Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, estimés collègues, en tant que rapporteur de la commission des lois, je souhaite saluer la mémoire de Samuel Paty, hussard noir de la République, égorgé pour avoir enseigné la liberté d’expression dans une classe de quatrième. Cet assassinat nous oblige : il nous oblige à agir pour défendre la République face à ses ennemis, tout en assurant la dignité de notre débat.
Cette proposition de loi constitutionnelle est une réponse aux « coups de boutoir » du communautarisme, qui fragmentent notre société. Permettez-moi de reprendre le constat lucide de Robert Badinter : « Le communautarisme, c’est la mort de la République. Si nous devions avoir des communautés qui négocient leur adhésion ou leur participation, ce serait fini. Ce serait un autre type de République. »
Dans le même esprit, le politologue Jérôme Fourquet décrit la France comme un « archipel » d’îles s’ignorant entre elles.
Cette fragmentation remet en cause notre pacte social, fondé sur l’indivisibilité de la République, la souveraineté nationale et l’unité du peuple.
Sur le terrain, les comportements communautaristes se font de plus en plus pressants, comme l’a démontré notre commission d’enquête sur la radicalisation islamiste. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail fourni, sous la présidence de Nathalie Delattre, par son rapporteur, notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, dont chacun connaît l’engagement sur ce dossier.
Le communautarisme défie la République dans tous les secteurs de la vie quotidienne, en particulier dans les services publics, dans les entreprises et dans le monde sportif. Ce phénomène, longtemps nié par certains, est abondamment documenté.
Dans leur ouvrage Inch ’ Allah – L ’ islamisation à visage découvert, les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme décrivent par exemple les refus de soins, le mari d’une patiente s’exclamant : « Ma femme peut crever, mais au moins je suis en paix avec Dieu. » D’autres patients refusent les transfusions sanguines, ce qui conduit à une impasse médicale et à des catastrophes sanitaires.
L’école est aujourd’hui prise pour cible, car elle constitue le premier rempart contre l’obscurantisme. Dans le rapport de la commission d’enquête sénatoriale, un recteur admet « qu’il est difficile d’enseigner Voltaire dans certaines classes ». L’« absentéisme sélectif » est aussi une réalité, par exemple pour éviter les cours de natation ou de sciences de la vie et de la terre (SVT). Ces difficultés ne concernent pas uniquement le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine – chacun doit en avoir conscience.
Pour ce qui concerne les entreprises, 65 % des salariés observent des faits religieux sur leur lieu de travail et 55 % des managers déclarent ne pas disposer des ressources nécessaires pour gérer d’éventuelles situations conflictuelles.
La loi El Khomri du 8 août 2016 a constitué une première étape. Elle clarifie le fait que le règlement intérieur de l’entreprise peut contenir des dispositions restreignant la manifestation des convictions des salariés. Elle reste toutefois peu mise en œuvre : seulement 32 % des entreprises ont complété leur règlement en ce sens.
Dernier exemple : le monde du sport. Le sociologue Médéric Chapitaux mentionne plusieurs situations concrètes : un club de football portant le nom de « Maccabi » et refusant de jouer le vendredi et le samedi ; des professeurs de clubs de boxe refusant la participation de boxeuses au motif qu’elles ne seraient pas suffisamment habillées.
Ces ruptures du pacte républicain ne sont pas acceptables. Elles peuvent d’ailleurs concerner l’ensemble des croyances, et pas uniquement une religion donnée – il faut être extrêmement clair sur ce point.
Le communautarisme dépasse la problématique de la laïcité : la question n’est plus d’organiser les relations entre les Églises et l’État, mais, plus largement, de préserver l’unité nationale dans une société laïque.
Les croyants en sont les premières victimes. Notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio l’a rappelé dans son rapport : « La majorité des musulmans est […] attachée au modèle républicain. Aspirant à l’anonymat, elle est aujourd’hui prisonnière d’une minorité qui revendique une pratique rigoriste, radicalisée et visible. » Lors de son audition, le Grand rabbin de France m’a d’ailleurs rappelé cet adage du Talmud, sur lequel nous avons échangé en commission avec ma collègue Esther Benbassa : « La loi de l’État a force de loi. »
Les femmes paient un lourd tribut au communautarisme. Nadia Remadna, présidente de la brigade des mères, a par exemple avoué qu’elle n’aurait jamais pensé « devoir se battre ici, dans ce pays, pour boire de l’alcool ou fumer une cigarette ». Dans les familles, des enfants se trouvent embrigadés par des règles communautaires, bien loin de la République émancipatrice que nous appelons de nos vœux.
