Si l’on peut espérer que le présent texte aura davantage de suites, je regrette tout de même que la procédure suivie nous prive d’une étude d’impact ou encore d’un avis du Conseil d’État.
Le titre Ier de la proposition de loi vise à mettre en œuvre certaines des propositions du pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique. Ces mesures répondent aux difficultés signalées par les acteurs de terrain ; elles me semblent, pour la plupart, bienvenues.
Ainsi, l’article 1er du texte, qui supprime l’agrément obligatoire de Pôle emploi pour les embauches au sein des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) et permet l’autoprescription, par les structures, d’un parcours d’insertion représente un assouplissement nécessaire. Le « Pass IAE », qui s’appuie sur le développement d’une plateforme numérique de l’inclusion – en cours de déploiement –, devrait permettre de fluidifier les recrutements et de supprimer des démarches redondantes.
Ce passage à une logique partenariale fondée sur la confiance suppose un contrôle a posteriori de l’éligibilité des bénéficiaires. Le texte étant muet sur ce point, la commission des affaires sociales a prévu, de manière à répondre aux interrogations des acteurs de terrain, qu’un décret déterminerait les modalités de ce contrôle ainsi que la possibilité, en cas de non-respect de la démarche, de retirer la capacité d’autoprescription à une SIAE. Notre commission a en revanche renvoyé à un arrêté, plutôt qu’à un décret, la liste des prescripteurs habilités.
La création, à l’article 2, d’un contrat à durée indéterminée (CDI) dit « inclusion senior » répond aux besoins d’un public particulier, pour lequel la logique de tremplin qui sous-tend l’IAE est inadaptée.
Le seuil de 57 ans prévu pour bénéficier du dispositif semble pertinent et cohérent avec les autres dispositifs existants, tels que le contrat à durée déterminée (CDD) « senior ».
Toutefois, la commission a rétabli la possibilité de déroger, à titre exceptionnel, pour les salariés seniors rencontrant des difficultés particulières, à la durée maximale de vingt-quatre mois de renouvellement des CDD, au-delà de l’âge de 57 ans, en complément du CDI inclusion senior. En effet, il pourrait être préjudiciable, dans certains cas, que la SIAE n’ait d’autre choix, à l’issue d’un CDD d’insertion de deux ans, que d’embaucher la personne en CDI ou de mettre fin à son parcours.
En outre, pour ce qui concerne les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI), la commission a clarifié l’articulation du CDI inclusion senior avec les dispositions législatives relatives au CDI intérimaire.
La commission a également apporté des ajustements rédactionnels à d’autres mesures relativement consensuelles introduites à l’Assemblée nationale.
En revanche, l’expérimentation d’un « contrat passerelle », permettant à une entreprise d’insertion ou à un atelier ou chantier d’insertion de mettre à disposition, pendant une durée déterminée, sous forme de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif, un salarié en fin de parcours d’insertion auprès d’une entreprise de droit commun, n’est pas accueillie favorablement par certains acteurs de l’insertion par l’activité économique.
Il me semble toutefois important de soutenir les efforts visant à faciliter les rapprochements entre l’insertion par l’activité économique et le secteur marchand et à encourager les logiques de parcours. Pour répondre aux inquiétudes des acteurs de terrain, la commission a précisé le cadre de cette expérimentation, en introduisant, pour les bénéficiaires, une condition d’ancienneté de quatre mois dans un parcours d’IAE, en limitant la durée de la mise à disposition à trois mois renouvelables et en dispensant de période d’essai le salarié en cas d’embauche par l’entreprise utilisatrice.
En complément à ce « contrat passerelle », la commission a introduit un dispositif de « temps cumulé », qui vise à permettre une transition progressive entre un contrat d’insertion et un CDI ou un CDD à temps partiel en levant, sous conditions, le seuil de la durée hebdomadaire de travail au sein des SIAE, légalement fixé à vingt heures. De la même manière, il sera possible de déroger, dans le cadre de ce dispositif, au minimum de vingt-quatre heures hebdomadaires en contrat à temps partiel de droit commun.
