Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 13 octobre 2020 à 14h30
Inclusion dans l'emploi par l'activité économique — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Fine connaisseuse de notre maison, elle saura faire montre de ses qualités de modératrice pour animer et pondérer les débats dans notre hémicycle. Je lui adresse tous mes vœux de réussite et d’épanouissement dans ses nouvelles fonctions !

Les différentes observations sur la conjoncture économique et la situation actuelle de l’emploi font froid dans le dos. D’après de récentes prévisions de l’Unédic, pas moins de 900 000 emplois sont appelés à être détruits sur l’ensemble de l’année 2020 en France. La pandémie est venue considérablement aggraver le problème du chômage de longue durée, symbolisé par le dépassement, cette année, de la barre des 4 millions de chômeurs relevant de la catégorie A.

Selon une étude réalisée en 2015 par l’association ATD Quart Monde, le chômage coûte à l’État 43 milliards d’euros chaque année, dont 15 milliards d’euros de manque à gagner en impôts et en cotisations sociales. Outre son coût, le chômage agit comme un catalyseur de disparités et un facteur d’aggravation de la fracture sociale et de la pauvreté. Il crée de la frustration et un sentiment d’injustice, tant chez de jeunes demandeurs d’emploi confrontés à un marché du travail saturé que chez des candidats à l’emploi seniors, en situation de handicap ou à faible qualification.

L’Aisne, mon département, souffrait au premier trimestre de 2020 d’un taux de chômage de 11 %, très nettement supérieur à la moyenne nationale. Quatre de ses zones d’emploi figurent parmi les trente le plus durement touchées par le chômage dans notre pays. On y compte 13 000 bénéficiaires du RSA, dont environ la moitié retournent chaque mois à l’emploi.

En tant que président de la maison de l’emploi et de la formation de Laon, je suis sensible à cette problématique particulièrement importante. C’est donc avec joie que j’accueillerai l’extension du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée ». En effet, quoi de plus volontariste qu’une politique publique ayant fait ses preuves et visant à opérer un transfert des coûts du chômage, qui relèvent des dépenses passives, vers des dépenses actives d’investissement dans le retour à l’emploi ?

La flexibilité introduite dans le dispositif, s’agissant notamment de la suppression de l’agrément obligatoire par Pôle emploi, est bienvenue pour fluidifier les procédures d’embauche dans les entreprises à but d’emploi et responsabiliser les travailleurs. Une action concertée entre les services publics de l’emploi, les entreprises à but d’emploi du secteur de l’économie sociale et solidaire et le département permettra non seulement aux publics les plus précarisés de remettre le pied à l’étrier, mais aussi, dans une perspective plus large, de recréer une dynamique de cohésion et de renforcer le lien entre citoyens et institutions.

Je me dois cependant d’émettre quelques réserves sur certains volets du texte. Par bien des aspects, celui-ci révèle que, en dépit de ses promesses renouvelées de décentralisation, le Gouvernement semble avoir bien du mal à lâcher la bride et à accorder véritablement aux collectivités territoriales la marge de manœuvre qu’elles demandent.

Cela fait trois ans que l’on nous parle d’accélérer la décentralisation, que l’on nous dit que la gouvernance des politiques publiques peut et doit véritablement passer par l’échelon local, afin d’en augmenter l’efficacité et la plus-value pour nos citoyens. Restreindre l’extension de l’expérimentation du dispositif à cinquante nouveaux territoires ne porte d’autre message que celui d’une frilosité au regard de la lettre du projet. Si les résultats des essais effectués dans dix premiers départements ont été concluants, pourquoi ne pas repousser encore la limite afin de permettre au dispositif de faire ses preuves sur l’ensemble des territoires de la République dans les cinq prochaines années ?

Quant à la réintégration annoncée du préfet dans le comité de pilotage, elle s’apparente à un rétropédalage au regard de l’autonomisation des collectivités. Les comités locaux pour l’emploi et l’Assemblée des départements de France l’ont dit : au niveau local, la demande est forte de pouvoir mettre en œuvre en toute liberté des projets locaux pour l’emploi, sans que la main centralisatrice de l’État intervienne systématiquement.

Par ailleurs, il est primordial que nous prêtions aujourd’hui la plus grande attention à ce que le financement du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » ne se solde pas purement et simplement par l’ajout d’une nouvelle charge publique relevant de la seule responsabilité des départements. Sur la base du rapport établi par la commission, seuls 26 % des salariés embauchés dans les entreprises à but d’emploi percevaient antérieurement une allocation du type du RSA. Ainsi, contraindre les départements à financer l’intégralité des emplois créés grâce au dispositif reviendrait, ni plus ni moins, à tirer sur l’ambulance.

Je veux également alerter les défenseurs du projet sur les tensions qui affectent déjà le budget de nombreux départements. Dans l’Aisne, le coût du chômage atteint 114 millions d’euros : plus de 71 % des dépenses de fonctionnement sont dédiées au seul financement des minima sociaux. Eu égard à la diminution des subventions de l’État, solliciter une nouvelle contribution en faveur des politiques de l’emploi semblerait donc peu raisonnable, voire malvenu, et ne ferait que créer une macrocéphalie de ce poste de dépense, au préjudice des autres domaines de l’action publique locale.

Une disposition de sagesse serait de rendre dégressive la participation financière des départements, dans une mesure inverse à leur taux de chômage ou, dans l’absolu, au volume financier qu’ils allouent déjà à l’aide sociale. L’accent mériterait en outre d’être mis sur le rôle et la participation des intercommunalités, dans la mesure où celles-ci assument déjà la compétence emploi et développement économique.

En somme, l’arbitrage que nous devrons rendre pour ce dispositif devra permettre de trouver un juste équilibre entre le risque d’un désengagement public du financement du chômage et l’accumulation des coûts liés à la lutte contre la pauvreté.

Enfin, il faudra veiller tout particulièrement à ce que la mise en œuvre du dispositif n’impose pas une concurrence malvenue aux divers organismes déjà déployés dans les territoires et actifs dans la politique de l’emploi. Ainsi, pour ce qui concerne le contrat passerelle, il semble nécessaire de rappeler qu’un certain nombre de dispositifs existants, tels les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, les GEIQ, ou les périodes de mise en situation en milieu professionnel, ont déjà fait leurs preuves. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2018, 70 % des contrats conclus dans le cadre des GEIQ avaient conduit à l’obtention d’un emploi et près de 60 % à l’obtention d’un emploi durable. Il est donc nécessaire que la mise en œuvre de ce dispositif aille encore plus loin dans la logique de responsabilisation des demandeurs d’emploi. Élever le niveau et la qualité des formations proposées et en diversifier l’offre seront des moyens renforcés pour maintenir les jeunes dans les territoires, raviver l’attractivité et le dynamisme de ceux-ci et former de la main-d’œuvre spécialisée et qualifiée pour de potentiels futurs bassins d’emploi.

À un contexte économique et socioprofessionnel tendu, il est urgent de répondre par des projets d’action sociale ambitieux. Si le projet « territoires zéro chômeur de longue durée » semble sur la bonne voie, il reste encore à lui accorder les moyens financiers et techniques nécessaires pour lui donner toutes les chances de réussir, afin de pouvoir enfin déployer, à terme, une politique sociale digne de ce nom. À ce titre, je suivrai la position de la commission.

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