Évidemment, encore faut-il avoir été confronté aux affres du marché du travail pour le savoir.
Mais, dans la théorie qui anime ce texte, le chômeur est responsable de sa situation. Il est implicitement coupable d’avoir été déchu de son emploi pour des motifs sans doute obscurs, mais assurément légitimes, puisqu’il en est des licenciements comme du reste, « il n’y a pas de fumée sans feu ».
Le chômeur doit donc, c’est son devoir et sa pénitence, s’adapter au marché de l’emploi, quitte à abandonner toute prétention à un salaire décent et à des conditions de travail supportables.
Or les emplois disponibles, il y en a des quantités. Il faut donc les pourvoir coûte que coûte. S’ils ne correspondent ni à votre précédent niveau de rémunération, ni à votre formation, ni à votre expérience, ni, bien sûr, à vos souhaits, qu’importe ! Vous devez expier le crime originel que constitue la perte de votre emploi en acceptant ce chemin de croix.
Je tiens à souligner un aspect particulier de ce projet de loi : le principe des sanctions qui s’aggravent au gré des refus d’offres raisonnables d’emploi, c’est-à-dire au gré des « récidives » du chômeur, renvoie de manière inquiétante à la notion de récidive en droit pénal. À quand une amende pour refus d’offre raisonnable d’emploi ?
Monsieur le secrétaire d’État, votre politique se fonde sur l’affirmation que le travailleur, la main-d’œuvre dans son ensemble, est la seule variable d’ajustement de l’entreprise. Mais c’est faux ! Même dans un secteur d’activité où la main-d’œuvre est importante, l’automobile, par exemple, la part de la masse salariale représente aujourd’hui entre 9 % et 14 % seulement des coûts de production. Il faut donc chercher ailleurs la marge de manœuvre.
Fonder votre texte sur la théorie du « chômage volontaire » présente l’inconvénient majeur de finalement transférer complètement la responsabilité du chômage de l’entreprise sur le salarié. Si le salarié se retrouve au chômage, c’est qu’il l’a cherché, d’une façon ou d’une autre. Dès lors, cela revient à exonérer l’entreprise de toute responsabilité, notamment en termes de défaut de gestion prévisionnel des emplois, de formations qualifiantes, de précarité, tous aspects que vous avez préféré ignorer dans ce texte.
J’en viens à l’efficacité de ce dispositif. Faire peser une forte contrainte uniquement sur les demandeurs d’emploi, à l’exclusion des entreprises, c’est se fourvoyer tant sur l’efficacité de ce dispositif en termes d’embauche que sur ses bienfaits pour l’économie.
En ce qui concerne l’embauche, malgré la liste des États que vous citez régulièrement en exemple, des pays scandinaves au Royaume-Uni en passant par l’Allemagne, l’efficacité de telles mesures sur la réduction du chômage n’est pas avérée. Si tous ces pays ont réellement vu leur taux de chômage diminuer, alors qu’ils avaient instauré de lourdes pressions sur leurs demandeurs d’emploi, aucune étude ne permet à ce jour d’établir de lien direct entre la contrainte et la baisse du chômage.
À l’inverse, on a la certitude que les contraintes que subissent les chômeurs du fait du maintien des salaires au plus bas accentuent directement le phénomène de « travailleurs pauvres ». Ainsi, l’Allemagne a vu son nombre de travailleurs pauvres augmenter de près de 30 % en six ans ! Un article paru cette semaine sur ce sujet concluait ainsi : « Chômeur sans droit ou travailleur sans toit ? La démocratie te laisse le choix ». Est-ce votre ambition pour la France ?
Partout en Europe, il existe un consensus pour reconnaître que le retour durable à l’emploi dépend d’un ensemble de facteurs : d’abord une croissance forte, comme en Allemagne – les dernières prévisions de l’INSEE pour 2009 nous interdisent de trop y compter –, mais aussi des mesures de sécurisation des parcours professionnels et de formation.
Dans ce texte, vous n’actionnez qu’un seul levier, les sanctions contre les chômeurs. De la formation, il n’est pas trace. On sait juste que des négociations sont annoncées, mais vous n’avez pas estimé utile d’attendre leurs conclusions. M. Xavier Bertrand se plaît à nous citer le Danemark comme pays modèle en matière de politiques d’emploi. Pourtant, s’il y a bien un pays où la formation a joué un rôle capital dans la baisse du chômage, c’est le Danemark.