travers ce qu’on a appelé de manière si prétentieuse la Convention citoyenne n’est pas un tirage au sort dont les effets seraient naturels.
Premièrement, parce que l’on a mêlé au tirage au sort les techniques des enquêtes d’opinion, c’est-à-dire la constitution d’échantillons représentatifs. Par conséquent, ce tirage au sort n’était pas totalement, comme pour les jurés d’assises, le fruit du hasard.
Deuxièmement, parce que les personnes tirées au sort se sont, dans leur écrasante majorité, récusées, ce qui fait que, en quelque sorte – pardonnez-moi cette expression triviale –, il n’y a que le fond du panier qui soit resté et qui ait pu participer au travail organisé au sein de cette instance.
Troisièmement, il faut tout de même rappeler que les personnes tirées au sort – 150 sur 66 millions d’habitants – représentent 1/440 000 de la population française et n’ont reçu aucun mandat de personne. Par conséquent, il n’est pas démocratique, disons-le haut et fort, de postuler par avance que le fruit de leurs travaux devrait être repris par l’exécutif ou le Parlement ou soumis au suffrage universel par la voie du référendum pour une sorte de validation par oui ou par non sans délibération.
À ce stade de notre débat sur le Conseil économique, social et environnemental, il est donc important d’exprimer les plus expresses réserves sur l’utilisation de l’outil du tirage au sort, qui peut aussi apparaître comme une sorte de gadget. Il ne faudrait pas mettre sous le couvert de l’innovation démocratique ce qui ne serait en réalité qu’une grave régression.
Dans ces conditions, pourquoi la commission des lois a-t-elle accepté d’entrer dans ce débat ? Tout simplement, parce que c’est notre rôle. Nous sommes prêts à discuter !
Si nous votions contre ce texte qui prolonge le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental et que le Parlement décidait de diminuer le nombre de membres de cette institution, cette diminution n’interviendrait qu’après le renouvellement, par conséquent à l’issue seulement du nouveau mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental. Elle interviendrait donc bien après l’élection présidentielle et les élections législatives, alors que les autorités démocratiques pourraient avoir changé d’avis depuis longtemps. Cela ne serait pas raisonnable.
Ainsi, indépendamment de la question du tirage au sort – ma position sur ce sujet est définitive, et je n’en changerai pas –, je ne veux pas priver le Gouvernement, s’il le souhaite vraiment, de la possibilité de faire aboutir l’idée de baisser l’effectif du Conseil économique, social et environnemental.
J’ajoute que je trouve très déplaisant à l’égard des Présidents de la République et Premiers ministres de considérer que les nominations de personnalités qualifiées qu’ils ont décidées depuis le début de la Ve République ont eu pour seuls objectifs de recaser des battus du suffrage universel ou de faire plaisir à tel ou tel proche du pouvoir. C’est désobligeant, et je crois que ce n’est pas exact. D’une certaine manière, adresser ce reproche aux Présidents de la République et aux Premiers ministres revient aussi à l’adresser aux responsables des organisations syndicales et patronales, qui pourraient également être tentés de procéder à de tels reclassements. Il faudra aussi être attentif à ce point ; la présence d’experts au Conseil économique, social et environnemental n’est peut-être pas une si mauvaise idée.
Madame la présidente, j’ai abusé de mon temps de parole, mais je voulais donner l’éclairage du président de la commission des lois sur ce débat. Approuver le report de la fin du mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental ne signifie pas la signature d’un chèque en blanc sur la réforme de ce Conseil.