Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui témoigne de la volonté du Gouvernement d’agir en faveur de l’emploi pour tous.
Pour que la relance de notre économie soit la plus inclusive possible, les solutions d’accès à l’emploi doivent être déployées au cœur des territoires.
Après l’unanimité obtenue à l’Assemblée nationale, c’est désormais à votre assemblée, celle des territoires, de se prononcer. Je salue l’enrichissement du texte par la commission des affaires sociales du Sénat, et tout particulièrement le travail de Mme la rapporteure Frédérique Puissat. J’en profite pour féliciter Mme Catherine Deroche pour sa récente élection comme présidente de la commission des affaires sociales.
La commission a su proposer des outils complémentaires de pilotage des expérimentations, tout en gardant comme boussole l’insertion de nos concitoyens les plus éloignés de l’emploi.
La discussion d’aujourd’hui est symbolique à plus d’un titre.
Premièrement, elle revêt une grande importance à l’heure où les plus vulnérables peuvent être fragilisés par la crise économique.
Cette loi découle directement de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, annoncée en septembre 2018 par le Président de la République. Elle porte la transcription du Pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique de 2019, dont elle reprend certaines propositions. Elle prolonge une expérimentation, « territoires zéro chômeur de longue durée », mobilisant les territoires pour proposer des emplois à ceux qui en sont le plus éloignés. Elle s’inscrit dans la philosophie de « France Relance » : tous les leviers doivent être utilisés pour donner un emploi à chacun, aux jeunes, aux seniors, aux moins qualifiés. Elle fait suite à l’annonce d’un dispositif de soutien exceptionnel de 300 millions d’euros en faveur des structures d’insertion par l’activité économique et des entreprises adaptées.
Ces orientations budgétaires sans précédent traduisent l’ambition du Président de la République de parvenir à intégrer 100 000 salariés supplémentaires dans les parcours d’insertion et 40 000 autres dans les entreprises adaptées.
Deuxièmement, le texte que nous nous apprêtons à étudier a fait l’objet d’une large coconstruction.
Dès son élaboration, il a été proposé par des parlementaires et concerté avec les acteurs des structures de l’insertion par l’activité économique et avec l’association Territoires zéro chômeur de longue durée.
Pendant sa discussion à l’Assemblée nationale, un travail constructif a été mené par les députés de tous les groupes, majorité comme opposition, qui a permis d’obtenir l’unanimité. Nous pouvons en être fiers.
Les débats que nous avons eus ont permis de mieux répondre aux problématiques des personnes les plus éloignées de l’emploi, en œuvrant à leur insertion et à leur retour durable vers l’emploi.
Vous le savez, ce texte renforce deux très beaux outils qui permettent d’appliquer des méthodes complémentaires pour insérer les personnes les plus éloignées de l’emploi.
Le titre Ier est consacré au renforcement du secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE).
Le titre II est consacré à la prolongation et à l’extension de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Le titre III est quant à lui un titre de coordination et de mise à jour.
L’insertion par l’activité économique est un outil puissant de retour à l’emploi, que cette proposition de loi vise à renforcer. Cette solution d’accès à l’emploi permet d’accompagner le retour à l’emploi de personnes qui en sont durablement éloignées, à partir d’une activité salariée, complétée de formations, au sein d’une structure d’insertion conventionnée par l’État.
Pour accompagner et accélérer la consolidation de ce secteur, cette proposition de loi apporte de la simplification pour les structures d’insertion elles-mêmes et de la sécurité pour les personnes en parcours d’insertion.
Tout d’abord, elle prévoit un changement nécessaire : la suppression de l’agrément préalable délivré par Pôle emploi et son remplacement par le Pass IAE.
Via la nouvelle plateforme de l’inclusion, les structures d’insertion par l’activité économique pourront recruter sans avis préalable. Elles partageront l’information relative aux personnes qu’elles recrutent directement, sans passer obligatoirement par un tiers prescripteur. Les prescripteurs pourront proposer aussi directement des candidats au recrutement par le biais de la plateforme de l’inclusion. Ce texte permettra donc une simplification des règles de recrutement pour l’ensemble des structures d’insertion par l’activité économique, leur permettant d’embaucher plus rapidement et d’être plus visibles. Cette mesure est attendue de tous et c’est donc une très bonne nouvelle.