Face à ces difficultés, le Président de la République enchaîne les discours : discours aux Bernardins, à Mulhouse, au Panthéon, aux Mureaux. Les actes tardent toutefois à venir, malgré l’annonce d’un projet de loi pour la fin de l’année. L’action des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire mériterait également d’être évaluée plus en profondeur.
Nous pourrons débattre de la notion de « séparatisme », qui peut paraître trop étroite pour rendre compte de la réalité du communautarisme. Sur le terrain, des groupes comme les Frères musulmans cherchent non pas à vivre en marge de la société, mais, au contraire, à y répandre leur mode de vie, dans une logique qui relève de l’entrisme.
Le texte que nous examinons fixe un objectif très clair : réaffirmer la prééminence des lois de la République.
Il vise à inscrire, à l’article 1er de la Constitution, le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».
Il s’agit – disons les choses – d’un acte politique, dont l’objectif est de donner un coup d’arrêt au communautarisme – j’observe d’ailleurs que cet objectif semble faire consensus.
Dans son discours prononcé à Mulhouse le 18 février dernier, le Président de la République a affirmé qu’« on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République ». Le recteur de la Grande mosquée de Paris a également déclaré que « la loi de ce pays doit être nécessairement le cadre commun ».
Juridiquement, cette proposition de loi constitutionnelle conforte des garanties qui relèvent aujourd’hui de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et notamment de ses décisions de 1999 et de 2004. Il s’agit de « graver dans le marbre » cette jurisprudence, mais également de l’étendre.
Le texte couvre les relations entre les collectivités publiques et les particuliers, ce qui correspond à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais également les interactions collectives dans le secteur privé. La notion de « règle commune » intègre, en effet, les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations.
Le texte rappelle ainsi que la liberté de conscience, que nous devons à tout prix sauvegarder, n’autorise personne à exiger un traitement à part, que ce soit à l’école, dans les hôpitaux, dans les transports publics, au bureau, dans les centres sportifs, etc. Il s’adresse aux acteurs de terrain comme les maires, les enseignants ou les médecins, leur donnant les moyens de réagir face aux revendications communautaires.
Pour le professeur Dominique Chagnollaud, le texte comporte « une règle de conciliation constitutionnelle », permettant de répondre aux coups de boutoir du communautarisme par des règles claires. Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État honoraire, partage cette analyse. Il affirme que « la République a besoin de repères simples à formuler et à respecter ». Il poursuit : « Non, les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits. »
L’affaire de la crèche associative Baby Loup illustre ces difficultés : il a fallu plus de cinq ans pour déterminer le droit applicable, la crèche ayant dû, dans l’intervalle, suspendre ses activités, puis déménager dans une commune voisine. Il en va de même pour les procédures de licenciement engagées pour prosélytisme religieux, qui sont très difficiles à mener.
La présente proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause la conception française de la laïcité. Au contraire, elle la réaffirme.
Elle n’affecte pas la possibilité pour les collectivités publiques de financer la rénovation de lieux de culte dans une logique patrimoniale. Quant aux régimes de l’Alsace-Moselle et de la Guyane, ils ne sont pas remis en cause – je tiens à rassurer nos collègues issus de ces territoires.
Je rappelle enfin que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) accepte des limitations à la liberté religieuse dès lors qu’elles respectent trois critères cumulatifs : être prévues par la loi, rechercher un but légitime et être proportionnées au but recherché. Dans une jurisprudence de 2017, la CEDH précise par exemple que les croyances religieuses ne justifient pas que des écolières soient exemptées de cours de natation.
J’en viens maintenant au second article de cette proposition de loi constitutionnelle, qui impose aux partis et groupements politiques de respecter le principe de laïcité.
Il apporte une nuance à l’article 4 de la Constitution, qui dispose que les partis « se forment et exercent leur activité librement ». Mais ce n’est qu’un ajout, les partis devant déjà respecter les principes de souveraineté nationale et de démocratie.
