Intervention de Charles Guené

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 octobre 2020 à 15h30
Proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales et proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales — Examen du rapport pour avis

Photo de Charles GuenéCharles Guené, rapporteur pour avis :

Notre commission des finances s'est saisie pour avis de la proposition de loi constitutionnelle n° 682 (2019-2020) et de la proposition de loi organique n° 683 (2019-2020) déposées, notamment, par notre collègue Philippe Bas et notre ancien collègue Jean-Marie Bockel. Ces deux textes qui contiennent de nombreuses dispositions visant à assurer le plein exercice des libertés locales sont la traduction au plan législatif des travaux sur l'avenir de la décentralisation conduits sous la présidence de Gérard Larcher cette année.

Parmi l'ensemble des mesures que comportent ces propositions de loi, deux ont justifié que notre commission se saisisse pour avis. La première concerne la révision des modalités de compensation des charges transférées aux collectivités territoriales avec la consécration du principe « qui décide paie ». La seconde concerne la redéfinition du périmètre des ressources propres des collectivités territoriales.

Sur la question des compensations des transferts de charges, je me contenterai de vous rappeler l'essentiel du contexte dans lequel nous évoluons.

D'une part, les dispositions constitutionnelles et organiques n'imposent de compenser intégralement les collectivités territoriales des dépenses mises à leur charge que dans deux cas : lorsqu'une compétence leur est transférée par l'État et lorsque les conditions d'exercice d'une compétence obligatoire sont modifiées par un acte réglementaire qui ne présente par le caractère d'une mesure générale. Ainsi, une compétence transférée entre collectivités territoriales n'ouvrira pas droit au versement d'une compensation intégrale, l'augmentation du point d'indice de la fonction publique non plus.

D'autre part, et sous réserve qu'elle présente un caractère obligatoire, la création, l'extension ou la modification des conditions d'exercice d'une compétence par voie législative n'impose que de verser une compensation, dont la nature et le montant ne sont pas incompatibles avec les principes d'autonomie financière et de libre administration.

Enfin, rien ne contraint l'État à réévaluer le montant des compensations compte tenu de l'évolution du coût d'exercice d'une compétence.

Ce rappel fait, vous n'ignorez pas que beaucoup de collectivités territoriales ont le sentiment de faire face, du fait des décisions de l'État, à des charges croissantes sans que soient mises en face les ressources nécessaires. C'est dans le souci de répondre à cette problématique que Philippe Bas et Jean-Marie Bockel ont souhaité inscrire dans la Constitution deux principes nouveaux.

Tout d'abord, tout transfert, création, extension ou modification des conditions d'exercice de compétence décidé par l'État et supporté par les collectivités territoriales devra faire l'objet d'une compensation intégrale - qui décide paie !

Ensuite, le montant de ces compensations devra être réévalué régulièrement.

Je souscris entièrement au principe « qui décide paie », mais je pense que le dispositif de réévaluation proposé peut être amélioré. Il me semble en effet que proposer une réévaluation régulière, c'est-à-dire une actualisation en loi de finances du montant des compensations, n'est pas nécessairement la méthode la plus satisfaisante.

Ce qu'il faut chercher à construire, c'est une gouvernance nouvelle par laquelle l'adéquation des ressources et des charges des collectivités territoriales serait régulièrement réinterrogée. Dans ce cadre, la réévaluation financière des compensations ne serait que l'une des options possibles et on pourrait imaginer, par exemple, de décider de redimensionner certaines compétences.

Nous avons échangé sur ce point avec les deux rapporteurs de la commission des lois, saisie au fond, Mathieu Darnaud et Françoise Gatel. Nous sommes d'accord pour que, plutôt qu'une réévaluation régulière, la Constitution impose un réexamen régulier des compensations. Il reviendra au législateur organique de préciser - d'inventer ! - cette nouvelle forme de gouvernance.

Sur la question des ressources propres, sur laquelle notre commission est saisie, je vais tâcher, là aussi, de présenter les paramètres essentiels.

Comme vous le savez, la Constitution dispose que les ressources propres représentent une part déterminante de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. C'est le principe d'autonomie financière. Une loi organique de 2004 est venue préciser deux points centraux : la nature de ces ressources propres et la notion de part déterminante.

Les ressources propres telles qu'elles sont définies par la loi organique présentent un caractère plutôt extensif. Au plan fiscal, il s'agit des recettes, sur lesquelles les collectivités territoriales exercent un pouvoir de taux ou d'assiette, mais également celles sur lesquelles elles n'en exercent pas, c'est-à-dire la fiscalité transférée. À titre d'exemple figurent dans la première catégorie la taxe foncière ou les droits de mutation à titre onéreux, tandis que figure dans la seconde catégorie la fraction de TVA affectée aux régions ou encore la taxe intérieure sur les produits énergétiques.

Les ressources propres interviennent dans la détermination des ratios d'autonomie financière qui ne sont rien de plus que le rapport entre les ressources propres et l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. Lorsque l'on dit que ces ressources propres doivent représenter une part « déterminante », on indique en réalité que le niveau des ratios d'autonomie financière doit demeurer supérieur à un certain seuil. En l'espèce, celui-ci est fixé par la loi organique et correspond à la situation constatée en 2003.