Dans son deuxième volet, cette proposition de loi vise à prolonger de cinq ans et à étendre de dix à soixante territoires l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Cette expérimentation consiste à permettre l’embauche de chômeurs de longue durée en contrats à durée indéterminée, pour des tâches non couvertes par l’économie de marché. Les emplois ainsi créés sont presque intégralement financés par les pouvoirs publics, en faisant l’hypothèse que le retour à l’emploi permet à la collectivité d’éviter des dépenses directes et indirectes à hauteur du coût assumé pour les financer.
Cette expérimentation suscite de nombreuses attentes.
J’ai pu mesurer à quel point l’association porte ce dispositif et je me permets de saluer l’engagement de tous les bénévoles et de tous les élus locaux, qui ont à cœur de défendre leur vision. J’ai pu échanger de manière constructive avec eux tout au long de mes travaux.
Comme le précise le rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF), l’expérimentation menée depuis 2016 n’a pas permis de démontrer la neutralité financière du dispositif, postulée au départ. Ce dispositif a bien un coût, qui pourrait être considérable s’il devait être développé à grande échelle.
Pour autant, le regard que nous porterons sur cette expérimentation ne doit pas s’arrêter à cette réalité ; apporter une vraie réponse à la problématique de l’exclusion nécessite sans doute d’augmenter les moyens que nous consacrons à cette politique. En effet, celle-ci peut être vue comme un investissement social et l’absence de neutralité financière ne doit pas être un obstacle à la poursuite de l’expérimentation.
La question que nous devons nous poser est donc celle de l’efficience du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » par rapport à celle d’autres outils de la politique de lutte contre l’exclusion, notamment les structures d’insertion par l’activité économique.
À cet égard, l’expérimentation menée depuis 2016 permet de tirer de premiers enseignements, dont il convient de tenir compte pour la suite. À ce jour, elle a permis d’embaucher un peu moins de 1 000 personnes, sur les 4 000 personnes privées d’emploi potentiellement éligibles. Cette montée en charge plus lente que prévu s’explique en partie par les difficultés rencontrées par les porteurs de projet, qui soulignent la nécessité d’accompagner chaque projet territorial et, sans doute, de trouver des financements complémentaires, au moins pour la période de démarrage des entreprises à but d’emploi. Je considère donc qu’il s’agit d’un début encourageant.
Les évaluations réalisées montrent que la situation matérielle et morale des personnes embauchées s’est nettement améliorée, ce qui confirme, s’il en était besoin, qu’il est préférable d’occuper un emploi stable que d’être en situation d’exclusion.
Le comité scientifique, qui doit rendre son rapport final dans les semaines à venir, semble conclure que l’on n’observe pas encore d’effets positifs notables pour les territoires eux-mêmes, mais il est sans doute trop tôt pour tirer des conclusions à ce sujet.
À la différence des structures d’insertion par l’activité économique, les entreprises à but d’emploi proposent des contrats à durée indéterminée et ne se donnent pas pour objectif explicite l’insertion dans l’emploi de droit commun. Ce facteur semble décisif pour permettre la stabilisation dans l’emploi des personnes embauchées, en supprimant l’épée de Damoclès que représente la fin prévue du contrat.
Pour autant, l’expérimentation comporte, de ce fait, ce que le comité scientifique appelle un « impensé », qui touche à l’évolution professionnelle des personnes embauchées. Sans doute faudra-t-il remettre en question ce parti pris, qui n’est d’ailleurs pas partagé par tous les porteurs de projet, et mettre davantage l’accent sur la formation de ces personnes, dans une logique de parcours vers l’emploi.
L’expérimentation montre également que la concertation entre les acteurs locaux permet de développer des activités nouvelles, utiles aux territoires. Si le critère de non-concurrence avec le secteur marchand semble globalement respecté, une attention particulière devra être portée à l’articulation avec les acteurs de l’insertion par l’activité économique.
