Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 19 octobre 2020 à 17h00
Prééminence des lois de la république — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment se montrer digne de l’inexprimable sentiment de colère, d’affliction, de dégoût, partagé par la famille, les proches, les collègues et les élèves de M. Samuel Paty, professeur d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine ?

Je rends d’abord hommage aux enseignants, ces « hussards noirs de la République qui portent l’arme de la connaissance dans la plaie de l’obscurantisme », selon Julien Lecuyer, éditorialiste de La Voix du Nord.

L’école fait l’objet de délibérations perpétuelles. Elle est scrutée, inspectée, sondée, parfois critiquée. Elle est toujours dans l’attente, pour ne pas dire la crainte, d’une nouvelle réforme. Et pourtant, les Françaises et les Français lui sont intimement attachés.

Si les attentes de nos concitoyens sont fortes à son égard, c’est parce que l’école incarne le savoir et la connaissance, parce qu’elle est source d’émancipation, parce qu’elle est une promesse d’égalité, parce qu’elle éveille les aptitudes et échauffe les vocations. Vantons notre instruction gratuite et obligatoire !

Samuel Paty voulait former des esprits libres. Il est mort, décapité par un fanatique de 18 ans. Il portait le savoir, cette lumière qu’ils ne pourront pas éteindre.

En tant qu’ancien ministre de la ville, je sais que les revendications communautaires sont une réalité, mais je ne partage pas l’idée selon laquelle nous ne serions pas armés pour y faire face.

Nos règles sont là, et sont sans ambiguïtés sur ces sujets. L’article 1er de la Constitution garantit l’égalité de tous devant la loi et interdit tout traitement différencié en fonction de l’origine et de la religion. Le même article 1er affirme que la République française est laïque.

L’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fixe le but de toute association politique, principe conforté par l’article 4 de notre Constitution.

Mes chers collègues, ce qui manque, ce ne sont pas de nouvelles règles ; elles existent déjà. C’est parfois le courage politique de les faire appliquer.

La loi ne peut s’appliquer que si elle est claire et compréhensible par tous. Elle ne supporte pas les effets de manche, elle ne sert plus si elle est superfétatoire.

Ainsi, le but affiché par cette proposition de loi constitutionnelle est non pas l’efficacité, mais l’affichage.

L’efficacité ne serait pas passée par une telle démarche. Cette proposition de loi aurait nécessité d’établir un diagnostic des textes en vigueur et de déterminer les moyens d’agir afin de préparer, le cas échéant, l’adoption de dispositions suffisamment précises et de formules non équivoques.

Aujourd’hui, la majorité sénatoriale devrait être animée par la préoccupation de rédiger un texte normatif, clair dans ses principes et juridiquement solide, pour le juge qui devra l’interpréter et l’appliquer à chaque cas d’espèce. Tel n’est pas le cas, vous le reconnaîtrez.

Certes, votre démarche résonne particulièrement dans le contexte actuel. Ainsi, elle aboutit sur un point : elle soumet la question de la prééminence de la République sur tout autre groupe ou groupement au débat de notre assemblée. C’était important, cela devient nécessaire. Il faut se saisir de ce débat.

La lutte contre le communautarisme n’est pas la propriété d’une famille politique plus que d’une autre, tout comme le manque de courage politique, d’ailleurs : ces phénomènes transcendent les clivages.

Nous sommes disposés à apporter notre concours, à la fois pour renforcer les moyens de lutter contre les messagers de la haine et pour réduire le terreau social fertile qui les fait prospérer, en remettant la promesse républicaine et les services publics au cœur des politiques publiques dans les territoires abandonnés. Pour ces combats, vous nous trouverez toujours à vos côtés.

Car ce combat contre l’obscurantisme et pour la République est long. Il a commencé il y a plusieurs siècles et ne s’arrêtera pas. Il faut continuer à le mener, inlassablement, avec résolution.

Il ne peut y avoir aucune complaisance à l’égard de ceux qui se construisent contre la République. Pour autant, il ne peut plus y avoir un discours sur les ghettos sans consacrer les moyens nécessaires à la mixité et à la lutte contre les discriminations territoriales, sociales, d’origine. Tous les séparatismes doivent être combattus.

Quand une discussion touche à un sujet aussi grave pour la destinée du pays, il faut aller sans hésiter au fond de la question.