Sur le plan juridique, le fait que les ratios d'autonomie financière demeurent bien supérieurs à leur valeur de 2003 présente un caractère impératif. En effet, si une mesure législative devait les conduire en dessous des planchers, le juge constitutionnel censurerait. De même, si ces ratios demeuraient en dessous des planchers plus de deux ans, le législateur serait contraint d'adopter des mesures correctives en loi de finances sous peine de censure par le Conseil constitutionnel.

Actuellement, ces ratios sont très hauts : 71,4 % pour les communes, 74,4 % pour les départements et même 77,4 % pour les régions. Il est vrai qu'avec une définition aussi extensive de la notion de ressources propres il pouvait difficilement en être autrement... Comme l'indiquait notre collègue député Charles de Courson : « Supprimons toute la fiscalité locale et remplaçons-la par des prélèvements sur les impôts nationaux et le taux d'autonomie financière progressera encore... »

C'est dans ce contexte que les deux textes que nous examinons proposent de faire la vérité sur l'état et le devenir du pouvoir fiscal des collectivités territoriales. À cette fin, elles prévoient d'exclure du périmètre des ressources propres toutes les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités n'exercent aucun pouvoir de taux ou d'assiette. Je suis parfaitement d'accord avec la nécessité de faire la vérité sur la question du pouvoir fiscal des collectivités, alors que les réformes de la taxe professionnelle, de la taxe d'habitation et - bientôt - des impôts de production ont profondément modifié la physionomie de la fiscalité locale.

Toutefois, dans la mission de rapporteur pour avis que la commission des finances a bien voulu me confier, il m'a semblé important d'évaluer les conséquences d'une telle mesure. Il va sans dire que, si l'on retenait la définition proposée, les ratios d'autonomie financière se contracteraient à court terme. C'est l'évidence même, puisque l'on restreint le périmètre de ces ressources. Mais quelle serait la dynamique de cette contraction compte tenu des réformes de la taxe d'habitation et des impôts de production qui substituent des impôts nationaux à des impôts locaux ?

Pour information, nos collègues proposent d'actualiser les planchers des ratios d'autonomie financière en référence à la situation constatée en 2020. En tenant compte de ces paramètres, j'ai cherché à estimer de combien les ratios d'autonomie financière s'éloigneraient de leur plancher après la mise en oeuvre des réformes de la fiscalité locale. En l'espèce, une fois la réforme de la taxe d'habitation achevée, le ratio d'autonomie financière du bloc communal s'établirait 5,4 points en dessous du plancher et celui des départements 21,4 points. Pour bien saisir l'ampleur du phénomène, on peut relever que les ressources vraiment « propres » des départements représenteraient environ 33 % de l'ensemble.

La définition proposée permet indéniablement de mettre à jour l'érosion du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, mais elle nous place également devant une situation difficile. Comme je l'ai indiqué, si les ratios d'autonomie financière ne sont pas conformes aux planchers organiques, alors le législateur est constitutionnellement et organiquement tenu de prendre les mesures de correction qui s'imposent. En pratique, cela signifie que le législateur devra territorialiser des impôts nationaux ou créer de nouveaux impôts locaux pour un montant de l'ordre de 21,6 milliards d'euros après la réforme de la taxe d'habitation.

Or nous savons combien il est difficile, sur le plan technique et politique, d'augmenter la pression fiscale, de trouver la bonne formule pour territorialiser la base d'un impôt national ou encore de réduire les inégalités de richesse fiscale entre les collectivités.

Dans ces conditions, il nous appartient de faire un choix. Faut-il rejeter la définition qui nous est proposée et continuer de travailler avec un instrument - les ressources propres - qui ne représente plus grand-chose ? Ou faut-il plutôt accepter ce que cette nouvelle définition nous révèle de l'état du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, tout en s'interrogeant sur les conséquences qu'on en tire ? Je plaide pour la seconde option.

En lien avec les rapporteurs Mathieu Damaud et Françoise Gatel, nous avons convenu que la proposition tendant à exclure du champ des ressources propres les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités n'exercent aucun pouvoir de taux ou d'assiette devait être soutenue.

Cependant, il est souhaitable dans le même temps d'amender la règle, selon laquelle ces ressources propres représentent une part déterminante de l'ensemble de ressources des collectivités. Nous préférons qu'à l'avenir elles représentent une part « significative » de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. Cette notion n'est pas définie par les textes en vigueur, ce qui signifie qu'il reviendra au législateur organique de consulter et de trancher pour en définir la nature et la portée. Pour mémoire, en 2003, le Sénat avait proposé un seuil minimal de 33 %. Cela ne préjuge en rien de la solution qui sera retenue, mais montre que le choix de ratios fixés en référence à une année particulière n'a rien d'évident et peut être remis en cause.

Enfin, et à titre personnel, j'ai rappelé l'attachement que je porte à la nécessité d'accompagner cette réflexion sur le renforcement du pouvoir fiscal des collectivités d'un travail d'ampleur sur la péréquation. La péréquation n'est pas simplement « l'intendance qui suivra » ; elle est le corolaire essentiel du pouvoir fiscal et ne peut pas être discutée après ou dans l'urgence. Elle doit au contraire être discutée de concert, en tant qu'elle est la condition de succès d'une réforme du pouvoir fiscal des collectivités territoriales.

À la suite de mes échanges avec nos collègues rapporteurs de la commission des lois, je propose de les laisser eux-mêmes porter par amendement les modifications que j'ai évoquées devant vous. Sous cette réserve, je formule l'avis que la commission des finances se montre favorable à l'adoption de l'article 5 de la proposition de loi constitutionnelle et de l'article 4 de la proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales.

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