Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi était attendue, depuis bien longtemps, par les acteurs de l’insertion professionnelle et les élus des territoires.
Le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » est novateur, ambitieux et dynamique. Il répond tant aux besoins des demandeurs d’emploi de longue durée qu’aux besoins non satisfaits de nos territoires, dont certains, dévitalisés, ont vu renaître une économie et une dynamique locales et, a fortiori, se renforcer un lien social qui s’était distendu.
Toutefois, c’est aussi un dispositif qui suscite du scepticisme chez certains. La preuve en est que c’est l’un des dispositifs les plus évalués de France, à la différence d’autres mesures prétendument créatrices d’emplois ; je pense notamment au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Cela doit nous amener à nous interroger sur la perception, très française, des fameux « indicateurs de performance ».
À Pierre Cahuc, qui évoque « le coût des emplois créés », à partir d’un calcul qui mériterait un débat, nous opposons non seulement le coût de la privation d’emploi, dont l’ampleur a été confirmée par une étude réalisée par le département d’économie de l’Université libre de Bruxelles, mais également l’utilité écologique et sociale de cette expérimentation.
En effet, nombre des activités supplémentaires créées dans les dix territoires expérimentateurs ont trait à la transition écologique et permettent la sauvegarde de l’environnement. Il convient dès lors d’en tenir compte et de mesurer, par exemple, leur impact sur notre empreinte carbone.
En outre, ces dispositifs ont permis de sortir de l’invisibilité des personnes qui échappaient aux radars de Pôle emploi et constituent les cohortes du non-recours aux prestations sociales.
Ce sont ces activités, qui visent à l’amélioration de « nos patrimoines critiques, à savoir notre patrimoine naturel et la santé sociale », pour reprendre la formule de la sociologue Dominique Méda, que nos fameux indicateurs économiques de performance devraient impérativement prendre en compte, en s’appuyant sur les nouveaux indicateurs de richesse introduits par la loi du 13 avril 2015 issue d’une proposition de loi d’Éva Sas.
Concernant maintenant l’examen du texte, je pense que l’on aurait pu faire l’économie de deux lectures en optant pour un vote conforme.
Même si nous n’approuvons pas l’entièreté des mesures adoptées par l’Assemblée nationale, notamment celles de l’article 3 bis ou de l’article 8, le texte final a été adopté à l’unanimité sur les bancs de cette chambre, aux fins d’aller vite, car la crise sociale nous oblige et un constat devrait s’imposer : nous n’avons pas le temps d’attendre !
Or, plutôt que d’aller dans ce sens, la commission des affaires sociales du Sénat a décidé de modifier sensiblement le dispositif, mettant à mal l’opérationnalité de ses dispositions. C’est, selon mon groupe, regrettable. Le Sénat va donc mettre à mal ce consensus, se faisant, au passage, le porte-voix des détracteurs, minoritaires, de l’expérimentation.
Peut-être le jeu en aurait-il valu la chandelle si le Sénat avait souhaité être plus ambitieux, afin de permettre à un plus grand nombre de territoires qui sont prêts et capables de répondre au cahier des charges de se lancer, mais il n’en est rien. Bien au contraire, le texte que nous examinons cet après-midi prévoit d’imposer une double tutelle et un copilotage : premièrement, une tutelle de Pôle emploi sur le choix des personnes qui pourront être recrutées dans les entreprises à but d’emploi ; deuxièmement, une tutelle des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) sur le choix des activités développées par ces entreprises ; enfin un copilotage des préfets avec les comités locaux.
Ces tutelles vont vider le projet de ses fondamentaux, en faisant reposer celui-ci sur un principe de défiance et en recentralisant la démarche. Or non seulement cette défiance est l’antithèse du droit à l’expérimentation, mais elle va également à l’encontre d’un principe dont le Sénat se fait régulièrement le défenseur : faire confiance à l’intelligence territoriale, faire confiance aux territoires.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires présentera donc des amendements de suppression de ces mesures, afin de revenir au texte de l’Assemblée nationale. C’est seulement s’ils sont adoptés que nous pourrons voter ce texte.