Que chacun balaie devant sa porte. La tolérance ne doit pas conduire à la mansuétude. La fermeté ne doit pas conduire à l’ostracisme. Ni angélisme ni amalgame !

Il n’y a pas de fondamentalisme à jamais paisible ; il n’y a pas de salafisme à jamais inoffensif ; il n’y a pas d’intégrisme à jamais pondéré. Quand on professe le rejet de la République, on prépare les esprits à l’apologie de la violence et la haine.

Il n’y a aucune complaisance à avoir à l’égard de ceux qui s’érigent contre la République. On ne laisse pas impunément prospérer les radicalités dans les zones d’ombre de la République.

J’étais le premier, en tant que ministre de la ville, à dire, en mars 2016, qu’il y avait dans notre pays des quartiers qui présentaient des similitudes potentielles avec Molenbeek. Que n’ai-je entendu dans mon propre camp à l’époque !

Ne nous le cachons pas, Molenbeek, c’est quoi ? C’est une forte concentration de pauvreté et de chômage, un système ultracommunautariste – n’ayons pas peur des mots ! –, un système mafieux avec une économie souterraine.

Mais pourquoi ? Parce que ce sont aussi des lieux où les services publics ont disparu, ou les élus ont parfois baissé les bras, ou les politiques de la ville se sont amenuisées quand elles n’ont pas totalement disparu. C’est alors que prospèrent les prédateurs, car les proies potentielles sont nombreuses.

Il peut y avoir un terrorisme low cost, mais il n’y a pas de loup solitaire. Même ceux qui s’autoradicalisent dans leur chambre sont en contact avec des vidéos, des sites, des blogs de groupes terroristes qui provoquent et appellent au terrorisme. La diffusion d’une propagande extrêmement sophistiquée sur internet, les liens numériques entretenus entre des individus et les groupes terroristes les conduisent à passer à l’acte. Là se pose un autre problème, auquel il faut s’atteler : la régulation des réseaux sociaux et la fermeture de sites de désinformation.

J’aimerais vous entendre, monsieur le ministre, sur le bilan gouvernemental depuis 2017, pour faire face à ce défi lancé à notre République.

Depuis plus d’un siècle, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État protège les libertés les plus fondamentales : croire, penser, critiquer, caricaturer, blasphémer.

Notre société est sécularisée. Elle est passée de l’hétéronomie – « la loi vient d’en haut » – au régime de l’autonomie – « la loi est produite par les hommes ». C’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi, aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi.

J’aurai une pensée ici pour nos millions de compatriotes qui pratiquent leur religion dans le respect du principe de laïcité. Ils ne méritent pas d’être salis par les entrepreneurs de haine qui attaquent notre République. Je vous invite à relire, mes chers collègues, cette magnifique tribune, parue à l’occasion du discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux, du recteur de la Grande Mosquée de Paris, qui mérite à la fois notre attention et notre respect.

Contrairement aux fantasmes trop souvent véhiculés, aucune Église ne détient plus aujourd’hui en France le monopole de la vérité religieuse. Aucun culte ne doit exercer une influence directement politique, allant au-delà de son autorité spirituelle et morale.

En conclusion, rappelons les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Aucune règle n’est supérieure à la loi, qui « est l’expression de la volonté générale » ; « nul ne doit être inquiété pour ses opinions […] » ; « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme […]. »

Puisque la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Constitution et les lois existent, il n’est pas nécessaire de rendre ces dernières bavardes. Notre seul impératif est de les appliquer. Ces textes sont la force de notre démocratie et de l’État de droit, et ils constituent l’antidote aux totalitarismes les plus divers.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, votre proposition de loi constitutionnelle, ne vous en déplaise, correspondait à votre agenda, dans un temps donné. Mais le temps a changé. Nous vous laissons à votre chemin déclamatoire. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne participera pas au vote de ce soir.

1 commentaire :

Le 26/11/2020 à 15:53, aristide a dit :

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"La loi ne peut s’appliquer que si elle est claire et compréhensible par tous."

On leur dit : "La laïcité, c'est simple, c'est pas de discrimination entre les élèves pour des motifs religieux, donc pas de menus religieux dans les cantines", et là, soudain, ils ne comprennent plus rien à la laïcité, et à cette loi de la religion qui ne devrait pas s'imposer sur celle de la République, ben tiens...

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