Intervention de Philippe Bas

Réunion du 19 octobre 2020 à 17h00
Prééminence des lois de la république — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme vient de le déclarer M. le président du Sénat, la République a été frappée à travers un homme, un professeur, Samuel Paty, qui avait voué sa vie d’enseignant à défendre les valeurs que nous avons en partage. Le deuil de sa famille, de ses proches, de ses collègues, des enfants et des parents de son collège est aussi notre deuil.

Ce crime barbare est une blessure pour chaque Français. Il laissera un traumatisme profond qui ne s’effacera pas avec le temps. À l’horreur qu’inspire cet accès de folie s’ajoutent la révolte et l’indignation devant un acte criminel visant directement notre idéal républicain. Car ce qui est attaqué à travers cette abomination, c’est l’esprit de liberté et de tolérance, c’est la volonté de faire grandir la compréhension de l’autre à travers la connaissance, c’est l’école de la République ouverte sur le monde, c’est la transmission des valeurs de la citoyenneté à chaque nouvelle génération de Français.

La plaie qui s’est ouverte ne se refermera pas sans une prise de conscience collective. Nous devons affirmer avec fermeté nos convictions, faire respecter nos principes, refuser de transiger sur l’essentiel.

Je n’imaginais pas devoir prendre la parole à cette tribune pour vous proposer cette révision constitutionnelle dans un contexte qui serait marqué par l’ignominie d’un crime de sang dramatiquement spectaculaire.

Et pourtant, ce qui s’est passé à Conflans-Sainte-Honorine n’était pas imprévisible, puisque la propagande djihadiste réclamait depuis longtemps un tel passage à l’acte contre des enseignants.

Voilà cinq ans déjà, nous délibérions ici même de la lutte contre le terrorisme ; je me souviens vous avoir lu un passage de la revue en ligne de l’État islamique, Dar al-Islam, qui, dans sa folie meurtrière, appelait à assassiner des professeurs et à livrer une guerre sans merci à la laïcité, en des termes fanatiques ne laissant place à aucune ambiguïté.

La République est minée par le poison toxique de l’islamisme radical, qui prétend faire prévaloir, à l’abri de la liberté religieuse, la loi du groupe sur celle de la Nation et dont l’objectif est de nature politique. Nous devons dénoncer l’imposture consistant à mettre cette démarche idéologique sur le compte des droits de la religion tout en déniant partout dans le monde la liberté religieuse à ceux qui ne partagent pas les croyances salafistes.

Comme l’a démontré Jacqueline Eustache-Brinio dans le rapport de notre commission d’enquête sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, le projet islamiste est un projet totalitaire. Il bafoue la liberté de conscience. Il porte atteinte à l’indivisibilité de la République et aux libertés. Il bat en brèche nos droits fondamentaux à travers l’asservissement de la femme. Et il comporte, dans sa forme extrême, une dimension terroriste tragiquement présente en ce jour.

La coexistence organisée des religions est une nécessité pour la paix internationale et pour la concorde civile. En France vivent paisiblement plusieurs millions de compatriotes musulmans. Ces Français, rien ne saurait les distinguer des autres citoyens au regard de la loi. Ils ne doivent ni se retrancher d’eux-mêmes de la communauté nationale ni en être retranchés par ceux qui amalgament religion musulmane et idéologie djihadiste.

La France dispose d’une méthode simple pour résoudre ce défi de cohésion nationale : la laïcité, inventée pour que les antagonismes religieux ou philosophiques qui opposent les hommes ne les empêchent pas de vivre ensemble. Nous devons agir pour que la fraternité humaine finisse par l’emporter sur la pulsion de mort de qui prétend éliminer la pensée de l’autre en éliminant la vie de l’autre. Notre force est dans nos valeurs, mais elle est aussi dans l’application rigoureuse de nos principes quand le vivre ensemble est menacé.

La liberté religieuse est garantie à tout citoyen par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… ». Au même article, il est précisé cependant : « … pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». À l’article VI, il est proclamé également que la loi « doit être la même pour tous ». Dans notre République, la liberté religieuse ne saurait donc être invoquée pour tenir la loi en échec.

Or c’est justement à ce principe de base que les islamistes s’en prennent dans les communes, les entreprises, les écoles, les hôpitaux, les transports, les centres sportifs, les commerces, en retournant de la manière la plus perverse l’exigence de tolérance religieuse contre les principes républicains. Trop de décideurs, publics et privés, s’y laissent prendre en acceptant des concessions qui sapent les fondements de notre pacte civil.