Il faudra aussi se demander si, à moyen terme, l’absence de perspective d’évolution professionnelle et salariale dans les EBE n’est pas de nature à créer des frustrations et s’il n’existe pas un risque d’effet d’éviction par rapport à certains emplois du secteur marchand qui présenteraient un niveau supérieur de contraintes tout en étant rémunérés au même niveau.
Enfin, l’un des éléments les plus intéressants, à mes yeux, de cette expérimentation réside dans la logique de territoire sur laquelle repose le dispositif. Plutôt que d’appliquer des règles administratives parfois inadaptées aux réalités de terrain, on fait confiance, au travers de ce dispositif, à la capacité des acteurs locaux de dépasser les cloisonnements et de travailler ensemble pour chercher des solutions. D’ailleurs, un grand nombre de personnes ont pu trouver un emploi sans être embauchées dans une entreprise à but d’emploi, grâce à la dynamique de mobilisation permise par l’émergence d’un projet de territoire.
Nous le voyons, il est proposé, au travers de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », une démarche novatrice et intéressante. Au-delà de la question du coût, de nombreux points d’amélioration existent et certains éléments amènent à s’interroger sur les présupposés de la démarche.
La poursuite de l’expérimentation permettra d’approfondir ces réflexions. Elle doit donc concerner un nombre limité de territoires et s’accompagner d’une évaluation rigoureuse et continue. La commission des affaires sociales a ainsi confié au fonds d’expérimentation la tâche d’opérer un suivi des embauches au fil de l’eau. Elle a également souhaité préciser les objectifs de l’évaluation finale, qui ne doit pas se limiter à apprécier l’opportunité d’une pérennisation ; il s’agira par exemple de se demander si le modèle des entreprises à but d’emploi peut trouver sa place parmi les autres outils de la politique de l’emploi et s’il convient de le cibler sur certains publics ou sur certains territoires aux caractéristiques spécifiques.
Les évolutions législatives proposées par rapport à la loi de 2016 sont marginales. Les améliorations attendues devront donc être mises en œuvre dans les textes réglementaires d’application, d’une part, et dans la gouvernance du dispositif, d’autre part.
La proposition de loi prévoyait initialement de rendre obligatoire la participation des départements au financement de l’expérimentation. Aujourd’hui, tous les départements comprenant un territoire expérimentateur participent au financement des emplois créés, à un niveau variable mais généralement faible. Toutefois, selon la commission, le principe d’une participation obligatoire pose plusieurs difficultés, du fait notamment que l’on ne connaît pas son montant, les modalités de calcul étant renvoyées à un décret sur lequel nous n’avons, à ce stade, aucune information. Tant que le dispositif demeure expérimental, il représente une ligne marginale du budget de la politique de l’emploi et de l’insertion, et l’on pourrait être tenté de donner satisfaction à toutes les prétentions de ses promoteurs. Les louanges que l’on pourrait ainsi récolter ne me semblent pour autant pas justifier le fait que nous nous abstenions de jouer notre rôle de législateur. La commission des affaires sociales a donc choisi de s’inscrire pleinement dans la démarche expérimentale, en précisant, entre autres choses, les objectifs de l’expérimentation et de son évaluation.
Pour finir, je dirai quelques mots du titre III, qui contient diverses mesures liées de près ou de loin à l’emploi et à l’insertion. Une disposition censurée de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, concernant l’articulation du bonus-malus sur les contrats courts avec les allégements généraux de cotisations sociales, a refait son apparition. La commission l’a supprimée, afin de réaffirmer son opposition au bonus-malus et pour tenir compte de la concertation en cours sur la réforme de l’assurance chômage.
Conformément à la position habituelle du Sénat, elle a également supprimé les demandes de rapport.
En revanche, elle a adopté les articles 8 et 9 bis, qui prévoient la prolongation de deux autres expérimentations, afin de pouvoir disposer du recul nécessaire pour en apprécier la pertinence, ainsi que l’article 9 ter, qui crée une expérimentation du contrat de professionnalisation en portage salarial.