Dans le même temps, il nous semble nécessaire de prendre en compte la diversité des situations au sein des structures d’insertion par l’activité économique. C’est la raison pour laquelle nous saluons le travail d’écoute de Mme la rapporteure, qui a su entendre les préoccupations des acteurs en vue d’aménager le contrat passerelle et d’y ajouter la possibilité d’un cumul de contrats. Le Gouvernement soutient ces avancées issues du travail de la commission.
Dans cette optique, le Gouvernement vous proposera de prolonger une expérimentation en cours dans les entreprises d’insertion par le travail indépendant (EITI), celles-ci constituant la dernière famille des structures de l’IAE.
Ensuite, cette proposition de loi créait initialement le CDI « inclusion des seniors », qui apporte des éléments de sécurisation pour ces personnes jusqu’à leur retraite.
Le Gouvernement proposera de rétablir l’articulation introduite, lors de la discussion à l’Assemblée nationale, entre le CDI « inclusion des seniors » et le contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), notre objectif étant de lutter contre la précarité des seniors.
C’est une innovation majeure pour le secteur de l’insertion par l’activité économique, qui, jusque-là, ne proposait que des contrats courts renouvelables jusqu’à concurrence de vingt-quatre mois au maximum. Tout salarié d’une structure d’insertion par l’activité économique (SIAE) de plus de 57 ans au moment du renouvellement de son parcours pourra se voir proposer un CDI, si sa situation ne lui permet pas de retrouver un emploi dans le secteur de droit commun.
Ce dispositif remplacera ainsi, pour les plus de 57 ans, les CDDI, qu’il est possible de renouveler par dérogation à partir de 50 ans. Sans trahir la philosophie de l’insertion par l’activité économique, celle du « sas », nous poursuivrons ainsi l’objectif de lutter contre la précarité des seniors éloignés de l’emploi, en leur permettant d’accéder à un CDI.
Dans son titre II, cette proposition de loi vise également à prolonger et à étendre l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », qui est un dispositif complémentaire de l’insertion par l’activité économique. Quand l’un est depuis plus de trente ans un outil éprouvé de retour vers l’emploi, l’autre relève d’une solution d’accompagnement personnalisée, inscrite dans un projet de territoire. Elle vise à insérer les personnes dans l’emploi en partant de leurs compétences et des besoins des bassins d’emploi. Elle repose sur des CDI à temps choisi.
Cette expérimentation, née de la loi du 29 février 2016, adoptée à l’unanimité de l’Assemblée nationale et du Sénat, et soutenue par le mouvement associatif, a rencontré un intérêt certain dans les territoires.
Aujourd’hui, treize entreprises à but d’emploi (EBE) existent dans dix départements et emploient 820 personnes, dont 770 personnes privées durablement d’emploi (PPDE), dans le cadre d’un projet collectif utile et complémentaire de l’offre d’emploi préexistante. Ces EBE sont pilotées par des comités locaux pour l’emploi réunissant l’ensemble des acteurs du territoire : les élus, le service public de l’emploi, les associations, mais aussi les entreprises, les SIAE. Le dispositif consiste à recruter en CDI à temps choisi tous les demandeurs d’emploi volontaires du territoire au chômage depuis plus d’un an sur des activités nouvelles, utiles au territoire et correspondant aux souhaits et aux capacités des PPDE.
Je salue le travail et la persévérance de Laurent Grandguillaume, président de l’association Territoires zéro chômeur de longue durée, de Michel de Virville et de Patrick Valentin, vice-présidents, et de Louis Gallois, président du fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée.
Le Gouvernement soutient cette expérimentation prometteuse et est prêt à augmenter la « taille du laboratoire » pour lui permettre de faire ses preuves.
Au cours des discussions à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a prouvé qu’il savait entendre les préoccupations du terrain et évoluer. Le nombre de territoires pouvant être habilités s’élèverait à soixante, conformément à ce qui a été voté à l’Assemblée nationale. L’engagement du Gouvernement est clair. Ce nombre pourrait être actualisé pour éviter de laisser de côté des territoires qui seraient prêts.