Il est temps de comprendre que, face aux salafistes, l’esprit de conciliation n’est pas seulement une faiblesse ; c’est une faute : une faute contre la liberté, contre la République, contre la Nation, et aussi contre notre sécurité.

Un coup d’arrêt doit être porté aux pratiques qui se sont répandues insidieusement dans tous les domaines de la vie sociale. Ces pratiques tendent, par petites touches, à donner droit de cité aux prescriptions de l’intégrisme religieux le plus borné, par une action méthodique de subversion des principes républicains. Il serait illusoire d’imaginer que la voie de la conciliation pourrait conduire à neutraliser ce projet. Respect pour les religions, oui ! Complaisance face à la radicalité politique, non !

Le Président de la République s’est exprimé. Il a présenté une analyse dont certains termes méritent d’être repris : « Le problème, c’est cette idéologie qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République. » Je partage ce constat et je dis au Président de la République : « Puisque vous l’avez énoncé, allez jusqu’au bout, et acceptez d’inscrire le principe qui en découle dans notre loi fondamentale, pour que nul ne puisse désormais le contourner ! »

Un projet de loi est en préparation, qui comportera diverses mesures : formation des imams, contrôle des associations cultuelles, scolarisation des enfants… Le Parlement en débattra. Mais aucune de ces dispositions, qui traitent principalement de la religion, et non des règles de la vie en société, n’est véritablement à la hauteur de l’enjeu, celui d’une reformulation pour notre temps de principes qui sont au fondement de la République.

Nulle part n’est en effet énoncé dans la Constitution le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de ses origines ou de ses croyances pour s’exonérer du respect de la règle commune ». L’inscription de ce principe dans notre loi fondamentale est une nécessité politique, une mesure de sauvegarde. Il ne suffit pas que le Conseil constitutionnel applique déjà en partie cette règle non écrite. Elle est en effet constamment violée ou contournée ; il faut que cela cesse !

Osons donc nous inspirer du modèle de nos grands anciens de 1789, qui ont posé les fondements de la société moderne par la proclamation de droits qui sont maintenant au sommet de notre édifice constitutionnel. C’est par la force des idées qu’une société se transforme. Nommons les choses, proclamons-les, qu’aucun enfant de nos écoles ne puisse les ignorer, qu’aucun citoyen de France ne puisse les confondre !

Il faut que tout maire, tout proviseur, tout directeur d’hôpital, tout chef d’entreprise, tout responsable de club sportif, tout dirigeant associatif, tout organisateur de transports, tout Français, sache comment réagir dans toutes les circonstances de la vie sociale où les revendications islamistes s’expriment. Donnons-leur une référence claire sur laquelle s’appuyer ! C’est ainsi que nous imprimerons dans nos mœurs des pratiques dont nous n’aurions jamais dû nous écarter et qui garantiront la cohésion de la Nation.

En affichant les couleurs de la République, c’est la vie concrète, la vie quotidienne, que nous visons, à travers des milliers de décisions prises chaque jour en réponse aux revendications islamistes. Nous ne pouvons plus nous contenter d’une approche seulement juridique, impuissante à régir la réalité de la vie sociale. Nous avons besoin d’un acte politique souverain pour sceller l’accord des Français sur une vision commune de la République : un acte refondateur.

Voilà pourquoi Bruno Retailleau, Hervé Marseille, de nombreux collègues de la majorité sénatoriale et moi-même proposons d’inscrire dans la Constitution, au titre de la garantie des droits, ce principe fondamental qui veut qu’on ne puisse plus tirer prétexte de la liberté religieuse pour mettre en cause le respect de la règle commune.

Cette proposition de loi constitutionnelle a été discutée une première fois en commission des lois dès 2015, sans aboutir. Depuis, les esprits ont mûri, et le texte dont nous débattons aujourd’hui a été déposé en février dernier, puis inscrit en septembre à notre ordre du jour. Si l’Assemblée nationale n’y fait pas obstacle – car, en l’espèce, elle détient le pouvoir d’empêcher –, c’est le peuple français lui-même qui proclamera ce nouveau principe constitutionnel en se prononçant par référendum. Nos compatriotes décideront alors de la forme de société dans laquelle ils veulent vivre. Grâce au débat national qui précédera ce référendum, le principe sera désormais dans toutes les têtes.

Nous attendons du Président de la République, du Gouvernement et de l’Assemblée nationale qu’ils conduisent le processus commencé aujourd’hui jusqu’au référendum que nous appelons de nos vœux.

Le vote du Sénat aura ainsi ouvert la voie au nécessaire rassemblement de tous les républicains dans ce combat démocratique pour la liberté, qui est aussi un combat contre l’obscurantisme.

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