L’objectif est ainsi de lutter contre l’émergence des partis communautaristes, dont l’adhésion des membres est souvent conditionnée à l’appartenance à une communauté.
En revanche, cette disposition ne concerne pas les partis issus d’une tradition religieuse, mais respectant l’unité du peuple français, comme l’ont été le Mouvement républicain populaire, le MRP, ou l’Union pour la démocratie française, l’UDF. La raison en est simple : ces partis ne prônent pas la supériorité des préceptes religieux sur les règles communes, pas plus qu’ils ne remettent en cause la souveraineté nationale ou la démocratie.
Sur le plan opérationnel, le texte donnerait une base constitutionnelle pour interdire le financement des partis communautaristes. L’argent public ne doit pas servir à financer, directement ou indirectement, ce type de partis ou d’associations.
Nous aurons aussi ce débat lors de l’examen du projet de loi du Gouvernement, dont le nouvel intitulé m’interroge : il vise à « renforcer la laïcité », comme si cette dernière était à terre.
Le 26/11/2020 à 14:54, aristide a dit :
"Le texte rappelle ainsi que la liberté de conscience, que nous devons à tout prix sauvegarder, n’autorise personne à exiger un traitement à part, que ce soit à l’école, dans les hôpitaux"
A propos des hôpitaux, pourquoi la circoncision religieuse n'y est-elle pas réprimée ? Il y a des lois républicaines contre les mutilations sexuelles, et la loi de la religion n'est pas supérieure à celle de la République.
Le 26/11/2020 à 14:56, aristide a dit :
"un club de football portant le nom de « Maccabi »"
Un club de football peut porter le nom qu'il veut, ce qui est interdit, c'est de faire une sélection des joueurs sur des bases religieuses.
Le 26/11/2020 à 14:59, aristide a dit :
"et refusant de jouer le vendredi et le samedi "
S'ils ne viennent pas jouer, le match est considéré perdu pour eux...
Le 26/11/2020 à 15:02, aristide a dit :
"« La majorité des musulmans est […] attachée au modèle républicain. "
C'est quoi le modèle républicain ? Je connais la loi républicaine, mais le modèle ?
Le 26/11/2020 à 15:03, aristide a dit :
"J’en viens maintenant au second article de cette proposition de loi constitutionnelle, qui impose aux partis et groupements politiques de respecter le principe de laïcité."
Fini les démocrates chrétiens, ils s'appelleront désormais les démocrates laïcs...
Le 26/11/2020 à 15:07, aristide a dit :
Le recteur de la Grande mosquée de Paris a également déclaré que « la loi de ce pays doit être nécessairement le cadre commun ».
Le problème, c'est que certains ne comprennent pas le sens de la loi. Et du coup il n'y a plus de loi.
Le 26/11/2020 à 15:09, aristide a dit :
"Il poursuit : « Non, les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits. »"
Tous ces contresens sur la laïcité entretiennent, et même créent la confusion des esprits.
Le 26/11/2020 à 15:12, aristide a dit :
"L’affaire de la crèche associative Baby Loup illustre ces difficultés : il a fallu plus de cinq ans pour déterminer le droit applicable, la crèche ayant dû, dans l’intervalle, suspendre ses activités, puis déménager dans une commune voisine. Il en va de même pour les procédures de licenciement engagées pour prosélytisme religieux, qui sont très difficiles à mener."
Il y en a même qui osent dire que porter un voile supposé islamique revient à faire du prosélytisme... comme si on pouvait faire du prosélytisme en portant un foulard. Et ces gens sont reçus par les médias, interviewés par les journalistes qui ne posent pas les bonnes questions, qui ne critiquent pas leur discours hallucinant, qui collaborent à l'erreur en fait.
Le 26/11/2020 à 15:15, aristide a dit :
"il vise à « renforcer la laïcité », comme si cette dernière était à terre."
A force de faire dire n'importe quoi à la laïcité, elle est plus bas que terre...
Le 26/11/2020 à 14:52, aristide a dit :
"L’« absentéisme sélectif » est aussi une réalité, par exemple pour éviter les cours de natation ou de sciences de la vie et de la terre (SVT). Ces difficultés ne concernent pas uniquement le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine – chacun doit en avoir conscience."
Et certains profs qui s'absentent le jour d'une fête religieuse non fériée, tandis que les élèves viennent en cours ?
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