Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes de nouveau invités ce soir à discuter de la proposition de loi visant à permettre d’offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l’épidémie de covid-19.
Je ferai tout d’abord quelques remarques sur les modifications apportées en commission mixte paritaire.
Premièrement, la possibilité de monétiser des jours de repos non pris, supprimée au Sénat, a été réintroduite et vient se superposer au mécanisme de renonciation à la rémunération d’un ou de plusieurs jours ouvrés. Nous le jugeons regrettable, car le rapport de notre collègue rapporteur Frédérique Puissat était pourtant on ne peut plus clair à ce sujet : quand bien même le mécanisme de monétisation des jours de congé serait précisé par la proposition de loi, ce qui n’est pas le cas, il s’avère être d’une complexité que l’objectif et les sommes envisagées ne justifient pas. La majorité présidentielle fait donc le choix de mobiliser l’administration sur la rédaction de décrets d’application complexes.
De la même manière, la modification opérée quant aux modalités de répartition des sommes réunies reste insatisfaisante en l’état. D’une part, il est difficile de juger en quoi il serait plus pertinent que la répartition s’opère selon les effectifs plutôt que selon la masse salariale. D’autre part, le renvoi à des décrets signe l’incapacité à construire un cadre légal à la hauteur de l’objectif initial.
Deuxièmement, les membres de la commission mixte paritaire sont tombés d’accord pour exonérer l’acquisition de chèques-vacances de l’impôt sur le revenu. Il est cependant curieux de constater que cette exonération ne concerne que l’acquisition des chèques-vacances et non le don qui, lui, reste intégralement soumis à l’impôt. Ne vaudrait-il mieux pas, dans ce cas, donner autrement aux personnes victimes de cette crise, car le don serait alors déductible de l’impôt ?
Il s’agit d’une interrogation d’autant plus légitime que, sur toutes les travées, nous pointons le risque que les sommes récoltées soient faibles. C’est la raison pour laquelle nous jugeons étrange, par ailleurs, de prévoir un reversement au Trésor public des sommes non distribuées. Fallait-il, dans ce gloubi-boulga, que le Trésor public y trouve son compte ? Sans parler du message alors envoyé aux salariés. Vous en appelez à leur générosité en leur demandant de renoncer à une partie de leur rémunération, sans que cela soit déductible, au risque que ces dons finissent par revenir en partie au Trésor public : quelle délicatesse !
Sur la forme, et dans un contexte de précipitation de la part du Gouvernement pour faire adopter cette proposition de loi, celle-ci demeure dans sa rédaction finale incomplète, floue, complexe à mettre en œuvre et très probablement promise à l’insuccès.
Quant au fond, les principales sources de trouble sont toujours bien présentes.
Tout d’abord, comme cela a été rappelé, les soignants sont les seuls concernés par cet élan de générosité que vous prétendez faciliter. Ils font part, eux-mêmes, de ce sentiment de gêne, car des travailleurs et travailleuses de beaucoup d’autres secteurs – caissiers, livreurs, ouvriers, agents du service public – ont continué de travailler et ont affronté le risque de la contamination, parfois sans protection ; certains ont même été contaminés.
Ensuite, cette proposition de loi suscite le doute au regard de la période actuelle marquée par une paupérisation grandissante d’une grande partie des Français. Le phénomène risque malheureusement de s’accroître à la rentrée.
Vous habillez de valeurs de solidarité et de générosité une logique consistant à déshabiller Pierre pour habiller Paul, puisque vous demandez aux salariés de payer des chèques-vacances aux soignants.
Au fond, les parlementaires sont-ils utiles lorsqu’ils édictent des règles dont les citoyens se sont depuis longtemps emparés quand il s’agit d’aider, de donner et de faire preuve de générosité ? Le cadre législatif permettant de tels dons existe déjà. Ce nouveau texte n’y changera rien. Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Nous ne voterons pas cette proposition de loi.