Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 23 septembre 2020 à 15h00
Audition de Mme Agnès Buzyn ancienne ministre des solidarités et de la santé

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, rapporteur :

On va rester serein... Je comprends l'émotion de Mme la ministre, au vu des accusations dont elle a été l'objet. À la suite de l'audition du professeur Raoult, j'ai fait l'objet non pas d'attaques antisémites, mais d'accusations de corruption et de menaces de mort. Être traité de tous les noms, on sait ce que c'est ! J'y ai eu droit et je compatis, madame.

Je voudrais que l'on revienne au fond des choses. Dans votre introduction, vous rappelez le déroulé de la gestion de l'épidémie et les multiples événements qui ont eu lieu, dont la plupart sont postérieurs à vos fonctions ministérielles. On ne va pas aujourd'hui reprendre toute l'histoire de l'épidémie dans tous ses aspects, sinon le président Savary va rester là jusqu'à demain matin. Je m'en tiendrai pour ma part à deux points.

Le premier point concerne ce qui s'est passé en septembre et octobre 2018. Un courrier a été adressé par le directeur de l'Agence nationale de santé publique au DGS pour lui demander de nouvelles instructions et une doctrine sur la question des masques, le constat ayant été fait que le stock, qui comptait alors 600 millions de masques et avait peu bougé au cours des années précédentes, était en partie en mauvais état. Le DGS a donc pris une décision visant à abaisser le stock, lequel représentait environ 100 millions de masques au début de 2020.

Les dépositions du DGS concordent avec ce que vous avez affirmé lors de votre audition à l'Assemblée nationale : vous n'aviez pas été informée de cet événement, et donc de ce changement de pied. Je ne sais pas si c'est un changement de doctrine, mais c'est très clairement à ce moment-là que notre stock est passé de 600 millions environ à 100 millions de masques, devenant tout à fait insuffisant pour faire face à une épidémie.

J'imagine que vous confirmerez que vous n'aviez pas été informée, mais je voudrais que vous nous donniez une explication. Que signifie, en termes de gouvernance de la santé publique, le fait qu'un DGS puisse prendre seul une décision aussi importante - même si vous avez relativisé la question des masques lors de votre déposition à l'Assemblée nationale -, et ce sans en informer la ministre, pas plus que les agences sanitaires. Après tout, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qui avait joué un rôle déterminant dans la doctrine, n'en a pas été plus informé.

On a le sentiment que personne n'a été informé et que le DGS, tout seul dans son coin, a pu prendre une telle décision à l'impact sanitaire assez considérable, comme on l'a vu par la suite. Quel est votre regard sur ce point, et sur ce que cela dit du fonctionnement de notre appareil d'État ?

Deuxième point : le mois de janvier.

J'ai eu l'occasion de le dire, je pense que vous dites la vérité et je vous en donne acte, car vous déposez sous serment. Vous avez été alertée dès fin décembre. Vous avez en fait eu le regard attiré par une information relative à des pneumopathies mortelles en Chine. Vous dites que vous en avez informé le Premier ministre et le chef de l'État, autour du 11 janvier, à peu près au moment où les Chinois transmettaient la carte d'identité du virus à la communauté internationale. Puis vous découvrez la transmission interhumaine, le 22 janvier. Deux jours plus tard, ajoutez-vous, « je comprends que quelque chose de grave est en train de se passer ».

Nous avons un problème, madame la ministre. Nous vous donnons acte de vos propos : au cours du mois de janvier, vous avez pris conscience qu'un événement grave, une épidémie susceptible de se diffuser dans notre population, pouvait survenir. Dans le même temps, la machine d'État semble ne pas se mettre réellement en marche.

Vous avez parlé de la question des tests. Personne ne dit rétrospectivement qu'il fallait tester la population en janvier et février. Ce que l'on dit, c'est qu'il fallait évidemment préparer la fabrication de tests pour être en situation de tester la population. C'est d'ailleurs ce que les Allemands ont fait.

D'après les informations que nous recueillons, nous constatons que l'institut Pasteur a fait son travail. Dans les derniers jours de janvier, le test est prêt. Pourquoi cela n'a-t-il pas embrayé après ? En janvier, vous prenez conscience qu'une épidémie potentiellement grave arrive et qu'il faudra d'ores et déjà des masques pour protéger les soignants. Pour la population générale, on ne sait pas - je vais y revenir -, mais pour les soignants, c'est certain. Il n'y a aucun débat à cet égard ; or le stock est extrêmement bas. On sait que les hôpitaux n'avaient pas non plus de stock suffisant. Le changement de doctrine, c'est bien beau, mais si on ne vérifie pas son application, on est dépourvu !

La première commande, le 30 janvier, est anecdotique : 1 million et quelques de masques, puis un peu plus le 7 février. Il faut attendre... Or, en temps d'épidémie, une semaine est une durée extrêmement longue. C'est un défaut de réactivité total. Les commandes significatives arrivent bien plus tard.

Pour ce qui est de la population générale, on se souvient tous qu'il n'y avait pas de recommandation de port du masque en février et mars. Mais lorsque l'on est, comme vous et les responsables publics, chargé de la santé publique et que l'on connaît l'histoire de ces maladies à transmission respiratoire, on sait que cet outil a été utilisé au cours des épidémies précédentes par les pays asiatiques. Ces épidémies nous avaient certes épargnés, raison pour laquelle, peut-être, nous n'étions pas assez prêts. L'utilité du masque n'était donc ni affirmée ni avérée, mais une question, un doute, se pose. Il est tout de même plus sage de se dire que l'on aura peut-être besoin de masques pour protéger la population générale, si leur utilité se confirme. Cela n'est pas mis en place. À quoi était occupé l'appareil d'État au mois de février, madame la ministre ?

Ce matin, votre ancienne collègue du Gouvernement Sibeth Ndiaye nous disait que l'actualité était plutôt à la réforme des retraites, et que la question du coronavirus était arrivée progressivement. Y a-t-il une difficulté d'acculturation, pour reprendre l'expression de Mme Ndiaye, des autorités de l'État à la question de la survenue d'une épidémie dans notre pays ? J'aimerais que vous alliez avec sincérité et vérité au fond des choses. Pour nous, cette question ne met pas en cause des personnes nommément, mais un contexte général, un fonctionnement de l'appareil d'État manifestement insatisfaisant, qui n'a pas répondu à ce qui était votre intuition, mais aussi, semble-t-il, votre conviction.

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