Dans le cadre de la navette, comme je m’y étais engagée, nous souhaitons aboutir à la rédaction offrant le plus de flexibilité possible, pour permettre l’habilitation des projets de territoire. Le recours à un texte réglementaire serait susceptible de nous offrir cette souplesse qui répond à l’attente des différents acteurs. Je poursuivrai le travail avec les rapporteurs des deux chambres d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire, pour qu’avec les acteurs concernés nous puissions aboutir à une solution respectueuse des territoires et de la volonté des parlementaires. Je le répète, aucun territoire prêt ne doit être laissé de côté.
Nous voulons également construire un dispositif responsable au regard des finances publiques. Dans ce cadre, nous saluons l’enrichissement permis par le travail de la commission quant aux dispositifs de suivi de l’expérimentation.
À ce stade, la solution issue des travaux de la commission des affaires sociales concernant le financement de l’expérimentation par les départements nous apparaît problématique. Elle fragilise selon nous la position de chef de file des conseils départementaux au titre de leur compétence en matière d’insertion. Cela ne nous semble pas souhaitable. Nous vous proposerons donc de revenir à la rédaction initiale, qui permettait de respecter la compétence du département, mais aussi son expertise et sa connaissance du terrain, en lui laissant le choix de valider ou pas le lancement d’une expérimentation.
Faire confiance aux départements, qui sont les acteurs historiques de l’insertion, nous paraît primordial. Je le redis très clairement : aucun projet d’expérimentation ne se fera contre la volonté des départements. Mais la mobilisation d’un département doit logiquement se traduire par sa contribution au financement de l’expérimentation.
Pas de liberté locale sans responsabilité locale : c’est le principe du « qui décide paie », si cher à la Haute Assemblée.
Enfin, la proposition de loi porte, en son titre III, mise à jour de diverses mesures sociales.
Nous proposerons de rétablir l’article 7, très important selon nous. Il ne s’agit pas de modifier le dispositif de bonus-malus ; la discussion sur ce sujet est en cours avec les partenaires sociaux, mais, dans l’attente de l’aboutissement de celle-ci, il est nécessaire de prendre des mesures permettant l’articulation entre les allégements généraux de charges applicables, depuis 2019, aux cotisations sociales et le mécanisme en discussion. C’est une question d’équité pour les entreprises visées, le III de l’article 7 excluant de son application les structures d’insertion par l’activité économique, ce qui leur permet de jouer leur rôle de sas sans être pénalisées.
Sur le terrain, les deux leviers renforcés par les deux premiers titres de cette proposition de loi démontrent déjà au quotidien leur complémentarité. D’un côté, l’insertion par l’activité économique propose un parcours temporaire de retour vers l’emploi et des modalités spécifiques d’accueil et d’accompagnement, afin de construire ou de reconstruire des trajectoires professionnelles. De l’autre, il est proposé, au travers de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », un recrutement en CDI, afin de redynamiser les personnes grâce à ces contrats, tout en participant à un projet de territoire. On retrouve, dans les deux cas, une même conviction : le fait de donner un emploi à tous est un facteur essentiel de dignité pour les personnes et de cohésion pour l’ensemble de notre pays.
Ces expérimentations sont proches, dans l’esprit, de ce que pourrait être le nouveau service public de l’insertion et de l’emploi, au travers de leur inscription dans un projet de territoire, incarné par les comités locaux pour l’emploi. Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l’insertion, sera à mes côtés, dans les semaines qui viennent, pour défendre ce projet de coordination renforcée entre tous les acteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’un beau texte, utile et nécessaire. Dans cette période d’incertitude et de difficultés accrues pour les plus précaires, son adoption est dans l’intérêt de tous et de tous les territoires. Je n’en doute pas, nous saurons aboutir, dans le respect de nos convictions, à un texte de loi satisfaisant. Vous le savez, la procédure accélérée a été engagée sur ce texte ; nous avons tous à cœur de voir son examen aboutir au plus vite. La commission mixte paritaire aura la responsabilité de travailler à son équilibre définitif.
J’adresse de nouveau mes remerciements à Mme la rapporteure pour son travail d’enrichissement du texte.